Pensées diverses III – Fragment n° 21 / 85 – Papier original : RO 402-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 122 p. 369 v° / C2 : p. 327-327 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 340 / 1678 n° 40 p. 335

Éditions savantes : Faugère I, 288, LXVIII ; I, 247, I ; I, 226, CLXII / Havet Prov. 402 p. 294 ; VII.27 ; XXV.19 / Brunschvicg 932, 25, 457 / Tourneur p. 99-2 / Le Guern 562 / Lafuma 666 à 668 (série XXV) / Sellier 547

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

Voir le dossier thématique sur la rhétorique de Pascal, qui fournit une bibliographie étendue.

Voir la bibliographie de dossier thématique sur le moi.

 

BRAY René, Formation de la doctrine classique, Nizet, Paris, 1966.

DESCOTES Dominique, “Force et violence dans le discours chez Antoine Arnauld”, in Antoine Arnauld. Philosophie de la connaissance, Études réunies par J.-C. Pariente, Vrin, Paris, 1995, p. 33-64.

FORCE Pierre, “La nature et la grâce dans les Pensées de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 55-62.

GHEERAERT Tony, “Pascal et les reines de village : baroque et maniérisme à Port-Royal”, Études Epistémè, 9, Printemps 2006, p. 285-305.

MESNARD Jean, “Pascal et le moi haïssable”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 405-413.

MESNARD Jean, “Vraie et fausse beauté dans l’esthétique du dix-septième siècle”, Convergences : Rhetoric and Poetic in seventeenth-century France, Essays for Hugh M. Davidson, Ohio State University, Press, Colombus, 1989, p. 3-33. Article repris dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 210-235.

MICHEL Alain, “Saint Augustin et la rhétorique pascalienne : la raison et la beauté dans l’Apologie de la Religion chrétienne”, XVIIe Siècle, n° 135, 1982, p. 133-148.

MOREAU Denis, Deux cartésiens. La polémique Arnauld-Malebranche, Vrin, Paris, 1999.

PARIENTE Jean-Claude (éd.), Antoine Arnauld. Philosophie du langage et de la connaissance, Vrin, Paris, 1995.

SELLIER Philippe, “Rhétorique et apologétique : Dieu parle bien de Dieu”, Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 373-382. Repris in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd. Paris, Champion, 1910, p. 239-250.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008.

TOURNEUR Zacharie, Beauté poétique. Histoire critique d’une Pensée de Pascal et de ses annexes, Vrin, Paris, 1933.

 

 

Éclaircissements

 

Sera bien condamné qui le sera par Escobar.

 

Trait d’ironie relatif aux Provinciales sur la casuistique (lettres V à XV). Le casuiste Escobar, très laxiste dans les décisions morales qu’il emprunte à ses collègues, autorise presque tous les péchés, et finit par n’en condamner presque aucun. Pascal en conclut que s’il condamne une décision de morale, c’est que ceux qui l’auront suivie auront vraiment commis un crime énorme, qui aura mérité une condamnation extrêmement sévère.

On trouve dans les Provinciales plusieurs passages dans lesquels Pascal use d’une ironie semblable, qui consiste à présenter les défauts de la morale des casuistes comme des choses dont il faut se féliciter. Voir par exemple dans la VIIIe lettre :

« Je vous demande maintenant. Un homme qui se mêle de deviner, est-il obligé de rendre l’argent qu’il a gagné par cet exercice ? Ce qu’il vous plaira, mon Révérend Père ; lui dis-je. Comment ce qu’il me plaira ? Vraiment vous êtes admirable ! Il semble de la façon que vous parlez, que la vérité dépende de notre volonté. Je vois bien que vous ne trouveriez jamais celle-ci de vous-même. Voyez donc résoudre cette difficulté-là à Sanchez. Premièrement il distingue en sa Som., l. 2, c. 38, n. 94, 95 et 96. Si ce devin ne s’est servi que de l’astrologie, et des autres moyens naturels ; ou s’il a employé l’art diabolique. Car il dit qu’il est obligé de restituer en un cas, et non pas en l’autre. Diriez-vous bien maintenant auquel ? Il n’y a pas là de difficulté, lui dis-je. Je vois bien, répliqua-t-il, ce que vous voulez dire. Vous croyez qu’il doit restituer au cas qu’il se soit servi de l’entremise des démons ? Mais vous n’y entendez rien. C’est tout au contraire. Voici la résolution de Sanchez au même lieu : Si ce devin n’a pris la peine et le soin de savoir par le moyen du diable ce qui ne se pouvait savoir autrement, si nullam operam apposuit ut arte diaboli id sciret, il faut qu’il restitue ; mais s’il en a pris la peine, il n’y est point obligé. Et d’où vient cela, mon Père ? Ne l’entendez-vous pas, me dit-il ? C’est parce qu’on peut bien deviner par l’art du diable, au lieu que l’astrologie est un moyen faux. Mais, mon Père, si le diable ne répond pas à la vérité, car il n’est guère plus véritable que l’astrologie ; il faudra donc que le devin restitue par la même raison ? Non pas toujours, me dit-il. Distinguo, dit Sanchez sur cela. Car si le devin est ignorant en l’art diabolique, si sit artis diabolicae ignarus, il est obligé à restituer ; mais s’il est habile sorcier, et qu’il ait fait ce qui est en lui pour savoir la vérité, il n’y est point obligé. Car alors la diligence d’un tel sorcier peut être estimée pour de l’argent ; diligentia a mago apposita est pretio aestimabilis. Cela est de bon sens, mon Père, lui dis-je : car voilà le moyen d’engager les sorciers à se rendre savants et experts en leur art, par l’espérance de gagner du bien légitimement selon vos maximes, en servant fidèlement le public. »

 

Éloquence.

Il faut de l’agréable et du réel, mais il faut que cet agréable soit lui‑même pris du vrai.

 

Pascal a préféré pris du vrai à aussi réel. L’édition de 1670 rejette pourtant pris du vrai pour revenir à l’adjectif réel, que Pascal a expressément exclu. Cette correction diminue la portée du texte. Réel signifie conforme à l’état des choses extérieures. Pris du vrai signifie pris de ce que l’esprit a saisi comme vrai. L’adjectif vrai peut d’autre part avoir un sens particulier dans le domaine religieux, ce qui n’est guère le cas de réel.

Sur le problème général de la beauté, voir Mesnard Jean, “Vraie et fausse beauté dans l’esthétique du dix-septième siècle”, Convergences : Rhetoric ans Poetic in seventeenth-century France, p. 3-33. Article repris dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, p. 210-235.

Sur l’idée que l’éloquence a partie liée avec le faux, voir Fumaroli Marc, L’âge de l’éloquence, p. 25. Voir p. 443. La Roche-Flavin, Les treize livres de Parlement : l’éloquence est un déguisement de la vérité, et un artifice de faire trouver bon ce qui est mauvais, de “pratiquer le bien mentir”. Mais le bien dire est nécessaire au magistrat. Le dilemme des magistrats humanistes consiste à être une autorité oratoire, mais aussi être au-dessus du soupçon d’éloquence. La tentative pour concilier ces incompatibles est à l’origine de la rhétorique humaniste des magistrats.

L’idée que le fondement de la beauté est dans le vrai est courante au XVIIe siècle. Voir Bray René, Formation de la doctrine classique, 1966. On tente parfois de concilier l’agréable et le vrai en soutenant, non sans arrière-pensées, que le plaisir est un bon moyen d’inculquer des maximes de vertu. Voir Bray René, op. cit., p. 63 sq. Utilité et plaisir : p. 66. Le plaisir peut être l’instrument de la vertu. La position de Corneille, par exemple, va dans un tout autre sens : le but premier est de plaire ; mais on y trouve toujours quelque utilité. Vérité s’entend par distinction avec la nature, qui comprend l’exceptionnel ; la vérité est l’universellement admis : p. 71.

La maxime de Pascal ne se comprend qu’en rapport avec l’opuscule De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 7-8, OC III, éd. J. Mesnard, p. 415-416. Il distingue par combinaison plusieurs sortes de pensées :

Certaines propositions « se tirent, par une conséquence nécessaire, des principes communs et des vérités avouées » et ont « une union étroite avec les objets de notre satisfaction » : elles sont « reçues avec certitude, car aussi tôt qu’on fait apercevoir à l’âme qu’une chose peut la conduire à ce qu’elle aime souverainement, il est inévitable qu’elle ne s’y porte avec joie ». Ce sont celles dont parle Pascal ici : l’agréable s’y combine avec le vrai pour engendrer la persuasion : « celles qui ont cette liaison tout ensemble, et avec les vérités avouées, et avec les désirs du cœur, sont si sûres de leur effet, qu’il n’y a rien qui le soit davantage dans la nature ».

En revanche, les opinions qui « sont bien établies sur des vérités connues, mais qui sont en même temps contraires aux plaisirs qui nous touchent le plus », sont beaucoup moins bien reçues : on a tôt fait de récuser une vérité déplaisante et on la rejette parce que l’agréable n’y accompagne pas le vrai.

Troisième cas : « ce qui n’a de rapport ni à nos créances ni à nos plaisirs nous est importun, faux et absolument étranger », de sorte que l’on rejette toujours le faux qui déplaît.

Laf. 539, Sel. 458. La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde. La volonté qui se plaît à l’une plus qu’à l’autre détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas à voir, et ainsi l’esprit marchant d’une pièce avec la volonté s’arrête à regarder la face qu’elle aime et ainsi il en juge par ce qu’il y voit.

On sait enfin que l’amour propre (voir amour propre, Laf. 978, Sel. 743) fait souvent accepter le faux qui plaît.

L’intérêt du présent fragment est qu’il aborde la question non pas sous forme de classification, mais en termes d’inclusion combinatoire : la règle pour persuader consiste à prendre, dans l’ensemble de ce qui est vrai, le sous-ensemble qui est agréable (et non, dans l’agréable, la part du vrai) : c’est la vérité qui doit servir de domaine principal, et l’agréable qui doit y être choisi et employé.

Cette règle a pour conséquence pratique la stratégie proposée dans le fragment Laf. 701, Sel. 579. Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe il faut observer par quel côté il envisage la chose car elle est vraie ordinairement de ce côté-là et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé, et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

Tourneur Zacharie, Beauté poétique. Histoire critique d’une Pensée de Pascal et de ses annexes, Vrin, Paris, 1933.

Michel Alain, “Saint Augustin et la rhétorique pascalienne : la raison et la beauté dans l’Apologie de la Religion chrétienne”, XVIIe Siècle, n° 135, 1982, p. 133-148. Voir p. 146.

Force Pierre, “La nature et la grâce dans les Pensées de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 55-62. Voir p. 60.

Grasset Bernard, “Une esthétique pascalienne”, Revue philosophique de Louvain, tome 105, n° 3, août 2007, p. 361-384.

Le cas de l’agréable qui n’est pas tiré du vrai est évoqué dans le fragment Laf. 559, Sel. 466. Miscellan. Langage. Ceux qui font les antithèses en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie. Leur règle n’est pas de parler juste mais de faire des figures justes.

Il y a là une règle de rhétorique qui rappelle les maximes que Pascal formule dans la XIe Provinciale à propos des exigences de la polémique chrétienne.

« La première de ces règles est, que l’esprit de piété porte toujours à parler avec vérité et sincérité, au lieu que l’envie et la haine emploient le mensonge et la calomnie : Splendentia et vehementia, sed rebus veris, dit Saint Augustin. Quiconque se sert du mensonge agit par l’esprit du diable. Il n’y a point de direction d’intention qui puisse rectifier la calomnie ; et quand il s’agirait de convertir toute la terre, il ne serait pas permis de noircir des personnes innocentes ; parce qu’on ne doit pas faire le moindre mal pour en faire réussir le plus grand bien, et que la vérité de Dieu n’a pas besoin de notre mensonge, selon l’Écriture. Il est du devoir des défenseurs de la Vérité, dit Saint Hilaire, de n’avancer que des choses véritables. Aussi, mes Pères, je puis dire devant Dieu qu’il n’y a rien que je déteste davantage que de blesser tant soit peu la vérité ; et que j’ai toujours pris un soin très particulier, non seulement de ne pas falsifier, ce qui serait horrible, mais de ne pas altérer, ou détourner le moins du monde le sens d’un passage. De sorte que si j’osais me servir en cette rencontre des paroles du même Saint Hilaire, je pourrais bien vous dire avec lui : Si nous disons des choses fausses, que nos discours soient tenus pour infâmes ; mais si nous montrons que celles que nous produisons sont publiques et manifestes, ce n’est point sortir de la modestie et de la liberté apostolique de les reprocher.

Mais ce n’est pas assez, mes Pères, de ne dire que des choses véritables, il faut encore ne pas dire toutes celles qui sont véritables ; parce qu’on ne doit rapporter que les choses qu’il est utile de découvrir, et non pas celles qui ne pourraient que blesser sans apporter aucun fruit. Et ainsi comme la première règle est de parler avec vérité, la seconde est de parler avec discrétion. Les méchants, dit saint Augustin, persécutent les bons en suivant l’aveuglement de la passion qui les anime ; au lieu que les bons persécutent les méchants avec une sage discrétion, de même que les chirurgiens considèrent ce qu’ils coupent, au lieu que les meurtriers ne regardent point où ils frappent. Vous savez bien, mes Pères, que je n’ai pas rapporté des maximes de vos auteurs celles qui vous auraient été les plus sensibles, quoique j’eusse pu le faire, et même sans pécher contre la discrétion ; non plus que de savants hommes et très catholiques, mes Pères, qui l’ont fait autrefois. Et tous ceux qui ont lu vos auteurs, savent aussi bien que vous combien en cela je vous ai épargnés : outre que je n’ai parlé en aucune sorte contre ce qui vous regarde chacun en particulier, et je serais fâché d’avoir rien dit des fautes secrètes et personnelles, quelque preuve que j’en eusse. Car je sais que c’est le propre de la haine et de l’animosité, et qu’on ne doit jamais le faire à moins qu’il y en ait une nécessité bien pressante pour le bien de l’Église. Il est donc visible que je n’ai manqué en aucune sorte à la discrétion dans ce que j’ai été obligé de dire touchant les maximes de votre morale : et que vous avez plus de sujet de vous louer de ma retenue que de vous plaindre de mon indiscrétion. »

La troisième règle prescrit de ne pas railler les choses saintes (qui sont vraies par définition). Pascal donne l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire par ce poème du jésuite Pierre Le Moine (Provinciale XI, éd. Cognet et Ferreyrolles, Garnier, p. 207-208) :

 

« Les Chérubins ces glorieux

Composés de tête et de plume,

Que Dieu de son esprit allume,

Et qu’il éclaire de ses yeux.

Ces illustres faces volantes

Sont toujours rouges et brûlantes,

Soit du feu de Dieu, soit du leur,

Et dans leurs flammes mutuelles

Font du mouvement de leurs ailes

Un éventail à leur chaleur.

Mais la rougeur éclate en toi

Delphine avec plus d’avantage

Quand l’honneur est sur ton visage

Vêtu de pourpre comme un roi, etc. »

Chérubin.

 

La dernière règle est plutôt une maxime de charité chrétienne.

Le malheur est que, une fois que l’on a reconnu le mauvais modèle, il est bien difficile de mettre en œuvre le bon, parce que on ne sait ce que c’est que ce modèle naturel qu’il faut imiter. Il en résulte que l’on croit faire beau en accumulant les effets rhétoriques les plus creux : voir Laf. 586, Sel. 486Beauté poétique : faute de la connaissance du modèle naturel, on a inventé de certains termes bizarres, siècle d’or, merveille de nos jours, fatal, etc. Et on appelle ce jargon beauté poétique.

Sur l’apparente incompatibilité du recours à des figures d’inspiration baroque qui, chez Pascal, privilégient des expressions fondées sur le vertige et la disproportion, et une doctrine esthétique apparemment classique, et la résolution de cette difficulté par l’inscription dans les cadres augustiniens, voir Gheeraert Tony, “Pascal et les reines de village : baroque et maniérisme à Port-Royal”, Études Epistémè, 9, Printemps 2006, p. 285-305.

Pour une étude d’ensemble de la rhétorique pratique (et non seulement théorique) de Pascal, voir Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008.

Sur les problèmes que pose la mise en œuvre de la maxime de Pascal lorsqu’il s’agit de ce qui touche la religion, voir le fragment Preuves de Jésus-Christ 6 (Laf. 303, Sel. 334). Un artisan qui parle des richesses, un procureur qui parle de la guerre, de la royauté, etc., mais le riche parle bien des richesses, le roi parle froidement d’un grand don qu’il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu. Voir aussi l’étude de ce principe et de ses conséquences dans l’étude devenue classique de Sellier Philippe, “Rhétorique et apologétique : Dieu parle bien de Dieu”, Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., 1910, p. 239-250.

Port-Royal s’est intéressé au problème des règles de l’éloquence.

Adam Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, t. 2, Paris, Del Duca, 1962, p. 181 : pour Port-Royal, la poésie est l’art de mentir. Voir p. 183, sur l’Epigrammatum delectus : la source du beau est dans le vrai.

Sur les pensées d’Antoine Arnauld, voir :

Moreau Denis, Deux cartésiens. La polémique Arnauld-Malebranche, Vrin, Paris, 1999, p. 55. Idée de l’autonomie de la rhétorique : on peut écrire sapienter sans écrire eloquenter ; inversement il faut parler à la fois eloquenter et sapienter, défendre la vérité avec éloquence. Voir p. 57 : comme Arnauld cherche à convaincre, non à plaire, il n’est pas forcément agréable de lire ses textes polémiques : p. 57-58. Il arrive même que si la persuasion exige l’élaboration rhétorique de passions pénibles pour le lecteur, Arnauld, tout à son impératif d’efficacité, n’hésitera pas à tenter d’en produire : p. 58.

Descotes Dominique, “Force et violence dans le discours chez Antoine Arnauld”, in Antoine Arnauld. Philosophie de la connaissance, Études réunies par J.-C. Pariente, Vrin, Paris, 1995, p. 33-64.

Nicole en a traité aussi. Consulter notamment

Nicole Pierre, La vraie beauté et son fantôme et autres textes d’esthétique, éd. Béatrice Guion, Paris, Champion, 1996, p. 32 sq. Influence platonicienne chez Nicole. Primat des choses sur les mots : p. 32. Le langage a pour fonction première la transmission d’une pensée : p. 33. Nicole a de la méfiance à l’égard des sortilèges de la poésie : p. 33. Il ne reconnaît pas de valeur à la contrainte métrique de la poésie, par exemple, qu’il considère comme une gêne pour la pensée, contrairement au P. Rapin, qui pense que la contrainte féconde le génie : p. 33-34. Nicole plaide pour une exigence de contrôle des mots par la raison critique : p. 34. Il recommande d’écrire d’abord en prose ce qui doit ensuite passer en vers, pour s’assurer la maîtrise intellectuelle du sujet : p. 36. La recherche de l’adéquation du mot et de la chose implique que le langage est un outil de transmission qui s’efface devant son contenu : p. 37. Il faut ne présenter au lecteur que des pensées vraies et des expressions justes. Il ne faut pas se contenter de faire des figures justes. « On dit que la beauté solide consiste dans la vérité ; que rien de faux n’est capable de plaire longtemps » : p. 144. Comment il faut accorder les mots aux choses : p. 65 sq. « Les mots s’accordent avec les choses lorsqu’on exprime les grandes choses avec de grands mots, les choses médiocres avec des mots médiocres » : p. 65. C’est un défaut « d’exprimer les choses importantes et relevées avec des termes chétifs et humbles », et inversement : « Dans les deux cas en effet, on s’éloigne de l’accord avec la nature, dans lequel [...] réside la beauté » : p. 65. De la convenance des mots avec la nature humaine : p. 71.

La Logique de Port-Royal reprend à peu près les mêmes idées. Port-Royal pose en principe « qu'il n'y a rien de beau que ce qui est vrai » : voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique, III, XIX (1664), éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2014, p. 485.

La Rochefoucauld, lettre à Jacques Esprit du 24 octobre, Maximes, éd. Truchet, p. 542. Sur la maxime « la vérité est le fondement et la raison de la beauté ». Voir p. 428, Ms. Liancourt, n° 163, avec le commentaire. Voir la discussion dans la lettre de Mme de Maure à Mme de Sablé, 3 mars 1661, ibid., p. 561 : la possibilité suffit pour le fondement de la beauté (sans nécessité du vrai). Renvoi à Aristote, Poétique, 1451 b, éd. Budé, p. 41-43.

 

Chacun est un tout à soi‑même, car lui mort le tout est mort pour soi.

 

Se prendre pour un tout est le propre de l’amour propre, qui n’intéresse chacun qu’à lui-même. Se croire un tout pour les autres signifie que l’égoïsme conduit chacun à vouloir être l’objet de leur unique amour. Voir le dossier thématique sur le moi.

Des formules proches se trouvent chez différents auteurs.

Montaigne, Essais, XX (XIX), Que philosopher, c’est apprendre à mourir, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 93-94 : « Comme notre naissance nous apporta la naissance de toutes choses, aussi nous apportera la mort de toutes choses, notre mort ». Mais Montaigne ajoute : « la mort est origine d’une autre vie », ce qui modifie le sens.

La littérature contemporaine témoigne que cette idée a pu tenir lieu d’argument aux libertins partisans de la mortalité de l’âme. Voir par exemple Cyrano de Bergerac, Les États et empires de la Lune et du Soleil (avec le Fragment de physique), éd. M. Alcover, Paris, Champion, 2004, p. 270 : « Je parle à toi ainsi, à cause que ton âme n’étant pas immortelle comme la nôtre, tu peux bien juger quand tu meurs, que tout meurt avec toi ».

Corneille a donné dans son personnage de Suréna, le ton tragique qui convient à une telle perspective :

« Que tout meure avec moi, Madame. Que m’importe

Qui foule après ma mort la terre qui me porte ?

Sentiront-ils percer par un éclat nouveau

Ces illustres aïeux, la nuit de leur tombeau ?

Respireront-ils l’air où les feront revivre

Ces neveux, qui peut-être auront peine à les suivre,

Peut-être ne feront que les déshonorer,

Et n’en auront le sang que pour dégénérer ?

Quand nous avons perdu le jour qui nous éclaire,

Cette sorte de vie est bien imaginaire,

Et le moindre moment d’un bonheur souhaité

Vaut mieux qu’une si froide et vaine éternité ».

Cependant on trouve aussi des auteurs chrétiens pour reprendre à peu près les mêmes termes :

Louis Racine, La Religion, chant II : « La mort vient tout finir, et tout meurt avec nous ».

Bernanos met dans la bouche d’un personnage du Journal d’un curé de campagne, Œuvres romanesques complètes, II, éd. J. Chabot et alii, Pléiade, Gallimard, 2015, p. 345, une maxime proche : « Quand on est mort, tout est mort ».

Reste que le texte de Pascal présente des caractères particuliers.

Alors que tous les autres textes portent tout pris absolument (tout est mort), Pascal écrit le tout est mort, ce qui implique une disparition plus complète et radicale. L’article le est une addition, ce qui souligne son caractère significatif.

D’autre part, Pascal précise que le tout est mort pour soi : cela ne signifie pas que le tout est réellement détruit par la mort d’un individu, mais que pour celui qui meurt, l’univers est réduit à néant. Mais tout meurt avec soi n’est pas équivalent de le tout est mort pour soi. Car tout meurt avec soi suppose que le monde s’anéantit réellement en même temps que moi. Ce n’est pas ce que dit Pascal lorsqu’il écrit le tout est mort pour soi : c’est seulement pour celui qui meurt que le tout s’anéantit, mais le monde réel, lui, continue d’exister, et les autres personnes ont le bonheur de continuer à y vivre.

Le désordre psychologique qu’engendre cette constatation désespérante est représenté dans Le roi se meurt d’Eugène Ionesco, lorsque Bérenger s’écrie : « Je meurs, que tout meure ». Il se corrige immédiatement : « Non, que tout reste, non, que tout meure, puisque ma mort ne peut remplir les mondes. Que tout meure. Non, que tout reste ». À quoi la reine Marguerite ajoute : « Il ne sait pas ce qu’il veut ». Voir Théâtre complet, éd. E. Jacquart, Pléiade, Paris, Gallimard, 1991, p. 779.

En fait, les vivants ne sont pas, selon Pascal, beaucoup plus rassurés de voir mourir les autres avant eux, car ils y voient leur propre condition :

Laf. 757, Sel. 626. L’écoulement. C’est une chose horrible de sentir s’écouler tout ce qu’on possède.

Mais il est clair que la phrase n’a pas le même sens dans la bouche d’un chrétien, qui perd naturellement le monde dans lequel il a vécu, mais qui meurt avec l’espérance d’un autre monde.

Tout au plus un chrétien peut-il se dire, comme le dit Pascal dans la Lettre sur la mort de son père, que si la mort est horrible lorsqu’on le regarde en elle-même, elle prend un autre aspect, moins désespérant, lorsqu’on l’envisage comme un sacrifice continuel par lequel il pratique l’imitation de Jésus-Christ.

 

Et de là vient que chacun croit être tout à tous.

 

L’édition Brunschvicg propose le commentaire suivant : « l’expression de tout à tous, au sens où Pascal l’emploie, signifie exactement le contraire de ce qu’elle signifie dans le fameux passage de saint Paul : Omnibus omnia factus sum, ut omnes facerem salvos (I Cor., IX, 22). L’apôtre se considère comme un moyen tout entier employé au salut d’autrui ; l’homme se pose naturellement, suivant Pascal, comme l’unique fin de tous les autres individus ».

Voir le dossier thématique sur le moi.

Dossier de travail (Laf. 396, Sel. 15). Il est injuste qu’on s’attache à moi quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir et qu’en cela on me fît plaisir ; de même je suis coupable de me faire aimer. Et si j’attire les gens à s’attacher à moi, je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher.

Laf. 617, Sel. 510. Qui ne hait en soi son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité. Car il est faux que nous méritions cela, et il est injuste et impossible d’y arriver, puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire.

Laf. 597, Sel. 494. Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable.

Point, car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde on n’a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient.

Mais si je le hais parce qu’il est injuste qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours.

En un mot le moi a deux qualités. Il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice.

Et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice. Vous ne le rendez aimable qu’aux injustes qui n’y trouvent plus leur ennemi. Et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.

Périer Gilberte, Vie de Pascal, Première version, § 59-64, OC I, éd. J. Mesnard, p. 591 sq.

« Il avait une extrême tendresse pour nous et pour tous ceux qu’il croyait être à Dieu ; mais cette affection n’allait pas jusques à l’attachement, et il en donna une preuve bien sensible à la mort de ma sœur, qui précéda la sienne de dix mois. Car lorsqu’il reçut cette nouvelle, il ne dit autre chose, sinon : « Dieu nous fasse la grâce d’aussi bien mourir ! » et il s’est toujours tenu depuis dans une soumission admirable aux ordres de la Providence de Dieu, sans faire jamais sur cela d’autre réflexion que des grandes grâces que Dieu avait faites à sa sœur pendant sa vie, et des circonstances du temps de sa mort ; ce qui lui faisait dire sans cesse : « Bienheureux ceux qui meurent, pourvu qu’ils meurent au Seigneur ! » Et lorsqu’il me voyait dans de continuelles afflictions pour cette perte que je ressentais si fort, il se fâchait et me disait que cela n’était pas bien, et qu’il ne fallait pas avoir ces sentiments-là pour la mort des justes, et qu’il fallait au contraire louer Dieu de ce qu’il l’avait si tôt récompensée des petits services qu’elle lui avait rendus.

C’est ainsi qu’il faisait voir qu’il n’avait nul attachement pour ceux qu’il aimait ; car, s’il eût été capable d’en avoir, c’eût été sans doute pour ma sœur, parce qu’assurément c’était la personne du monde qu’il aimait le plus.

Mais il n’en demeurait pas là ; car non seulement il n’avait point d’attachement pour les autres, mais il ne voulait point du tout que les autres en eussent pour lui. Je ne parle pas de ces attachements criminels et dangereux, car cela est grossier et tout le monde le voit bien, mais je parle des amitiés les plus innocentes ; et c’était une des choses sur lesquelles il s’observait le plus régulièrement, afin de n’y donner point de sujet, et même pour l’empêcher. Et comme je ne savais pas cela, j’étais toute surprise des rebuts qu’il me faisait quelquefois, et je le disais à ma sœur, me plaignant à elle que mon frère ne m’aimait pas, et qu’il semblait que je lui faisais de la peine, lors même que je lui rendais mes services les plus affectionnés dans ses infirmités. Ma sœur me disait sur cela que je me trompais, qu’elle savait bien au contraire qu’il avait une affection pour moi aussi grande que je la pouvais souhaiter.

C’est ainsi que ma sœur remettait mon esprit, et je ne tardais guère à en voir les preuves ; car aussitôt qu’il se rencontrait quelque occasion où j’avais besoin du secours de mon frère, il l’embrassait avec tant de soin et de témoignages d’affection, que je n’avais pas lieu de douter qu’il ne m’aimât beaucoup ; de sorte que j’attribuais au chagrin de sa maladie les manières froides dont il recevait les assiduités que je lui rendais pour le désennuyer ; et cette énigme ne m’a été expliquée que le jour même de sa mort, qu’une personne des plus considérables par la grandeur de son esprit et de sa piété, avec qui il avait eu de grandes communications sur la pratique de la vertu, me dit qu’il lui avait donné cette instruction entre autres, qu’elle ne souffrît jamais de qui que ce fût qu’on l’aimât avec attachement ; et que c’était une faute sur laquelle on ne s’examinait pas assez parce qu’on n’en connaissait pas assez la grandeur, et qu’on ne considérait pas qu’en fomentant et en souffrant ces attachements, on occupait un cœur qui, ne devant être qu’à Dieu, c’était lui faire un larcin de la chose du monde qui lui est la plus précieuse.

Nous avons bien vu ensuite que ce principe était bien avant dans son cœur ; car, pour l’avoir toujours présent, il l’avait écrit de sa main sur un petit papier séparé, où il y a ces mots : « Il est injuste qu’on s’attache à moi, quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir ; car je ne suis la fin de personne et n’ai pas de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir ? et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc, comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir, et qu’en cela on me fît plaisir ; de même, je suis coupable si je me fais aimer, et si j’attire les gens à s’attacher à moi. Je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même, qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi ; car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à Dieu ou à le chercher ».

Voilà de quelle manière il s’instruisait lui-même, et comme il pratiquait si bien ses instructions que j’y avais été moi-même trompée. Par ces marques que nous avons de ses pratiques, et qui ne sont venues à notre connaissance que comme par hasard, on peut voir une partie des lumières que Dieu lui donnait pour la perfection de la vie chrétienne. »

On trouve une illustration de cette pensée dans La Bruyère, Caractères, De l’homme, 121 (IV). « Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils n’étaient point. [...] Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes, équipages. Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait volontiers de l’extinction du genre humain. »

C’est ce que Pascal appelle la dureté de cœur, selon la seconde version de la Vie de Pascal, § 71-75, notamment dans les lignes suivantes :

« Un cœur est dur, disait-il, quand il connaît les intérêts du prochain, et qu’il résiste à l’obligation qui le presse d’y prendre part ; et au contraire un cœur est tendre quand tous les intérêts du prochain entrent en lui facilement, pour ainsi dire par tous les sentiments que la raison veut qu’on ait les uns pour les autres en semblables rencontres ; qui se réjouit quand il faut se réjouir, qui s’afflige quand il faut s’affliger. Mais il ajoutait que la tendresse ne peut être parfaite que lorsque la raison est éclairée de la foi et qu’elle nous fait agir par les règles de la charité. »

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 156. Sellier souligne le rapport de ce texte sur l’attachement avec l’opposition augustinienne de l’uti et du frui.

Uti et frui : sur cette distinction essentielle dans la doctrine augustinienne, voir saint Augustin, De doctrina christiana, I, 4, n. 4, Œuvres, 1e série, 11/2, et surtout l’excellente note p. 449-463, Institut d’Études Augustiniennes, Paris, 1997. Jouir (frui en latin), selon Augustin, c’est « être lié par l’amour à une chose pour elle-même », alors qu’user (uti en latin) c’est « rapporter ce dont on fait usage à la possession de l’objet qu’on aime » (Frui est enim amore inhaerere alicui rei propter se ipsam. Uti autem, quod in usum venerit ad id quod amas obtinendum referre, si tamen amandum est »).

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La morale, I, p. 167 sq. Les attachements qui nous lient aux autres hommes doivent être considérés comme dilectio transitoria (un amour de transition, en ce sens que l’on aime les autres pour Dieu et non pour soi-même ni pour eux-mêmes) et non comme dilectio mansoria (amour qui a pour fin la satisfaction que l’on peut tirer de ce que l’on aime, et qui s’arrête là, sans prendre Dieu pour fin dernière). Aucune créature ne peut être aimée pour elle-même. Mais il y a un commandement d’aimer soi-même et le prochain. Voir Arnauld Antoine, Réflexions philosophiques et théologiques, Œuvres, XXXIX, p. 345 : « il y a des créatures qu’il ne nous est pas seulement permis, mais qu’il nous est commandé d’aimer, puisqu’en même temps que Dieu nous ordonne de l’aimer de tout notre cœur et de toutes nos forces, il nous ordonne d’aimer aussi notre prochain comme nous-mêmes ». Selon saint Augustin, « celui qui aime son prochain, selon qu’il y est obligé par ce commandement de Dieu, doit avoir en vue de le porter, autant qu’il pourra, à aimer Dieu de tout son cœur », De doctrina christiana, I, XIII, cité ibid., p. 723.

 

Il ne faut pas juger de la nature selon nous, mais selon elle.

 

C’est un thème fréquent chez les moralistes que les hommes jugent les choses non pas selon ce qu’elles sont, mais selon qu’ils voudraient qu’elles soient. C’est l’amour propre qui permet à chacun de ne voir que ce qui lui plaît, et non pas ce qu’est la réalité. Le théâtre de Racine ne donne de nombreux exemples, dont le plus frappant est le personnage d’Hermione dans Andromaque, dont le jugement sur Pyrrhus change complètement selon qu’il lui revient ou qu’il la quitte pour Andromaque.