Fragment Contrariétés n° 14 / 14 – Papier original : RO 257-257 v° et 261-261 v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Contrariétés n° 178 à 182 p. 47 v° à 52 / C2 : p. 69 à 74
Éditions de Port-Royal :
Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 158-164 et p. 171 / 1678 n° 1 p. 157-161, n° 4 p. 167-168
Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 36-37, 38-39 / 1678 n° 5 p. 39, n° 6 p. 39-40, n° 8 p. 40-41
Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 245 et p. 248-249 / 1678 n° 16 p. 237, n° 30 p. 241-242
Éditions savantes : Faugère II, 100, XXV / Havet VIII.1 / Michaut 536 / Brunschvicg 434 / Tourneur p. 199-2 / Le Guern 122 / Lafuma 131 / Sellier 164
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✧ Éclaircissements
Bibliographie Définitions du scepticisme et du dogmatisme Analyse du texte de RO 257 : Les principales forces des pyrrhoniens,... Analyse du texte de RO 258 (257 v°) : Voilà la guerre ouverte entre les hommes,... Analyse du texte de RO 261 : Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu,... Analyse du texte de RO 262 (261 v°) : D’où il paraît que Dieu, voulant nous rendre la difficulté de notre être inintelligible...
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Bibliographie ✍
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Définitions du dogmatisme et du scepticisme
♦ Dogmatisme
Lalande André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 245 sq. Dogmatisme : primitivement, toute philosophie qui affirme certaines vérités et s’oppose ainsi au scepticisme. Kant donnera un autre sens au mot, pour l’opposer au criticisme. Dogmatique : qui présente le caractère du dogmatisme ; le mot s’emploie souvent au pluriel : les dogmatiques. Dogmatiste est une forme devenue rare.
Dogmatique, dogmatiste : Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal dans les fragments pour une apologie, p. 65.
Pour Pascal, le modèle du dogmatique est évidemment Descartes, qu’il surnomme non sans ironie le « docteur de la raison ».
♦ Scepticisme
Lalande André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, éd., Paris, Presses Universitaires de France, 12e, 1976, p. 949 sq. Au sens le plus large, doctrine d’après laquelle l’esprit humain ne peut atteindre avec certitude aucune vérité d’ordre général et spéculatif, ni même l’assurance qu’une proposition de ce genre n’est plus probable qu’une autre. Désigne par extension une tournure d’esprit caractérisée non par le doute proprement dit, mais par l’incrédulité et par une tendance à se défier des maximes morales dont les hommes font profession.
Voir aussi la définition donnée dans Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, éd. P. Pellegrin, voir la note de la p. 554. Avant que les sceptiques ne l’utilisent, le terme désignait la perception visuelle d’une chose, puis l’examen ou la réflexion, avec une nuance d’insistance et de minutie ; la skepsis n’est pas un corps de doctrine, mais une activité d’examen. En un sens, tous les philosophes sont donc sceptiques, mais les vrais sceptiques, selon Sextus Empiricus, sont ceux qui se réclament de la voie issue de Pyrrhon, se définissant comme « ceux qui continuent à chercher ». Voir ce qu’écrit Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, I, p. 55. Le sceptique se définit comme un chercheur. Le scepticisme, c’est la « faculté de mettre face à face les choses qui apparaissent aussi bien que celles qui sont pensées, de quelque manière que ce soit, capacité par laquelle, du fait de la force égale qu’il y a dans les objets et les raisonnements opposés, nous arrivons d’abord à la suspension de l’assentiment, et après cela la tranquillité. »
Giocanti Sylvia, Penser l’irrésolution..., p. 11. De manière générale, le sceptique n’a pas de théorie sur le scepticisme à proférer ; sa philosophie est par définition opposée à toute élaboration dogmatique. L’essentiel du scepticisme est dans sa pratique : p. 12.
Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, IX, 102 sq., éd. Goulet-Cazé, La Pochothèque, Paris, Librairie générale française, 1999, p. 1134 sq. Résumé des doctrines et des argumentations des sceptiques.
Descartes René, Discours de la méthode, III, AT VI, p. 28-29, Alquié I, p. 599, et Discours..., éd. Gilson, Paris, Vrin, 6e éd., 1987, p. 267.
Le scepticisme grec effectue à la Renaissance et au XVIIe siècle un important retour, dont Montaigne est l’exemple le plus brillant. L’histoire du scepticisme à l’époque moderne est étudiée dans quelques ouvrages récents de Richard Popkin, Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, et Sylvia Giocanti, Penser l’irrésolution, et un recueil d’études dirigé par Pierre-François Moreau, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle. Le retour des philosophies antiques à l’âge classique (voir la bibliographie).
Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, I, éd. P. Pellegrin, p. 53, distingue trois catégories de philosophes : les dogmatiques sont d’un côté, qui affirment que l’homme est susceptible d’atteindre des connaissances certaines ; les sceptiques sont de l’autre, mais ils sont divisés en deux sectes, les académiciens d’une part, et les pyrrhoniens de l’autre. Cette classification s’est imposée : elle est reprise par Pascal dans les Pensées, et par Antoine Arnauld et Pierre Nicole dans La logique ou l’art de penser.
♦ Académiciens
Académiste : Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal dans les fragments pour une apologie, p. 48. Mot de facture récente. On ne trouve académiste qu’une fois dans les Pensées.
L’Académie est le nom que porte l’école philosophique de Platon. Après sa mort, elle s’est progressivement orientée vers le scepticisme, sans toutefois tomber dans sa forme radicale qu’est le pyrrhonisme. Ses principaux maîtres ont été Arcésilas et Carnéade de Cyrène. Voir Rivaud Albert, Histoire de la philosophie, I, De origines à la scolastique, Paris, Presses Universitaires de France, 1948, p. 410 sq., et Canto-Sperber Monique (dir.), Philosophie grecque, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 563 sq.
Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 121. La doctrine académicienne est une hérésie du pyrrhonisme : p. 165. Sur les académiciens et les pyrrhoniens dans le fragment Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141), voir p. 123 sq. et p. 164.
Comme l’indiquent Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La Logique ou l’art de penser, Discours I, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 134, les Académiciens avouent qu’il y a des choses plus vraisemblables que les autres, alors que les Pyrrhoniens considèrent que toute opinion est douteuse.
Cette distinction entre académiciens d’une part et pyrrhoniens de l’autre est ancienne : voir Long et Sedley, Les philosophes hellénistiques, III, Les Académiciens. La renaissance du pyrrhonisme, Flammarion, Paris, 2001, p. 62 sq. Photius, Bibliothèque : « Dans le premier discours, (Enésidème) marque la différence entre les Pyrrhoniens et les Académiciens en s’exprimant à peu de chose près dans les termes suivants : les partisans de l’Académie sont dogmatiques en ce qu’ils posent certaines choses sans hésitation et en rejettent certaines autres sans ambiguïté. Les Pyrrhoniens au contraire, sont aporétiques et libérés de tout dogme, et aucun d’eux n’a dit que toutes choses sont tout à fait insaisissables, ni qu’elles sont saisissables, mais ils disent tous qu’elles ne sont pas plus de telle sorte que de telle autre, ou que parfois elles sont de telle sorte et parfois non, ou que pour l’un elles sont ainsi, pour un autre non ainsi, et pour un autre encore totalement inexistantes ». Voir aussi p. 63 : les Académiciens sont « dogmatiques sur beaucoup de points : en effet, ils introduisent la vertu et la folie, ils posent le bien et le mal, la vérité et la fausseté, le convaincant et le non convaincant, l’existant et le non existant ; ils définissent fermement beaucoup d’autres choses, et ils disent ne se séparer des Stoïciens que sur l’impression cognitive ». Les Pyrrhoniens au contraire, maintenant l’aporie sur toute thèse proposée, observent complètement la cohérence et n’entrent pas en contradiction avec eux-mêmes, alors que les Académiciens n’ont pas eu conscience qu’ils entraient en contradiction avec eux-mêmes.
On retrouve la même idée dans un passage de Montaigne, Essais, III, XII, Apologie de Raymond Sebond, éd. J. Balsamo et alii, p. 595, que la Logique de Port-Royal a cité : « Les académiciens recevaient quelque inclination de jugement, et trouvaient trop cru de dire qu’il n’était pas plus vraisemblable que la neige fût blanche, que noire ; et que nous ne fussions non plus assurés du mouvement d’une pierre, qui part de notre main, que de celui de la huitième sphère. Et pour éviter cette difficulté et étrangeté, qui ne peut à la vérité loger en notre imagination que malaisément, quoi qu’ils établissent que nous n’étions aucunement capables de savoir, et que la vérité est engouffrée dans des profonds abîmes, où la vue humaine ne peut pénétrer, si avouaient-ils les unes choses plus vraisemblables que les autres ; et recevaient en leur jugement cette faculté, de se pouvoir incliner plutôt à une apparence, qu’à une autre. Ils lui permettaient cette propension, lui défendant toute résolution. L’avis des pyrrhoniens est plus hardi, et quant et quant plus vraisemblable. »
♦ Pyrrhoniens
Sur le philosophe Pyrrhon, voir Long et Sedley, Les philosophies hellénistiques, I, p. 37 sq. ; Canto-Sperber Monique (dir.), Philosophie grecque, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 463 sq. Pour approfondir sa philosophie, lire l’étude de Conche Marcel, Pyrrhon ou l’apparence, Paris, Presses Universitaires de France, 1994.
Popkin Richard, Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, Paris, PUF, 1995, p. 109 sq. L’influence du nouveau pyrrhonisme au XVIIe siècle.
Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La Logique, Discours I, éd. D. Descotes, p. 134-135. Les auteurs de la Logique se sont certainement inspirés de Pascal dans la rédaction de leur ouvrage, particulièrement dans les passages où ils tentent de réfuter les sceptiques. Ils reprennent en plusieurs endroits la distinction que fait Pascal, après Montaigne, entre les sceptiques modérés que sont les Académiciens, et les radicaux qui suivent Pyrrhon. Les Pyrrhoniens nient qu’il y ait des choses plus vraisemblables que les autres, alors que les Académiciens pensent que c’est le cas. Les auteurs de la Logique sont sévères à l’égard des premiers : ils soutiennent que si le scepticisme radical est soutenable en paroles, il ne l’est pas dans le for intérieur. L’impossibilité de soutenir de bonne foi un scepticisme radical qui rend la vie pratique impossible se trouve chez Diogène Laërce, Vies, IX, 104 sq., éd. Goulet-Cazé, p. 1135. Elle est reprise en ces termes : « Personne ne douta jamais sérieusement s’il y a une Terre, un Soleil et une Lune, ni si le tout est plus grand que sa partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu’on en doute, parce que l’on peut mentir ; mais on ne le peut pas faire dire à son esprit. Ainsi le pyrrhonisme n’est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu’ils disent ; mais c’est une secte de menteurs. Aussi se contredisent-ils souvent en parlant de leur opinion, leur cœur ne pouvant s’accorder avec leur langue, comme on le peut voir dans Montaigne, qui a tâché de le renouveler au dernier siècle. Car après avoir dit que les Académiciens étaient différents des pyrrhoniens, en ce que les Académiciens avouaient qu’il y avait des choses plus vraisemblables que les autres, ce que les pyrrhoniens ne voulaient pas reconnaître, il se déclare pour les pyrrhoniens en ces termes : L’avis, dit-il, des pyrrhoniens est plus hardi, et quant et quant plus vraisemblable. Il y a donc des choses plus vraisemblables que les autres : et ce n’est point pour faire une pointe qu’il parle ainsi, ce sont des paroles qui lui sont échappées sans y penser, et qui naissent du fond de la nature, que le mensonge des opinions ne peut étouffer. » Voir aussi IV, ch. I, éd. D. Descotes, p. 507-508 :
« Il s’est trouvé des philosophes qui ont fait profession de le nier, et qui ont même établi sur ce fondement toute leur philosophie, et entre ces philosophes, les uns se sont contentés de nier la certitude, en admettant la vraisemblance, et ce sont les nouveaux académiciens : les autres qui sont les pyrrhoniens, ont même nié cette vraisemblance, et ont prétendu que toutes choses étaient également obscures et incertaines.
Mais la vérité est que toutes ces opinions qui ont fait tant de bruit dans le monde, n’ont jamais subsisté que dans des discours, des disputes, ou des écrits, et que personne n’en a jamais été sérieusement persuadé, c’étaient des jeux et des amusements de personnes oisives et ingénieuses ; mais ce ne furent jamais des sentiments dont ils fussent intérieurement pénétrés, et par lesquels ils voulussent se conduire ; c’est pourquoi le meilleur moyen de convaincre ces philosophes, était de les rappeler à leur conscience, et à la bonne foi, et de leur demander après tous ces discours, par lesquels ils s’efforçaient de montrer qu’on ne peut distinguer le sommeil de la veille, ni la folie du bon sens, s’ils n’étaient pas persuadés malgré toutes leurs raisons, qu’ils ne dormaient pas, et qu’ils avaient l’esprit sain ; et s’ils eussent eu quelque sincérité, ils auraient démenti toutes leurs vaines subtilités, en avouant franchement qu’ils ne pouvaient pas ne point croire toutes ces choses quand ils l’eussent voulu. »
Pascal ne s’exprime pas en termes aussi sévères, mais lorsqu’il écrit que la nature empêche de pousser le doute jusqu’à l’extrême radicalité, le sens est à peu près le même.
Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986, p. 120 sq. Sur Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141), sur les académiciens et les pyrrhoniens dans ce fragment, et le rôle du pyrrhonisme dans l’apologétique de Pascal, voir p. 123 sq. et p. 164 sq. Pascal ne semble pas connaître Sextus Empiricus, ni les Académiques de Cicéron. Sa véritable source d’inspiration dans ce domaine est Montaigne, qu’il estime être un pur pyrrhonien.
Pascal donne un résumé de la philosophie pyrrhonienne radicale dans son exposé sur Montaigne de l’Entretien avec Monsieur de Sacy. Voir l’édition de P. Mengotti et J. Mesnard, Desclée de Brouwer, 1994, p. 99-110 :
« Pour Montaigne, dont vous voulez aussi, Monsieur, que je vous parle, étant né dans un État chrétien, il fait profession de la religion catholique, et en cela il n’a rien de particulier. Mais comme il a voulu chercher quelle morale la raison devrait dicter sans la lumière de la foi, il a pris ses principes dans cette supposition ; et ainsi, en considérant l’homme destitué de toute révélation, il discourt en cette sorte.
Il met toutes choses dans un doute universel, et si général que ce doute s’emporte soi-même, c’est-à-dire qu’il doute s’il doute, et doutant même de cette dernière supposition, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos ; s’opposant également à ceux qui assurent que tout est incertain et à ceux qui assurent que tout ne l’est pas, parce qu’il ne veut rien assurer.
C’est dans ce doute qui doute de soi et dans cette ignorance qui s’ignore, et qu’il appelle sa maîtresse forme, qu’est l’essence de son opinion, qu’il n’a pu exprimer par aucuns termes positifs. Car, s’il dit qu’il doute, il se trahit en assurant au moins qu’il doute ; ce qui étant formellement contre son intention, il n’a pu s’expliquer que par interrogation ; de sorte que, ne voulant pas dire : « Je ne sais », il dit : « Que sais-je ? » dont il fait sa devise, en la mettant sous des balances qui, pesant les contradictoires, les trouvent dans un parfait équilibre : c’est-à-dire qu’il est pur pyrrhonien.
Sur ce principe roulent tous ses discours et tous ses Essais ; et c’est la seule chose qu’il prétend y établir, quoiqu’il ne fasse pas toujours remarquer son intention. Il y détruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour établir le contraire avec une certitude de laquelle seule il est ennemi, mais pour faire voir seulement que, les apparences étant égales de part et d’autre, on ne sait où asseoir sa créance.
Dans cet esprit il se moque de toutes les assurances. Par exemple, il combat ceux qui ont pensé établir dans la France un grand remède contre les procès par la multitude et par la prétendue justesse des lois : comme si l’on pouvait couper les racines des doutes d’où naissent les procès, et qu’il y eût des digues qui pussent arrêter le torrent de l’incertitude et captiver les conjectures ! C’est là que, quand il dit qu’il vaudrait autant soumettre sa cause au premier passant qu’à des juges armés de ce nombre d’ordonnances, il ne prétend pas qu’on doive changer l’ordre de l’État, il n’a pas tant d’ambition ; ni que son avis soit meilleur, il n’en croit aucun de bon. C’est seulement pour prouver la vanité des opinions les plus reçues ; montrant que l’exclusion de toutes lois diminuerait plutôt le nombre des différends que cette multitude qui ne sert qu’à l’augmenter, parce que les difficultés croissent à mesure qu’on les pèse, que les obscurités se multiplient par les commentaires, et que le plus sûr moyen pour entendre le sens d’un discours est de ne le pas examiner et de le prendre sur la première apparence : si peu qu’on l’observe, toute la clarté se dissipe.
Aussi il juge à l’aventure de toutes les actions des hommes et des points d’histoire, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, suivant librement sa première vue, et sans contraindre sa pensée sous les règles de la raison, qui n’a que de fausses mesures ; ravi de montrer par son exemple les contrariétés d’un même esprit.
Dans ce génie tout libre, il lui est entièrement égal de l’emporter ou non dans la dispute, ayant toujours, par l’un et l’autre exemple, un moyen de faire voir la faiblesse des opinions ; étant posté avec tant d’avantage dans ce doute universel qu’il s’y fortifie également par son triomphe et par sa défaite.
C’est dans cette assiette, toute flottante et chancelante qu’elle est, qu’il combat avec une fermeté invincible les hérétiques de son temps, sur ce qu’ils s’assuraient de connaître seuls le véritable sens de l’Écriture ; et c’est de là encore qu’il foudroie plus vigoureusement l’impiété horrible de ceux qui osent assurer que Dieu n’est point.
Il les entreprend particulièrement dans l’Apologie de Raymond de Sebonde ; et les trouvant dépouillés volontairement de toute révélation, et abandonnés à leurs lumières naturelles, toute foi mise à part, il les interroge de quelle autorité ils entreprennent de juger de cet Être souverain qui est infini par sa propre définition, eux qui ne connaissent véritablement aucunes choses de la nature !
Il leur demande sur quels principes ils s’appuient. Il les presse de les montrer. Il examine tous ceux qu’ils peuvent produire et y pénètre si avant, par le talent où il excelle, qu’il montre la vanité de tous ceux qui passent pour les plus naturels et les plus fermes.
Il demande si l’âme connaît quelque chose ; si elle se connaît elle-même ; si elle est substance ou accident, corps ou esprit ; ce que c’est que chacune de ces choses, et s’il n’y a rien qui ne soit de l’un de ces ordres ; si elle connaît son propre corps ; ce que c’est que matière, et si elle peut discerner entre l’innombrable variété d’avis qu’on en a produits ; comment elle peut raisonner, si elle est matérielle ; et comment peut-elle être unie à un corps particulier et en ressentir les passions, si elle est spirituelle ?
Quand a-t-elle commencé d’être ; avec le corps ou devant ; et si elle finit avec lui ou non ; si elle ne se trompe jamais ; si elle sait quand elle erre, vu que l’essence de la méprise consiste à la méconnaître ; si dans ces obscurcissements elle ne croit pas aussi fermement que deux et trois sont six qu’elle fait ensuite que c’est cinq.
Si les animaux raisonnent, pensent, parlent, et qui le peut décider. Ce que c’est que le temps, ce que c’est que l’espace ou l’étendue, ce que c’est que le mouvement, ce que c’est que l’unité, qui sont toutes choses qui nous environnent et entièrement inexplicables.
Ce que c’est que santé, maladie, vie, mort, bien, mal, justice, péché, dont nous parlons à toute heure.
Si nous avons en nous des principes du vrai et si ceux que nous croyons avoir, et qu’on appelle axiomes ou notions communes, parce qu’elles sont conformes dans tous les hommes, sont conformes à la vérité essentielle ; et puisque nous ne savons que par la seule foi qu’un Être tout bon nous les a donnés véritables, en nous créant pour connaître la vérité, qui saura sans cette lumière si, étant formés à l’aventure, ils ne sont pas incertains ; ou si, étant formés par un être faux et méchant, il ne nous les a pas donnés faux afin de nous séduire ; montrant par là que Dieu et le vrai sont inséparables, et que si l’un est ou n’est pas, s’il est incertain ou douteux, l’autre est nécessairement de même. Qui sait donc si ce sens commun, que nous prenons pour juge du vrai, en a lettres de celui qui l’a créé ? De plus, qui sait ce que c’est que vérité, et comment peut-on s’assurer de l’avoir sans la connaître ? Qui sait même ce que c’est qu’être, qu’il est impossible de définir, puisqu’il n’y a rien de plus général, et qu’il faudrait, pour l’expliquer, se servir d’abord de ce mot-là même, en disant : C’est, etc. ?
Et puisque nous ne savons ce que c’est que âme, corps, temps, espace, mouvement, unité, vrai, bien, ni même être, ni expliquer l’idée que nous nous en formons, comment nous assurons-nous qu’elle est la même dans tous les hommes, vu que nous n’en avons d’autre marque que l’uniformité des conséquences, qui n’est pas toujours un signe de celle des principes ? Car ils peuvent bien être différents et conduire néanmoins aux mêmes conclusions, chacun sachant que le vrai se conclut souvent du faux.
Enfin il examine si profondément toutes les sciences, et la géométrie, dont il montre l’incertitude dans les axiomes et dans les termes qu’elle ne définit point, comme d’étendue, de mouvement, etc. ; et la physique en bien plus de manières ; et la médecine en une infinité de façons ; et l’histoire, et la politique, et la morale, et la jurisprudence, et le reste ; de telle sorte qu’on demeure convaincu que, hors la révélation, on douterait à la rigueur si on veille ou non, vu que nous ne le pensons pas mieux à présent que dans quelques songes, et même si la vie n’est pas elle-même un songe dont nous ne nous éveillerons qu’à la mort, et pendant lequel nous avons aussi peu les principes du vrai que durant le sommeil naturel.
C’est ainsi qu’il gourmande si fortement et si cruellement la raison dénuée de la foi que, lui faisant douter si elle est raisonnable, et si les animaux le sont ou non, ou plus ou moins, il la fait descendre de l’excellence qu’elle s’est attribuée, et la met par grâce en parallèle avec les bêtes, sans lui permettre de sortir de cet ordre jusqu’à ce qu’elle soit instruite par son Créateur même de son juste rang qu’elle ignore, la menaçant, si elle gronde, de la mettre au-dessous de toutes, ce qui est aussi facile que le contraire ; et ne lui donnant pouvoir d’agir cependant que pour remarquer sa faiblesse avec une humilité sincère, au lieu de s’élever par une sotte insolence. »
La suite associe ce scepticisme avec un épicurisme moral.
Voir sur le pyrrhonisme de Montaigne le point de vue, assez différent, de Conche Marcel, Montaigne et la philosophie, p. 27 sq., “le pyrrhonisme dans la méthode”.
Mais si Montaigne est le principal auteur dont Pascal s’inspire dans les Pensées, ce n’est certainement pas la seule source dont il dispose pour connaître la pensée pyrrhonienne. Il a certainement connu le livre de Mersenne Marin, La vérité des sciences, contre les sceptiques ou pyrrhoniens, (voir l’éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2003), qui propose une réfutation du pyrrhonisme à partir d’un exposé des sciences mathématiques.
Tout comme les auteurs de la Logique, Pascal met en doute la possibilité du doute sceptique radical.