Fragment Contrariétés n° 14 / 14 – Papier original : RO 257-257 v° et 261-261 v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Contrariétés n° 178 à 182 p. 47 v° à 52 / C2 : p. 69 à 74
Éditions de Port-Royal :
Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 158-164 et p. 171 / 1678 n° 1 p. 157-161, n° 4 p. 167-168
Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 36-37, 38-39 / 1678 n° 5 p. 39, n° 6 p. 39-40, n° 8 p. 40-41
Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 245 et p. 248-249 / 1678 n° 16 p. 237, n° 30 p. 241-242
Éditions savantes : Faugère II, 100, XXV / Havet VIII.1 / Michaut 536 / Brunschvicg 434 / Tourneur p. 199-2 / Le Guern 122 / Lafuma 131 / Sellier 164
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✧ Éclaircissements
Définitions du scepticisme et du dogmatisme Analyse du texte de RO 257 : Les principales forces des pyrrhoniens,... Analyse du texte de RO 258 (257 v°) : Voilà la guerre ouverte entre les hommes,... Analyse du texte de RO 261 : Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu,... Analyse du texte de RO 262 (261 v°) : D’où il paraît que Dieu, voulant nous rendre la difficulté de notre être inintelligible...
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Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l’homme n’avait jamais été que corrompu, il n’aurait aucune idée ni de la vérité, ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s’il n’y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur et ne pouvons y arriver, nous sentons une image de la vérité et ne possédons que le mensonge, incapables d’ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus.
L’idée de corruption est nouvelle : elle répond à la doctrine du péché originel, dont Pascal n’a jusque là jamais fait mention. Elle introduit surtout une idée qui n’avait pas été envisagée, savoir que la nature a été corrompue, c’est-à-dire changée, autrement dit qu’il y a deux états différents de cette nature. Toutes les philosophies envisagées jusqu’à présent présupposaient que la nature de l’homme est unique, constante et qu’elle n’a jamais été changée. Avec le mot de corruption, avant même que Pascal ait expressément mentionné la doctrine du péché originel, s’impose l’idée que la nature de l’homme est double. Cette thèse nouvelle est affirmée par exemple dans le fragment A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182) : Vous n’êtes pas dans l’état de votre création.
Ces deux états étant ouverts il est impossible que vous ne les reconnaissiez pas.
Suivez vos mouvements. Observez-vous vous-même et voyez si vous n’y trouverez pas les caractères vivants de ces deux natures.
Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple ?
Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 239. Ce passage offre un double raisonnement apagogique (par l’absurde), qui aboutit à exclure deux hypothèses contraires et incompatibles entre lesquelles il n’y a pas de milieu. Pascal utilise ici un modèle de raisonnement courant chez les géomètres grecs, et que les mathématiciens modernes qui recourent à la méthode des indivisibles connaissent bien : la double réduction à l’absurde.
La méthode est présentée dans les Éléments d’Euclide, Livre X, ainsi que, sous une forme différente, dans les traités d’Archimède. Elle s’applique principalement aux quadratures, c’est-à-dire à l’évaluation des aires des figures irrégulières ou curvilignes par l’inscription et la circonscription de carrés, de rectangles ou d’autres figures similaires, de manière à approcher le plus exactement possible de la surface cherchée. Lorsque les géomètres anciens cherchent à quarrer une surface, c’est-à-dire en mesurer l’aire, ils la comparent avec une autre figure, dont ils supposent qu’elle diffère de la première d’une grandeur quelconque. Ils démontrent ensuite que la grandeur à mesurer ne peut être ni plus grande, ni plus petite que cette figure. Il en résulte qu’il faut remettre en cause l’hypothèse initiale, qu’il existe entre les deux figures une différence, autrement dit conclure qu’il n’y en a aucune, c’est-à-dire qu’elles sont égales. Par exemple, on construit deux surfaces U et V encadrant à la fois la surface A dont on cherche à déterminer l’aire et la surface S donnée, et telles que leur différence sera aussi petite qu’on voudra. On démontre ensuite par l’absurde que A est égale à S. Dans ce genre de raisonnement, la démonstration peut aboutir, parce qu’il existe un tiers parti : si une surface n’est ni plus grande, ni plus petite qu’une autre, elle doit lui être égale.
Dans le raisonnement de Pascal, la difficulté provient du fait qu’il n’existe apparemment pas de troisième possibilité. La démonstration est résumée dans le fragment Dossier de travail (Laf. 398, Sel. 17) : Les philosophes ne prescrivaient point des sentiments proportionnés aux deux états.
Ils inspiraient des mouvements de grandeur pure et ce n’est pas l’état de l’homme.
Ils inspiraient des mouvements de bassesse pure et ce n’est pas l’état de l’homme.
Il faut des mouvements de bassesse, non de nature, mais de pénitence non pour y demeurer mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur, non de mérite mais de grâce et après avoir passé par la bassesse.
On peut l’expliquer comme suit :
Hypothèse 1 : l’homme n’a jamais été corrompu. Cette hypothèse est une forme de la doctrine des pélagiens et des molinistes, selon laquelle la nature de l’homme n’a pas été affectée profondément par le péché originel, de sorte qu’elle est aujourd’hui à peu près semblable à son état d’innocence. Dans le domaine philosophique, ce serait une thèse proche du stoïcisme, qui suppose que l’homme est dans un état tel qu’il est toujours capable de vrai et de bien.
Conséquence : il jouirait de la vérité et de la félicité. C’est en effet ce que déclarent les stoïciens et, pour la connaissance du vrai, les cartésiens.
Objection : or le contraire a été établi par les premières liasses.
Hypothèse 2 : l’homme n’a jamais été que corrompu.
Conséquence : il n’aurait aucune idée de la félicité ni de la béatitude. Cet argument-là n’est pas immédiatement évident. Il suppose que la corruption est profonde, radicale et complète, de telle sorte que l’homme ne pourrait absolument rien connaître de la félicité. L’argument paraît pertinent, mais l’on ne voit pas bien comment on pourrait l’appuyer sur une démonstration convaincante. On peut supposer que Pascal pense à un principe du genre de ignoti nulla cupido : on ne peut pas désirer ce qu’on ignore. Si l’homme n’avait été que corrompu, il aurait des idées répondant à sa bassesse ; il n’en aurait aucune qui répondrait à un état différent, qui serait plus élevé que son état de corruption. À notre connaissance, il n’y a pas d’analyse critique sur ce point.
Objection : la liasse Grandeur a établi que l’homme recherche le vrai et le bien, et qu’il en a une idée confuse.
Conclusion : il faut que les deux hypothèses soient rejetées, et que l’on rejette le principe commun sur lequel elles reposent. On ne peut donc plus parler d’une essence unique de l’homme, et l’idée même d’essence se trouve disqualifiée. C’est donc toute la position initiale du problème qui doit être remise en question, à commencer par le postulat que la condition de l’homme ne comporte qu’un seul état, de grandeur ou de misère. Il faut envisager l’idée qu’il existe deux états différents de la nature de l’homme, ce qui implique qu’on la scinde d’une manière ou d’une autre. Pascal y parviendra grâce à l’idée du péché originel, qui permet de disjoindre en l’homme deux états ou deux aspects, correspondant l’un à l’homme tel qu’il était avant le péché, et l’autre à ce qu’il est devenu après le péché.
♦ Notion d’état
Lalande André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, art. État, p. 303 sq. Étymologiquement, état signifie station, par opposition au mouvement, et par suite détermination consistant en une manière d’être permanente ou au moins plus ou moins durable.
Problème : d’où Pascal tire-t-il ces raisons ?
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, A. Colin, 1970, p. 236 sq. Pascal pouvait trouver dans saint Augustin la notion et le terme d’état : voir Opus imperfectum contra Julianum, I, 96. Cependant, P. Sellier pense que c’est de Jansénius que Pascal s’est inspiré, dans la mesure où la notion d’état commande toute l’architecture de son Augustinus : les grandes parties y portent les titres de l’état de la nature innocente, d’état de la nature pure, et de l’état de la nature déchue. Pascal a repris cette idée dans le Traité de la prédestination et de la grâce, 3, Rédaction plus élaborée de la partie centrale, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 : « Saint Augustin distingue les deux états des hommes avant et après le péché et a deux sentiments convenables à ces deux états ». Le premier état est celui d’Adam à sa création, sans péché ni concupiscence, le second celui auquel le péché originel l’a réduit.
Cette notion d’état revient dans de nombreux fragments. Voir Transition 3 (Laf. 198, Sel. 229). Et sur cela j’admire comment on n’entre point en désespoir d’un si misérable état.
L’emploi le plus directement lié au présent fragment se trouve dans A P. R. 2 : Vous n’êtes pas dans l’état de votre création.
Ces deux états étant ouverts il est impossible que vous ne les reconnaissiez pas.
Suivez vos mouvements. Observez-vous vous-même et voyez si vous n’y trouverez pas les caractères vivants de ces deux natures.
Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple ?
L’argumentation de Pascal repose en effet sur l’idée qu’un sujet simple n’est pas susceptible de plusieurs états à la fois et sous le même aspect. D’où il conclut que la nature de l’homme n’est pas simple, et enferme deux états successifs, sain avant le péché originel, et corrompu après le péché originel.
♦ La doctrine du péché originel selon Pascal
Cette doctrine est clairement et brièvement expliquée dans l’un des Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination et de la grâce, 3, Rédaction plus élaborée de la partie centrale, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 sq :
« Doctrine de Saint Augustin
1. Saint Augustin distingue les deux états des hommes avant et après le péché et a deux sentiments convenables à ces deux états.
Avant le péché d’Adam.
2. Dieu a créé le premier homme, et en lui toute la nature humaine.
Il l’a créé juste, sain, fort.
Sans aucune concupiscence.
Avec le libre arbitre également flexible au bien et au mal.
Désirant sa béatitude, et ne pouvant pas ne pas la désirer.
3. Dieu n’a pu créer aucun des hommes avec la volonté absolue de les damner.
Dieu n’a pas créé les hommes avec la volonté absolue de les sauver.
Dieu a créé les hommes dans la volonté conditionnelle de les sauver tous généralement s’ils observaient ses préceptes.
Sinon, de disposer d’eux comme maître, c’est-à-dire de les damner ou de leur faire miséricorde suivant son bon plaisir.
4. L’homme innocent et sortant des mains de Dieu ne pouvait, quoique fort et sain et juste, observer les commandements sans grâce de Dieu.
Dieu ne pouvait avec justice imposer des préceptes à Adam et aux hommes innocents sans leur donner la grâce nécessaire pour les accomplir.
Si les hommes en leur création n’avaient eu une grâce suffisante et nécessaire pour accomplir les préceptes, ils n’auraient point péché en les transgressant.
5. Dieu donna à Adam une grâce suffisante, c’est-à-dire outre laquelle aucune autre n’était nécessaire pour accomplir les préceptes et demeurer dans la justice. Par le moyen de laquelle il pouvait persévérer ou ne persévérer pas, suivant son bon plaisir.
De sorte que son libre arbitre pouvait, comme maître de cette grâce suffisante, la rendre vaine ou efficace, suivant son bon plaisir.
Dieu laissa et permit au libre arbitre d’Adam le bon ou le mauvais usage de cette grâce.
6. Si Adam, par le moyen de cette grâce, eût persévéré, il eût mérité la gloire, c’est-à-dire d’être éternellement confirmé en grâce sans péril de pécher jamais : comme les bons Anges l’ont mérité par le mérite d’une grâce pareille.
Et chacun de ses descendants fût né dans la justice, et avec une grâce suffisante pareille à la sienne, par laquelle il eût pu ou persévérer, ou non, suivant son bon plaisir, et mériter, ou non, la gloire éternelle, comme Adam.
Adam tenté par le Diable succomba à la tentation, se révolta contre Dieu, enfreignit ses préceptes, voulut être indépendant de Dieu et égal à lui.
Après le péché d’Adam.
7. Adam, ayant péché et s’étant rendu digne de mort éternelle,
pour punition de sa rébellion,
Dieu l’a laissé dans l’amour de la créature.
Et sa volonté, laquelle auparavant n’était en aucune sorte attirée vers la créature par aucune concupiscence, s’est trouvée remplie de concupiscence que le Diable y a semée, et non pas Dieu.
8. La concupiscence s’est donc élevée dans ses membres et a chatouillé et délecté sa volonté dans le mal, et les ténèbres ont rempli son esprit de telle sorte que sa volonté, auparavant indifférente pour le bien et le mal, sans délectation ni chatouillement ni dans l’un ni dans l’autre, mais suivant, sans aucun appétit prévenant de sa part, ce qu’il connaissait de plus convenable à sa félicité, se trouve maintenant charmée par la concupiscence qui s’est élevée dans ses membres. Et son esprit très fort, très juste, très éclairé, est obscurci et dans l’ignorance.
9. Ce péché ayant passé d’Adam à toute sa postérité, qui fut corrompue en lui comme un fruit sortant d’une mauvaise semence, tous les hommes sortis d’Adam naissent dans l’ignorance, dans la concupiscence, coupables du péché d’Adam et dignes de la mort éternelle.
10. Le libre arbitre est demeuré flexible au bien et au mal ; mais avec cette différence, qu’au lieu qu’en Adam il n’avait aucun chatouillement au mal, et qu’il lui suffisait de connaître le bien pour s’y pouvoir porter, maintenant il a une suavité et une délectation si puissante dans le mal par la concupiscence qu’infailliblement il s’y porte de lui-même comme à son bien, et qu’il le choisit volontairement et très librement et avec joie comme l’objet où il sent sa béatitude.
11. Tous les hommes étant dans cette masse corrompue également dignes de la mort éternelle et de la colère de Dieu, Dieu pouvait avec justice les abandonner tous sans miséricorde à la damnation.
Et néanmoins il plaît à Dieu de choisir, élire et discerner de cette masse également corrompue, et où il ne voyait que de mauvais mérites, un nombre d’hommes de tout sexe, âges, conditions, complexions, de tous les pays, de tous les temps, et enfin de toutes sortes.
12. Que Dieu a discerné ses élus d’avec les autres par des raisons inconnues aux hommes et aux anges et par une pure miséricorde sans aucun mérite.
Que les élus de Dieu font une universalité, qui est tantôt appelée monde parce qu’ils sont répandus dans tout le monde, tantôt tous, parce qu’ils font une totalité, tantôt plusieurs, parce qu’ils sont plusieurs entre eux, tantôt peu, parce qu’ils sont peu à proportion de la totalité des délaissés.
Que les délaissés font une totalité qui est appelée monde, tous et plusieurs, et jamais peu.
Que Dieu, par une volonté absolue et irrévocable, a voulu sauver ses élus, par une bonté purement gratuite, et qu’il a abandonné les autres à leurs mauvais désirs où il pouvait avec justice abandonner tous les hommes.
13. Pour sauver ses élus, Dieu a envoyé Jésus-Christ pour satisfaire à sa justice, et pour mériter de sa miséricorde la grâce de Rédemption, la grâce médicinale, la grâce de Jésus-Christ, qui n’est autre chose qu’une suavité et une délectation dans la loi de Dieu, répandue dans le cœur par le Saint-Esprit, qui non seulement égalant, mais surpassant encore la concupiscence de la chair, remplit la volonté d’une plus grande délectation dans le bien, que la concupiscence ne lui en offre dans le mal, et qu’ainsi le libre arbitre, charmé par les douceurs et par les plaisirs que le Saint-Esprit lui inspire, plus que par les attraits du péché, choisit infailliblement lui-même la loi de Dieu par cette seule raison qu’il y trouve plus de satisfaction et qu’il y sent sa béatitude et sa félicité.
14. De sorte que ceux à qui il plaît à Dieu de donner cette grâce, se portent d’eux-mêmes par leur libre arbitre à préférer infailliblement Dieu à la créature. Et c’est pourquoi on dit indifféremment ou que le libre arbitre s’y porte de soi-même par le moyen de cette grâce, parce qu’en effet il s’y porte, ou que cette grâce y porte le libre arbitre, parce que toutes les fois qu’elle est donnée, le libre arbitre s’y porte infailliblement.
15. Et ceux à qui il plaît à Dieu de la donner jusqu’à la fin persévèrent infailliblement dans cette préférence, et ainsi choisissant jusqu’à la mort par leur propre volonté d’accomplir la loi plutôt que de la violer, parce qu’ils y sentent plus de satisfaction, ils méritent la gloire et par le secours de cette grâce qui a surmonté la concupiscence, et par leur propre choix et le mouvement de leur libre arbitre qui s’y est porté de soi-même volontairement et librement.
16. Et tous ceux à qui cette grâce n’est pas donnée, ou n’est pas donnée jusqu’à la fin, demeurent tellement chatouillés et charmés par leur concupiscence, qu’ils aiment mieux infailliblement pécher que ne pécher pas, par cette raison qu’ils y trouvent plus de satisfaction ;
Et ainsi, mourant en leurs péchés, méritent la mort éternelle, puisqu’ils ont choisi le mal par leur propre et libre volonté.
17. De sorte que les hommes sont sauvés ou damnés, suivant qu’il a plu à Dieu de les choisir pour leur donner cette grâce dans la masse corrompue des hommes, dans laquelle il pouvait avec justice les abandonner tous.
Tous les hommes étant également coupables de leur part, lorsque Dieu les a discernés. »
Chose étonnante cependant que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous‑mêmes !
Car il est sans doute qu’il n’y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d’y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très injuste. Car qu’y a‑t‑il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté pour un péché où il paraît avoir si peu de part qu’il est commis six mille ans avant qu’il fût en être. Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine.
Le Traité de la prédestination, dans les Écrits sur la grâce présente la conception augustinienne dans sa plus grande cohérence, en réduisant strictement la part du mystère. Pascal insiste sur la condition de l’homme en l’état d’innocence, capable de faire le bien ou le mal à son choix par la force de sa volonté, et bénéficiant d’une grâce suffisante lui permettant de réduire en acte ses volontés ; à ce stade, si l’homme avait choisi d’obéir à la volonté de Dieu, il aurait été confirmé dans la grâce. Pascal montre ensuite comment, tenté par le démon, Adam a voulu se faire centre du monde et usurper la place de Dieu, ce qui a entraîné sa chute et sa corruption. Il explique enfin comment et pourquoi la gravité de la blessure engendrée par le péché originel l’a laissé dans un état de faiblesse tel qu’il a besoin, pour résister à la concupiscence mauvaise, d’une grâce beaucoup plus forte que celle qu’il recevait à l’origine, que les augustiniens appellent la grâce efficace. Cette présentation comporte une part de théodicée, dans la mesure où elle montre comment dieu peut sauver les uns et damner les autres sans manquer à sa justice. La part du mystère ne réside pas dans le péché lui-même, mais, comme l’indique ce fragment, dans sa transmission des origines à l’humanité présente.
Plusieurs fragments insistent sur le caractère incompréhensible du péché originel. Pascal suit en cela saint Augustin, qui avoue qu’il n’y a rien de plus difficile à comprendre que le dogme du péché originel : voir sur ce point Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 252. Voir aussi les références suivantes :
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Saint Augustin, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, t. 23, p. 694 sq.
Saint Augustin, Opus imperf., II, 1987. « In illo peccaverunt omnes ».
Saint Augustin, La cité de Dieu, Livre XIII, sur la transmission de la dépravation originelle.
Laf . 809, Sel. 656. Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu’il ne soit pas, que l’âme soit avec le corps, que nous n’ayons point d’âme, que le monde soit créé, qu’il ne le soit pas, etc., que le péché originel soit et qu’il ne soit pas.
Mais cette incompréhensibilité a deux aspects. Le premier est une incompréhensibilité due au fait que l’idée en dépasse la raison : il a fallu la révélation par Dieu, par le moyen des Écritures, pour que l’homme puisse être instruit de la faute originelle et de la corruption qui en a résulté. Mais cette incompréhensibilité n’est pas complète, comme on vient de le voir.
En revanche, l’incompréhensibilité de la transmission de la corruption, jusque chez des enfants apparemment innocents, demeure réellement incompréhensible. C’est surtout en cela que réside le mystère du péché originel.
Cette argumentation de Pascal paraît avoir marqué les Messieurs de Port-Royal, comme en témoigne la Bible de Sacy. Lemaistre de Sacy tente de donner une idée de la transmission de la concupiscence par la comparaison avec les maladies héréditaires dans la note sur le sens spirituel du chapitre V de La Genèse, éd. Desprez, Paris, 1711, p. 248 sq. « Nous avons de la peine à comprendre comment la plaie de la concupiscence, dont Adam fut frappé au moment de sa révolte et qui comme une maladie contagieuse se répandit dans toutes les partis de son âme et de son corps, est passée dans ses enfants, et ensuite dans la succession de tous les hommes. Et cependant nous voyons tous les jours qu’il y a des maladies héréditaires qui passent des pères aux enfants » : p. 249. Il conclut en évoquant les Pensées de Pascal que la religion parvient à expliquer par là des faits dont les philosophies naturelles ne peuvent rendre compte. « C’est ce qui a fait dire à l’un des plus grands esprits de notre siècle que, de quelque obscurité que soit couvert le péché originel, ses effets néanmoins qui éclatent de toutes parts, lui rendent un témoignage si évident, que s’il est difficile de croire ce point de notre religion, il paraît encore plus difficile de ne le pas croire : puisque cette vérité est comme un flambeau qui éclaircit ce qu’il y a de plus inexplicable dans l’état présent où la nature humaine est réduite. Et qu’ainsi il est vrai de dire, à l’égard du péché originel : Que l’homme est plus incompréhensible sans ce mystère, que ce mystère n’est incompréhensible à l’homme » : p. 254-255. En marge : Pensées sur la Religion. Art. 3.
Sur le mystère de la transmission du péché, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 252 sq. Saint Augustin utilise l’image de la contagion pour parler de la transmission de la corruption. Il insiste sur le caractère incompréhensible de la transmission du péché. Il ne s’agit pas d’un pacte qui aurait établi Adam responsable pour tous ; le péché originel n’est pas une imputation juridique à tous de la faute d’un seul, mais une sorte de la contagion, à partir d’une souche mauvaise.
Lhermet J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 124 sq. Pascal avait eu maille à partir avec Saint-Ange sur la transmission mystérieuse du péché originel, qu’il expliquait de façon prétendument rationnelle, et en réalité quelque peu fantaisiste. Voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 389.
Il en résulte que
1. la connaissance du fait du péché est suffisante pour instruire l’homme de tout ce dont il a besoin dans sa condition présente pour faire son salut : voir Preuves par discours II (Laf. 431, Sel. 683) : Nous ne concevons ni l’état glorieux d’Adam, ni la nature de son péché, ni la transmission qui s’en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans l’état d’une nature toute différente de la nôtre et qui passent l’état de notre capacité présente.
Tout cela nous serait inutile à savoir pour en sortir ; et tout ce qu’il nous importe de connaître est que nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par Jésus‑Christ ; et c’est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre.
2. on ne peut pas reprocher à la religion chrétienne d’être incohérente, puisque, loin de dissimuler le mystère, elle pose en principe le caractère mystérieux de cette doctrine : voir Laf. 695, Sel. 574 : Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. L’argument sera repris dans le fragment “Infini rien” (l’argument du pari), Laf. 418, Sel. 680 : Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ; ils déclarent en l’exposant au monde que c’est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la prouvaient ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent pas de sens. Si bien que cette religion apparaît douée d’une sagesse supérieure : voir Laf. 695, Sel. 574 : Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapientius est hominibus. Car, sans cela, que dira-t-on qu’est l’homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s’en fût-il aperçu par sa raison, puisque c’est une chose contre sa raison, et que sa raison, bien loin de l’inventer par ses voies, s’en éloigne quand on le lui présente ?
six mille ans
La détermination de la date de la création du monde fait à l’époque l’objet d’intenses discussions.
Ferreyrolles Gérard, “L’influence de la conception augustinienne de l’histoire...”, XVIIe siècle, 135, p. 219. Il y a un consensus grossier des chronologistes pour indiquer à peu près 4 000 avant Jésus-Christ pour la date de la création du monde.
Mersenne Marin, Questions inouïes, Question XXIV, éd. Pessel, Corpus de philosophes en langue française, Fayard, p. 67. Peut-on savoir au vrai à quelle heure, à quel jour, en quel mois, et en quelle année le monde a commencé, et quand il finira ? Lapeyre est le dédicataire des Questions inouïes, que Mersenne appelle le Prince des chronologistes. Mersenne mentionne les travaux du jésuite Denis Petau sur la chronologie universelle.
Petau Denis, Opus de doctrina temporum, t. II, Paris, 1627, p. 517-518. Le monde a été créé le lundi 26 octobre 3984 avant Jésus-Christ à 9 heures. La Rationarii temporum pars secunda, Lib. secundus, ch. I, montre que l’année du Christ est l’an 3 984 du monde.
La chronologie que Sacy place en tête de sa traduction de la Genèse indique pour date de la création 4 004 avant Jésus-Christ.
On constate quelques divergences : le P. Pezron, en 1687, qui indique 5 500 avant Jésus-Christ.
Si l’on compte 4 004 ans entre la création et la naissance du Christ, et 1 660 pour l’époque à laquelle Pascal écrit les Pensées, on aboutit à un monde vieux de 5 664 ans. Pascal exagère donc à peine.
Ce calcul, et tous ceux qui lui ressemblent, seront évidemment remis en question à partir des travaux critiques de Richard Simon ou de Spinoza. Voir Poulouin Claudine, Le temps des origines. L’Eden, le déluge et « les temps reculés ». De Pascal à l’Encyclopédie, Paris, Champion, 1998.
♦ Comment la faute peut-elle corrompre des enfants apparemment innocents ?
La source de la doctrine sur la transmission du péché aux enfants se trouve dans saint Paul, Rom., 9, 11-13 : « Car avant qu’ils fussent nés, et avant qu’ils eussent fait aucun bien ni aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection éternelle, non à cause de leurs œuvres, mais à cause de l’appel et du choix de Dieu, il lui fut dit : l’aîné sera assujetti au plus jeune ; selon qu’il est écrit : J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Esaü. Que dirons-nous donc ? Est-ce qu’il y a en Dieu de l’injustice ? Dieu nous garde de cette pensée » (tr. Sacy). Elle est reprise dans Saint Augustin, Œuvres, La crise pélagienne, II, t. 22, Bibliothèque augustinienne, Paris, Desclée de Brouwer, 1975, p. 720. Voir la note p. 779 sq. et celle de la p. 791, Le baptême des enfants et le dogme du péché originel. Malgré le caractère choquant du dogme de la damnation des enfants morts sans baptême, leur exclusion du royaume de Dieu et de la vie éternelle s’impose de manière indispensable et s’explique par la présence du péché originel dans l’âme : p. 784 sq.
Hurter Hugo, Theologia dogmatica, III, p. 594 sq., De aeterna infantium sine baptismo decedentium conditione. Dogma est fidei catholicae baptismum re vel voto susceptum necessarium esse omnibus ad salutem consequandam : hinc qui illo carent, excidere salute : p. 594.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 252 sq. Le mystère de la transmission du péché. Voir p. 271-272. La sagesse du jugement de Dieu sur ce point demeure cachée en cette vie, sur le destin des enfants morts sans baptême. Saint Augustin écrit qu’après la mort, l’homme comprendra : voir Enchiridion, 95, « Tunc non latebit quid nunc latet, cum de duobus parvulis unus esset assumendus per misericordiam, alius per judicium relinquendus. »
Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique, III, XV, éd. D. Descotes, p. 414 sq., évoquent la preuve en forme du péché originel par les misères des enfants de saint Augustin, Contre Julianum, V, XVI, cité p. 229.
Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, p. 96 sq. Les enfants sont pécheurs, et ceux qui meurent sans baptême sont damnés. Le contraire est pour saint Augustin une hérésie pélagienne.
Arnauld Antoine, Apologie pour les saints pères, in Œuvres, XVIII, Livre III, ch. VIII, Que l’exemple des enfants qui ne peuvent être baptisés est une preuve invincible, selon les SS Pères, que Dieu ne veut pas le salut de tous les hommes sans exception, et que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous, au sens des semipélagiens et de ces nouveaux docteurs (sc. les molinistes), p. 201-209, développe la portée de ce point contre M. Le Moyne.
Il existe un ouvrage janséniste expressément consacré à ce problème : Conroy Florence, Tractatus de statu parvulorum sine baptismo decedentium ex hac vita, juxta sensum B. Augustini, compostus a F. Florentino Conrio, Lovani, ex officina H. Hastenii, 1624, XX-292 p. (BN : D 7119). Voir Sainte-Beuve, Port-Royal, I, t. 1, Pléiade, p. 326, sur cet ouvrage imprimé à la suite de l’Augustinus. Pascal connaît Conrius ; il cite le Peregrinus Jerichuntinus, mais c’est sans doute d’après Arnauld, et il serait imprudent d’en conclure une parenté de pensée.
Et cependant, sans ce mystère le plus incompréhensible de tous nous sommes incompréhensibles à nous‑mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère, que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.
Cousin Victor, Rapport à l’Académie, in Œuvres de M. Victor Cousin, Quatrième série, Littérature, tome I, Paris, Pagnerre, 1849, p. 171. Critique de la version de Port-Royal. Avantage de l’expression familière de Pascal.
Voltaire s’en est vertement pris à ce mode de raisonnement, qui selon lui revient à expliquer l’inexplicable par le plus inexplicable.
Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, III, éd. O. Ferret et A. McKenna, p. 165-166.
« Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses retours et ses plis dans l’abîme du péché originel, de sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.
Est-ce raisonner que de dire : L’homme est inconcevable sans ce mystère inconcevable. Pourquoi vouloir aller plus loin que l’Écriture ? N’y a-t-il pas de la témérité à croire qu’elle a besoin d’appui, et que ces idées philosophiques peuvent lui en donner ?
Qu’aurait répondu M. Pascal à un homme qui lui aurait dit : « Je sais que le mystère du péché originel est l’objet de ma foi et non de ma raison. Je conçois fort bien sans mystère ce que c’est que l’homme ; je vois qu’il vient au monde comme les autres animaux ; que l’accouchement des mères est plus douloureux à mesure qu’elles sont plus délicates ; que quelquefois des femmes et des animaux femelles meurent dans l’enfantement ; qu’il y a quelquefois des enfants mal organisés qui vivent privés d’un ou deux sens et de la faculté du raisonnement ; que ceux qui sont le mieux organisés sont ceux qui ont les passions les plus vives ; que l’amour de soi-même est égal chez tous les hommes, et qu’il leur est aussi nécessaire que les cinq sens ; que cet amour-propre nous est donné de Dieu pour la conservation de notre être, et qu’il nous a donné la religion pour régler cet amour-propre ; que nos idées sont justes ou inconséquentes, obscures ou lumineuses, selon que nos organes sont plus ou moins solides, plus ou moins et selon que nous sommes plus ou moins passionnés ; que nous dépendons en tout de l’air qui nous environne, des aliments que nous prenons, et que, dans tout cela, il n’y a rien de contradictoire. L’homme n’est point une énigme, comme vous vous le figurez, pour avoir le plaisir de la deviner. L’homme paraît être à sa place dans la nature, supérieur aux animaux, auxquels il est semblable par les organes, inférieur à d’autres êtres, auxquels il ressemble probablement par la pensée. Il est, comme tout ce que nous voyons, mêlé de mal et de bien, de plaisir et de peine. Il est pourvu de passions pour agir, et de raison pour gouverner ses actions. Si l’homme était parfait, il serait Dieu, et ces prétendues contrariétés, que vous appelez contradictions, sont les ingrédients nécessaires qui entrent dans le composé de l’homme, qui est ce qu’il doit être. »
Voir aussi Voltaire, Lettres philosophiques, éd. Naves, Garnier, 1964, p. 268. Addition : « c’est bien assez de ne rien entendre à notre origine sans l’expliquer par une chose qu’on n’entend pas. Nous ignorons comment l’homme naît, comment il croît, comment il digère, comment il pense, comment ses membres obéissent à sa volonté. Serai-je bien reçu à expliquer ces obscurités par un système inintelligible ? Ne vaut-il pas mieux dire : je ne sais rien ? Un mystère ne fut jamais une explication, c’est une chose divine et inexplicable ».
La réponse est venue d’un ministre à Amsterdam, David Renaud Boullier (1699-1759), dans un ouvrage intitulé Apologie de la métaphysique, à l’occasion du Discours préliminaire de l’Encyclopédie, avec Les sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. de Voltaire, Amsterdam, Jean Catuffe, 1753, § III, p. 33-34 : il soutient contre Voltaire que « quand on dit que l’homme est plus inconcevable sans le mystère du péché originel, que ce mystère n’est inconcevable à l’homme, on ne dit pas que ce soit précisément ce qu’il y a d’obscur dans la manière dont le péché s’est transmis d’Adam à ses descendants qui nous explique les contradictions apparentes, et ce contraste de grandeur et de misère qui se voit dans l’homme. Non, ce qui éclaircit l’énigme, c’est le fait de la chute de l’homme et des suites de cette chute. Ce fait qui nous est clairement révélé, est en même temps l’objet de notre foi, puisque l’Écriture nous le révèle, et que c’est un mystère que dans elle nous n’aurions jamais deviné. De plus, il renferme de profondes obscurités, puisque nous en ignorons la manière ; cependant il donne le dénouement d’une énigme qui échappait à toute la sagacité des philosophes ». De sorte que le discours de Voltaire sur ce passage « est un discours en l’air, qui ne frappe point au but. ».
Mais l’argumentation de Pascal a heurté des auteurs plus récents, comme Chevalier Jacques, Pascal, Paris, Plon, 1922, p. 197 sq., qui estime que Pascal exagère ce qu’il y a de choquant dans le péché originel ; voir p. 198, n. 1.
Quant à Lacombe Roger-E., L’apologétique de Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1958, p. 195, il estime que l’argument selon lequel l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que le mystère même est une affirmation arbitraire inacceptable, alors la transmission du péché à tous les hommes choque gravement l’incrédule.
Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal considéré dans le livre des Pensées, p. 240, cite deux lettres où Sacy rassure un pénitent épouvanté par le dogme du péché, Lettres de M. de Saci, t. II, LXXXV et LXXXIV, p. 329 et 326 : « Je ne m’étonne pas que la vue du péché originel vous épouvante. C’est un abîme qui a épouvanté tous les Saints et saint Paul même, le plus éclairé de tous ; mais il faut se retirer dans l’asile de la foi et dans la fermeté immuable de la parole de Dieu, sans nous laisser aller à l’inconstance de l’esprit humain, qui est à soi-même une source continuelle de difficultés et d’embarras... Il faut donc prendre plaisir de soumettre en cela la petitesse de notre esprit à la grandeur de Dieu, à la certitude de notre foi, et à l’immobilité de la pierre sur laquelle l’Église est établie. »
Pascal ne cherche pas à diminuer ce que la doctrine chrétienne du péché originel peut avoir d’incompréhensible. Il répondra par le principe que tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être, établi dans A P. R. 2, auquel il faut ici renvoyer.