Dossier de travail - Fragment n° 34 / 35  – Papier original : RO 485-9

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 29 p. 197 v° / C2 : p. 10

Éditions de Port-Royal : Chap. XX - On ne connoist Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janv. 1670

p. 157 / 1678 n° 2 p. 155

Éditions savantes : Faugère II, 316, VIII / Havet XXII.9 / Brunschvicg 546 / Tourneur p. 306-3 / Le Guern 395 / Lafuma 416 / Sellier 35

 

 

 

Sans Jésus-Christ, il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère.

Avec Jésus-Christ, l’homme est exempt de vice et de misère.

En lui est toute notre vertu et toute notre félicité.

Hors de lui il n’y a que vice, misère, erreur, ténèbres, mort, désespoir.

 

 

Ce fragment est solidaire du suivant, par l’indication que la nature est corrompue (voir les Copies), mais aussi par le fait que Pascal y décrit les deux aspects de la condition humaine après le péché : Dossier de travail 34 insiste sur les aspects moraux de la corruption, et Dossier de travail 35 (Laf. 417, Sel. 36) traite de la connaissance que l’homme peut, dans son état actuel, avoir de Dieu, du bien, du vrai et de lui-même.

Le fragment est dirigé contre les stoïciens, qui prétendent arriver à Dieu sans connaissance du médiateur qui seul y mène. Le déisme est aux yeux de Pascal aussi dangereux que l’athéisme, parce que si l’athéisme sous-estime la nature de l’homme en le jugeant incapable de Dieu, le déisme, notamment sous sa forme stoïcienne, la surestime considérablement, en supposant qu’il est assez fort par sa propre nature pour parvenir à remplir les devoirs que Dieu lui impose.

Le rapport avec le thème La nature est corrompue se comprend mieux si l’on pense que Pascal ne cherche pas ici à expliquer comment Adam a été amené à commettre le péché originel qui a corrompu la nature humaine (Sur ce point, on trouve les explications nécessaires dans le dernier en date des Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination et de la grâce, 3, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 sq.), mais à montrer les conséquences du péché dans l’état de nature corrompue.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Ordre 4 (Laf. 6, Sel. 40).

Première partie : Misère de l’homme sans Dieu.

Deuxième partie : Félicité de l’homme avec Dieu.

Autrement

Première partie : Que la nature est corrompue, par la nature même.

Deuxième partie : Qu’il y a un Réparateur, par l’Écriture.

Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide et qu’il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même. Lui seul est son véritable bien.

Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221). Dieu par Jésus-Christ.

Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ Sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. Par Jésus-Christ nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n’avaient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver Jésus-Christ nous avons les prophéties qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies et prouvées véritables par l’événement marquent la certitude de ces vérités et partant la preuve de la divinité de Jésus-Christ En lui et par lui nous connaissons donc Dieu. Hors de là et sans l’écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne morale. Mais par Jésus-Christ et en Jésus-Christ on prouve Dieu et on enseigne la morale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes.

Mais nous connaissons en même temps notre misère, car ce Dieu là n’est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu’en connaissant nos iniquités.

Morale chrétienne 21 (Laf. 372, Sel. 404). Être membre est n’avoir de vie, d’être et de mouvement que par l’esprit du corps. Et pour le corps, le membre séparé ne voyant plus le corps auquel il appartient n’a plus qu’un être périssant et mourant. Cependant il croit être un tout et ne se voyant point de corps dont il dépende, il croit ne dépendre que de soi et veut se faire centre et corps lui-même. Mais n’ayant point en soi de principe de vie il ne fait que s’égarer et s’étonne dans l’incertitude de son être, sentant bien qu’il n’est pas corps, et cependant ne voyant point qu’il soit membre d’un corps. Enfin quand il vient à se connaître il est comme revenu chez soi et ne s’aime plus que pour le corps. Il plaint ses égarements passés.

Il ne pourrait pas par sa nature aimer une autre chose sinon pour soi-même et pour se l’asservir parce que chaque chose s’aime plus que tout.

Mais en aimant le corps il s’aime soi-même parce qu’il n’a d’être qu’en lui, par lui et pour lui. Qui adhaeret Deo unus spiritus est.

[...] Adhaerens Deo unus spiritus est ; on s’aime parce qu’on est membre de Jésus-Christ ; on aime Jésus-Christ parce qu’il est le corps dont on est membre. Tout est un. L’un est en l’autre comme les trois personnes.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Le Dieu des chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l’ordre des éléments ; c’est la part des païens et des épicuriens. Il ne consiste pas seulement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d’années à ceux qui l’adorent ; c’est la portion des Juifs. Mais le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d’amour et de consolation ; c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède ; c’est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fond de leur âme ; qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de lui-même.

Tous ceux qui cherchent Dieu hors de Jésus-Christ, et qui s’arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connaître Dieu et de le servir sans médiateur, et par là ils tombent ou dans l’athéisme ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.

Sans Jésus-Christ, le monde ne subsisterait pas ; car il faudrait, ou qu’il fût détruit, ou qu’il fût comme un enfer.

Preuves par les Juifs VI (Laf. 460, Sel. 699). Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l’âme qu’il est son unique bien ; que tout son repos est en lui, qu’elle n’aura de joie qu’à l’aimer ; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent et l’empêchent d’aimer Dieu de toutes ses forces. L’amour propre et la concupiscence, qui l’arrêtent, lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour propre qui la perd, et que lui seul la peut guérir.

 

Mots-clés : CorruptionDésespoirErreurFélicitéHommeJésus-ChristMisèreMort (voir Mourir)NatureVertuVice.