Fragment Misère n° 23 / 24 – Papier original :  RO 67-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Misère n° 102 p. 21 / C2 : p. 40

Éditions savantes : Faugère II, 130, VII / Michaut 187 / Brunschvicg 454 / Tourneur p. 187-4 / Le Guern 70 / Maeda III p. 150 / Lafuma 74 / Sellier 108

 

 

Injusti.

 

Ils n’ont pas trouvé d’autre moyen de satisfaire leur concupiscence sans faire tort aux autres.

 

 

Ce bref fragment porte un jugement sévère sur la nature de l’ordre social humain, qui vise à créer une sorte de marché commun des concupiscences, où chacun tente de se satisfaire tout en concédant aux autres de pouvoir en faire autant. Plus précisément, Pascal réduit à une sorte de paix armée entre les amours propres des hommes l’idéal social proposé par les théoriciens de l’honnêteté comme son ami le chevalier de Méré.

Injusti : les injustes.

 

Analyse détaillée...

Fragments connexes

 

Grandeur 2 (Laf. 106, Sel. 138). Grandeur. Les raisons des effets marquent la grandeur de l’homme, d’avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre.

Grandeur 14 (Laf. 118, Sel. 150). Grandeur de l’homme dans sa concupiscence même, d’en avoir su tirer un règlement admirable et en avoir fait un tableau de charité.

Fausseté des autres religions 8 (Laf. 210, Sel. 243). Tous les hommes se haïssent naturellement l’un l’autre. On s’est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public. Mais ce n’est que feindre et une fausse image de la charité, car au fond ce n’est que haine.

Fausseté des autres religions 9 (Laf. 211, Sel. 244). On a fondé et tiré de la concupiscence des règles admirables de police, de morale, et de justice.

Mais dans le fond, ce vilain fond de l’homme, ce figmentum malum n’est que couvert. Il n’est pas ôté.

Pensées diverses (Laf. 597, Sel. 494). Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable.

Point, car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde on n’a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient.

Mais si je le hais parce qu’il est injuste qu’il se fasse centre de tout, je le haïrai toujours.

En un mot le moi a deux qualités. Il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice.

Et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice. Vous ne le rendez aimable qu’aux injustes qui n’y trouvent plus leur ennemi. Et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.

 

Amour propre (Laf. 978, Sel. 743). La nature de l’amour‑propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi. Mais que fera‑t‑il ? Il ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et de misère ; il veut être grand, et il se voit petit ; il veut être heureux, et il se voit misérable ; il veut être parfait, et il se voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible de s’imaginer ; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même il la détruit, autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres ; c’est‑à‑dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi‑même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir ni qu’on les voie.

 

Mots-clés : ConcupiscenceInjustice.