Pensées diverses IV – Fragment n° 18 / 23 – Papier original : RO 153-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 165 p. 395-395 v° / C2 : p. 367 à 369

Éditions savantes : Faugère II, 281, XXIII / Havet XX.18 / Michaut 373 à 376 / Brunschvicg 568 / Tourneur p. 119-2 / Le Guern 639 / Lafuma 760 à 763 (série XXVI) / Sellier 629

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Bibliographie

 

 

CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, Paris, Champion, 2013, 2 vol.

COUSIN Victor, Rapport à l’Académie, in Œuvres de M. Victor Cousin, Quatrième série, Littérature, tome I, Paris, Pagnerre, 1849.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

 

 

Éclaircissements

 

Ob[jection] : visiblement l’Écriture pleine de choses non dictées du Saint-Esprit.

R[éponse] : elles ne nuisent donc point à la foi.

Ob[jection] : mais l’Église a décidé que tout est du Saint-Esprit.

 

Non dictées du Saint-Esprit, entendre : non dictées par le Saint-Esprit.

La structure sous forme d’objection et réponse se trouve dans d’autres textes de Pascal :

Laf. 748, Sel. 621. Obj[ection] : Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contrepoids la crainte de l’enfer. - Rép[onse] : Qui a plus de sujet de craindre l’enfer ? Ou celui qui est dans l’ignorance s’il y a un enfer, et dans la certitude de la damnation s’il y en a ; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu’il y a un enfer, et dans l’espérance d’être sauvé s’il est ?

Cette forme est aussi employée par Pascal dans les recueils de citations qu’il a composés pour préparer la rédaction des Écrits sur la grâce, notamment le Discours sur la possibilité des commandements (voir D 3, OC III, éd. J. Mesnard, p. 737-745). La mention – Rép. – (pour Réponse) y voisine avec – Object – ou – Obj – (pour Objection).

Les deux objections sont destinées, de la part des ennemis de la religion chrétienne, à dénoncer une contradiction : pourquoi l’Église a-t-elle décidé que tout dans l’Écriture est inspiré par le Saint-Esprit, alors qu’elle est de pleine de choses qui ne sauraient être son œuvre ?

Au surplus, ces objections forment un dilemme destiné à embarrasser les chrétiens : ou bien l’Écriture [est] pleine de choses non dictées du Saint-Esprit, et elle contient, avec la parole de Dieu, des passages qui sont d’inspiration purement humaine qui lui ôtent son autorité sacrée, ou bien l’Église a décidé que tout est du Saint-Esprit, et on peut montrer, à l’aide des mêmes passages qui en sont indignes, qu’elle profère une affirmation ridicule. Quelle que soit la réponse choisie, les chrétiens s’exposent apparemment à une réfutation immédiate.

Ce dilemme exclut que les choses non dictées du Saint-Esprit puissent être identifiées aux passages obscurs de l’Écriture, qui selon Pascal sont destinés à cacher Dieu. Ces passages sont en effet tout aussi dictés par l’Esprit Saint que les passages clairs, puisque c’est la volonté de Dieu d’éclairer les uns et d’obscurcir les autres.

De quelles choses non dictées du Saint-Esprit peut-il être question ici ?

Il est vraisemblable que l’objection est inspirée par certains épisodes de l’Ancien Testament comme celui du mensonge d’Abraham, Genèse, XX, 1-2. « Abraham étant parti de là pour aller du côté du midi, habita entre Cadès et Sur. Et étant allé à Gerara pour y demeurer quelque temps, 2. il dit, parlant de Sara sa femme, qu’elle était sa sœur. Abimelech roi de Gerara envoya donc chez lui, et fit enlever Sara ». Dans les commentaires qu’il ajoute aux textes scripturaires, Sacy est contraint de plaider la cause d’Abraham en alléguant que « Sara était sa sœur en effet, selon la phrase de l’Écriture, c’est-à-dire sa proche parente : Il cacha quelque chose de vrai, mais il ne dit rien de faux, dit saint Augustin ». On peut penser aussi à l’épisode des filles de Lot, Genèse XIX, 32 : sur la simplicité des filles de Lot, Sacy est aussi conduit à invoquer la caution de saint Augustin, qui est pourtant contraint d’avouer qu’il est difficile de les considérer comme entièrement innocentes. Pascal plaide leur cause dans le fragment Laf. 713, Sel. 591.

En général, les parties purement historiques de la Bible, surtout quand elles ont un caractère choquant, peuvent être considérées comme d’un ordre différent de la foi, et peuvent ne pas être considérées comme inspirées (encore que le passage de la mer Rouge, par exemple, est considéré comme porteur d’une signification symbolique figurée). Quoi qu’il en soit, Pascal répond avec pertinence que ces épisodes ne nuisent point à la foi.

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 401 sq.

La seconde objection est que l’Église a décidé que tout est du Saint-Esprit, c’est-à-dire que tout, dans les Écritures, jusqu’aux moindres détails des deux Testaments a été écrit sous l’inspiration du Saint-Esprit. La prophétie appartient à l’ordre de la connaissance. La « lumière prophétique existe dans l’âme du prophète par mode d’impression passagère ». Le prophète reçoit une révélation, une vue sur Dieu et sur son action, qui transcende les possibilités humaines. Son esprit est « surélevé au-dessus de ses facultés naturelles... d’abord quant au jugement, par l’influx d’une lumière intellectuelle ; ensuite quant à la représentation des réalités, qui se fait par les images ou les idées » (Saint Thomas, Somme théologique, Q. 173, art. 2).

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 33 sq. Nature de l’inspiration : p. 35. Sur la manière dont Dieu agit dans l’inspiration des auteurs scripturaires, voir p. 38-39.

Sur les problèmes que pose l’inspiration des prophètes par le Saint-Esprit telle que la conçoit Port-Royal, voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, 2 vol.

Sur la manière dont doit être interprétée l’Écriture, œuvre de l’Esprit-Saint, voir la liasse Loi figurative.

 

R[éponse] : je réponds deux choses : 1. que l’Église n’a jamais décidé cela ;

 

L’Église n’a jamais décidé cela : il faut entendre que même si certains chrétiens tiennent que les Écritures sont intégralement inspirées, cette thèse n’a pas fait l’objet d’une décision expresse et officielle de l’Église. Voir notamment Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 40, sur les discussions qui portent sur ce problème dans l’Église. C’est le concile du Vatican qui a étendu l’inspiration à toutes les Écritures. Voir Denzinger Heinrich, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, éd. Peter Hünemann, Bologna Edizioni Dehoniane, 2003, n° 3291 et suivants (anciennement, 1950 sq.), p. 1143 sq. De inspiratione et inerrantia s. Scripturae, in encyclique Providentissimus Deus de Léon XIII (18 novembre 1893). Voir p. 1144, n° 3292 : « Etenim libri omnes atque integri, quos Ecclesia tamquam sacros et canonicos recipit, cum omnibus suis partibus, Spiritu Sancto dictante conscripti sunt ». Ce texte renvoie au concile Vatican I (1869-1870), Chapitre II, De Revelatione, qui déclare les livres canoniques sacrés « propterea quod Spiritu Sancto inspirante conscripti Deum habent auctorem », voir Alberigo Giuseppe et alii, Conciliorum oecumenicorum decreta, Bologne, Edizioni Dehoniane, 1996, p. 806. Mais les idées étaient moins fixées à l’époque de Pascal, et selon Bartmann, Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, loc. cit., la question est restée discutée même après cette décision.

Sellier Philippe, "Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., 2010, p. 471-483. 

Pascal pense sans doute au fait que, comme l’Écriture ne tend pas à donner un enseignement scientifique, certains passages d’ordre historique et scientifique ne sont pas à proprement parler inspirés.

Le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303) permet de comprendre pourquoi, selon lui, l’Église peut difficilement prononcer sans précaution que les Écritures sont totalement inspirées : poussé à ses dernières conséquences par les « trop grands figuratifs », ce principe conduirait aux excès herméneutiques de la Cabale. S’il est vrai que iratus est, Dieu jaloux, etc. ont bien une valeur symbolique, car les choses de Dieu étant inexprimables elles ne peuvent être dites autrement et l’Église d’aujourd’hui en use encore, quia confortavit seras, etc., il y a des éléments comme les lettres et les nombres qui ne doivent pas être considérés comme des figures spirituelles. Pascal, Loi figurative 27, déclare qu’il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Ainsi de dire que le ם d’Isaïe signifie 600 cela n’est pas révélé. Il n’est pas dit que les צ et les ח deficientes signifieraient des mystères. Il n’est donc pas permis de le dire. Et encore moins de dire que c’est la manière de la pierre philosophale. Mais nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmes.

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 401 sq. Si c’est une exagération d’être antifiguriste et esclave du sens littéral, c’en est une autre d’être figuriste au point de ne voir partout dans la Bible que des figures. Il faut marquer les limites du sens mystique, et tenir un juste milieu entre deux extrêmes de l’absence d’interprétation et de l’excès d’interprétation. Pascal s’oppose donc à ceux qui inventent des figures tirées par les cheveux (Fausseté 15 - Laf. 217, Sel. 250).

 

l’autre que quand elle l’aurait décidé, cela se pourrait soutenir.

 

Les passages historiques de l’Écriture, comme les Livres des Rois, aussi bien que les passages qui paraissent choquants qui ont été mentionnés plus haut, pourraient de toute manière être expliqués comme des figures, et pourraient à ce titre être considérés eux aussi comme inspirés par l’Esprit Saint. Mais il est clair que dans ce cas, il faudrait poser des limites strictes à l’interprétation, et se tenir aux mots et aux expressions qui en sont vraiment susceptibles : les mots, les expressions et les phrases. La réserve que Pascal exprime par cela se pourrait soutenir est inspirée par sa méfiance à l’égard des trop grands figuratifs contre lesquels il estime nécessaire de parler ; voir Loi figurative 10 (Laf. 254, Sel. 286).

 

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Il a beaucoup d’esprit faux.

 

GEF XIV, p. 15 note à juste titre que le manuscrit porte il a, et non il y a. Les éditions transcrivent cependant en général il y a. Sur les éditeurs qui ont trouvé incompréhensible la leçon du manuscrit, voir les études sur le manuscrit et les Copies.

La substitution n’est cependant pas absolument nécessaire. L’expression il a beaucoup d’esprit est ordinaire dans la langue classique. Pascal détourne peut-être ironiquement cette formule courante pour dire qu’une personne a beaucoup d’esprit, mais qu’elle pense faux.

Pascal a-t-il une personne précise en tête ? Il faut éviter de mentionner le chevalier de Méré dès que Pascal fait allusion à une personne qui met beaucoup d’ingéniosité à se tromper, car il ne le cite qu’à propos de la division indéfinie de l’espace, qui est d’un tout autre ordre que les réflexions sur le sens de l’Écriture.

Cette leçon a un triple avantage :

1. Elle est conforme au manuscrit qui ne donne pas il y a, mais il a, et elle évite d’ajouter au mot esprit un s de pluriel qui n’y figure pas.

2. Elle permet de lier la phrase Il a beaucoup d’esprit faux à la suivante : Denys, par son intelligence de la parole de Dieu, serait opposé à un personnage anonyme qui la comprend de travers ;

3. Elle remplace une platitude (il y a beaucoup d’esprits faux) par une observation qui s’inscrit mieux dans l’ensemble des notes de ce papier.

 

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Denys a la charité, il était en place.

 

Place, selon Furetière, se dit d’un emploi, d’un lieu avantageux où on peut faire du profit : ce ministre est en place où il peut faire du bien à beaucoup de monde. En place signifierait donc ici en situation favorable pour faire quelque chose. Il faut sans doute entendre que Denys, ayant la charité, avait la disposition nécessaire pour comprendre la prédication de saint Paul.

GEF XIV, p. 15, ajoute une note qui tend à donner une unité à lensemble du fragment : les deux réflexions précédentes

« singulièrement obscures par leur brièveté sont jetées dans le dialogue quelles interrompent. Il semble en effet que le dernier paragraphe explique comment pourrait se soutenir la décision de lÉglise. Tout est dicté du Saint-Esprit, en ce sens quà côté des choses visiblement inspirées de Dieu et qui éclairent les élus, il doit y en avoir de différentes ou contraires, et qui aveuglent les réprouvés. LÉcriture doit être équivoque et ambiguë pour exprimer le caractère vrai du christianisme. Cette ambiguïté expliquerait peut-être les deux membres de phrase : Il y a beaucoup desprits faux. - Denys a la charité, il était en place. Les esprits faux sont ceux qui se contentent des objections trop faciles pour se dispenser de prendre garde à la complexité des réponses. Dautre part ceux qui ont la charité sont édifiés et confirmés même par ce qui est obscur en soi, comme fit Denys lAréopagite (si cest à lui que Pascal fait allusion, ce qui nest que vraisemblable) qui était en place pour comprendre saint Paul, et qui se laissa convertir (Act. Apost., XVII, 34). »

Dictionnaire des philosophes, article Denys l’Aréopagite, Encyclopaedia universalis, Paris, Albin Michel, 1998, p. 429 sq. Il y a plusieurs Denis, ce qui justifie la réserve de Brunschvicg. Mais le fragment de Pascal paraît ne pouvoir convenir qu’à l’Aréopagite.

Actes, XVII, 34. « Quelques-uns néanmoins se joignirent à lui [sc. Paul], et embrassèrent la foi, entre lesquels fut Denys sénateur de l’Aréopage, et une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux. » Après l’échec de la prédication de Paul en Grèce, selon la note des Actes de l’édition de Port-Royal, quelques personnes « furent fâchées qu’on l’eût interrompu d’une manière si brusque et si peu honnête ; ils lui dirent qu’ils seraient bien aises de m’entendre encore une autre fois sur cette matière, soit que ce fût la curiosité qui les portât à vouloir entendre le reste, soit qu’ils commençassent à goûter des vérités dont ils n’avaient pas encore ouï parler. Ainsi l’Apôtre sortit de l’Aréopage, et bientôt après de la ville même, considérant qu’il y avait peu à faire avec des gens pleins d’eux-mêmes, et prévenus de leurs fausses opinions : cependant sa prédication ne fut pas sans fruit, car il y en eut quelques-uns qui crurent et s’attachèrent à lui, entre lesquels fut un des plus considérables sénateurs de l’Aréopage, nommé Denys, et une femme nommée Damaris ».

 

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Les prophéties citées dans l’Évangile, vous croyez qu’elles sont rapportées pour vous faire croire ? Non, c’est pour vous éloigner de croire.

 

Ces mots ont choqué profondément les éditeurs du XIXe siècle. Voir par exemple Cousin Victor, Rapport à l’Académie, in Œuvres de M. Victor Cousin, Littérature, tome I, p. 228. Commentaire : « Quelle religion, bon Dieu, que celle dont les monuments sacrés induiraient en tentation d’incrédulité, au lieu d’inspirer la foi ! Grâce à Dieu, ce n’est pas ainsi que Bossuet commente les saintes Écritures ».

Après une note consacrée au Dieu qui se cache (éd. de 1866, t. II, p. 52-54), Havet écrit : « Pascal en était venu à écrire ces paroles, que MM. de Port-Royal ont supprimées dans leur édition : « Mes prophéties citées dans l’Évangile, vous croyez qu’elles sont rapportées pour vous croire. Non, c’est pour vous éloigner de croire [...] ». Il est difficile, dit M. Faugère, de comprendre le sens de cette réflexion de Pascal. Je crois que cela est devenu facile ; Pascal devait nécessairement aller jusque là. Et Fénelon lui-même, d’ailleurs si peu sympathique au jansénisme, est-il donc si loin de Pascal, quand il dit, dans sa Lettre à l’évêque d’Arras : « L’Écriture est comme Jésus-Christ, qui a été établi pour la chute et pour la résurrection de la multitude [Luc, II, 34] ... La même parole est un pain qui nourrit les uns et un glaive qui perce les autres... Dieu a tellement tempéré la lumière et les ombres dans sa parole, que ceux qui sont humbles et dociles n’y trouvent que vérité et consolation, et que ceux qui sont indociles et présomptueux n’y trouvent qu’erreur et incrédulité ». Seulement il ne croyait pas qu’on fût du nombre des humbles et des croyants en vertu de la grâce nécessitante des jansénistes (voir la même Lettre). Nul n’a eu plus d’antipathie pour le jansénisme que Fénelon ». Havet renvoie ensuite au fragment Miracles II (Laf. 832-834, Sel. 421-422), mais sans plus ample explication.

GEF XIV, p. 15, commente cette phrase comme suit : « C’est l’argument suprême qui réfute l’opiniâtreté des incrédules : Dieu veut vous aveugler ; l’Écriture doit être telle que, claire pour les élus, elle rebute les réprouvés par son obscurité ».

Cette explication paraît recevable en gros ; elle est confirmée du reste par le fragment Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.

Mais l’objet de ce passage paraît plus précis : il ne s’agit pas des prophéties en général, mais des prophéties citées dans l’Évangile.

L’expression Les prophéties citées dans l’Évangile implique qu’il ne faut pas seulement compter les paroles du Christ, mais aussi les passages où les Évangélistes ont rappelé des prophéties relatives à Jésus.

Jean, VI, 45. « Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous enseignés de Dieu. Tous ceux donc qui ont ouï la voix du Père, et ont été enseignés de lui, viennent à moi. » Voir Isaïe, LIV, 13. Commentaire de Port-Royal : « Le Fils de Dieu connaissait par la divine lumière l’opposition intérieure que sentaient les Juifs à ce qu’il disait : c’est pourquoi il le confirme par l’autorité des prophètes, pour qui ils avaient beaucoup de créance ; et il leur fait voir que ces hommes inspirés de Dieu leur avaient prédit longtemps auparavant que les enfants de celle qui avait été dans la pauvreté et dans la désolation seraient tous instruits de Dieu même ».

Pascal ne fait au fond que tirer la conclusion qu’imposent ces passages des évangélistes, qui montrent que lorsque Jésus-Christ renvoie aux prophètes, ses auditeurs ne croient pas en lui :

Jean, XII, 37-43. « Mais quoiqu’il eût fait tant de miracles devant eux ils ne croyaient point en lui : 38. afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : Seigneur, dit-il, qui a cru à la parole qu’il a entendue de nous, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? 39. C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire, parce qu’Isaïe a dit encore : 40. Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu’ils ne voient des yeux et ne comprennent du cœur, et que venant à se convertir je ne les guérisse. 41. Isaïe a dit ces choses, lorsqu’il a vu sa gloire, et qu’il a parlé de lui. 42. Plusieurs néanmoins des sénateurs mêmes crurent en lui ; mais à cause des pharisiens ils n’osaient le reconnaître publiquement, de crainte d’être chassés de la Synagogue. 43. Car ils ont plus aimé la gloire des hommes, que la gloire de Dieu. » Voir Isaïe, LIII, 2, et Isaïe, VI, 9. Commentaire de Port-Royal : « L’évangéliste nous représente l’excès de l’aveuglement de ces Juifs, à qui la vue de tant de miracles, dont il était impossible qu’ils contestassent la vérité, ne servait de rien pour leur faire ouvrir leurs yeux de leur cœur, et reconnaître dans celui qui les faisait tous les caractères du Christ tracés dans les anciennes prophéties ». La suite du commentaire souligne que la cause de leur aveuglement était l’endurcissement de leur cœur.

Luc IV, 17-24. « On lui présenta le livre du prophète Isaïe ; et l’ayant ouvert, il trouva le lieu où ces paroles étaient écrites : 18. L’Esprit du Seigneur s’est reposé sur moi ; c’est pourquoi il m’a consacré par son onction : il m’a envoyé pour prêcher l’Évangile aux pauvres, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé ; 19. pour annoncer aux captifs leur délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue ; pour renvoyer libres ceux qui sont brisés sous leurs fers ; pour publier l’année favorable du Seigneur, et le jour auquel il se vengera de ses ennemis. 20. Ayant fermé le livre, il le rendit au ministre, et il s’assit. Tout le monde dans la synagogue avait les yeux arrêtés sur lui. 21. Et il commença à leur dire : C’est aujourd’hui que cette Écriture que vous venez d’entendre est accomplie. 22. Et tous lui rendaient témoignage ; et dans l’étonnement où ils étaient des paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche, ils disaient : N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Voir Isaïe, LXI, 1-2, et le commentaire de la note de Port-Royal sur ce passage.

Luc XI, 49-51. « C’est pourquoi la sagesse de Dieu a dit : Je leur envoierai des prophètes et des apôtres, et ils en tueront les uns et persécuteront les autres : 50. afin qu’on redemande à cette nation le sang de tous les prophètes, qui a été répandu dès le commencement du monde, 51. depuis le sang d’Abel, jusqu’au sang de Zacharie, qui a été tué entre l’autel et le temple. Oui je vous déclare qu’on en demandera compte à cette nation. » Voir Genèse IV, 8, et Paralipomènes, XXIV, 22.

Luc XXII, 37. « Car je vous assure qu’il faut encore qu’on voie accompli en moi ce qui est écrit : Il a été mis au rang des scélérats ; parce que ce qui a été prophétisé de moi va être entièrement accompli. » Voir Isaïe, LIII, 12.

Marc VII, 6-8. « Il leur répondit : C’est avec grande raison qu’Isaïe a fait de vous autres hypocrites cette prophétie qui se lit dans l’Écriture : Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est bien éloigné de moi : 7. et c’est en vain qu’ils m’honorent, publiant des maximes et des ordonnances humaines ; 8. car laissant là le commandement de Dieu, vous observez avec soin la tradition des hommes, lavant les pots et les coupes, et faisant encore beaucoup d’autres choses semblables. » Voir Isaïe, XXIX, 13.

Matthieu XXII, 41-45. « Or les pharisiens étant assemblés, Jésus leur fit cette demande, 42. et leur dit : Que vous semble du Christ ? De qui est-il fils ? Ils lui répondirent : De David. 43. Et comment donc, leur dit-il, David l’appelle-t-il en esprit son Seigneur par ces paroles : 44. Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ? 45. Si donc David l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils ? ». Psaumes CIX, 1-2. Le commentaire de Port-Royal insiste d’abord sur le fait que le Christ, après avoir interrogé les pharisiens et les sadducéens, les interroge à son tour, d’une manière qui rend les pharisiens « inexcusables, eux qui se vantaient de posséder l’intelligence des Écritures », sans voir « la multitude des miracles de celui qui leur parlait », « l’autorité de sa doctrine, soutenue par sa grande sainteté », qui montraient « qu’il pouvait être le Christ ». D’une manière assez exceptionnelle dans les notes de Port-Royal, Le commentaire insiste sur le fait que le même reproche vaudrait a fortiori pour les contemporains.

Certaines prophéties sont incorporées à la narration, comme Marc I, 1-3. « Le commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. 2. Comme il est écrit dans le prophète Isaïe : J’envoie mon ange devant votre face, qui marchant devant vous vous préparera le chemin. 3. On entendra dans le désert la voix de celui qui crie : Préparez la voie du Seigneur ; rendez droits ses sentiers. » Voir Isaïe, XL, 3. Le commentaire de Port-Royal discute la formule J’envoie mon ange devant votre face, qui n’est pas dans Isaïe.

Matthieu II, 14-18. « Joseph s’étant levé, prit l’enfant et sa mère durant la nuit, et se retira en Égypte : 15. où il demeura jusqu’à la mort d’Hérode, afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le prophète fût accomplie : J’ai rappelé mon fils de l’Égypte. 16. Alors Hérode voyant que les mages s’étaient moqués de lui, entra en une grande colère ; et il envoya tuer dans Bethléem, et en tout le pays d’alentour, tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s’était enquis exactement des Mages. 17. On vit alors s’accomplir ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : 18. Un grand bruit a été entendu dans Rama ; on y a ouïdes plaintes et des cris lamentables : Rachel pleurant ses enfants, et ne voulant point recevoir de consolations, parce qu’ils ne sont plus. » Voir Osée, XI, 1, et Jérémie XXXI, 15.

Matthieu III, 1-3. « En ce temps-là, Jean-Baptiste vint prêcher au désert de Judée, 2. En disant : Faites pénitence ; car le royaume des cieux est proche. 3. C’est lui qui a été marqué par le prophète Isaïe, lorsqu’il dit ; On a entendu la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur ; rendez droits ses sentiers. » Voir Isaïe XL, 3.

Jean, I, 21-24. « Ils lui demandèrent : Quoi donc ? Êtes-vous Élie ? Et il leur dit : Je ne le suis point. Êtes-vous prophète, ajoutèrent-ils ? Et il leur répondit : Non. 22. Ils lui dirent donc : Mais qui êtes-vous, afin que nous rendions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dites-vous de vous-même ? 23. Je suis, leur dit-il, la voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droite la voie du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. 24. Or ceux qu’on lui avait envoyés, étaient des pharisiens. » Voir Isaïe, XL, 3.

Matthieu VIII, 16-17. « Sur le soir on lui présenta plusieurs possédés, et il en chassa les malins esprits par sa parole, et guérit tous ceux qui étaient malades ; 17. afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : Il a pris lui-même nos infirmités, et il s’est chargé de nos maladies. » Voir Isaïe, LIII, 4.

Matthieu XII, 15-21. « Jésus le sachant se retira de ce lieu-là ; et beaucoup de personnes l’ayant suivi, il les guérit tous. 16. Et il leur commanda de ne le point découvrir ; 17. afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : 18. Voici mon serviteur que j’ai élu, mon bien-aimé dans lequel j’ai mis toute mon affection. Je ferai reposer sur lui mon esprit, et il annoncera la justice aux nations. 19. Il ne disputera point, il ne criera point, et personne n’entendra sa voix dans les rues : 20. Il ne brisera point le roseau cassé, et il n’achèvera point d’éteindre la mèche qui fume encore, jusqu’à ce qu’il fasse triompher la justice de sa cause : 21. et les nations espéreront en son nom. » Voir Isaïe, XLII, 1. Le commentaire de Port-Royal insiste sur le fait que le peuple a été touché par le Christ, mais que les pharisiens n’ont pas renoncé à la haine qu’ils lui vouaient.

Matthieu XIII, 13-16. « C’est pourquoi je leur parle en paraboles ; parce qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en écoutant ils n’entendent, ni ne comprennent point. 14. Et la prophétie d’Isaïe s’accomplit en eux, lorsqu’il dit : Vous écouterez de vos oreilles, et vous n’entendrez point ; vous regarderez de vos yeux, et vous ne verrez point. 15. Car le cœur de ce peuple s’est appesanti, et leurs oreilles sont devenues sourdes, et ils ont fermé leurs yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, et que s’étant convertis, je ne les guérisse. 16. Mais pour vous, vos yeux sont heureux de ce qu’ils voient, et vos oreilles de ce qu’elles entendent. » Voir Isaïe, VI, 9. Le commentaire de Port-Royal insiste sur le fait que « le mépris plein d’orgueil et de jalousie, avec lequel ils se fermaient les yeux et les oreilles pour ne pas voir des effets si éclatants de la présence du Messie, et pour ne pas entendre et comprendre tant d’instructions admirables, les avait rendus indignes de recevoir l’intelligence qui était donnée aux disciples de Jésus-Christ ».

Matthieu XIII, 34-35. « Jésus dit toutes ces choses au peuple en paraboles ; et il ne leur parlait point sans paraboles : 35. afin que cette parole du prophète fût accomplie : J’ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles ; je publierai des choses qui ont été cachées depuis la création du monde. » Voir Psaumes, LXXVII, 2.

Matthieu XXI, 2-5. « [Il] leur dit : Allez à ce village qui est devant vous, et vous y trouverez en arrivant une ânesse liée, et son ânon auprès d’elle ; déliez-la, et me l’amenez : 3. si quelqu’un vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin, et aussitôt il les laissera emmener. 4. Or tout ceci s’est fait, afin que cette parole du prophète fût accomplie : 5. Dites à la fille de Sion : Voici votre Roi qui vient à vous, plein de douceur, monté sur une ânesse, et sur l’ânon de celle qui est sous le joug. » Voir Isaïe, LXII, 11.

Matthieu XXVI, 55-56. « En même temps Jésus s’adressant à cette troupe, leur dit : Vous êtes venus ici armés d’épées et de bâtons pour me prendre, comme si j’étais un voleur : j’étais tous les jours assis au milieu de vous, enseignant dans le temple, et vous ne m’avez point pris. 56. Mais tout cela s’est fait afin que ce que les prophètes ont écrit fût accompli. » Voir Lamentations de Jérémie, IV, 20.

On peut aussi renvoyer à Matthieu XXVII, 5-10, qui cite Zacharie, XI, 12, et Matthieu XXVII, 35, qui cite Psaumes, XXI, 19. Mais ces deux références sont moins intéressantes pour la compréhension du texte de Pascal, qui remarque que les prophéties citées dans l’Évangile sont souvent relatives aux réactions hostiles des pharisiens à l’égard du Christ.