Miracles III – Fragment n° 10 / 11 – Papier original : RO 463-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 196 et 197 p. 467-467 v° / C2 : p. 265 v°-267
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 223-224 /
1678 n° 8 p. 220
Éditions savantes : Faugère II, 224, XV ; I, 287, LXVI / Havet XXIII.13 et 25 / Brunschvicg 841 / Tourneur p. 160-1 / Le Guern 706 / Lafuma 901 et 902 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 449
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Bibliographie ✍
DELFORGE Frédéric, Les petites écoles de Port-Royal, 1637-1660, Paris, Cerf, 1985. DESCOTES Dominique, “La calomnie dans les Provinciales”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 18, 1996, p. 14-21. PILLORGET René et Suzanne, France baroque, France classique, I, Récit, Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1995. ROMEO Maria Vita, “Calunnia e menzogna nelle Lettere Provinviali”, in ROMEO Maria Vita (dir.), Le « Provinciali » oggi. Atti delle giornate Pascal 2007, Catane, C. U. E. C. M., 2009, p. 217-235. SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977. THIROUIN Laurent, “Imprudence et impudence. Le dispositif ironique dans les Provinciales”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 18, 1996, p. 31-42. WANEGFFELEN Thierry, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile en France, XVIe-XVIIe siècles, P. U. F., Paris, 1999.
Voir la bibliographie du dossier thématique sur le miracle de la sainte Épine. |
✧ Éclaircissements
Les miracles discernent aux choses douteuses, entre les peuples juif et païen, juif et chrétien, catholique hérétique,
Les trois couples couvrent l’histoire du monde : les peuples juif et païen correspondent à l’époque de l’Ancien Testament. Le couple juif et chrétien couvre la deuxième période, où le christianisme se dégage de la religion juive. Le dernier couple correspond aux nombreuses hérésies que la religion catholique a dû combattre.
Havet, II, éd. de 1866, art. XXIII, p. 71, estime que ces hérétiques sont les jésuites. Ce n’est nullement évident, car les jésuites sont peut-être pour Pascal de mauvais catholiques, mais ce sont des catholiques. Pascal pense plutôt aux protestants, ou aux hérésies combattues par saint Augustin (pélagianisme, arianisme, donatisme, manichéisme).
Dans chacun de ces cas, les miracles ont servi à discerner la vérité des erreurs, ce qui est selon Pascal la fonction fondamentale des miracles.
Voir le fragment Miracles I (Laf. 830, Sel. 419).
Voir le dossier thématique sur le peuple juif.
Voir le dossier thématique hérésie et schisme.
calomniés calomniateurs,
Allusion visible à la XVe Provinciale, qui est entièrement consacrée au problème de la calomnie. Dans cette lettre, éd. Cognet, Paris, Garnier, p. 276, Pascal donne une définition précise du mensonge et de la calomnie : « On peut bien dire des choses fausses en les croyant véritables, mais la qualité de menteur enferme l’intention de mentir ? Je ferai donc voir, mes pères, que votre intention est de mentir et de calomnier, et que c’est avec connaissance et avec dessein que vous imposez à vos ennemis des crimes dont vous savez qu’ils sont innocents, parce que vous croyez le pouvoir faire sans déchoir de l’état de grâce ».
Pascal suit là-dessus Saint Augustin, De vera religione, XXIII, 61. « Mentir c’est vouloir paraître ce qu’on n’est pas ; mais passer, sans le vouloir, pour autre qu’on n’est, ce n’est pas mentir, c’est seulement tromper. Ce qui distingue le menteur du trompeur, c’est que tout menteur a l’intention de tromper, quand même on ne le croit pas ; tandis qu’il n’est pas de trompeur qui ne trompe en fait » : p. 113-115.
Descotes Dominique, “La calomnie dans les Provinciales”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 18, 1996, p. 14-21. ✍
Thirouin Laurent, “Imprudence et impudence. Le dispositif ironique dans les Provinciales”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 18, 1996, p. 31-42. ✍
Romeo Maria Vita, “Calunnia e menzogna nelle Lettere Provinviali”, in Romeo Maria Vita (dir.), Le « Provinciali » oggi. Atti delle giornate Pascal 2007, Catane, C. U. E. C. M., 2009, p. 217-235. ✍
Sur le mensonge, l’intentio fallendi et les différentes formes de calomnie, voir Escobar, Lib. Theol. Moral., Tr. pr., Ex. X, ch. II, De testimonio falso, p. 159 sq. Mendacium ; falsum verbum cum intentio fallendi. Contumelia ; injusta honoris ablatio facta in praesentia patientis illam. Contmelia formalis ex suo genere mortale crimen est ; non materialis ; p. 161. La detractio : p. 162 ; alienae famae injusta occulta violatio ; p. 162. Péché mortel, mais parfois véniel. Cas où ce n’est pas un péché ; p. 162, § 22. Peut-on se diffamer soi-même ? p. 162-163, n. 26. Audio mortalem detractionem ; delinquone graviter ? p. 163, n. 27.
Les écrits du P. Nouët Jacques, notamment la Seconde partie des Impostures, dont on trouve le texte dans le recueil collectif des Réponses des jésuites, 1658, p. 179 sq. (voir aussi GEF VI, p. 168), contient des attaques personnelles très graves, notamment de tenir des opinions hérétiques, p. 186-189, qui jettent le trouble dans l’Église, p. 194-195, de partager l’hérésie des docteurs jansénistes, p. 200 sq., notamment sur l’amour de Dieu, p. 251.
entre les deux croix.
Voir le commentaire du fragment Miracles II (Laf. 856, Sel. 436). Contestation. Abel, Caïn / Moïse, magiciens. / Elie, faux prophètes / Jérémie Ananias. / Michée, faux prophètes / J.-C. pharisiens / Saint Paul, Barjésu. / Apôtres, exorcistes / Les chrétiens et les infidèles / les catholiques, les hérétiques / Élie, Énoch, Antéchrist. Toujours le vrai prévaut en miracles. Les deux croix.
Mais aux hérétiques leurs miracles seraient inutiles car l’Église, autorisée par les miracles qui ont préoccupé la créance, nous dit qu’ils n’ont pas la vraie foi. Il n’y a pas de doute qu’ils n’y sont pas, puisque les premiers miracles de l’Église excluent la foi des leurs. Il y a ainsi miracle contre miracle, et premiers et plus grands du côté de l’Église.
Pascal écrit aux hérétiques leurs miracles seraient inutiles ; certains éditeurs lisent les miracles. Le passage confronte les miracles des deux partis, chacun soutenant que les sens prévalent. Il est donc plus conforme au sens du texte de maintenir leurs miracles. Voir la transcription diplomatique.
Préoccuper : prévenir, mettre dans l’esprit d’une personne les premières impressions, les premières connaissances d’une chose (Furetière). Le mot n’a pas nécessairement un sens dépréciateur.
Le raisonnement est de forme quasi dialectique. Il signifie ici que les miracles de l’Église, venus les premiers, ont précédé ceux des hérétiques dans la croyance des hommes.
L’existence de miracles chez les hérétiques n’est pas une objection valable contre l’Église catholique, dans la mesure où ceux de l’Église sont par définition antérieurs à ceux des hérétiques, et ainsi que les fidèles sont prévenus que les hérétiques n’ont pas la vraie foi.
D’autre part, Pascal soutient que les miracles de l’Église sont aussi les plus grands. Cette indication appellerait des précisions : Pascal devait compter en trouver dans l’histoire de l’Église.
La confrontation des miracles de part et d’autre est tout à l’avantage de l’Église. Accréditée par de grands miracles antérieurs à ceux des hérétiques, elle est autorisée à avertir que les doctrines des hérétiques sont fausses.
Havet formule en note l’objection suivante : « Il semble qu’il y a là une contradiction ; car il vient de dire que les miracles discernent entre les catholiques et les hérétiques. Voici, je pense, comment cela doit s’entendre. Au temps des anciennes hérésies, quand l’autorité de l’Église catholique n’était pas suffisamment établie encore, elle l’a été par les miracles ; ils ont rendu incontestable ce qui était douteux. Maintenant il n’y a plus de doute, c’est l’Église qu’on doit croire, et rien de la part des hérétiques déclarés, pas même les miracles, ne sauraient prévaloir contre elles ».
Une autre note de Havet, p. 77, suggère que Pascal suppose qu’il existe « comme une jurisprudence qui accorde la foi, en fait de miracle, au premier occupant ». La remarque n’est pas vraiment pertinente : comme le miracle discerne la vérité de l’erreur, Dieu devait accorder à ses fidèles des miracles qui montrent qu’elle était de leur côté. Dans le cas contraire, il aurait trompé les hommes. Il n’est pas question dans ce cas d’une jurisprudence.
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Ces filles étonnées de ce qu’on dit qu’elles sont dans la voie de perdition,
Les filles en question sont les religieuses de Port-Royal.
Étonner : surprendre, épouvanter, causer à l’âme de l’émotion, soit par surprise, soit par admiration, soit par crainte. Se dit aussi des émotions des corps qui sont ébranlés, et attaqués par quelque violence (Furetière).
que leurs confesseurs les mènent à Genève,
L’ouvrage le plus significatif sur ce thème est le livre du P. Meynier Bernard, Port-Royal et Genève d’intelligence contre le très Saint Sacrement de l’Autel dans leurs livres, et particulièrement dans les équivoques de l’article XV de la seconde partie de la Seconde Lettre de M. Arnauld, J. F. Fleuriau, Poitiers 1656. Le jésuite soutient que les maîtres de Port-Royal soutiennent les mêmes dogmes que les protestants calvinistes.
On peut aussi consulter les ouvrages suivants, qui dénoncent aussi la complicité de Port-Royal avec les protestants : ✍
Nouët Jacques, Lettre écrite à une personne de condition sur la conformité des reproches et des calomnies que les jansénistes publient contre les Pères de la Compagnie de Jésus avec celles que le ministre Du Moulin a publiées devant eux contre l’Église Romaine dans son livre des Traditions, imprimé à Genève en l’année 1632, slnd (juillet 1656), 12 p. in-4°.
Marandé Léonard de, Inconvénients d’État procédant du jansénisme avec la réfutation du Mars Français de Monsieur Jansénius, par le sieur de Marandé, conseiller et aumônier du Roy, dédiés au Roy, Cramoisy, Paris, 1654 ; voir sur cet auteur Misono Keisuke, Écrire contre le jansénisme. Léonard de Marandé polémiste vulgarisateur, Paris, Champion 2012.
Pascal consacre un long passage de la XVIe Provinciale aux accusations de collusion avec la Genève protestante lancées contre les jansénistes, notamment contre les religieuses.
Voir Les provinciales, éd. L. Cognet, Garnier, p. 302-304, § 5.
« Il faut arrêter cette insolence, qui n’épargne point les lieux les plus saints. Car qui pourra être en sûreté après une calomnie de cette nature ? Quoi ! mes Pères, afficher vous-mêmes dans Paris un livre si scandaleux avec le nom de votre Père Meynier à la tête, et sous cet infâme titre : Le Port-Royal et Genève d’intelligence contre le très Saint-Sacrement de l’Autel, où vous accusez de cette apostasie non seulement M. de Saint-Cyran et M. Arnauld, mais aussi la Mère Agnès sa sœur, et toutes les religieuses de ce monastère, dont vous dites, pag. 96, que leur foi est aussi suspecte touchant l’Eucharistie que celle de M. Arnauld, lequel vous soutenez pag. 4 être effectivement calviniste. Je demande là-dessus à tout le monde s’il y a dans l’Église des personnes sur qui vous puissiez faire tomber un si abominable reproche avec moins de vraisemblance. Car, dites-moi, mes Pères, si ces religieuses et leurs directeurs étaient d’intelligence avec Genève contre le très Saint-Sacrement de l’Autel, ce qui est horrible à penser, pourquoi auraient-elles pris pour le principal objet de leur piété ce sacrement qu’elles auraient en abomination ? Pourquoi auraient-elles joint à leur règle l’institution du Saint-Sacrement ? Pourquoi auraient-elles pris l’habit du Saint-Sacrement, pris le nom de filles du Saint-Sacrement, appelé leur église l’Église du Saint-Sacrement ? Pourquoi auraient-elles demandé et obtenu de Rome la confirmation de cette institution, et le pouvoir de dire tous les jeudis l’office du Saint-Sacrement, où la foi de l’Église est si parfaitement exprimée, si elles avaient conjuré avec Genève d’abolir cette foi de l’Église ? Pourquoi se seraient-elles obligées, par une dévotion particulière, approuvée aussi par le Pape, d’avoir sans cesse, nuit et jour, des religieuses en présence de cette sainte Hostie, pour réparer, par leurs adorations perpétuelles envers ce sacrifice perpétuel, l’impiété de l’hérésie qui l’a voulu anéantir ? Dites-moi donc, mes Pères, si vous le pouvez, pourquoi de tous les mystères de notre religion elles auraient laissé ceux qu’elles croient pour choisir celui qu’elles ne croiraient pas ? Et pourquoi elles se seraient dévouées d’une manière si pleine et si entière à ce mystère de notre foi, si elles le prenaient, comme les hérétiques, pour le mystère d’iniquité ? Que répondez-vous, mes Pères, à des témoignages si évidents, non pas seulement de paroles, mais d’actions ; et non pas de quelques actions particulières, mais de toute la suite d’une vie entièrement consacrée à l’adoration de Jésus-Christ résidant sur nos autels ? Que répondez-vous de même aux livres que vous appelez de Port-Royal, qui sont tout remplis de termes les plus précis dont les Pères et les Conciles se soient servis pour marquer l’essence de ce mystère ? C’est une chose ridicule, mais horrible, de vous y voir répondre dans tout votre libelle en cette sorte : M. Arnauld, dites-vous, parle bien de transsubstantiation ; mais il entend peut-être une transsubstantiation significative. Il témoigne bien croire la présence réelle : mais qui nous a dit qu’il ne l’entend pas d’une figure vraie et réelle ? Où en sommes-nous, mes Pères ? et qui ne ferez-vous point passer pour Calviniste quand il vous plaira, si on vous laisse la licence de corrompre les expressions les plus canoniques et les plus saintes par les malicieuses subtilités de vos nouvelles équivoques ? Car qui s’est jamais servi d’autres termes que de ceux-là, et surtout dans de simples discours de piété, où il ne s’agit point de controverses ? Et cependant l’amour et le respect qu’ils ont pour ce saint mystère leur en a tellement fait remplir tous leurs écrits, que je vous défie, mes Pères, quelque artificieux que vous soyez, d’y trouver ni la moindre apparence d’ambiguïté, ni la moindre convenance avec les sentiments de Genève ».
La suite du texte montre, citations à l’appui, que la foi des disciples de saint Augustin est bien différente des croyances des protestants. Voir le § 7, dans lequel Pascal défie les jésuites de faire parler les protestants comme Arnauld.
Dans ce passage, Pascal ne fait pas état des personnes, mais les Provinciales montrent que les attaques des jésuites touchaient individuellement et collectivement les personnes.
qu’ils leur inspirent que Jésus-Christ n’est point en l’Eucharistie ni en la droite du Père.
Voir Provinciale XVI, § 6. « Tout le monde sait, mes Pères, que l’hérésie de Genève consiste essentiellement, comme vous le rapportez vous-mêmes, à croire que Jésus-Christ n’est point enfermé dans ce Sacrement ».
Calvin Jean, Institution de la religion chrétienne, XII, t. 4, Paris, Belles Lettres, 1961, p. 78 sq. De la cène. Fruit et consolation liées à l’Eucharistie. Que ce n’est pas le principal du sacrement de présenter simplement le corps de Jésus-Christ : p. 10. Réfutation de la doctrine de la transsubstantiation. Paroles ceci est mon corps : p. 15. Signes et choses : p. 16. Qu’est-ce que le Testament au corps et au sang du Christ ? Distinction de la chose représentée et de son signe : p. 18.
♦ La doctrine catholique de l’Eucharistie et de la transsubstantiation
Les idées attribuées aux calvinistes sont celles que donne La perpétuité de la foi de l’Église touchant l’Eucharistie, 1664.
Bartmann Bernard, Précis de théologie, II, p. 317 sq. La présence réelle : doctrine selon laquelle le Christ est vraiment, réellement et substantiellement présent dans l’Eucharistie avec sa chair et son sang, avec son corps et son âme, avec son humanité et sa divinité. La présence réelle dans la Tradition : p. 325 sq. La transsubstantiation : le Christ est présent dans l’Eucharistie par la conversion de la substance du pain et du vin en son corps et en son sang : p. 330 sq.
Arnauld Antoine, Réfutation de la réponse d’un ministre, IIe partie, ch. III, éd. Migne, p. 78. Les catholiques admettent la présence réelle dans l’eucharistie, les sacramentaires pensent que cette présence n’est que figurative. Sur le sens du mot sacramentaire, voir Jouanna Arlette et alii, La France de la Renaissance, Paris, Robert Laffont, 2001, p. 1061.
Wanegffelen Thierry, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile en France, XVIe-XVIIe siècles, p. 192 sq. Sur ce passage de la XVIe Provinciale et son contexte. Sur la doctrine calvinienne de la présence spirituelle du Christ dans l’Eucharistie, et les idées de Port-Royal sur la présence réelle : p. 194. Le Dieu caché des jansénistes et le caractère secret de la révélation chrétienne : p. 194.
Les idées de Pascal sur l’Eucharistie sont brièvement exprimées dans sa lettre à Melle de Roannez n° 4, 29 octobre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1033-1035 :
« Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s’est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusque l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s’est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu’à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : « Véritablement tu es un Dieu caché. » C’est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité, et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques : il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l’esprit de Dieu caché encore dans l’Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique ; et les Juifs s’arrêtant à l’un ne pensent pas seulement qu’il y en ait un autre et ne songent pas à le chercher ; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu’il y en ait un autre auteur ; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n’ont pas pensé à y chercher une autre nature : « Nous n’avons pas pensé que ce fût lui », dit encore Isaïe ; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences par faites du pain dans l’Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les Chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les maux éternels qu’elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout ; et rendons-lui des grâces infinies de ce que, s’étant caché en toutes choses pour les autres, il s’est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous. »
La XIe Provinciale avait déjà pris la défense des religieuses en ces termes, éd. Cognet, Garnier, p. 209-210. « Qu’y a-t-il de plus ordinaire dans vos écrits que la calomnie ? Ceux du P. Brisacier sont-ils sincères, et parle-t-il avec vérité quand il dit, 4. part., p. 24 et 15. que les religieuses de Port-Royal ne prient pas les saints, et qu’elles n’ont point d’images dans leur église. Ne sont-ce pas des faussetés bien hardies, puisque le contraire paraît à la vue de tout Paris ? Et parle-t-il avec discrétion, quand il déchire l’innocence de ces filles, dont la vie est si pure et si austère, quand il les appelle des filles impénitentes, asacramentaires, incommuniantes, les vierges folles, fantastiques, calaganes, désespérées, et tout ce qu’il vous plaira, et qu’il les noircit par tant d’autres médisances, qui ont mérité la censure de feu M. l’archevêque de Paris : quand il calomnie des prêtres, dont les mœurs sont irréprochables, jusqu’à dire I p. p. 22. Qu’ils pratiquent des nouveautés dans les confessions, pour attraper les belles et les innocentes ; et qu’il aurait horreur de rapporter les crimes abominables qu’ils commettent ? N’est-ce pas une témérité insupportable d’avancer des impostures si noires, non seulement sans preuve, mais sans la moindre ombre, et sans la moindre apparence ». Passage sans doute inspiré d’Arnauld Antoine, L’innocence et la vérité persécutées, Article VII, Histoire mémorable du procédé qu’ont tenu les jésuites, pour enlever aux religieux de saint Benoît, de saint Augustin, de Cîteaux, et de Prémontré, les abbayes que l’empereur Ferdinand II avait retirées des protestants d’Allemagne, Œuvres, XXX, p. 143 sq. (voir la Préface historique et critique, p. I sq., sur cet écrit).
Voir sur la doctrine de l’Eucharistie ✍
Arnauld Antoine, Œuvres, XII, éd. de Lausanne, 1777, p. III-XL. Préface historique et critique.
Du côté de Port-Royal, l’ouvrage essentiel est le livre d’Antoine Arnauld, La perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’Eucharistie, défendue contre le livre du sieur Claude, ministre de Charenton, Paris, 1669-1674, 3 vol.
La logique ou l’art de penser, éd. Clair et Girbal, Paris, P. U. F., 1965, p. 390, note 120, fournit une liste de textes de Port-Royal et des calvinistes relatifs à l’Eucharistie. Voir aussi p. 682, sur les paroles sacramentelles.
Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2014, voir IV, ch. XI (éd. de 1664), p. 598-599, et I, ch. IV (éd. de 1683), p. 679 sq.
Lortie André, Traité de la sainte Cène… où sont examinées les nouvelles subtilités de Monsieur Arnauld, sur les paroles Ceci est mon corps, Saumur, R. Pena, 1675.
Jurieu Pierre, Le janséniste convaincu de vaine sophistiquerie ou l’examen des Réflexions de Monsieur Arnauld sur le préservatif contre le changement de religion, Amsterdam, M. Desbordes, 1683.
Elles savent que tout cela est faux.
Tout cela : les accusations que les ennemis de Port-Royal portent contre elles.
Elles s’offrent donc à Dieu en cet état :
Ce passage semble faire écho au commencement de la XIXe Provinciale inachevée, qui décrit l’état d’esprit des religieuses menacées de persécution. Voir Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 381-382.
« Si je vous ai donné quelque déplaisir par mes autres Lettres en manifestant l’innocence de ceux qu’il vous importait de noircir, je vous donnerai de la joie par celle-ci, en vous y faisant paraître la douleur dont vous les avez remplis. Consolez‑vous, mon Père, ceux que vous haïssez sont affligés. Et si MM. les évêques exécutent dans leurs diocèses les conseils que vous leur donnez de contraindre à jurer et à signer qu’on croit une chose de fait qu’il n’est pas véritable qu’on croie et qu’on n’est pas obligé de croire, vous réduirez vos adversaires dans la dernière tristesse de voir l’Église en cet état. Je les ai vus, mon Père, et je vous avoue que j’en ai eu une satisfaction extrême.
Je les ai vus non pas dans une générosité philosophique ou dans cette fermeté irrespectueuse qui fait suivre impérieusement ce qu’on croit être de son devoir ; non aussi dans cette lâcheté molle et timide qui empêche, ou de voir la vérité, ou de la suivre, mais dans une piété douce et solide, pleins de défiance d’eux‑mêmes, de respect pour les puissances de l’Église, d’amour pour la paix, de tendresse et de zèle pour la vérité, de désir de la connaître et de la défendre, de crainte pour leur infirmité, de regret d’être mis dans ces épreuves, et d’espérance néanmoins que Dieu daignera les y soutenir par sa lumière et par sa force, et que la grâce de Jésus‑Christ qu’ils soutiennent et pour laquelle ils souffrent, sera elle‑même leur lumière et leur force. Et j’ai vu enfin en eux le caractère de la piété chrétienne qui fait paraître une force...
Je les ai trouvés environnés des personnes de leur connaissance qui étaient aussi venues sur ce sujet pour les porter à ce qu’ils croyaient le meilleur dans l’état présent des choses. J’ai ouï les conseils qu’on leur a donnés ; j’ai remarqué la manière dont ils les ont reçus et les réponses qu’ils y ont faites. En vérité, mon Père, si vous aviez été présent, je crois que vous avoueriez vous‑même qu’il n’y a rien en tout leur procédé qui ne soit infiniment éloigné de l’air de révolte et d’hérésie, comme tout le monde pourra connaître par les tempéraments qu’ils ont apportés, et que vous allez voir ici, pour conserver tout ensemble ces deux choses qui leur sont infiniment chères, la paix et la vérité. »
Vide si via iniquitatis in me est.
Vide si via iniquitatis in me est, et deduc me in via aeterna : Psaume 138, 23. « Voyez si la voie de l’iniquité se trouve en moi, et conduisez-moi dans la voie qui est éternelle ».
Commentaire de Port-Royal : selon Saint Jean Chrysostome, « Dieu éprouvant ses serviteurs, non pour les connaître, mais pour les sauver, un juste tel qu’était David, ne doit jamais se lasser d’être éprouvé, ayant toujours lieu de craindre de ne pas se connaître assez. Le cœur de l’homme est un abîme que la seule lumière de Dieu peut sonder. Il est donc besoin que Dieu l’interroge très souvent, soit par les persécutions, soit par les tentations, soit par les différentes afflictions de la vie présente. Il faut qu’il voie, ou plutôt qu’il lui fasse voir, s’il ne se trouve point dans la voie par laquelle il marche ; s’il ne se trouve point engagé dans la voie de l’iniquité, sans qu’il y pense ; et s’il est vrai qu’il persévère dans celle de la piété. Car il y a, dit le Sage, une voie qui paraît juste à l’homme, et qui le conduit enfin à la mort. Or c’est par l’épreuve que le Seigneur lui fait découvrir quelles sont ses voies ; qu’il le redresse, s’il est dans l’égarement, et qu’il le conduit et l’affermit dans la voie éternelle, c’est-à-dire, dans la voie de la charité qui ne périra jamais, au lieu que la voie des pécheurs et des impies doit périr. Et iter impiorum peribit [Psaume I, 6]. »
Qu’arrive‑t‑il là‑dessus ? Ce lieu qu’on dit être le temple du diable, Dieu en fait son temple. On dit qu’il en faut ôter les enfants, Dieu les y guérit.
Il est essentiellement question ici des filles élevées par les religieuses. Mais les garçons instruits dans les Petites Écoles ont aussi été contraints de se disperser ou de retourner chez eux.
Jacqueline Pascal a composé un Règlement pour les enfants (1657), qui a été intégré aux Constitutions du monastère de Port-Royal. Voir le texte dans OC III, éd. J. Mesnard, p. 1139-1198.
Pillorget René et Suzanne, France baroque, France classique, I, Récit, Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 437 sq.
On dit qu’il en faut ôter les enfants : les enfants dont les religieuses et les solitaires de Port-Royal assuraient l’éducation ont été plusieurs fois enlevés ou dispersés. Voir sur ce sujet le livre de Delforge Frédéric, Les petites écoles de Port-Royal, 1637-1660, Paris, Cerf, 1985, sur la surveillance et les actions malveillantes que subissent les Petites Écoles. Dès juillet 1638, le groupe des Solitaires et les Petites Écoles doit se disperser. Antoine Le Maître et Séricourt pourront revenir aux Champs en août 1639. En mars 1656. Daubray visite Port-Royal des Champs, à Vaumurier, puis se déplace à Saint-Jean des Trous chez Du Gué de Bagnols, et le lendemain au Chesnay chez Bernières.
Voir Baudry de Saint-Gilles d’Asson Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008, p. 196 sq.
En mars 1660, Dreux d’Aubray reçoit l’ordre de se transporter à Port-Royal des Champs et autres lieux pour disperser les « assemblées ou séminaires ». Il visite le Chesnay le 12 mars, puis se rend aux Granges et à l’abbaye.
Voir Fontaine Nicolas, Mémoires ou histoire des solitaires de Port-Royal, éd. P. Thouvenin, Paris, Champion, 2001, p. 216.
Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, II, Desclée de Brouwer, Paris, 1965, p. 747. Conséquences sur la vie des Périer.
La dispersion définitive a lieu en 1660.
Voir le commentaire de Havet, t. II, 1866, p. 84-85, notamment pour la partie rhétorique.
On dit que c’est l’arsenal de l’enfer, Dieu en fait le sanctuaire de ses grâces. Enfin on les menace de toutes les fureurs et de toutes les vengeances du ciel, et Dieu les comble de ses faveurs.
L’arsenal de l’enfer : ce genre d’injure est caractéristique de la rhétorique polémique des jésuites. Voir ce que dit Pascal dans la XVe Provinciale sur les insultes du P. Brisacier.
Provinciale XV, 19. « Mes Révérends Pères, il n’y a plus moyen de reculer. Il faut passer pour des calomniateurs convaincus, et recourir à votre maxime, que cette sorte de calomnie n’est pas un crime. Ce Père a trouvé le secret de vous fermer la bouche ; c’est ainsi qu’il faut faire toutes les fois que vous accusez les gens sans preuves. On n’a qu’à répondre à chacun de vous comme le Père Capucin, mentiris impudentissime. Car que répondrait-on autre chose, quand votre Père Brisacier dit, par exemple, que ceux contre qui il écrit sont des portes d’enfer, des pontifes du diable, des gens déchus de la foi, de l’espérance et de la charité, qui bâtissent le trésor de l’Antéchrist ? Ce que je ne dis pas (ajoute-t-il) par forme d’injure, mais par la force de la vérité. S’amuserait-on à prouver qu’on n’est pas porte d’enfer, et qu’on ne bâtit pas le trésor de l’Antéchrist ? »
Arnauld Antoine, L’innocence et la vérité défendues contre le P. Brisacier, 1652, in Arnauld Antoine, Œuvres, XXXV, p. 112 sq. « Car vous ne vous souvenez-vous plus, mon Père, que vous nous accusez en un autre endroit de renoncer à ce que nous possédons pour bâtir le trésor de l’Antéchrist. »
Il faudrait avoir perdu le sens pour en conclure qu’elles sont donc en la voie de perdition.
On a sans doute les mêmes marques que saint Athanase.
La dernière phrase est une inscription en marge de gauche.
Sans doute : sans aucun doute.
Marques : marques d’orthodoxie. Sur la notion de marque, toujours importante chez Pascal, voir le commentaire de Miracles III (Laf. 870, Sel. 440).
GEF VII, p. 321, n. 1, Saint Athanase fut victime des Ariens.
Rubenstein Richard E., Le jour où Jésus devint Dieu. L’ « affaire Arius » ou la grande querelle sur la divinité du Christ au dernier siècle de l’empire romain, Paris, La découverte, 2004. ✍
Hanson R. P. C., The search of the christian doctrine of God. The arian controversy, 318-381, Grand Rapid, Michigan, Baker Academic, 2e éd., 2007. ✍
Le Maitre Antoine ou Pontchâteau (?), Réponse à un écrit publié sur le sujet des miracles qu’il a plu à Dieu de faire à Port-Royal depuis quelques temps par une sainte Épine de la couronne de Notre Seigneur, Paris, fin septembre 1656, p. 9. Pour prouver que les miracles servent à défendre et à dévoiler la vérité : « Dieu ne montra-t-il point qu’il était avec les catholiques contre les ariens, lorsque S. Athanase fit venir S. Antoine à Alexandrie pour confirmer la foi de l’Église par les miracles que Dieu en ferait par son entremise ? Et le peuple ne conclut-il pas fort bien que Dieu était dans l’Église catholique, où il faisait des miracles ; et que l’Esprit de vérité était parmi ceux parmi lesquels l’Esprit de la vertu et de la puissance de Dieu, qui n’est que le même, chassait les démons, et guérissait les malades. »
Pascal a parlé de saint Athanase dans Laf. 598, Sel. 495. Ce qui nous gâte pour comparer ce qui s’est passé autrefois dans l’église à ce qui s’y voit maintenant est que ordinairement on regarde saint Athanase, sainte Thérèse et les autres, comme couronnés de gloire et d’ans, jugés avant nous comme des dieux. À présent que le temps a éclairci les choses cela paraît ainsi, mais au temps où on le persécutait ce grand saint était un homme qui s’appelait Athanase et sainte Thérèse une fille. Élie était un homme comme nous et sujet aux mêmes passions que nous, dit saint Pierre pour désabuser les chrétiens de cette fausse idée, qui nous fait rejeter l’exemple des saints comme disproportionné à notre état. C’étaient des saints, disons-nous, ce n’est pas comme nous. Que se passait-il donc alors ? Saint Athanase était un homme appelé Athanase, accusé de plusieurs crimes, condamné en tel et tel concile pour tel et tel crime. Tous les évêques y consentent et le pape enfin. Que dit-on à ceux qui y résistent ? qu’ils troublent la paix, qu’ils font schisme, etc. Quatre sortes de personnes, zèle sans + science, science sans zèle, ni science ni zèle, et zèle et science. Les trois premiers le condamnent, les derniers l’absolvent et sont excommuniés de l’Église, et sauvent néanmoins l’Église. Zèle + lumière.
RO 406-5 (Laf. 964, Sel. 798). Saint Athanase, saint Chrysostome.
Arnauld Antoine, Apologie pour les religieuses de Port-Royal, Quatrième partie, Chapitre X, Œuvres, XXIII, p. 602 sq. Le cas d’Athanase comparé aux événements de Port-Royal.
Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 108 sq. ✍
Sur saint Athanase et ceux qui l’ont fait condamner, voir Arnauld Antoine, Seconde lettre à un duc et pair, p. 31 sq. ✍
Arnauld Antoine, Considérations sur ce qui s’est passé en l’Assemblée de la Faculté de Théologie de Paris, tenue en Sorbonne le . Novembre 1655 sur le sujet de la Seconde lettre de Monsieur Arnauld Docteur de Sorbonne, § XX, p. 14-15.
« Cette maxime si indubitable du droit naturel, que nul ne doit être jugé par ses parties & ses ennemis a été reconnue & observée de tout temps, aussi bien dans les jugements de l’Église, que dans ceux de la justice du siècle. C’est ce qu’il serait aisé de justifier par une infinité d’exemples. Mais nous nous contenterons d’en rapporter deux des plus célèbres, & de les confirmer par les décisions de deux grands Papes, qui font partie du droit canonique. Nous lisons dans Théodoret que des Évêques mal affectionnés à saint Athanase ayant persuadé à l’Empereur Constantin de faire assembler un Concile en Césarée de Palestine, pour y faire juger ce saint parce qu’ils savaient qu’il avait beaucoup d’ennemis en cette ville, ce Prince trompé par leurs artifices leur accorda ce qu’ils demandaient. Mais le divin Athanase, dit Théodoret, connaissant LA MAUVAISE VOLONTÉ DE SES JUGES ne se trouva point au Concile. Et l’Empereur en fit assembler un autre à Tyr jugeant que Césarée était suspecte à Athanase à cause d’Eusèbe qui en était l’Évêque. Ce qui est arrivé depuis à saint Chrysostome est encore plus remarquable. Théophile Patriarche d’Alexandrie l’ayant cité pour comparaître dans le Concile qu’il avait assemblé, & s’y justifier des crimes qu’on lui imposait, il lui répondit en ces termes : Si vous voulez que je vienne dans votre assemblée, pour répondre sur les faits dont on m’accuse, chassez-en premièrement mes ennemis déclarés ceux que je récuse comme suspects : Théophile, qu’on sait avoir dit & dans Alexandrie & dans la Licie : Qu’il s’en allait à la Cour pour déposer Jean : Comment donc celui qui s’est déclaré mon ennemi avant de m’entendre ne sera-t-il pas mon ennemi en me jugeant ? Je demande aussi qu’on rejette Acace, Sévérien, & Antioque. Si vous voulez que je vienne dans votre Concile, faites en sortir ces quatre personnes. Que s’ils se veulent porter accusateurs contre moi, qu’ils comparaissent en cette qualité, afin que je sache comme je dois procéder à ma défense, & qui sont ceux que je dois regarder comme mes parties, & ceux que je dois considérer comme mes juges. C’est tout ce que je vous puis dire, & je vous déclare, que quand vous enverriez mille fois vers moi, vous n’en rapporteriez jamais d’autre réponse. Ce saint ne dit pas que tous les Évêques du Concile fussent ses ennemis, il ne se plaint que de quatre, & il ne marque en particulier pour cause de sa récusation que des paroles qu’on leur avait ouï dire, qui témoignaient la mauvaise volonté qu’ils avaient contre lui. Et cependant il croit être bien fondé selon la loi de Dieu & les règles de l’Église, de ne se point soumettre au jugement de tous les autres, tant que ces quatre, qu’il ne considérait que comme ses parties, auraient rang parmi ses juges. Et aujourd’hui on voudrait que M. Arnauld, non seulement fût jugé par quatre Docteurs de la Communauté de Saint Sulpice, contre laquelle la lettre qu’on veut flétrir a principalement été faite, mais que les principaux de ses juges, c’est-à-dire les examinateurs de sa Lettre, dont on sait que dépend presque entièrement une censure, une grande partie des autres Docteurs ne faisant que suivre leur avis, soient les plus passionnés & les plus irréconciliables de ses ennemis. »
Pascal généralise cet exemple dans le Deuxième écrit des curés de Paris, § 19-20, in Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 426.
« Il est donc indubitable que les personnes qui prennent toujours ce prétexte de charité et de paix pour empêcher de crier contre ceux qui détruisent la vérité, témoignent qu’ils ne sont amis que d’une fausse paix, et qu’ils sont véritablement ennemis, et de la véritable paix, et de la vérité. Aussi c’est toujours sous ce prétexte de paix que les persécuteurs de l’Église ont voilé leurs plus horribles violences, et que les faux amis de la paix ont consenti à l’oppression des vérités de la Religion et des saints qui les ont défendues.
C’est ainsi que saint Athanase, saint Hilaire et d’autres saints évêques de leur temps ont été traités de rebelles, de factieux, d’opiniâtres, et d’ennemis de la paix et de l’union ; qu’ils ont été déposés, proscrits et abandonnés de presque tous les fidèles, qui prenaient pour un violement de la paix le zèle qu’ils avaient pour la vérité. C’est ainsi que le saint et fameux moine Étienne était accusé de troubler la tranquillité de l’Église par les trois cent trente évêques qui voulaient ôter les images des églises, ce qui était un point qui assurément n’était pas des plus importants pour le salut ; et néanmoins parce qu’on ne doit jamais relâcher les moindres vérités sous prétexte de la paix, ce saint religieux leur résista en face, et ce fut par ce sujet qu’il fut enfin condamné, comme on voit dans les Annales de Baronius ann. 754. »