Pensées diverses III – Fragment n° 48 / 85 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 134 p. 377 / C2 : p. 335-335 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 39 /

1678 n° 9 p. 41-42

Éditions savantes : Faugère II, 106, XXVI / Havet XII.7 / Michaut 953 / Brunschvicg 445 / Le Guern 589 / Lafuma 695 (série XXV) / Sellier 574

 

 

 

Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapientius est hominibus. Car sans cela que dira‑t‑on qu’est l’homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s’en fût‑il aperçu par sa raison, puisque c’est une chose contre sa raison, et que sa raison, bien loin de l’inventer par ses voies, s’en éloigne quand on le lui présente ?

 

 

Pascal montre dans ce fragment que si la doctrine du péché originel n’est pas rationnelle, en ce sens que ce n’est pas la raison qui la révèle, il n’en est pas moins raisonnable de l’adopter, de sorte que le christianisme n’est pas aussi contraire à la raison qu’on le croit ordinairement.

Sapientius est hominibus : plus sage que les hommes.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Chose étonnante cependant que le mystère le plus éloigné de notre connaissance qui est celui de la transmission du péché soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes.

Car il est sans doute qu’il n’y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui étant si éloignés de cette source semblent incapables d’y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible. Il nous semble même très injuste car qu’y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté pour un péché où il paraît avoir si peu de part, qu’il est commis six mille ans avant qu’il fût en être. Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine. Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère, que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.

A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Sur le péché originel.

Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221). Dieu par Jésus-Christ.

[...]

Quia non cognovit per sapientiam, placuit Deo per stultitiam predicationis salvos facere.

Fondement 5 (Laf. 228, Sel. 260). Que disent les prophètes de Jésus-Christ ? Qu’il sera évidemment Dieu ? non mais qu’il est un Dieu véritablement caché, qu’il sera méconnu, qu’on ne pensera point que ce soit lui, qu’il sera une pierre d’achoppement, à laquelle plusieurs heurteront etc.

Qu’on ne nous reproche donc plus le manque de clarté puisque nous en faisons profession. Mais, dit-on, il y a des obscurités et sans cela on ne serait pas aheurté à Jésus-Christ. Et c’est un des desseins formels des prophètes : excaeca.

Preuves de Moïse 2 (Laf. 291, Sel. 323)Cette religion si grande en miracles, saints, purs, irréprochables, savants et grands témoins, martyrs ; rois - David - établis ; Isaïe prince du sang ; si grande en science après avoir étalé tous ses miracles et toute sa sagesse, elle réprouve tout cela et dit qu’elle n’a ni sagesse, ni signe, mais la croix et la folie.

Car ceux qui par ces signes et cette sagesse ont mérité votre créance et qui vous ont prouvé leur caractère, vous déclarent que rien de tout cela ne peut nous changer et nous rendre capables de connaître et aimer Dieu que la vertu de la folie de la croix, sans sagesse ni signe et point non les signes sans cette vertu. Ainsi notre religion est folle en regardant à la cause efficace et sage en regardant à la sagesse qui y prépare.

Preuves par discours I (Laf. 418, Sel.  680). Parlons maintenant selon les lumières naturelles.

S’il y a un Dieu il est infiniment incompréhensible, puisque n’ayant ni parties ni bornes, il n’a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu’il est, ni s’il est. Cela étant qui osera entreprendre de résoudre cette question ? ce n’est pas nous qui n’avons aucun rapport à lui.

Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ; ils déclarent en l’exposant au monde que c’est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la prouvaient ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent pas de sens.

Preuves par discours II (Laf. 431, Sel. 683). Nous ne concevons ni l’état glorieux d’Adam, ni la nature de son péché, ni la transmission qui s’en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans l’état d’une nature toute différente de la nôtre et qui passent l’état de notre capacité présente.

Tout cela nous serait inutile à savoir pour en sortir ; et tout ce qu’il nous importe de connaître est que nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par Jésus‑Christ ; et c’est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre.

Ainsi, les deux preuves de la corruption et de la rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l’indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.

Pensées diverses (Laf. 809, Sel. 656). Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu’il ne soit pas, que l’âme soit avec le corps, que nous n’ayons point d’âme, que le monde soit créé, qu’il ne le soit pas, etc., que le péché originel soit et qu’il ne soit pas.

Miracles II (Laf. 842, Sel. 427). Notre religion est sage et folle, sage parce que c’est la plus savante et la plus fondée en miracles, prophéties, etc., folle parce que ce n’est point tout cela qui fait qu’on en est. Cela fait bien condamner ceux qui n’en sont pas, mais non pas croire ceux qui en sont. Ce qui les fait croire est la croix - ne evacuata sit crux.

Et ainsi saint Paul qui est venu en sagesse et signes dit qu’il n’est venu ni en sagesse ni en signes, car il venait pour convertir, mais ceux qui ne viennent que pour convaincre peuvent dire qu’ils viennent en sagesse et signes.

 

Mots-clés : FolieHommePéchéRaisonSagesse.