Fragment Fondement n° 11 / 21  – Papier original : RO 45-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 285 p. 117 v° / C2 : p. 145

Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 139 / 1678 n° 5 p. 137-138

Éditions savantes : Faugère II, 158, XXIX / Havet XX.3 / Brunschvicg 581 / Tourneur p. 252-2 / Le Guern 219 / Lafuma 234 / Sellier 266

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Bibliographie

 

 

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 30 sq.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., SEDES-CDU, 1993, p. 249 sq.

RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, I, Dieu sensible au cœur, Paris, Presses Universitaires de France, 1949, p. 153 sq.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Dieu veut plus disposer la volonté que l’esprit,

 

Sur le rôle respectif de la raison et de la volonté, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 521 sq. On n’entre dans la vérité que par la charité, comme l’écrit saint Augustin dans le Contre Fauste, XXXII, 18. C’est donc la disposition de la volonté qui pose les fins auxquelles l’esprit doit être ordonné.

De l’Esprit géométrique, 2, De l’art de persuader, § 3-5, OC III, éd. J. Mesnard, p. 413-414.

« Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n’aurais garde de faire tomber sous l’art de persuader, car elles sont infiniment au-dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans l’âme, et par la manière qu’il lui plaît. Je sais qu’il a voulu qu’elles entrent du cœur dans l’esprit, et non pas de l’esprit dans le cœur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit, et pour guérir cette volonté infirme, qui s’est toute corrompue par ses sales attachements. Et de là vient qu’au lieu qu’en parlant des choses humaines on dit qu’il les faut connaître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe, les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu’il les faut aimer pour les connaître, et qu’on n’entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences.

4. En quoi il paraît que Dieu a établi cet ordre surnaturel, et tout contraire à l’ordre qui devait être naturel aux hommes dans les choses naturelles. Ils ont néanmoins corrompu cet ordre en faisant des choses profanes ce qu’ils devaient faire des choses saintes, parce qu’en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l’éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, tout opposée à nos plaisirs. Dites nous des choses agréables et nous vous écouterons, disaient les Juifs à Moïse ; comme si l’agrément devait régler la créance ! Et c’est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu’après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste qui le charme et qui l’entraîne.

5. Je ne parle donc que des vérités de notre portée ; et c’est d’elles que je dis que l’esprit et le cœur sont comme les portes par où elles sont reçues dans l’âme, mais que bien peu entrent par l’esprit, au lieu qu’elles y sont introduites en foule par les caprices téméraires de la volonté, sans le conseil du raisonnement. »

Dieu veut disposer la volonté : cette formule confirme que, pour Pascal, c’est Dieu qui a l’initiative dans tout processus de conversion et de recherche. Pascal développe amplement ce point dans les Écrits sur la grâce. C’est Dieu qui incline le cœur de l’homme, comme le montre l’Écrit sur la conversion du pécheur.

Voir le dossier thématique La recherche de Dieu.

Pascal se souvient de l’Augustinus, t. 2, Lib. Proem., ch. VII, Duplex modus penetrandi mysteria Dei, humana ratione et charitate, col. 15-16. Jansénius insiste sur le fait que la voie rationnelle, qui est celle des philosophes est exposée à de nombreux dangers, principalement sous le poids de l’orgueil. La voie « ex incensa charitate [...] qua cor hominis purgatur et illuminatur, ut secreta Dei penetret » est très familière aux vrais chrétiens : grâce à elle, la charité allant croissant, la sagesse croît aussi, « donec perveniat ad perfectum diem ». Jansénius renvoie à saint Augustin, Tract. 97 in Joan. : « Si ergo in charitate proficiatis, quam diffundit in cordibus Spiritus Sanctus, docebit vos omnem veritatem ». Texte qui fait écho à saint Paul, Ephes. III.

Ce ne sont du reste pas seulement les philosophes qui sont en cause : Jansénius précise d’ailleurs sa pensée en intitulant le chapitre VIII : « Quaestiones et veritates pur scholasticae nihil cum charitatis commune habent, propter diversas causas. Praecipitia in quae prorumpunt ».

Si Pascal s’est rapporté à ce chapitre de l’Augustinus, peut-être faut-il voir dans ce fragment une réserve à son égard. Jansénius insiste sur le fait que la connaissance par la charité conduit « ad perfectum diem » ; or c’est précisément de cette « lumière parfaite » que Pascal dit qu’elle satisferait l’esprit, mais nuirait à la volonté.

Pascal ne conçoit pas la conversion comme on le fait parfois aujourd’hui, comme simple adhésion à l’idée de l’existence de Dieu. Voir le fragment Conclusion 1 (Laf. 377, Sel. 409) : Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer.

Gouhier Henri, B. Pascal. Conversion et apologétique, p. 30 sq. Ce n’est pas une connaissance de Dieu qui déclenche l’amour de Dieu, mais l’amour qui, en nous portant vers lui, rend possible la connaissance de Dieu.

Saint Augustin, De gratia contra Faustum, XVIII. « Non intratur in veritatem, nisi per caritatem ».

Ordre 5 (Laf. 7, Sel. 41). Lettre qui marque l’utilité des preuves. Par la Machine. La foi est différente de la preuve. L’une est humaine et l’autre est un don de Dieu. Justus ex fide vivit. C’est de cette foi que Dieu lui-même met dans le cœur, dont la preuve est souvent l’instrument, fides ex auditu, mais cette foi est dans le cœur et fait dire non Scio mais Credo. Le fragment a l’intérêt de ramener une fois de plus à la distinction entre la cause principale et la cause secondaire, qui est seulement un instrument, expliquée par Pascal dans les Écrits sur la grâce.

Soumission 6 (Laf. 172, Sel. 203). La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons et dans le cœur par la grâce, mais de la vouloir mettre dans l’esprit et dans le cœur par la force et par les menaces, ce n’est pas y mettre la religion mais la terreur. Terrorem potius quam religionem.

Russier Jeanne, La foi selon Pascal, I, Dieu sensible au cœur, Paris, Presses Universitaires de France, 1949, p. 153 sq. L’amour est source légitime de connaissance religieuse. Le cœur est la faculté qui permet de connaître dans la foi, le sentiment est la manière dont le cœur connaît, et l’inspiration est l’action de Dieu qui fait naître le sentiment dans le cœur : p. 154-155. L’effet de l’inspiration est d’incliner le cœur : p. 155. Sur le présent passage, voir p. 168 sq. L’art d’agréer, laissé à lui-même, est tyrannique, au sens du fragment Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91) : La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science. On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Ainsi ces discours sont faux, et tyranniques : je suis beau, donc on doit me craindre, je suis fort, donc on doit m’aimer, je suis... Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas, il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas. Se contenter, dans les matières de foi, de l’art de plaire ne serait qu’une exploitation de la corruption du cœur humain. Mais l’action de la grâce divine ressemble à celle de l’art d’agréer, dans la mesure où elle fait intervenir la volonté, et où elle crée une délectation (au sens où l’entendent les augustiniens).

Paradoxe de la connaissance des vérités divines : les saints disent en parlant des choses divines qu’il les faut aimer pour les connaître, mais comment peut-on aimer ce qu’on ne connaît pas ? Voir le proverbe ignoti nulla cupido (Ovide). J. Mesnard, OC III, p. 414, n. 1, renvoie au proverbe latin Amor ex videndo nascitur mortalibus cité par J. Langius, Polyanthea, Lyon, 1659, col. 200, avec pour commentaire : Non enim amatur incognitum.

Jansénius cite dans le chapitre de l’Augustinus mentionné plus haut la manière dont saint Augustin, Tract. 97 in Joan., résout la question : « Non diligitur quod penitus ignoratur ; sed cum diligit quod ex quantulacumque parte cognoscitur, ipsa efficitur dilectione, ut melius et plenius cognoscatur ».

Bremond Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, I, p. 487, cite Yves de Paris : « en tous les autres sujets d’importance, nous cherchons devant que de nous résoudre ; la consultation précède l’éclaircissement de l’esprit, l’amour se mesure à la connaissance... Mais pour ce qui est de Dieu, nous ne raisonnons qu’après que nous avons connu, et ... l’amour nous livre aussitôt en sa puissance que son sentiment a éclairé notre cœur. Un instant nous fait voir cette lumière intellectuelle aussi bien que la sensible » (III, p. 167).

 

la clarté parfaite servirait à l’esprit et nuirait à la volonté.

 

Si la connaissance de Dieu était acquise à l’homme pleinement et en toute clarté, il pourrait connaître Dieu. Mais l’homme tomberait alors dans la superbe philosophique, s’attribuant tout le mérite de cette science. La connaissance de Dieu aboutirait paradoxalement à faire perdre à la volonté l’humilité qui doit être la disposition du chrétien. Or, comme le dit Jansénius dans le même chapitre, col. 20, « quis autem dubitet charitatem veritatis, hoc est, Dei, esse quae mundat cor ? »

Voir la liasse Philosophes.

Excellence 5 (Laf. 192, Sel. 225). La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jésus‑Christ fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu, et notre misère.

 

Abaisser la superbe.

 

Voir la note précédente sur Jansénius.

Arnauld Antoine, Apologie de Jansénius, Livre I, ch. VII, Œuvres, XVI, p. 78 sq. Comment, dans sa félicité originelle, l’homme est devenu superbe et a couru à sa ruine.

Dossier de travail (Laf. 394, Sel. 13). Au lieu de vous plaindre de ce que Dieu s’est caché vous lui rendrez grâces de ce qu’il s’est tant découvert et vous lui rendrez grâces encore de ce qu’il ne s’est pas découvert aux sages superbes indignes de connaître un Dieu si saint.

Deux sortes de personnes connaissent ceux qui ont le cœur humilié et qui aiment la bassesse, quelque degré d’esprit qu’ils aient haut ou bas, ou ceux qui ont assez d’esprit pour voir la vérité quelques oppositions qu’ils y aient.

Morale chrétienne 8 (Laf. 358, Sel. 390). Avec combien peu d’orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu ! Avec combien peu d’abjection s’égale-t-il aux vers de la terre ! La belle manière de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux !