Pensées diverses II – Fragment n° 20 / 37 – Papier original : RO 11-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 109 p. 357 / C2 : p. 313-313 v°
Éditions de Port-Royal : Chap. IX - Injustice, & corruption de l’homme : 1669 et janvier 1670 p. 74-75 / 1678 n° 7 p. 75-76
Éditions savantes : Faugère II, 143, VI / Havet XXIV.56 bis / Brunschvicg 492 / Tourneur p. 91-1 / Le Guern 524 / Lafuma 617 (série XXIV) / Sellier 510
Qui ne hait en soi son amour propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité ? Car il est faux que nous méritions cela, et il est injuste et impossible d’y arriver, puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire. Cependant aucune religion n’a remarqué que ce fût un péché, ni que nous y fussions nés, ni que nous fussions obligés d’y résister, ni n’a pensé à nous en donner les remèdes.
|
Pascal souligne dans ce fragment que l’idée de l’amour propre, liée à celle du péché originel et à la doctrine de la grâce, fait le caractère unique de la religion chrétienne, qu’aucune autre n’a pu imiter sur ce point.
Fragments connexes
Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91). Tyrannie.
La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science. On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres.
A P.R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Les grandeurs et les misères de l’homme sont tellement visibles qu’il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne et qu’il y a quelque grand principe de grandeur en l’homme et qu’il y a un grand principe de misère. Il faut encore qu’elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés. Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes. Qu’on examine sur cela toutes les religions du monde et qu’on voie s’il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.
[...]
Quelle religion nous enseignera donc à guérir l’orgueil, et la concupiscence ? quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir, et le moyen d’obtenir ces remèdes. Toutes les autres religions ne l’ont pu.
Fausseté 18 (Laf. 220, Sel. 253). Nulle autre religion n’a proposé de se haïr, nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui se haïssent et qui cherchent un être véritablement aimable. Et ceux-là s’ils n’avaient jamais ouï parler de la religion d’un Dieu humilié l’embrasseraient incontinent.
Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.
Morale chrétienne 22 (Laf. 373, Sel. 405). Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.
Dossier de travail (Laf. 396, Sel. 15). Il est injuste qu’on s’attache à moi quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir et qu’en cela on me fît plaisir ; de même je suis coupable de me faire aimer. Et si j’attire les gens à s’attacher à moi, je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher.
Preuves par discours I (Laf. 421, Sel. 680). Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment. Il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables et indifférents, et connaissant nous et les autres nous ne donnerions point cette inclination à notre volonté. Nous naissons pourtant avec elle, nous naissons donc injustes.
Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Il ne faut pas avoir l’âme fort élevée pour comprendre qu’il n’y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu’enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre, dans peu d’années, dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis ou malheureux.
Il n’y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves : voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde. Qu’on fasse réflexion là-dessus, et qu’on dise ensuite s’il n’est pas indubitable qu’il n’y a de bien en cette vie qu’en l’espérance d’une autre vie, qu’on n’est heureux qu’à mesure qu’on s’en approche, et que, comme il n’y aura plus de malheurs pour ceux qui avaient une entière assurance de l’éternité, il n’y a point aussi de bonheur pour ceux qui n’en ont aucune lumière.
C’est donc assurément un grand mal que d’être dans ce doute ; mais c’est au moins un devoir indispensable de chercher, quand on est dans ce doute ; et ainsi celui qui doute et qui ne recherche pas est tout ensemble et bien malheureux et bien injuste.
Pensées diverses (Laf. 564, Sel. 471). La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-même et n’est pas nous.
Pensée n° 19T recto (Laf. 919, Sel. 751). Je vois mon abîme d’orgueil, de curiosité, de concupiscence. Il n’y a nul rapport de moi à Dieu, ni à Jésus-Christ juste.
[...]
Eritis sicut dii scientes bonum et malum ; tout le monde fait le Dieu en jugeant : cela est bon ou mauvais et s’affligeant ou se réjouissant trop des événements.
Amour propre (Laf. 978, Sel. 743).
Mots-clés : Amour propre – Aveugler – Dieu – Instinct – Justice – Mériter – Péché – Religion – Remède – Vérité.