Preuves par les Juifs VI – Fragment n° 4 / 15 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 56 p. 253 v° / C2 : p. 469 v°
Éditions de Port-Royal : Chapitre XIV - Jésus-Christ : 1669 et janv. 1670 p. 112 / 1678 n° 11 p. 113
Éditions savantes : Faugère II, 330, XL (P-R) / Havet XVII.11 (P-R) / Michaut 925 / Brunschvicg 739 / Le Guern 430 / Lafuma 462 (série XI) / Sellier 701
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
MESNARD Jean, “Structures binaires et structures ternaires dans mes Pensées de Pascal”, in RONZAUD Pierre (dir.), Pascal, Pensées, Littératures classiques, 20, 1994, p. 45-57. MEURILLON Christian, “Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire”, Équinoxe, 6, Rinsen Books, Kyoto, 1990, p. 49-68. SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, II, Pascal, 2e éd., Paris, 2010, p. 461-470. SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, II, Pascal, 2e éd., Paris, 2010, p. 485-510. |
✧ Éclaircissements
Les prophètes ont prédit, et n’ont pas été prédits. Les saints ensuite prédits, non prédisants. Jésus‑Christ prédit et prédisant.
Pascal procède par combinaisons qui permettent de définir différents types d’hommes en rapport avec le don de prédiction.
On trouve de nombreux exemples de ce procédé dans les Pensées. Voir Meurillon Christian, “Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire”, p. 61 sq., qui relève plusieurs exemples, des plus simples aux plus complexes.
Voir entre autres
Commencement 10 (Laf. 160, Sel. 192). Il y a trois sortes de personnes : les uns qui servent Dieu l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux. Ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.
La combinatoire permet souvent d’éclaircir une situation historique :
Laf. 598, Sel. 495. Saint Athanase était un homme appelé Athanase, accusé de plusieurs crimes, condamné en tel et tel concile pour tel et tel crime. Tous les évêques y consentent et le pape enfin. Que dit-on à ceux qui y résistent ? qu’ils troublent la paix, qu’ils font schisme etc. Quatre sortes de personnes, zèle sans science, science sans zèle, ni science ni zèle, et zèle et science. Les trois premiers le condamnent, les derniers l’absolvent et sont excommuniés de l’Église, et sauvent néanmoins l’Église.
À la combinatoire s’ajoute parfois une progression chronologique : dans le présent texte, les prophètes précèdent les saints qui précèdent le Christ.
Les prophètes n’ont pas été prédits, puisque Moïse, par exemple, n’a été précédé de personne qui annonçât sa mission ; il a dû s’accréditer lui-même pour devenir le guide du peuple juif pour sortir d’Égypte et passer le désert. En revanche, les prophètes ont annoncé la venue du Messie.
Les saints, qui ont suivi le passage sur la terre du Christ, ont été prédits par le Christ lui-même. Ils forment son peuple. Mais ils n’ont pas eu à prédire le Messie.
Ces deux types sont définis par deux caractères, dont l’un est positif, et l’autre négatif, qui est la marque de leur infériorité par rapport au Christ.
Jésus-Christ est le milieu entre ces deux types : il a été prédit par les prophètes.
Voir sur ce sujet la liasse Prophéties.
Sellier Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, II, Pascal, 2e éd., Paris, 2010, p. 468-470.
Un grand nombre de fragments montrent que seul le Christ possède les deux attributs qui montrent qu’il est maître du temps.
Il a été prédit.
Perpétuité 4 (Laf. 282, Sel. 314). Perpétuité. Le Messie a toujours été cru. La tradition d’Adam était encore nouvelle en Noé et en Moïse. Les prophètes l’ont prédit depuis en prédisant toujours d’autres choses dont les événements qui arrivaient de temps en temps à la vue des hommes marquaient la vérité de leur mission et par conséquent celle de leurs promesses touchant le Messie. Jésus-Christ a fait des miracles et les apôtres aussi qui ont converti tous les païens et par là toutes les prophéties étant accomplies le Messie est prouvé pour jamais.
Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Jésus-Christ prédit quant au temps et à l’état du monde. Le duc ôté de la cuisse, et la quatrième monarchie.
Dossier de travail (Laf. 390, Sel. 9). Perpétuité. Qu’on considère que depuis le commencement du monde, l’attente ou l’adoration du Messie subsiste sans interruption, qu’il s’est trouvé des hommes qui ont dit que Dieu leur avait révélé, qu’il devait naître un Rédempteur qui sauverait son peuple. Qu’Abraham est venu ensuite dire qu’il avait eu révélation qu’il naîtrait de lui par un fils qu’il aurait, que Jacob a déclaré que de ses douze enfants il naîtrait de Juda, que Moïse et les prophètes sont venus ensuite déclarer le temps et la manière de sa venue. Qu’ils ont dit que la loi qu’ils avaient n’était qu’en attendant celle du Messie, que jusque là elle serait perpétuelle, mais que l’autre durerait éternellement, qu’ainsi leur loi ou celle du Messie dont elle était la promesse serait toujours sur la terre, qu’en effet elle a toujours duré, qu’enfin est venu Jésus-Christ dans toutes les circonstances prédites. Cela est admirable.
Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : [...].
Que durant mille six cents ans ils ont eu des gens qu’ils ont crus prophètes qui ont prédit le temps et la manière.
Que quatre cents ans après ils ont été épars partout, parce que Jésus-Christ devait être annoncé partout.
Que Jésus-Christ est venu en la manière et au temps prédit.
Que depuis les juifs sont épars partout en malédiction, et subsistants néanmoins.
Sellier Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, II, Pascal, 2e éd., Paris, 2010, p. 468-470. Le Christ se révèle lui-même comme le dernier et le plus grand prophète.
Et le Christ a prédit l’avènement de la cité de Dieu, dont les saints forment le peuple.
L’abrégé de la vie de Jésus-Christ, OC III, § 25, éd. J. Mesnard, p. 255, porte aussi que « peu devant Pâque, il fut en Jérusalem, où il chassa les marchands du Temple, et prédit la ruine et restitution de son corps sous la figure du Temple, et plusieurs crurent en lui, voyant ses miracles, mais il ne se fiait point en eux, parce qu’il connaissait leur intérieur ». Le même texte rappelle qu’envoyant « prêcher les Apôtres, deux à deux », il « leur prédit les maux qu’ils souffriront, brebis au milieu des loups, prudents comme serpents, simples comme colombes » : § 69, OC III, p. 265.
L’ensemble des idées contenues dans ce bref fragment fait écho à un autre texte, plus célèbre : Dossier de travail (Laf. 388, Sel. 7). Jésus-Christ que les deux Testamentsregardent, l’anciencomme son attente le nouveaucomme son modèle, tous deux comme leur centre.
Cette structure ternaire enferme implicitement une structure à quatre termes. Parmi les combinaisons définies par ce fragment, il en manque une : ceux qui sont « non prédits » et « non prédisants ». On pourrait penser qu’il s’agit du reste de l’humanité, notamment les païens. Cette interprétation n’est cependant pas satisfaisante, les hommes n’ayant en général rien qui les dispose ni à prédire, ni à être prédits. En revanche, Pascal pourrait penser à un autre personnage, dont il n’a pas de raison de faire état dans la partie proprement apologétique de son ouvrage. Mahomet n’a pas été prédit : alors que, selon le fragment Ordre 1 (Laf. 1, Sel. 37), les psaumes de David ont été chantés par toute la terre, qui rend témoignage de Mahomet ? lui-même.
Fausseté 1 (Laf. 203, Sel. 235). Mahomet sans autorité. Il faudrait donc que ses raisons fussent bien puissantes, n’ayant que leur propre force. Que dit-il donc ? qu’il faut le croire.
Mais il n’est pas non plus prophète :
Fausseté 7 (Laf. 209, Sel. 241). La différence entre Jésus-Christ et Mahomet, c’est que Mahomet est non prédit, et Jésus-Christ prédit.
Le même fragment indique pourquoi Mahomet n’est pas non plus prophète : il n’a pas cherché à éclairer le peuple sur sa destinée : Mahomet en défendant de lire, les apôtres en ordonnant de lire.
Fondement 20 (Laf. 243, Sel. 276). La religion mahométane a pour fondement l’Alcoran, et Mahomet. Mais ce prophète qui devait être la dernière attente du monde a-t-il été prédit ? Et quelle marque a-t-il que n’ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète. Quels miracles dit-il lui-même avoir faits ? Quel mystère a-t-il enseigné selon sa tradition même ? Quelle morale et quelle félicité !
Conclusion :
Preuves de Jésus-Christ 23 (Laf. 321, Sel 352). Tout homme peut faire ce qu’a fait Mahomet. Car il n’a point fait de miracles, il n’a point été prédit. Nul homme ne peut faire ce qu’a fait Jésus-Christ.
Pascal n’a cependant pas de raison de revenir sur le prophète d’une religion qu’il estime fausse dans la partie de son ouvrage qui traite de la véritable.
Voir la liasse Fausseté des autres religions.