Pensées diverses II – Fragment n° 11 / 37 – Papier original : RO 249-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 105 p. 351 v°-353 / C2 : p. 307-307 v°
Éditions savantes : Faugère I, 324, XV ; II, 375, XLIII / Havet XXIV.93, XXV.104 / Brunschvicg 885 et 502 / Tourneur p. 87 / Le Guern 515 / Lafuma 602 et 603 (série XXIV) / Sellier 500
Est fait prêtre qui veut l’être, comme sous Jéroboam. C’est une chose horrible qu’on nous propose la discipline de l’Église d’aujourd’hui pour tellement bonne qu’on fasse un crime de la vouloir changer. Autrefois elle était bonne infailliblement et on trouve qu’on a pu la changer sans péché. Et maintenant, telle qu’elle est, on ne la pourra souhaiter changée ? Il a bien été permis de changer la coutume de ne faire des prêtres qu’avec tant de circonspection qu’il n’y en avait presque point qui en fussent dignes, et il ne sera pas permis de se plaindre de la coutume qui en fait tant d’indignes ? ------- Abraham ne prit rien pour lui mais seulement pour ses serviteurs. Ainsi le juste ne prend rien pour soi du monde ni des applaudissements du monde, mais seulement pour ses passions desquelles il se sert comme maître en disant à l’une : Va et viens, sub te erit appetitus tuus. Les passions ainsi dominées sont vertus : l’avarice, la jalousie, la colère, Dieu même se les attribue. Et ce sont aussi bien vertus que la clémence, la pitié, la constance, qui sont aussi des passions. Il faut s’en servir comme d’esclaves et, leur laissant leur aliment, empêcher que l’âme n’y en prenne. Car quand les passions sont les maîtresses, elles sont vices et alors elles donnent à l’âme de leur aliment, et l’âme s’en nourrit et s’en empoisonne.
|
Ces textes portent sur deux sujets différents.
Le premier porte sur la détérioration du statut ecclésiastique à l’époque moderne. Il s’inscrit dans le même courant de pensée que la Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui.
Le second propose une définition originale des passions, considérées comme susceptibles d’engendrer des vertus aussi bien que des vices.
Sub te erit appetitus tuus : « votre concupiscence sera sous vous, et vous la dominerez », Genèse, IV, 7 (tr. de Port-Royal).
Fragments connexes
Philosophes 8 (Laf. 146, Sel. 179). Stoïques.
Ils concluent qu’on peut toujours ce qu’on peut quelquefois et que, puisque le désir de la gloire fait bien faire à ceux qu’il possède quelque chose, les autres le pourront bien aussi.
Ce sont des mouvements fiévreux que la santé ne peut imiter.
Épictète conclut de ce qu’il y a des chrétiens constants que chacun le peut bien être.
Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures.
Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement.
En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.
[...]
Ainsi iratus est, Dieu jaloux, etc. Car les choses de Dieu étant inexprimables elles ne peuvent être dites autrement et l’Église d’aujourd’hui en use encore, quia confortavit seras,etc.
Preuves de Jésus-Christ 18 (Laf. 316, Sel. 347). Qui a appris aux évangélistes les qualités d’une âme parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en Jésus-Christ ? Pourquoi le font-ils faible dans son agonie ? Ne savent-ils pas peindre une mort constante ? Oui, car le même saint Luc peint celle de saint Étienne plus forte que celle de Jésus-Christ.
Ils le font capable de crainte, avant que la nécessité de mourir soit arrivée, et ensuite tout fort.
Mais quand ils le font si troublé c’est quand il se trouble lui-même et quand les hommes le troublent il est tout fort.
Laf. 967, Sel. 800. De sorte que s’il est vrai d’une part que quelques religieux relâchés et quelques casuistes corrompus, qui ne sont point membres de la hiérarchie, ont trempé dans ces corruptions, mais il est constant de l’autre que les véritables pasteurs de l’Église qui sont les véritables dépositaires de la parole divine, l’ont conservée immuable contre les efforts de ceux qui ont entrepris de la ruiner.
[...].
Car si quelques-uns de ces hommes qui par une vocation extraordinaire ont fait profession de sortir du monde et de prendre l’habit de religieux, pour suivre dans un état plus parfait que le commun des chrétiens sont tombés dans des égarements qui font horreur au commun des chrétiens et sont devenus entre nous ce que les faux prophètes étaient entre les Juifs, c’est un malheur particulier et personnel qu’il faut à la vérité déplorer, dont on ne peut rien conclure contre le soin que Dieu prend de son Église puisque toutes ces choses sont si clairement prédites et qu’il a été annoncé depuis si longtemps que ces tentations s’élèveraient de la part de ces sortes de personnes, que quand on est bien instruit on voit plutôt en cela des marques de la conduite de Dieu que de son oubli à notre égard.
Mots-clés : Abraham – Avarice – Clémence – Colère – Constance – Crime – Discipline – Église – Jalousie – Jéroboam – Juste – Passions – Péché – Pitié – Prêtre – Vertu – Vice.