Fragment Morale chrétienne n° 8 / 25 – Papier original : RO 202-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Morale n° 361 p. 177 v° / C2 : p. 210
Éditions de Port-Royal : Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 44 / 1678 n° 22 p. 47
Éditions savantes : Faugère II, 377, XLIV / Havet XII.19 / Brunschvicg 538 / Tourneur p. 291-3 / Le Guern 339 / Lafuma 358 / Sellier 390
Avec combien peu d’orgueil un chrétien se croit‑il uni à Dieu ! Avec combien peu d’abjection s’égale-t-il aux vers de la terre ! La belle manière de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux.
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L’idée principale de ce fragment est que les idées et les conduites défendues par les philosophes (estime de l’homme au point de le croire susceptible d’être uni à Dieu chez les stoïciens, mépris de l’homme au point de le réduire à l’état des bêtes chez les sceptiques et les épicuriens), se retrouvent chez les chrétiens, mais inspirées par des sentiments tout différents, qui en suppriment l’orgueil et l’abjection. La morale chrétienne est ainsi nettement dissociée des morales païennes.
Fragments connexes
Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers.
A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Incroyable que Dieu s’unisse à nous. Cette considération n’est tirée que de la vue de notre bassesse, mais si vous l’avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d’où cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même. Et tout troublé de la vue de son propre état il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi si Dieu lui découvre quelque rayon de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connaître et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira se communiquer à nous. Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n’est ni sincère, ni raisonnable si elle ne nous fait confesser que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.
Morale chrétienne 1 (Laf. 351, Sel. 383). Le christianisme est étrange ; il ordonne à l’homme de reconnaître qu’il est vil et même abominable, et lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contrepoids cette élévation le rendrait horriblement vain, ou cet abaissement le rendrait horriblement abject.
Morale chrétienne 7 (Laf. 357, Sel. 389). Nul n’est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable.
Pensées diverses (Laf. 680, Sel. 559). Montaigne.
Les défauts de Montaigne sont grands. Mots lascifs. Cela ne vaut rien malgré mademoiselle de Gournay [...]. Ses sentiments sur l’homicide volontaire, sur la mort. Il inspire une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir. Son livre n’étant pas fait pour porter à la piété il n’y était pas obligé, mais on est toujours obligé de n’en point détourner. On peut excuser ses sentiments un peu libres et voluptueux en quelques rencontres de la vie, [...] mais on ne peut excuser ses sentiments tout païens sur la mort. Car il faut renoncer à toute piété si on ne veut au moins mourir chrétiennement. Or il ne songe qu’à mourir lâchement et mollement par tout son livre.
Mots-clés : Abjection – Bien – Chrétien – Dieu – Mal – Mort (voir Mourir) – Orgueil – Vie.