Fragment Excellence n° 1 / 5  – Papier original : RO 151-1 r/v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Excellence n° 237-238 p. 85 / C2 : p. 111-112

Éditions de Port-Royal : Titre du chapitre XX - On ne connoist Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janv. 1670 p. 150 / 1678 p. 148

Éditions savantes : Faugère II, 316, X / Havet XXII.7 / Michaut 369 / Brunschvicg 547 / Tourneur p. 232-2 / Le Guern 178 / Lafuma 189 / Sellier 221

 

 

 

Dieu par Jésus-Christ.

 

Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ. Sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. Par Jésus-Christ nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n’avaient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver Jésus-Christ nous avons les prophéties qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies et prouvées véritables par l’événement marquent la certitude de ces vérités et partant la preuve de la divinité de Jésus-Christ. En lui et par lui nous connaissons donc Dieu. Hors de là et sans l’Écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne morale. Mais par Jésus-Christ et en Jésus-Christ on prouve Dieu et on enseigne la morale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes.

Mais nous connaissons en même temps notre misère, car ce Dieu-là n’est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaître Dieu qu’en connaissant nos iniquités. Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l’ont pas glorifié, mais s’en sont glorifiés. Quia non cognovit per sapientiam, placuit Deo per stultitiam prædicationis salvos facere.

 

 

L’intérêt de ce fragment est qu’il montre Pascal balisant l’itinéraire de sa démonstration, dans la seconde partie de son apologie : il constitue un programme qui fixe les étapes de la démonstration. Il constitue, pour reprendre le titre d’un article de J. Mesnard, le « cœur de l’apologétique pascalienne », qui réduit le problème de la connaissance de Dieu à celle du Christ qui sert de médiateur entre l’homme et les vérités de Dieu, qui sont hors de la portée de ses facultés naturelles. Pascal décrit ici l’enchaînement des raisons qui va des prophéties à la preuve du Christ, et du Christ à la connaissance de Dieu, par une voie qui évite de tomber dans la présomption des philosophes qui se croient capables de trouver Dieu par leur seule raison.

Quia non cognovit per sapientiam, placuit Deo per stultitiam predicationis salvos facere : Saint Paul, I Cor., I, 21. « Nam quia in Dei sapientia non cognovit mundus per sapientiam Deum placuit Deo per stultitiam praedicationis salvos facere credentes ». Tr. de Sacy : « Car Dieu voyant que le monde avec la sagesse humaine ne l’avait point reconnu dans les ouvrages de sa sagesse divine, il lui a plu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui ».

 

Analyse détaillée...

Fragments connexes

 

Philosophes 4 (Laf. 142, Sel. 175). Contre les philosophes qui ont Dieu sans J.-C. (texte barré)

Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222). Préface.

Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées qu’elles frappent peu, et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés.

Quod curiositate cognoverunt, superbia amiserunt.

Excellence 3 (Laf. 190, Sel. 223). C’est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans J.-C. qui est de communiquer sans médiateur avec le Dieu qu’on a connu sans médiateur.

Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.

Excellence 4 (Laf. 191, Sel. 224). Il est non seulement impossible mais inutile de connaître Dieu sans J. C. Ils ne s’en sont pas éloignés mais approchés ; ils ne se sont pas abaissés mais… Quo quisque optimus eo pessimus si hoc ipsum quod sit optimus ascribat sibi.

Excellence 5 (Laf. 192, Sel. 225). La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil.

La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir.

La connaissance de J.-C. fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu et notre misère.

Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364). Prophéties. Quand un seul homme aurait fait un livre des prédictions de J.-C. pour le temps et pour la manière et que J.-C. serait venu conformément à ces prophéties, ce serait une force infinie. Mais il y a bien plus ici. C’est une suite d’hommes durant 4000 ans qui constamment et sans variations viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste depuis 4.000 années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu’on leur fasse. Ceci est tout autrement considérable.

Conclusion 2 (Laf. 378, Sel. 410). Il y a une opposition invincible entre Dieu et nous et [...] sans un médiateur il ne peut y avoir de commerce.

Dossier de travail (Laf. 416, Sel. 35). La nature est corrompue. Sans J.-C. il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère. Avec J.-C. l’homme est exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute notre félicité. Hors de lui il n’y a que vice, misère, erreur, ténèbres, mort, désespoir.

Dossier de travail (Laf. 417, Sel. 36). Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par J.-C. ; nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de J.-C. nous ne savons ce que c’est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes. Ainsi sans l’Écriture qui n’a que J.-C. pour objet nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.

Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ; ils déclarent en l’exposant au monde que c’est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la prouvaient ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent pas de sens.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités : et qu’il y a un Dieu, dont les hommes sont capables, et qu’il y a une corruption dans la nature, qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l’un et l’autre de ces points ; et il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l’en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou la superbe des philosophes, qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées, qui connaissent leur misère sans Rédempteur. Et ainsi, comme il est également de la nécessité de l’homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait, c’est en cela qu’elle consiste. Qu’on examine l’ordre du monde sur cela, et qu’on voie si toutes choses ne tendent pas à l’établissement des deux chefs de cette religion : Jésus-Christ est l’objet de tout, et le centre où tout tend. Qui le connaît la raison de toutes choses.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile. [...] Tous ceux qui cherchent Dieu hors de Jésus-Christ, et qui s’arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connaître Dieu et de le servir sans médiateur, et par là ils tombent ou dans l’athéisme ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également.

Pensées diverses (Laf. 781, Sel. 644). Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par J.-C., hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée. Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluit revelare.

 

Sur Jésus-Christ, voir la liasse Preuves de Jésus-Christ, et le fragment intitulé Le mystère de Jésus, Laf. 919, Sel. 749, ainsi que l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, OC III, éd. J. Mesnard, p. 178 sq.

 

Mots-clés : CertitudeCommunicationConnaissanceDieu – Divinité – Doctrine – Folie (Stultitia)GloireHommeIniquitéJésus-ChristMédiateurMisèreMoralePéché originelPreuveProphétieRéparateurSagesse (Sapientia).