Fragment Excellence n° 1 / 5 – Papier original : RO 151-1 r/v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Excellence n° 237-238 p. 85 / C2 : p. 111-112
Éditions de Port-Royal : Titre du chapitre XX - On ne connoist Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janv. 1670 p. 150 / 1678 p. 148
Éditions savantes : Faugère II, 316, X / Havet XXII.7 / Michaut 369 / Brunschvicg 547 / Tourneur p. 232-2 / Le Guern 178 / Lafuma 189 / Sellier 221
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Bibliographie ✍
BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 437 sq. BRUNET Georges, Le pari de Pascal, Paris, Desclée de Brouwer, 1956, p. 71-73. DAVIDSON Hugh, The origins of certainty, University of Chicago Press, 1979, p. 28. DE NADAÏ Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008, p. 243 sq. ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, p. 242. GHEERAERT Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, p. 212 sq. MESNARD Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, Pais, Presses Universitaires de France,1992, p. 414-425. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 235. MESNARD Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 122 sq. MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 189 sq. SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 487 sq. Voir aussi “Jésus-Christ chez Pascal”, ibid., p. 485-510. |
✧ Éclaircissements
Dieu par Jésus-Christ.
Le mot par a une double signification : dans l’ordre de la connaissance, on ne « montre » Dieu que par l’intermédiaire de Jésus-Christ, mais aussi le cœur ne parvient à trouver Dieu que par Jésus-Christ. L’accent est mis dans ce fragment sur le premier aspect.
Ce fragment constitue un programme qui fixe les étapes de la deuxième partie de la démonstration projetée par Pascal.
Davidson Hugh, The origins of certainty, p. 28. Modèle d’argumentation composée : modèle dialectique, avec une partie syllogistique et une autre dramatique ou instrumentale. La preuve consiste à introduire un troisième terme entre les deux termes antithétiques, Dieu et l’homme. H. Davidson rattache ce modèle de raisonnement au type dialectique, dans la mesure où il s’agit d’y surmonter une opposition. Trouver le terme qui rétablit l’harmonie consiste à établir une certitude fondée sur la cohérence et l’unité. Un second type de preuve apparaît avec l’évocation de Jésus-Christ, dont la preuve qu’il est le Messie repose sur la réalisation des prophéties, c’est-à-dire sur un argument par inférence : l’identité du Christ comme réparateur est garantie par le fait de la correspondance entre les prophéties et leur réalisation. Un troisième moment correspond à la question de savoir ce qui garantit les prophéties, qui constitue un cas de raisonnement dramatique ou instrumental.
Plus précisément, on trouve ici un type de raisonnement dont les écrits de Dettonville sur la cycloïde fournissent un exemple. Dans la circulaire du concours, l’anonyme auteur des problèmes demandait notamment aux géomètres de l’Europe les dimensions et les centres de gravité des solides engendrés par la rotation d’un triligne CFA autour de son axe CF. Ces mesures ne peuvent être obtenues directement, mais Pascal connaît un moyen de les trouver en passant par un solide intermédiaire, le double onglet du triligne. En effet, si l’on greffe les deux solides l’un sur l’autre, on constate que les demi-cercles qui composent le premier sont dans un rapport constant avec les triangles rectangles qui composent le second. On peut donc parvenir à la connaissance du solide de rotation par celle du double onglet, auxquelles Pascal tout un traité. Ce programme s’inspire des techniques de Pascal mathématicien.
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Solide de rotation du triligne CFA |
Double onglet du triligne CFA |
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Le titre Dieu par Jésus-Christ désigne une transition logique analogue. Pascal pose l’idée de Dieu, et montre que s’il n’est pas possible de connaître Dieu directement, par les seules lumières naturelles de la raison, on peut y parvenir par un intermédiaire, savoir le Médiateur Jésus-Christ.
Cette condition est nécessaire : Sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. Ce point est précisé dans Excellence 4 (Laf. 191, Sel. 224) : Il est non seulement impossible mais inutile de connaître Dieu sans J. C.
Cette condition est suffisante : Par Jésus-Christ nous connaissons Dieu.
Cette condition est unique : toute autre voie pour connaître Dieu est vouée à l’échec : Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n’avaient que des preuves impuissantes.
Par suite, dans un second temps, l’argumentation remonte à la condition de cette première idée : il s’agit alors de prouver que Jésus-Christ est véritablement le Messie médiateur : pour prouver Jésus-Christ nous avons les prophéties qui sont des preuves solides et palpables.
Un troisième temps remonte encore d’un degré dans les conditions : les prophéties ont à leur tour besoin d’être prouvées. Pascal fait alors appel à l’expérience historique : Ces prophéties sont accomplies et prouvées véritables par l’événement.
Cette voie qui remonte successivement de condition en condition peut être considérée comme un cas de progression analytique. La suite procède en sens inverse : la certitude de ces vérités donne la preuve de la divinité de Jésus-Christ, et en lui et par lui nous connaissons donc Dieu.
La deuxième partie du fragment indique en quoi cette preuve nécessaire par le Christ répond aux exigences formulées dans A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182), de montrer qu’il y a un Dieu, que notre vraie félicité est d’être en lui et notre unique mal d’être séparé de lui, que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, que nous sommes pleins d’injustice, qu’il y a des remèdes à nos impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes. Il faut de nouveau, pour prouver absolument Dieu, enseigner une bonne doctrine et une bonne morale, passer par le Christ, c’est-à-dire par l’Écriture, le péché originel, le médiateur nécessaire, promis et arrivé : comme ce Dieu-là n’est autre chose que le réparateur de notre misère, nous ne pouvons bien connaître Dieu qu’en connaissant nos iniquités. Ou, comme le dit le fragment Dossier de travail (Laf. 416, Sel. 35) : Sans J.-C. il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère. Avec J.-C. l’homme est exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute notre félicité. Hors de lui il n’y a que vice, misère, erreur, ténèbres, mort, désespoir. Par conséquent par Jésus-Christ et en Jésus-Christ on prouve Dieu et on enseigne la morale et la doctrine.
Conclusion : Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes.
On note que ce mouvement, qui rattache le raisonnement à l’étude anthropologique des premières liasses des papiers classés, est une addition portée en marge de gauche, postérieure à la première partie du texte. Pascal a commencé par ce qui touche la connaissance de Dieu à travers Jésus-Christ. Le développement sur ce que le sacrifice de Jésus nous apprend sur l’homme est venu après coup, dans un second temps.
Mais le même mouvement argumentatif réapparaît : sans ces conditions, la preuve est impuissante. Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l’ont pas glorifié, mais s’en sont glorifiés.
Le fragment indique donc l’articulation entre les deux fils conducteurs de l’apologie : la preuve par les prophéties, et la preuve anthropologique.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., p. 157 sq. Rapport de l’esquisse de Préface du fragment Laf. 781, Sel. 644 avec la liasse Excellence de cette manière de prouver Dieu. Les trois premières phrases du fragment Excellence 1 se retrouvent dans le projet de « préface ».
Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ. Sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. Par Jésus-Christ nous connaissons Dieu.
Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 437 sq. En tant que prêtre sacrificateur du nouveau testament, le Christ est le médiateur entre la divinité et l’humanité pécheresse. Jésus est le médiateur unique, les saints et les prêtres ne le sont que de manière dérivée. Voir dans le même sens Bouyer L., Dictionnaire théologique, Tournai, Desclée, 1963, p. 428.
Saint Augustin, La cité de Dieu, IX, XV, 1, t. 34, Bibliothèque augustinienne, p. 387 sq. Le Christ est médiateur parce qu’il a des traits des deux extrêmes, de l’homme et de Dieu : il est mortel comme l’homme, et source de bonheur comme Dieu. Il fallait qu’il ne fût ni exclu de la mortalité, ni astreint à y rester. Mortel comme homme, source de bonheur comme Dieu, Jésus-Christ est le parfait médiateur. Il doit posséder une mortalité transitoire et une béatitude permanente : mortel pour un temps et bienheureux dans l’éternité. Voir p. 390, n. 1, l’argumentation sur l’unité nécessaire au Médiateur qui mène au bien ; ce ne peut être que Dieu même.
Mesnard Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, p. 414-425. En Jésus-Christ se résume tout le christianisme. En Jésus considéré non pas d’abord dans sa personne, ni même dans son message, mais dans sa mission salvatrice dans son rapport à Dieu et dans son rapport aux hommes. Prouver Dieu en chrétien, c’est prouver Jésus-Christ : p. 415. Les deux vérités centrales du christianisme sont réunies en Jésus-Christ : p. 416. Renvoi à Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Jésus-Christ est envoyé porteur d’un message, mais il signifie en sa personne la doctrine qu’il prêche : p. 416. La structure de la doctrine chrétienne est résumée en deux figures, Adam et le Christ ; on peut même la résumer en une seule, le Christ comme nouvel Adam, vers lequel convergent tout le drame de l’homme et tout le dessein de Dieu : p. 423.
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Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, p. 122 sq.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 235.
Gheeraert Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, p. 212 sq. Jésus-Christ, modèle et médiateur.
Laf. 781, Sel. 644. Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par J.-C., hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée. Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluit revelare.
Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222). Préface. Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées qu’elles frappent peu, et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés.
Excellence 3 (Laf. 190, Sel. 223). C’est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans J.-C. qui est de communiquer sans médiateur avec le Dieu qu’on a connu sans médiateur. Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.
Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 186 sq. Le Christ et la connaissance de Dieu selon Pascal. Le Christ et la connaissance de soi : p. 189 sq.
De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, p. 243 sq. Le Médiateur, titre néotestamentaire : voir Galates, III, 19-20, I Timothée, II, 5, Hébreux, VIII, 6, IX, 15 et XII, 24. Le Christ est essentiellement médiateur selon une médiation descendante : il est celui par qui Dieu se fait connaître et se communique aux hommes.
Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n’avaient que des preuves impuissantes.
On passe de la possibilité de connaître Dieu par Jésus-Christ à la question de la possibilité de démontrer la religion par Jésus-Christ.
C’est une allusion à la connaissance imparfaite que les platoniciens ont eue de la divinité. Voir plus bas sur ce point.
Le déisme est la forme religieuse de la tentation de connaître Dieu sans Jésus-Christ.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., p. 157 sq. Rapport de l’esquisse de Préface du fragment Laf. 781, Sel. 644 avec la liasse Excellence de cette manière de prouver Dieu. La principale différence entre ces deux textes est l’absence, dans le projet de « préface », de l’allusion aux platoniciens.
Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 507. La nécessité de passer par Jésus-Christ pour accéder à quelque connaissance de Dieu ne s’impose pas seulement à l’incroyant, elle demeure pour le chrétien. Pascal se distingue sur ce point de saint Augustin, qui est persuadé que la foi éclaire assez l’intelligence pour lui permettre de philosopher : croire fait comprendre. Pascal fait preuve d’un véritable agnosticisme chrétien : il est vain de scruter le contenu de mystères aussi inaccessibles à la raison que la Trinité, le péché originel, ou la résurrection des corps. Son cheminement s’opère à partir du Credo quidquid dixit Dei filius.
Mais pour prouver Jésus-Christ nous avons les prophéties qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies et prouvées véritables par l’événement marquent la certitude de ces vérités et partant la preuve de la divinité de Jésus-Christ.
Voir les dossiers consacrés aux prophéties.
En lui et par lui nous connaissons donc Dieu. Hors de là et sans l’Écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne morale.
Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 229. Difficulté présentée par l’adverbe absolument. Droz l’interprète en ce sens que les preuves en question sont impropres à faire connaître l’objet plutôt qu’à le prouver.
Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendantes d’une première vérité en qui elles subsistent, et qu’on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé pour son salut.
Le Dieu des chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l’ordre des éléments ; c’est la part des païens et des épicuriens. Il ne consiste pas seulement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d’années à ceux qui l’adorent ; c’est la portion des Juifs. Mais le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d’amour et de consolation ; c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède ; c’est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fond de leur âme ; qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de lui-même.
Tous ceux qui cherchent Dieu hors de Jésus-Christ, et qui s’arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connaître Dieu et de le servir sans médiateur, et par là ils tombent ou dans l’athéisme ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Paris, Champion, 1999, p. 271 sq. ; 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 492. Pascal comptait mettre en relief l’attrait unique de la personne de Jésus, son autorité, la séduction de la morale évangélique ; mais ce qui importe surtout, c’est un cheminement qui nie la possibilité d’une autre route que Jésus-Christ, ce que Sellier appelle la voie étroite de la christologie.
Conclusion 2 (Laf. 378, Sel. 410). Il y a une opposition invincible entre Dieu et nous et [...] sans un médiateur il ne peut y avoir de commerce.
Mais par Jésus-Christ et en Jésus-Christ on prouve Dieu et on enseigne la morale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes.
Prouver Dieu est une expression étrange : Pascal pense pourtant selon toute apparence qu’on ne prouve pas Dieu.
Ce point est précisé dans le fragment Dossier de travail (Laf. 416, Sel. 35) : Sans J.-C. il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère. Avec J.-C. l’homme est exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute notre félicité. Hors de lui il n’y a que vice, misère, erreur, ténèbres, mort, désespoir.
Mais nous connaissons en même temps notre misère, car ce Dieu-là n’est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu’en connaissant nos iniquités.
Ce mouvement est une addition en marge de gauche. Pascal a commencé par ce qui touche la connaissance de Dieu à travers Jésus-Christ. Le développement sur ce que le sacrifice de Jésus nous apprend sur l’homme est venu après coup, dans un second temps.
Ordre 4 (Laf. 6, Sel. 40). Première partie : Misère de l’homme sans Dieu.
Deuxième partie : Félicité de l’homme avec Dieu.
Autrement
Première partie : Que la nature est corrompue, par la nature même.
Deuxième partie : Qu’il y a un Réparateur, par l’Écriture.
Laf. 793, Sel. 646. Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur. La connaissance de Jésus-Christ permet de connaître à la fois Dieu et la misère de l’homme. Voir Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222) et Excellence 3 (Laf. 190, Sel. 223) : ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.
Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, p. 189 sq. Le Christ et la connaissance de soi.
De Nadaï Jean-Christophe de, Jésus selon Pascal, p. 245, sur le fait que l’Incarnation du médiateur est une clé qui est destinée à faire connaître à l’homme sa misère et sa nature pécheresse : p. 245.
Le fragment qui se trouvait immédiatement après celui-ci, sur le feuillet original, développe cette idée que Jésus-Christ est venu révéler aux hommes le fonds d’orgueil et de misère qui constitue leur nature.
Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l’ont pas glorifié, mais s’en sont glorifiés.
Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 505. Cas historique des platoniciens, constamment célébrés par saint Augustin, lorsqu’il commente la Lettre aux Romains, I, 21, parce qu’ils ont eu une connaissance imparfaite de la divinité unique, quoique leur orgueil leur ait fait perdre ce que la curiosité leur avait permis de connaître.
Pascal pense peut-être aussi aux stoïciens. Voir ce qu’il écrit d’Épictète dans l’Entretien avec M. de Sacy, et dans le fragment Philosophes 4 (Laf. 142, Sel. 175). Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et d’être admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes. Et ils ne connaissent pas leur corruption. S’ils se sentent pleins de sentiments pour l’aimer et l’adorer, et qu’ils y trouvent leur joie principale, qu’ils s’estiment bons, à la bonne heure. Mais s’ils s’y trouvent répugnants, s’[ils] n’[ont] aucune pente qu’à se vouloir établir dans l’estime des hommes et que pour toute perfection ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai que cette perfection est horrible. Quoi, ils ont connu Dieu, et n’ont pas désiré uniquement que les hommes l’aimassent, que les hommes s’arrêtassent à eux ! Ils ont voulu être l’objet du bonheur volontaire des hommes.
Dans les deux cas, Pascal résume sa pensée dans le fragment Excellence 5 (Laf. 192, Sel. 225). La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de J.-C. fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu et notre misère.
Quia non cognovit per sapientiam, placuit Deo per stultitiam predicationis salvos facere.
Voir sur la stultitia le fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ; ils déclarent en l’exposant au monde que c’est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la prouvaient ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent pas de sens.
Saint Paul, I Cor., I, 21. « Nam quia in Dei sapientia non cognovit mundus per sapientiam Deum placuit Deo per stultitiam praedicationis salvos facere credentes. » Tr. de Sacy : « Car Dieu voyant que le monde avec la sagesse humaine ne l’avait point reconnu dans les ouvrages de sa sagesse divine, il lui a plu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui ».
Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 199, sur le mot stultitiam, qui ne se comprend que par référence à saint Paul, I Cor., 1, 18. Pascal reprend à l’apôtre une idée qui permet de prouver à l’incrédule que le christianisme est folie devant les hommes, mais qu’il est plein de bon sens en manquant de preuve.
Brunet Georges, Le pari de Pascal, p. 71-73, renvoie à saint Paul, I Cor. I, 21-23 : « placuit Deo per stultitiam praedicationis salvos facere credentes » ; et I Cor. III, 19 : « Sapientia enim hujus mundi stultitia est apud Deum » ; « Car puisqu’en la sapience de Dieu le monde n’a point connu Dieu par sapience, il a plu à Dieu par la folie de la prédication sauver les croyants. Car aussi les Juifs demandent signes, et les Grecs cherchent sapience. Mais quant à nous nos prêchons Jésus crucifié, qui est scandale aux Juifs, et folie aux Grecs ».
Le Guern Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, p. 45 sq. Le caractère irrationnel que le christianisme se reconnaît à lui-même.
Laf. 695, Sel. 574. Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapientius est hominibus. Car, sans cela, que dira‑t‑on qu’est l’homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s’en fût‑il aperçu par sa raison, puisque c’est une chose contre sa raison, et que sa raison, bien loin de l’inventer par ses voies, s’en éloigne quand on le lui présente ?