Fragment Contrariétés n° 14 / 14 – Papier original : RO 257-257 v° et 261-261 v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Contrariétés n° 178 à 182 p. 47 v° à 52 / C2 : p. 69 à 74
Éditions de Port-Royal :
Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 158-164 et p. 171 / 1678 n° 1 p. 157-161, n° 4 p. 167-168
Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 36-37, 38-39 / 1678 n° 5 p. 39, n° 6 p. 39-40, n° 8 p. 40-41
Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 245 et p. 248-249 / 1678 n° 16 p. 237, n° 30 p. 241-242
Éditions savantes : Faugère II, 100, XXV / Havet VIII.1 / Michaut 536 / Brunschvicg 434 / Tourneur p. 199-2 / Le Guern 122 / Lafuma 131 / Sellier 164
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✧ Éclaircissements
Définitions du scepticisme et du dogmatisme Analyse du texte de RO 257 : Les principales forces des pyrrhoniens,... Analyse du texte de RO 258 (257 v°) : Voilà la guerre ouverte entre les hommes,... Analyse du texte de RO 261 : Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu,... Analyse du texte de RO 262 (261 v°) : D’où il paraît que Dieu, voulant nous rendre la difficulté de notre être inintelligible... (Texte barré verticalement)
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D’où il paraît que Dieu, pour se réserver à soi seul le droit de nous instruire de nous‑mêmes, voulant nous rendre la difficulté de notre être inintelligible à nous-mêmes, en a caché le nœud si haut ou pour mieux dire si bas, que nous étions bien incapables d’y arriver. De sorte que ce n’est pas par les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, que nous pouvons véritablement nous connaître.
Ces fondements solidement établis sur l’autorité inviolable de la religion nous font connaître qu’il y a deux vérités de foi également constantes : l’une que l’homme dans l’état de la création ou dans celui de la grâce est élevé au‑dessus de toute la nature, rendu comme semblable à Dieu et participant de la divinité. L’autre, qu’en l’état de la corruption et du péché il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes.
Ces deux propositions sont également fermes et certaines.
L’Écriture nous les déclare manifestement lorsqu’elle dit en quelques lieux : Deliciae meae esse cum filiis hominum.
Proverbes, VIII, 31 : « Ludens in orbe terrarum et deliciae meae esse cum filiis hominum ». Traduction de la Bible de Sacy : « me jouant dans le monde ; et mes délices sont d’être avec les enfants des hommes ».
Jansénius, Comment. in Proverb., in Pentateuchus, § 31, p. 414. Remarque sur la perfection du monde, suivie de : « Sed prae omnibus tamen operibus deliciae meae esse cum filiis hominum, opère scilicet praestantissimis divinitatis meae imagine, absolutissimeque omnium operum compendio, quem propterea ita in deliciis habui, ut proper eum carnem assumpserim ».
Effundam spiritum meum super omnem carnem.
Joël, II, 28 : « Et erit post haec effundam spiritum meum super omnem carnem et prophetabunt filii vestri et filiae vestrae senes vestri somnia somniabunt et iuvenes vestri visiones videbunt ». Traduction de la Bible de Sacy : « Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront ; vos vieillards seront instruits par des songes, et vos jeunes gens auront des visions ».
Voir le commentaire de Sacy sur Joël, II, 28, dans les Douze petits prophètes :
« Cette prophétie est l’une des plus claires et des plus indubitables de la loi nouvelle, le Saint Esprit ayant récité ces propres paroles par la bouche de saint Pierre en sa première prédication [Act. 2, v. 17], pour prouver aux Juifs que ce qu’ils voyaient arriver lorsqu’il descendit sur les apôtres et sur les disciples en forme de feu, et qu’il les fit parler diverses langues sans en avoir jamais appris aucune, avait été prédit clairement par ce prophète, près de huit cents ans avant Jésus-Christ.
Joël donc marque l’établissement de l’Église en disant que ses enfants seraient pleins de l’Esprit de Dieu et prophétiseraient : comme Moïse semble l’avoir eu dans l’esprit, lorsque reprenant Josué, qui le priait d’empêcher de prophétiser deux de ces septante-deux personnes qui devaient être sous Moïse les juges du peuple, il lui répondit avec autant de lumière que d’humilité [Numer. II, v. 19] : Pourquoi vous intéressez-vous pour mon honneur particulier ? plût à Dieu que tout le peuple prophétisât, et que Dieu leur donnât à tous son Esprit ?, marquant ainsi quinze cents ans auparavant ce qui est arrivé, lorsqu’à la naissance de l’Église tous les fidèles ont été remplis du Saint-Esprit.
Je répandrai, dit-il, mon Esprit, non plus comme autrefois sur quelques prophètes, qui paraissaient rarement et de temps en temps, mais sur toute chair, c’est-à-dire sur tous les hommes, Juifs ou Gentils, sans distinction de sexe, ni d’âge, ni de pays. C’est pourquoi il ajoute : Vos fils et vos filles prophétiseront. Car on voit dans les Actes, que plusieurs prophètes se trouvaient en même temps dans l’église d’Antioche [Act. II, v. 21]. Et il y en avait un si grand nombre dans celle de Corinthe, que saint Paul fut obligé de prescrire la manière en laquelle ils devaient prophétiser l’un après l’autre, pour ne point troubler l’ordre de l’Église [I Cor. 14. v. 29] Il est marqué aussi dans les Actes que les quatre filles de Philippe Diacre étaient prophétesses.
Vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards des songes, c’est-à-dire des visions divines et prophétiques qui arrivaient pendant la nuit. Nous voyons dans l’Écriture que Dieu instruit ses saints des secrets de l’avenir en deux manières, ou pendant le jour, en leur représentant dans leur imagination des objets sensibles, qui sont les figures des grandes vérités qu’il a dessein de leur découvrir ; et c’est de ce genre qu’ont été les visions d’Ézéchiel, et celles de saint Jean dans l’Apocalypse ; ou par des visions qu’il leur envoie en songe pendant la nuit, comme ont été celles du patriarche Joseph et de Jacob dans la Genèse, de saint Joseph époux de la Vierge dans l’Évangile, et de saint Paul dans les Actes [Act. 16, v. 9], lorsqu’un homme de Macédoine lui apparut en songe et lui dit : Passez en Macédoine, et venez nous secourir. »
Pascal se sert de ce texte en plusieurs endroits des Pensées :
Voir Preuves de J.-C. 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté. Effundam spiritum meum. Tous les peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité, les princes quittent leurs grandeurs, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? c’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue.
Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414). Car Dieu ayant dit dans ses prophètes, (qui sont indubitablement prophètes) que dans le règne de J.-C. il répandrait son esprit sur les nations et que les fils, les filles et les enfants de l’Église prophétiseraient il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux-là et qu’il n’est point sur les autres.
Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, Paris, Presses Universitaires de France, 1966, p. 29, indique que c’est le début de la première lecture du samedi des Quatre-Temps de la Pentecôte.
Dii estis. Etc.
Psaume LXXXI, 6 : « Ego dixi dii estis et filii Excelsi omnes ». Traduction de la Bible de Sacy : « J’ai dit : vous êtes des dieux, et vous êtes enfants du Très-Haut ».
Voir aussi Isaïe, XLI, 23 : « Adnuntiate quae ventura sunt in futurum et sciemus quia dii estis vos bene quoque aut male si potestis facite et loquamur et videamus simul ». Traduction de la Bible de Sacy : « Découvrez-nous ce qui doit arriver à l’avenir, et nous reconnaîtrons que vous êtes dieux ; faites du bien ou du mal si vous pouvez, afin que nous publiions votre puissance quand nous l’aurons vue ».
Voir aussi Jean, X, 34 : « Respondit eis Iesus nonne scriptum est in lege vestra quia ego dixi dii estis ». Traduction de la Bible de Sacy : « Jésus leur repartit : N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit que vous êtes des dieux ? »
Et qu’elle dit en d’autres : Omnis caro foenum.
Ecclésiastique, XIV, 18 : « omnis caro sicut faenum veterescit et sicut folium fructificans in arbore viridi ». Traduction de la Bible de Sacy : « Toute chair se fane comme l’herbe, et comme la feuille qui croît sur les arbres verts ».
Isaïe, XL, 6 : « Vox dicentis clama et dixi quid clamabo omnis caro faenum et omnis gloria eius quasi flos agri ». Traduction de la Bible de Sacy : « Une voix m’a dit : Criez. Et j’ai dit : Que crierai-je ? Toute chair n’est que de l’herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs ». Commentaire : « Toute chair n’est que de l’herbe : cette idée que donne ici le prophète de la fragilité de toutes les choses de la terre est si vive et si important » que saint Pierre et saint Jacques l’ont reprise, I Pet. I, 24 et Jacques, I, 11.
Saint Augustin, In Johannis Evangelium tractatus CXXIV, Tractatus VII, in Corpus christianorum, Series latina, XXXVI, Aurelii Augustini opera, Pars VIII, Turnhout, Brepols, 1954, p.
Homo assimilatus est jumentis insipientibus et similis factus est illis.
Psaumes XLVIII, 12 : « Et homo cum in honore esset non intellexit comparatus est iumentis insipientibus et similis factus est illis ». Traduction de la Bible de Sacy : « Et l’homme, tandis qu’il était élevé en honneur, ne l’a point compris. Il a été comparé aux bêtes qui n’ont aucune raison, et il leur est devenu semblable ». Voir aussi le verset 21, qui est identique.
Dixi in corde meo de filiis hominum. ‑ Eccl., 3.
Ecclésiaste, III, 18 : « Dixi in corde meo de filiis hominum ut probaret eos Deus et ostenderet similes esse bestiis ». Traduction de la Bible de Sacy : « J’ai dit en mon cœur, touchant les enfants des hommes, que Dieu les éprouve et qu’il fait voir qu’ils sont semblables aux bêtes ».
Par où il paraît clairement que l’homme par la grâce est rendu comme semblable à Dieu et participant de sa divinité, et que sans la grâce il est censé semblable aux bêtes brutes.