Pensées diverses III – Fragment n° 53 / 85 – Papier original : RO 401-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 136 p. 377 v°-379 / C2 : p. 337-337 v°
Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janvier 1670 p. 285-286 / 1678 n° 33 p. 283
Éditions savantes : Faugère I, 212, CX / Havet VI.26 / Brunschvicg 9 / Tourneur p. 105-2 / Le Guern 594 / Lafuma 701 (série XXV) / Sellier 579
Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté‑là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé. Et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.
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Réflexion de Pascal sur l’art de persuader et la manière d’éviter qu’un interlocuteur ne se formalise des arguments qu’on lui oppose et se laisse emporter à l’erreur par son amour propre. Pascal préconise, comme dans L’esprit géométrique, d’admettre les principes de l’autre, et de l’amener progressivement à un point de vue plus compréhensif.
Fragments connexes
Vanité 31 (Laf. 45, Sel. 78). L’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur naturelle, et ineffaçable sans la grâce. Rien ne lui montre la vérité. Tout l’abuse. Ces deux principes de vérité, la raison et les sens, outre qu’ils manquent chacun de sincérité, s’abusent réciproquement l’un l’autre ; les sens abusent la raison par de fausses apparences. Et cette même piperie qu’ils apportent à l’âme, ils la reçoivent d’elle à leur tour ; elle s’en revanche. Les passions de l’âme les troublent et leur font des impressions fausses. Ils mentent et se trompent à l’envi.
Pensées diverses (Laf. 539, Sel. 458). La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde. La volonté qui se plaît à l’une plus qu’à l’autre détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas à voir, et ainsi l’esprit marchant d’une pièce avec la volonté s’arrête à regarder la face qu’elle aime et ainsi il en juge par ce qu’il y voit.
Pensées diverses (Laf. 576, Sel. 479). Les deux raisons contraires. Il faut commencer par là sans cela on n’entend rien, et tout est hérétique. Et même à la fin de chaque vérité il faut ajouter qu’on se souvient de la vérité opposée.
Pensées diverses (Laf. 737, Sel. 617). On se persuade mieux pour l’ordinaire par les raisons qu’on a soi-même trouvées que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.
Mots-clés : Appréhension – Côté – Fâcher – Faux – Reprendre – Sens – Tromper – Utilité – Vrai.