Pensées diverses I – Fragment n° 35 / 37 – Papier original : RO 119-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 102 p. 345 / C2 : p. 299
Éditions savantes : Faugère II, 191, IX / Havet XV.13 bis, XXV.139 / Brunschvicg 704 / Tourneur p. 82-3 / Le Guern 502 / Lafuma 589 (série XXIII) / Sellier 488
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Bibliographie ✍
BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 296-300. DONETZKOFF Denis, “Port-Royal et le diable”, Travaux de littérature publiés par l’ADIREL, XVI, Genève, Droz, 2003, p. 65-82. FERREYROLLES Gérard, “De la causalité historique chez Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, Mélanges en l’honneur de Philippe Sellier, Paris, Champion, 2001, p. 309-332. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. |
✧ Éclaircissements
Voir le dossier thématique sur le peuple juif. Pascal consacre aussi plusieurs dossiers aux Preuves par les Juifs.
Sur l’histoire du peuple juif, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 465 sq., notamment p. 486 sq. et p. 488 sq. ✍
Le diable a troublé le zèle des Juifs avant Jésus-Christ parce qu’il leur eût été salutaire, mais non pas après
Pour le contexte sur le diable, voir Donetzkoff Denis, “Port-Royal et le diable”, p. 65-82. ✍
Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, III, X, 14 sq., Bibliothèque augustinienne, 48, p. 233 sq. ✍
Sur la chute des anges, les démons et le diable, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 296-300. ✍
Sur le diable comme cause du mal pour l’homme, voir Traité de la prédestination, 3, Rédaction plus élaborée de la partie centrale, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 sq. ✍
Ferreyrolles Gérard, “De la causalité historique chez Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, Mélanges en l’honneur de Philippe Sellier, p. 323 sq. Le Diable dans l’histoire selon Pascal. Le diable est cause première et les jésuites causes secondes des maximes de morale corrompue.
Le diable avait tout intérêt à retourner contre Jésus-Christ les Juifs qui l’ont condamné, alors qu’il venait leur apporter la Révélation qui devait faire leur salut. En revanche, il a laissé libre cours au zèle des Juifs pour leur loi, parce que celle-ci avait perdu toute sa valeur et sa vérité profonde après l’instauration de la religion chrétienne.
Mais il faut noter que cette action du diable servait involontairement les desseins de Dieu : car les Juifs, de ce fait, « ont montré beaucoup de zèle à conserver les preuves du Messie, qui sont leur condamnation. Au contraire, ils n’en avaient pas eu pour se mettre en état de reconnaître le Messie, ce qui eût été leur salut ». Havet, éd. des Pensées, I, 1866, p. 216, conclut cette remarque comme suit : « Pascal entre ici dans les conseils du diable comme il entrait dans ceux de Dieu ». Il serait plus précis de dire qu’il montre comment même les actions malfaisantes du diable tournent en bien pour les élus.
On n’est pas loin du fragment Laf. 566, Sel. 472. Tout tourne en bien pour les élus. Jusqu’aux obscurités de l’Écriture, car ils les honorent à cause des clartés divines, et tout tourne en mal pour les autres jusqu’aux clartés, car ils les blasphèment à cause des obscurités qu’ils n’entendent pas.
Pascal indique que le zèle des Juifs après le Christ était nécessaire dans le fragment Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium. Quel autre peuple a un tel zèle, il fallait qu’ils l’eussent.
Cependant, la polémique des Provinciales a fait prendre conscience que le diable s’est aussi occupé d’aveugler certains chrétiens.
Provinciale XIV, éd. Cognet, Garnier, p. 271-272 :
« Car enfin, mes Pères, pour qui voulez-vous qu’on vous prenne : pour des enfants de l’Évangile, ou pour des ennemis de l’Évangile ? On ne peut être que d’un parti ou de l’autre, il n’y a point de milieu. Qui n’est point avec Jésus-Christ est contre lui. Ces deux genres d’hommes partagent tous les hommes. Il y a deux peuples et deux mondes répandus sur toute la terre, selon saint Augustin : le monde des enfants de Dieu, qui forme un corps dont Jésus-Christ est le Chef et le Roi ; et le monde ennemi de Dieu, dont le diable est le Chef et le Roi. Et c’est pourquoi Jésus-Christ est appelé le Roi et le Dieu du monde, parce qu’il a partout des sujets et des adorateurs, et que le diable est aussi appelé dans l’Écriture le Prince du monde et le Dieu de ce siècle, parce qu’il a partout des suppôts et des esclaves. Jésus-Christ a mis dans l’Église, qui est son empire, les lois qu’il lui a plu, selon sa sagesse éternelle ; et le diable a mis dans le monde, qui est son royaume, les lois qu’il a voulu y établir. Jésus-Christ a mis l’honneur à souffrir ; le diable à ne point souffrir. Jésus-Christ a dit à ceux qui reçoivent un soufflet, de tendre l’autre joue ; et le diable a dit à ceux à qui on veut donner un soufflet, de tuer ceux qui leur voudront faire cette injure. Jésus-Christ déclare heureux ceux qui participent à son ignominie, et le diable déclare malheureux ceux qui sont dans l’ignominie. Jésus-Christ dit : Malheur à vous, quand les hommes diront du bien de vous ! et le diable dit : Malheur à ceux dont le monde ne parle pas avec estime !
Voyez donc maintenant, mes Pères, duquel de ces deux royaumes vous êtes. »
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Le peuple juif moqué des gentils, le peuple chrétien persécuté.
Moqué des Gentils : entendre par les Gentils.
Selon Pascal, la haine des peuples a été beaucoup plus dure à l’égard des chrétiens qu’à l’égard des Juifs. Mais de ce fait, les Juifs sont la figure des chrétiens.
Du côté des chrétiens, les Pères apologistes ont écrit pour leur défense face aux persécutions. Voir sur eux Gilson Étienne, La philosophie au Moyen Âge, I, Petite bibliothèque Payot, Paris, Payot, 1976.
Mais Pascal sait fort bien que les Juifs aussi ont été persécutés. Il a fallu que les écrivains juifs composent des livres pour défendre la dignité et la liberté de leur peuple. Pascal connaissait Flavius Josèphe et Philon d’Alexandrie.
Pour Philon d’Alexandrie, en raison de persécutions subies par les Juifs d’Alexandrie de la part des Alexandrins, la communauté décida vers la fin de l’année 39 d’envoyer à l’empereur Caïus Caligula une délégation de cinq membres, dont Philon fut désigné président. Pour informer et gagner Caligula malgré l’hostilité de son entourage, Philon rédigea un mémoire apologétique en faveur des Juifs contre leurs persécuteurs et contre leur accusateur Apion. Voir Les Œuvres de Philon Juif, auteur très éloquent et philosophe très grave, contenant l’exposition littérale et morale des livres sacrés de Moïse et des autres prophètes, et de plusieurs divins mystères, [...] translatées en français sur l’original grec, [...] par Frédéric Morel, Paris, chez Jacques Bessin, au Mont-Saint-Hilaire, à la cour d’Albret, 1619, 2 vol.
Flavius Josèphe a défendu la cause de son peuple dans deux ouvrages majeurs. L’Histoire des Juifs écrite par Flavius Josèphe sous le titre de Antiquités judaïques et l’Histoire de la Guerre des Juifs contre les Romains, ont été traduites par Arnauld d’Andilly. Un chapitre y traite des « Causes de la haine des Égyptiens contre les Juifs. » La haine des Égyptiens vient de la « diversité des religions », car « il n’y a pas moins de différence entre la pureté toute céleste de l’une et la brutalité toute terrestre de l’autre, qu’entre la nature de Dieu, et celle des animaux irraisonnables » : p. 416.
Pascal cite expressément ces deux auteurs qui ont traité du zèle des Juifs : voir le fragment Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348) cité plus haut : Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium. Voir aussi sur Philon, Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370), et Morale chrétienne 18 (Laf. 369, Sel. 401) : La République chrétienne et même judaïque n’a eu que Dieu pour maître comme remarque Philon Juif, De la monarchie. Quand ils combattaient ce n’était que pour Dieu et ils n’espéraient principalement que de Dieu. Ils ne considéraient leurs villes que comme étant à Dieu et les conservaient pour Dieu. Sur Flavius Josèphe, voir Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691).