Miracles II – Fragment n° 14 / 15 – Papier original : RO 455-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 453 / C2 : p. 251 v°
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 227 / 1678 n° 8 p. 220
Éditions savantes : Faugère II, 224, XIV / Havet XXIII.14 / Brunschvicg 828 / Tourneur p. 151 / Le Guern 694 / Lafuma 856 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 436
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Bibliographie ✍
Voir le dossier thématique sur l’Antéchrist. CAZELLES Henri (dir.), Introduction à la Bible, II, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973. CHÉDOZEAU Bernard, L’Univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, Paris, Champion, 2013. DOMPNIER Bernard, Le venin de l’hérésie. Image du protestantisme et combat catholique au XVIIe siècle, Paris, Le Centurion, 1985. LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931. PELLETIER Marcel, Les pharisiens. Histoire d’un parti méconnu, Paris, Cerf, 1990. |
✧ Éclaircissements
Contestation.
Le mot titre doit-il être mis au singulier ou au pluriel ? Sur le manuscrit, la lettre finale est difficilement lisible. À première vue, le pluriel serait plus convenable pour indiquer une suite de plusieurs contestations. Mais l’idée que Pascal suggère, c’est que tous les épisodes mentionnés sont des formes d’une même contestation, qui prend différentes formes selon des époques qui sont très différentes les unes des autres (surtout la dernière, Élie, Énoch, Antéchrist, qui n’apparaîtra que dans un avenir de date très incertaine). Le pluriel contestations réduit le fragment à une simple liste d’épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Le singulier implique ce que Pascal appellerait une sorte de perpétuité dans l’histoire de l’Église.
Dans les exemples qui suivent, Pascal propose des situations des deux Testaments dans lesquelles le doute sur la vérité était permis, et où des miracles vont tous au secours de la vérité. Mais la forme du texte suggère surtout que toutes les contestations mentionnées ne sont que des épisodes d’un combat qui commence avec les débuts de l’humanité, et qui continuera jusqu’aux tout derniers temps, avec l’apparition de l’Antéchrist. Les controverses entre catholiques et hérétiques, que Pascal a connues, ne sont qu’un moment parmi d’autres dans le combat ininterrompu entre vérité et erreur. Le texte n’est donc pas une simple liste d’épisodes d’une série : il enferme une vision générale qui comprend l’histoire de la vérité telle qu’elle se perpétue dans le temps universel.
Les miracles sont une pièce de cet ample lutte de la vérité contre l’erreur : ce sont eux qui, dans les moments d’incertitude où l’erreur s’en prend plus violemment à la vérité, discernent de quel côté sont les hommes de Dieu.
Havet interprète ce fragment en l’associant à la première phrase du fragment Miracles III (Laf. 901, Sel. 449). Les miracles discernent aux choses douteuses, entre les peuples juif et païen, juif et chrétien, catholique hérétique, calomniés calomniateurs, entre les deux croix. Mais aux hérétiques les miracles seraient inutiles car l’Église, autorisée par les miracles qui ont préoccupé la créance, nous dit qu’ils n’ont pas la vraie foi. Il n’y a pas de doute qu’ils n’y sont pas, puisque les premiers miracles de l’Église excluent la foi des leurs. Il y a ainsi miracle contre miracle, et premiers et plus grands du côté de l’Église.
Cette liste répond à deux idées importantes dans la doctrine pascalienne des miracles.
La première est qu’il existe des situations, tout au long de l’histoire, où les hommes pouvaient être dans l’incertitude, et hésiter à suivre l’un ou l’autre parti, les discours ne permettant pas de discerner la vérité. C’est le cas lorsque les faux prophètes annonce une doctrine qui n’est pas visiblement contraire à la vérité, comme c’est par exemple le cas lorsque des exorcistes entreprennent de guérir des malades en invoquant le Dieu que prêche Paul, ou lorsque, dans l’Ancien Testament, Élie et Michée sont opposés à de faux prophètes sans que l’on puisse savoir de quel côté se trouvera la vérité tant qu’une bataille ou une guerre se soit achevée.
Un principe sous-entendu est que Dieu ne peut pas tromper les hommes : voir Miracles II (Laf. 840, Sel. 428) : Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur. Il doit donc, dans une situation de doute, exister une marque qui permette de savoir de quel côté se trouve la vérité.
Cet élément discernant est dans les miracles : les hommes, selon le même fragment, seraient induits en erreur si les faiseurs de miracles annonçaient une doctrine qui ne paraît pas visiblement fausse aux lumières du sens commun, et si un plus grand faiseur de miracles n’avait déjà averti de ne les pas croire.
Il est donc nécessaire que, dans ces cas d’ambiguïté, Dieu doive aux hommes de leur marquer nettement où se trouve la vérité. Il ne pouvait favoriser les hérétiques ariens en leur permettant de faire des miracles, sans que les chrétiens en soient favorisés par des miracles aussi, car dans ce cas, les fidèles mêmes auraient été poussés à l’erreur. Voir Miracles II (Laf. 840, Sel. 428) : Or ils seraient induits en erreur si les faiseurs [de] miracles annonçaient une doctrine qui ne paraît pas visiblement fausse aux lumières du sens commun, et si un plus grand faiseur de miracles n’avait déjà averti de ne les pas croire. Ainsi s’il y avait division dans l’Église et que les ariens par exemple, qui se disaient fondés en l’Écriture comme les catholiques, eussent fait des miracles, on et non les catholiques on eût été induit en erreur. Il faut donc nécessairement que, comme l’indique le présent fragment, le vrai puisse toujours prévaloir « en miracles. »
Port-Royal donne un texte inséré dans un ensemble plus vaste et entièrement rédigé dans Miracles III (Laf. 901, Sel. 449), comme suit : Les miracles discernent donc aux choses douteuses, entre les peuples Juif et payen ; Juif et chrétien ; catholique, hérétique ; calomniés, calomniateurs ; entre les trois croix.
Le XVIIe siècle a connu une forme particulière du combat dans les idées religieuses, censée exclure la violence, les conférences des catholiques contre les hérétiques.
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Moïse, p. 319-320. Les disputes : terme généralement employé pour décrire les débats publics entre représentants de religions différentes, en vue de persuader un représentant des opinons de l’autre. Les disputes médiévales : p. 320. Les disputes judéo-chrétiennes : p. 320.
On organise souvent, au XVIIe siècle, des conférences publiques qui visent à la conversion des hérétiques, mais dans lesquelles est accordée une large liberté à la controverse. Le débat entre les controversistes de chaque parti a lieu devant un auditoire et un bureau composé d’un président et de modérateurs. Chacun prend la parole à son tour, pour répondre sur les points évoqués, qui touchent en général les questions de théologie qui séparent catholiques et protestants. Les arguments sont notés, mis au net par écrit par les secrétaires de séance, et au bout de la controverse, chacun en reçoit une copie dont il peut se servir par la suite. Certains controversistes sont particulièrement habiles et réputés, de sorte qu’ils attirent un public nombreux et souvent passionné, qui appartient fréquemment au grand monde. Voir là-dessus Dompnier Bernard, Le venin de l’hérésie. Image du protestantisme et combat catholique au XVIIe siècle, Le Centurion, Paris, 1985.
Voir l’étude de cette pratique dans l’ouvrage d’Émile Kappler, Les conférences théologiques entre catholiques et protestants en France au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2011.
Surtout, Pascal pouvait estimer qu’il avait pris sa part dans ces contestations lorsqu’il a écrit les Provinciales, puis soutenu les curés de Paris dans leur campagne contre le P. Pirot.
Abel, Caïn.
On lit, avant « Abel Caïn » le nom de Caïn. Une correction immédiate a imposé l’ordre Abel Caïn, sans doute parce que Pascal voulait placer les couples successifs en commençant par les hommes de Dieu : Abel, Moïse, Élie, Jérémie, etc.
Genèse , IV, 1-16.
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Caïn et Abel, p. 180-181.
Le mot de contestation ne paraît guère convenir à l’assassinat d’Abel par Caïn.
Havet, édition des Pensées, t. I, p. 71, indique en note que les miracles ont discerné entre Abel et Caïn : le miracle dans ce cas c’est que Dieu parle et déclare lui-même sa préférence.
L’annotation de la Genèse de Port-Royal donne d’ailleurs des raisons qui ont fait préférer Abel à Caïn, ce qui ne semble pas compatible avec le principe augustinien que les raisons pour lesquelles Dieu préfère un homme à un autre sont cachées dans son insondable mystère.
Moïse, magiciens.
Exode, VII-VIII. Il s’agit des magiciens que le Pharaon oppose à Moïse et Aaron. Ils échouent tous, alors que Dieu réalise les miracles de Moise. Les magiciens avouent à leur maître qu’ils voient dans leur échec le doigt de Dieu. Le cœur de Pharaon ne s’en endurcit d’ailleurs pas moins.
Sur la manière dont Port-Royal conçoit la personne et la mission de Moïse, voir la Préface de la Genèse, et Chédozeau Bernard, L’Univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, Paris, Champion, 2013, p. 283 sq.
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Moïse, p. 764-768.
Élie, faux prophètes.
Troisième livre des rois (Premier livre des rois dans la classification moderne), XVIII, 20-39. Allusion à l’épisode survenu au mont Carmel, au cours duquel Élie, opposé aux 450 prophètes de Baal au service d’Achab, opère le sacrifice miraculeux de l’holocauste grâce au « feu du Seigneur », alors que ses concurrents ont beau élever leurs prières à Baal, ils ne parviennent à rien.
Voir Miracles II (Laf. 839, Sel. 424).
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Élie, p. 339-340.
Sur le cycle d’Élie, voir Cazelles Henri (dir.), Introduction à la Bible, II, Introduction critique à l’ancien Testament, p. 310-314. Sur l’opposition d’Élie aux 450 faux prophètes, voir p. 311.
Jérémie, Ananias.
Jérémie, XXVIII, 16-17.
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Jérémie et Livre de Jérémie, p. 570-571.
Voir la préface du Livre de Jérémie dans la Bible de Port-Royal, et Chédozeau Bernard, L’Univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, p. 562 sq.
Havet note que le miracle « ne consiste ici que dans le fait que la prophétie s’accomplit. » Selon lui, c’est la raison qui a déterminé les éditeurs de retirer cette indication de l’édition de Port-Royal.
Hananias est un prophète de Gabaon, qui fit une prophétie fallacieuse sur la fin proche de Nabuchodonosor, à laquelle Jérémie répondit, conformément à ce que Yahvé lui ordonna de dire (XXVII, 4 sq.) : « Vous avez brisé des chaînes de bois ; mais j’ai dit à Jérémie : Vous en ferez d’autres qui sont de fer. 14. Car voici ce que dit le Seigneur des armées, le Dieu d’Israël : J’ai mis un joug de fer sur le cou de tous ces peuples, afin qu’ils soient assujettis à Nabuchodonosor, roi de Babylone, et ils lui seront assujettis, et je lui ai abandonné encore les bêtes de la campagne. 15. Et le prophète Jérémie dit au prophète Hananias : Hananias, écoutez-moi : Le Seigneur ne vous a point envoyé, et cependant vous avez fait que ce peuple a mis sa confiance dans le mensonge. 16. C’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur ; Je vous exterminerai de dessus la terre, et vous mourrez cette année même, parce que vous avez parlé contre le Seigneur. 187. Et le prophète Hananias mourut cette année-là au septième mois ».
Voir Miracles II (Laf. 839, Sel. 424). Jérémie : Hananias, faux prophète meurt le septième mois.
Voir le commentaire de la Bible de Port-Royal sur cet épisode, qui le met en rapport avec l’annonce par saint Paul de la cécité qui s’abattit sur le faux prophète Elymas, Actes des Apôtres, XIII, 9-11.
Michée, faux prophètes.
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Michée, p. 739-740.
Voir les indications données dans le livre des Douze petits prophètes de la Bible de Port-Royal.
Cazelles Henri (dir.), Introduction à la Bible, II, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973, p. 376-378. Michée critique les prêtres et les prophètes de son temps, pour leur malhonnêteté, et la fausse mystique qui les inspire, et qu’ils déclarent fondée sur la signification du sanctuaire. Le chapitre III du livre de Michée est consacré à la malédiction des princes et des faux prophètes, dont il dénonce l’avidité et la manière de séduire le peuple au lieu de l’instruire. Selon le commentaire de Port-Royal sur le verset XI, Michée dénonce la manière avec laquelle les faux prophètes trahissent Dieu, comme l’a fait plus tard Judas. Le verset 12 annonce la ruine du temple en termes qui seront repris dans Jérémie, XXVI, 18 : « Michée de Morasthi prophétisa au temps d’Ézéchias roi de Juda ; et il dit à tout le peuple de Juda : Voici ce que dit le Seigneur des armées : Sion se labourera comme un champ ; Jérusalem sera réduite en un monceau de pierres, et cette montagne où est la maison du Seigneur deviendra une haute forêt ».
Troisième livre des rois, XXII, 13-35. Michée s’oppose aux faux prophètes qui incitent Achab roi d’Israël à aller victorieusement « contre Ramoth en Galaad ». À l’envoyé qui ordonne à Michée de parler comme eux, celui-ci répond : « Je jure par le Seigneur que je ne dirai que ce que le Seigneur m’aura dit. 15. Michée donc se présenta devant le roi et le roi lui dit : Michée, devons-nous aller à la guerre pour prendre Ramoth en Galaad, ou demeurer en paix ? Michée lui répondit : Allez, et marchez heureusement, et le Seigneur la livrera entre les mains du roi. 16. Le roi ajouta : Je vous conjure au nom du Seigneur de ne me parler que selon la vérité. 17. Michée lui dit : J’ai vu tout Israël dispersé dans les montagnes comme des brebis qui n’ont point de pasteur, et le Seigneur a dit : Ils n’ont point de chef. Que chacun retourne en paix dans sa maison. 18. Aussitôt le roi d’Israël dit à Josaphat : Ne vous avais-je pas bien dit que cet homme ne me prophétise jamais rien de bon, mais qu’il me prédit toujours du mal ? ». Le roi fait alors arrêter et emprisonner Michée. 28. « Michée lui dit : si vous revenez en paix, le Seigneur n’a point parlé par moi. Et il ajouta : Que tout le monde entende ce que je dis ». Le roi d’Israël est tué le soir de la bataille.
Couple supprimé dans l’édition de Port-Royal. Peut-être la première réponse de Michée à l’émissaire d’Achab, qui est semblable à celle des faux prophètes (v. 15), a-t-elle paru brouiller les choses. Le commentaire du IIIe Livre des rois sur ce verset souligne le caractère paradoxal de la réponse, mais l’explique comme suit : « les plus savants interprètes s’accordent sur ce point pour justifier sa réponse et remarquent fort judicieusement qu’il ne dit pas, comme les prophètes le faisaient pour l’ordinaire : Voici ce que dit le Seigneur ; mais que répondant au cœur d’Achab qui ne voulait pas connaître la vérité, il lui dit ironiquement qu’il n’avait qu’à suivre son premier dessein, et de croire ceux qui l’assuraient que le Seigneur livrerait la ville de Ramoth entre ses mains. Ces sortes d’expressions ironiques sont assez communes dans l’Écriture ».
Jésus-Christ, pharisiens.
Ce couple a été déplacé : il se trouvait à l’origine entre apôtres exorcistes et les chrétiens et les infidèles, ce qui dérangeait la chronologie. Jésus-Christ pharisiens a ensuite été placé entre Michée faux prophètes et saint Paul Barjésu, en interligne. Mais cette correction conduisait à faire se côtoyer les chrétiens et les infidèles et les chrétiens les hérétiques. Pascal a donc barré chrétiens, et a opposé catholiques aux hérétiques.
Luc, V, 20-25. « Comme ils ne cherchaient que les occasions de le perdre, ils lui envoyèrent des personnes apostées, qui contrefaisaient les gens de bien, pour le surprendre dans ses paroles, afin de le livrer au magistrat et au pouvoir du gouverneur. 21. Ces gens-là vinrent donc lui proposer cette question : Maître, nous savons que vous ne dites et n’enseignez rien que de juste, et que vous n’avez oint d’égard aux personnes ; mais que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. 22. Nous est-il libre de payer le tribut à César, ou de ne le payer pas ? 23. Jésus, qui voyait leur malice, leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? 24. Montrez-moi un denier : De qui est l’image et l’inscription qu’il porte ? Ils lui répondirent : De César. 25. Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».
On pourrait citer d’autres passages.
Le miracle est, dans ce cas, la résurrection du Christ. On pourrait citer la prédiction par Jésus-Christ de la ruine du temple dans Marc, XIII.
Sur la réalité historique des pharisiens, voir Pelletier Marcel, Les pharisiens. Histoire d’un parti méconnu, Paris, Cerf, 1990.
Saint Paul, Barjésu.
Actes des apôtres, XIII, 10-11. Saint Paul et Barnabé venus à Antioche, y rencontrent un magicien nommé Bar-Jesu ou Elymas (magicien), qui cherchait à détourner le proconcul Serge Paul d’entendre la parole de Dieu, Paul lui dit « Ô homme plein de toute sorte de tromperie et de fourberie, enfant du diable, ennemi de toute justice, ne cesserez-vous jamais de pervertir les voies droites du Seigneur ? 11. Mais maintenant la main du Seigneur est sur vous, vous allez devenir aveugle, et vous ne verrez point le soleil jusqu’à un certain temps. Aussitôt les ténèbres tombèrent sur lui, ses yeux s’obscurcirent ; et tournant de tous côtés, il cherchait quelqu’un qui lui donnât la main ».
Apôtres, exorcistes.
Actes des Apôtres XIX, 13-16. « Or quelques-uns des exorcistes juifs, qui allaient de ville en ville, entreprirent d’invoquer le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui étaient possédés des malins esprits, en leur disant : Nous vous conjurons par Jésus que Paul prêche. 14. Ceux qui faisaient cela étaient sept fils d’un juif, prince des prêtres nommé Scéva. 15. Mais le malin esprit leur répondit : Je connais Jésus, et je sais qui est Paul ; mais vous, qui êtes-vous ? » L’homme possédé du démon maltraite alors les exorcistes, et les citoyens d’Éphèse « glorifiaient le nom du Seigneur ».
Les chrétiens et les infidèles.
Les catholiques, les hérétiques.
Les chrétiens sont le genre, et les catholiques l’espèce. Les infidèles sont les païens, et les hérétiques comptent parmi les chrétiens, mais éloignés de la vérité. La campagne des Provinciales correspond au second couple, de même que les Écrits sur la grâce. En revanche, les Pensées tendent plutôt à prendre place dans le premier.
Élie, Énoch, Antéchrist.
Élie apparaît une deuxième fois dans la liste, en raison de son importance dans l’histoire d’Israël, mais aussi à cause du rôle qu’il est censé tenir dans l’avenir au moment où paraîtra l’Antéchrist.
Énoch (ou Hénoch) : voir Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Hénoch, p. 511.
Genèse, V, 21. « Hénoc, âgé de soixante-cinq ans, engendra Metuschélah. 22. Hénoc, après la naissance de Metuschélah, marcha avec Dieu trois cents ans ; et il engendra des fils et des filles. 23. Tous les jours d’Hénoc furent de trois cent soixante-cinq ans. 24. Hénoc marcha avec Dieu ; puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit. »
Patriarche, fils de Jarel et père de Mathusalem ; il vécut 365 ans, obéissant à Dieu, mais « ne parut plus, parce que Dieu le prit ». Cette fin mystérieuse est rappelée dans les passages des Livres saints ; l’Ecclésiaste dit qu’Énoch a été transporté pour servir aux nations d’exemple de repentir ; saint Paul affirme que par la foi il fut emporté pour ne pas passer par la mort ; la tradition catholique indique qu’il a quitté la terre sans passer par la mort. On comprend pourquoi Cyrano le rencontre dans la Lune.
Lemaître de Saci, dans son commentaire sur la Genèse, indique que la plupart des saints Pères, et saint Augustin entre autres, « croient qu’Énoch a été transféré dans le paradis terrestre, où Dieu le conserve d’une manière miraculeuse, vivant dans un corps qui n’est sujet à aucune des conditions de la faiblesse et de la fragilité de la nature mortelle, et le réserve pour l’opposer à la fureur de l’Antéchrist, afin qu’il prêche la pénitence aux nations, comme Élie, que Dieu lui doit joindre dans le même ministère, la doit prêcher aux Juifs, en la manière que saint Jean le décrit dans l’Apocalypse ».
Les premiers chrétiens lisaient un livre intitulé Livre d’Énoch, qui n’a toutefois pas été retenu dans le canon des Livres saints ; c’est une sorte d’Apocalypse en cinq livres ; le premier raconte la chute des anges et leur union avec des filles des hommes ; le second renferme des paraboles messianiques, et le troisième des fables ; le quatrième résume en deux visions l’histoire du peuple juif ; le cinquième contient des exhortations morales. C’est un agrégat d’éléments hétérogènes dont les plus récents datent du premier siècle de l’ère chrétienne ; on le croyait perdu, mais il a été retrouvé en 1769 par l’anglais J. Bruce.
Apocalypse XI, 3-12.
Voir sur l’Antéchrist le fragment Miracles I (Laf. 830, Sel. 419), et le dossier thématique sur l’Antéchrist. Énoch et Élie sont les deux témoins de Dieu qui s’opposeront à l’Antéchrist dans les derniers temps. Ils doivent selon le texte de l’Apocalypse, prophétiser à la fin des temps durant 1 260 jours, mais la bête les combattra et les tuera. Au bout de trois jours et demi, la vie leur sera rendue par le Seigneur. Voir la note de l’éd. Havet, t. 2, p. 72.
Toujours le vrai prévaut en miracles.
Voir le préambule du présent fragment.
Pascal entend que l’opposition entre les amis et les ennemis du Christ est toujours éclairée par les miracles, qui la discernent, et la font prévaloir.
Les deux croix.
Note de l’éd. Sellier-Ferreyrolles, Pochothèque, 2004, p. 1058. Sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin, ayant fait effectuer des fouilles au calvaire, découvrit deux croix. Ce sont des miracles qui permirent de discerner laquelle des deux était celle du Christ. L’épisode a donné lieu à une fresque de Piero della Francesca à la basilique San Francesco d’Arezzo. Agnolo Gaddi en a aussi donné une image.
Cependant, on notera que dans le récit de Tillemont, ce sont bien trois croix qui sont « inventées » par sainte Hélène. Voir Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, tome VII, Paris, Robustel, 1700, Sainte Hélène, veuve, impératrice et mère du grand Constantin, p. 1-20. Voir aussi les Notes sur sainte Hélène, p. 638-646, surtout la note II, Qu’on ne peut révoquer en doute la découverte de la croix par sainte Hélène. On peut aussi consulter le même livre dans le t. VII, Première partie, Bruxelles, Fricx, 1715, p. 1-35. Sur l’invention de la croix par sainte Hélène, voir Article III, p. 8 sq.
Le texte de Tillemont donne une idée de ce que Pascal devait savoir de l’invention de la croix du Christ par sainte Hélène, avec certaines références aux rapports de saint Ambroise, Rufin et Sulpice Sévère.
« Sainte Hélène trouve la croix et le saint sépulcre. Lors donc que sainte Hélène fut arrivée à Jérusalem, et qu’elle eût commencé à visiter les saints lieux, le saint Esprit l’enflamma du désir de trouver le bois de la croix [Amb. Div. 3, p. 123 hi. Paul. Ep. 11. p. 136], ne pouvant souffrir de se voir dans l’éclat et la magnificence d’une impératrice, pendant que l’étendard de notre salut était caché dans la poussière, et étouffé sous des ruines [Paul. P. 136. 137]. Sa piété le lui fit chercher avec soin dans tous les endroits de Jérusalem où on pouvait espérer de le trouver. Mais elle voyait peu de moyens de réussir dans cette recherche : personne ne pouvait dire avoir vu la croix ; et la mémoire qui avait pu se conserver d’abord parmi les chrétiens du lieu où on l’avait cachée, s’était tout à fait effacée et par la longueur des temps, et par les superstitions des idolâtres qu’on y pratiquait depuis près de deux siècles. Car ces superstitions avaient même ôté aux chrétiens la liberté d’y venir faire leurs prières [Ruf. l. 10. c. 7. p. 163. 1], de peur qu’ils ne semblassent y adorer Vénus.
Cette difficulté ne fit néanmoins qu’enflammer la piété d’Hélène [Amb. p. 123. i] ; et l’ardeur de sa piété lui fit obtenir de l’Esprit saint [Paul p. 137], qui connaît tous les secrets de nos cœurs, la lumière nécessaire pour trouver ce qu’elle cherchait. Voyant donc que tous ses soins et ses recherches étaient inutiles, elle demanda qu’on lui montrât seulement le lieu où Jésus-Christ a souffert. Elle s’en informa des chrétiens qui avaient le plus de doctrine et de piété : elle fit même venir pour cela à Jérusalem les plus habiles des Juifs [Note 3]. Tous convinrent unanimement du lieu : et Rufin dit qu’elle le connut [encore] par quelque marque qu’il plut à Dieu de lui donner [Ruf. p. 163. 1]. Aussitôt poussée par le mouvement du saint Esprit [Paul. p. 137], elle ordonna qu’on fouillât en cet endroit, y faisant travailler et ceux de la ville et les soldats. Elle fit abattre tous les bâtiments profanes qui souillaient la pureté de ce lieu [Eus. v. Cons. l. 3. c. 27. p. 498. d]. Et l’on en transporta bien loin tous les matériaux et la terre même qu’elle fit creuser jusqu’à une assez grande profondeur, selon l’ordre donné par Constantin [à qui Hélène pouvait en avoir écrit].
Enfin la foi de la sainte fut exaucée contre l’espérance de tous les autres [Paul. ép. 11. p. 137] ; et lorsqu’on eût creusé bien avant, l’on découvrit le saint sépulcre [Eus. c. 28. p. 499. 2.], auprès duquel on trouva trois croix [Thdrt. l. 1. c. 17. p. 564. a ; Soz. l. 2. c. 1. p. 441 b.], avec le titre qui avait été attaché à celle de Jésus-Christ [Soz. ; Ruf. etc. ; Amb. p. 123. k], et les clous qui avaient percé son sacré corps [Amb. P. 123. M ; Socr. l. 1. c. 17. p. 47. c]. La joie qu’on eut d’abord en découvrant ce trésor fut troublée aussitôt par la difficulté de discerner le bois salutaire de la croix du Sauveur d’avec les deux autres croix qui avaient servi au supplice des deux larrons [Paul. p. 137]. Le titre qui avait été mis au-dessus de la croix de Jésus-Christ fut une marque pour la faire reconnaître [peut-être en considérant la place des clous avec lesquels il avait été attaché] [Amb. p. 123 ; Chry. in Jo. h. 84. p. 544. a]. Car il fut trouvé à part [Soz. 441. b]. Mais cet indice était trop faible pour s’en contenter [Ruf.].
On recourut donc à la lumière de Dieu au défaut de celle des hommes [Ruf.] ; et saint Macaire, qui était évêque de Jérusalem, en proposa le moyen [Ruf.]. C’était un prélat célèbre pour sa sagesse, et vraiment digne de Dieu [Thdrt. p. 564. b] : et il venait alors de terrasser l’hérésie d’Arius dans le grand concile de Nicée [c. 15. p. 562. b]. Ce saint évêque sachant qu’il y avait une des principales dames de la ville extrêmement malade, il dit à Hélène qu’il fallait faire apporter les trois croix chez la malade [Ruf. l. 1. c. 7. p. 123. l. 2], et demanda à Dieu, les genoux en terre, qu’il voulut opérer la guérison de cette dame par l’attouchement de la croix qui avait servi à la rédemption de tout le monde [c. 8. p. 123. l. 2.]. L’impératrice et tout le peuple étant donc présent à cette action [c. 7. p. 123. 2], il fit toucher les deux premières croix à la malade, sans qu’elle en ressentit aucun effet, mais lui ayant fait toucher la troisième, elle se leva aussitôt entièrement guérie, et plus forte qu’elle n’avait jamais été [c. 8]. On tient, dit Sozomène, qu’on fit la même chose à un corps mort, qui ressuscita à l’heure même [Soz. p. 442. b] Saint Paulin et saint Sulpice Sévère ne marquent que ce dernier miracle [Paul. ép. 11. p. 137. 138 ; Sulp. l. 2. p. 153.] ».
GEF XIV, p. 261, prend la note de Pascal comme une allusion à la croix de Jésus et la croix des deux larrons. Lafuma, dans la note de l’éd. du Luxembourg, t. II, Notes, p. 162, suit cette interprétation, et indique que l’éd. de Port-Royal corrige et remplace par « entre les trois croix ».
Reste que c’est une croix de trop, et le texte original de Pascal ne porte pas le mot entre.
Pourquoi Pascal compte-t-il deux croix et non trois ?
On pourrait croire à une inadvertance ou un souvenir inexact, si le même nombre de deux ne revenait dans un autre fragment très proche :
Miracles III (Laf. 901, Sel. 449). Les miracles discernent aux choses douteuses, entre les peuples juif et païen, juif et chrétien, catholique hérétique, calomniés calomniateurs, entre les deux croix. Mais aux hérétiques les miracles seraient inutiles car l’Église, autorisée par les miracles qui ont préoccupé la créance, nous dit qu’ils n’ont pas la vraie foi. Il n’y a pas de doute qu’ils n’y sont pas, puisque les premiers miracles de l’Église excluent la foi des leurs. Il y a ainsi miracle contre miracle, et premiers et plus grands du côté de l’Église.
Les deux textes, Miracles III (Laf. 901, Sel. 449) d’une part, et le présent fragment de l’autre, s’éclairent mutuellement. Il faut noter que le mot entre, dans ce fragment, ne désigne pas la position locale de la croix du Christ, mais la distinction des éléments entre lesquels il faut discerner.
Dans ces conditions, le rapprochement avec les couples qui forment la plus grande partie du présent texte suggère une interprétation un peu différente.
Il s’agirait alors non pas de la croix du Christ, mais des deux autres croix qui, selon Luc, XXIII, 39-43, portent l’une le bon larron, auquel le Christ accorde son pardon, et l’autre le mauvais larron, qui le blasphème. Ces deux croix sont l’une celle des amis du Christ, l’autre celle de ses ennemis : les couples évoqués dans le fragment étudié sont pour ainsi dire résumés dans l’opposition du bon et du mauvais larron, chacun attaché à sa croix. Le caractère symbolique et archétypal que Pascal accorderait à ces deux croix justifie qu’elles soient mentionnées à part dans le présent fragment, et en fin d’énumération dans Miracles III (Laf. 901, Sel. 449).