Fragment Fondement n° 8 / 21 – Papier original : RO 47-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 284 p. 117 v° / C2 : p. 144
Éditions savantes : Faugère II, 156, XXI / Havet XXIV.81 bis / Brunschvicg 511 / Tourneur p. 251-4 / Le Guern 216 / Lafuma 231 / Sellier 263
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Bibliographie ✍
MESNARD Jean, “L’incipit dans les fragments des Pensées”, Littératures, 29, automne 1993, p. 25-39. |
✧ Éclaircissements
Si on veut dire que l’homme est trop peu pour mériter la communication avec Dieu, il faut être bien grand pour en juger. (texte barré verticalement)
On peut croire que ce fragment ne fait que répéter une argumentation qui a été développée dans la liasse Grandeur.
Grandeur 10 (Laf. 114, Sel. 146). La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ; un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de [se] connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable.
Grandeur 12 (Laf. 116, Sel. 148). Toutes ces misères-là même prouvent sa grandeur Ce sont misères de grand seigneur. Misères d’un roi dépossédé.
Grandeur 14 (Laf. 118, Sel. 150). Grandeur de l’homme dans sa concupiscence même, d’en avoir su tirer un règlement admirable et en avoir fait un tableau de charité.
On retrouve bien le mouvement qui part de l’hypothèse de l’incapacité de l’homme, pour montrer qu’elle implique l’affirmation de sa grandeur.
Mais il ne s’agit plus dans le présent fragment de misère, mais d’incapacité de recevoir la communication de Dieu. Il ne s’agit pas non plus d’une grandeur essentiellement morale, comme dans la liasse Grandeur, mais de la dignité capable de la communication avec Dieu. Le contexte n’est donc plus le même.
D’autre part, le fragment n’affirme rien : il est purement hypothétique. Voir sur ce genre d’ouverture en si, Mesnard Jean, “L’incipit dans les fragments des Pensées”, Littératures, 29, automne 1993, p. 25-39.
Pascal ne cherche pas ici à prouver à nouveau la grandeur de l’homme. Il fait en réalité écho au fragment A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182), où il a déjà montré qu’un excès de modestie apparent présuppose une affirmation, consciente ou inconciente, de la dignité et de la capacité humaine de s’élever à la communication avec Dieu : Incroyable que Dieu s’unisse à nous. Cette considération n’est tirée que de la vue de notre bassesse, mais si vous l’avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d’où cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même. Et tout troublé de la vue de son propre état il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi si Dieu lui découvre quelque rayon de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connaître et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira se communiquer à nous. Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n’est ni sincère, ni raisonnable si elle ne nous fait confesser que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.
Le fragment pourrait donc être interprété comme un rappel de la mise en garde contre la mauvaise foi qui inspire la fausse humilité, qui ne cache elle-même qu’un désir de ne pas chercher.
Cependant, la situation de Fondement 8 est différente de celle de A P. R. 2 : les étapes de Soumission, d’Excellence de cette manière de prouver Dieu et de Religion aimable ont conduit le lecteur à comprendre ce qui n’était indiqué que par une conclusion rapide dans A P. R. : nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu. En d’autres termes, si l’homme peut être capable de la communication avec Dieu, cela ne peut être que l’œuvre de Dieu. De ce point de vue, Fondement 8 peut être interprété en un sens très différent, comme affirmation de la grandeur que la communication avec Dieu peut conférer à l’homme. Ce ne serait, au bout du compte, qu’une première affirmation de ce que le Mémorial (Laf. 913, Sel. 742) proclame : Grandeur de l’âme humaine.
La communication avec Dieu a d’abord été écrit la compagnie et l’amitié (Voir la transcription diplomatique). D’après le Dictionnaire de l’Académie, l’un des sens du mot communication est commerce, familiarité, correspondance. La communication avec Dieu est l’office propre de Jésus-Christ médiateur.
Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221). Dieu par J.-C. Nous ne connaissons Dieu que par J.-C. Sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. Par J.-C. nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans J.-C. n’avaient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver J.-C. nous avons les prophéties qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies et prouvées véritables par l’événement marquent la certitude de ces vérités et partant la preuve de la divinité de J.-C. En lui et par lui nous connaissons donc Dieu. Hors de là et sans l’écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne morale. Mais par J.-C. et en J.-C. on prouve Dieu et on enseigne la morale et la doctrine. J.-C. est donc le véritable Dieu des hommes.
Mais nous connaissons en même temps notre misère, car ce Dieu là n’est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu’en connaissant nos iniquités.
Laf. 781, Sel. 644. Préface de la seconde partie. [...] Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par J.-C. hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée. Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluit revelare.