Fragment Morale chrétienne n° 14 / 25 – Papier original : RO 265-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Morale n° 364 p. 179 / C2 : p. 212
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 269 / 1678 n° 66 p. 262
Éditions savantes : Faugère II, 349, III / Havet XXIV.40 / Brunschvicg 249 / Tourneur p. 292-3 / Le Guern 345 / Lafuma 364 / Sellier 396
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
BUSSON Henri, La religion des classiques, Brionne, Monfort, 1948. DESCOTES Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 47-53. LAFOND Jean (éd.), Moralistes du XVIIe siècle, Paris, Robert Laffont, 1992. MESNARD Jean, “Le sacré dans la pensée de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., p. 454-461. THIROUIN Laurent, “Pascal et la superstition”, in LOPEZ Denis, MAZOUER Charles et SUIRE Éric, La religion des élites au XVIIe siècle, Biblio 17, 175, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2008, p. 237-256. |
✧ Éclaircissements
Le fragment est expliqué par un fragment qui n’a pas été recueilli dans les Copies :
Pensée n° 24Aa (Laf. 944, Sel. 767). Il faut que l’extérieur soit joint à l’intérieur pour obtenir de Dieu ; c’est-à-dire que l’on se mette à genoux, prie des lèvres, etc. afin que l’homme orgueilleux qui n’a voulu se soumettre à Dieu soit maintenant soumis à la créature. Attendre de cet extérieur le secours est être superstitieux ; ne vouloir pas le joindre à l’intérieur est être superbe.
C’est être superstitieux de mettre son espérance dans les formalités,
Sur la superstition, voir le fragment Soumission 15 (Laf. 181, Sel. 212).
Thirouin Laurent, “Pascal et la superstition”, p. 237-256.
La première rédaction mentionne le salut que les superstitieux espèrent lorsqu’ils respectent scrupuleusement les formalités extérieures. Mais l’idée reste présente dans le mot espérance de la rédaction définitive. L’espérance est la vertu théologale qui se définit comme l’espoir d’atteindre la vie éternelle (voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Espérance, p. 238).
C’est être superstitieux de mettre son espérance dans les formalités : c’est l’attitude du pharisien dans la parabole de Luc, XVIII. Voir sur ce point le commentaire du Nouveau Testament de Mons. Mais Pascal pense probablement à des pratiques plus modernes, comme certaines dévotions purement formelles à la Vierge, que les Provinciales dénonçaient chez des auteurs comme le P. Paul Barry ; voir Provinciale IX, § 1 sq. La querelle sur les excès de la dévotion mariale a opposé les jésuites et Port-Royal.
L’attitude de soumission intérieure, qui exclut la superstition, est illustrée dans la liasse Morale chrétienne par le fragment Morale chrétienne 17 (Laf. 367, Sel. 400). Point formalistes. Quand saint Pierre et les apôtres délibèrent d’abolir la circoncision où il s’agissait d’agir contre la loi de Dieu, Ils ne consultent point les prophètes mais simplement la réception du Saint-Esprit en la personne des incirconcis. Ils jugent plus sûr que Dieu approuve ceux qu’il remplit de son esprit que non pas qu’il faille observer la loi. Ils savaient que la fin de la loi n’était que le Saint-Esprit et qu’ainsi puisqu’on l’avait bien sans circoncision elle n’était pas nécessaire.
Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, p. 47-53. Voir p. 50. Domat, Pensées, n° 30, in Lafond J. (éd.), Moralistes du XVIIe siècle, Paris, Robert Laffont, p. 611, précise l’idée : « il est bien à craindre que les dévotions extérieures de ce temps, scapulaire, etc., ne soient dans la nouvelle Loi ce qu’étaient dans l’ancienne les traditions superstitieuses des pharisiens, par lesquelles et sous prétexte desquelles ils quittaient l’essentiel de la Loi, s’imaginant qu’ils étaient purifiés par ces cérémonies ».
mais c’est être superbe de ne vouloir s’y soumettre.
Superbe : orgueilleux. Le mot que Pascal a d’abord écrit est glo(rieux). Il a préféré superbe. Cela définit la superbe comme l’excès contraire de la superstition.
C’est être superbe de ne vouloir s’y soumettre : le mépris des cérémonies religieuses est un thème récurrent dans les écrits libertins, mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici. Dans l’administration des sacrements, la partie cérémoniale ne doit pas être méprisée. Le mépris des cérémonies est une sorte paradoxale de stoïcisme chrétien, qui suppose que l’on se fait juge des moyens de faire son salut, et que l’on peut aller à Dieu par ses propres moyens, sans se soumettre aux formes qu’impose l’Église.
Mesnard Jean, “Le sacré dans la pensée de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, p. 454-461. Position de Pascal sur le problème des sacrements : p. 457. Le sacrement de pénitence dans la dixième Provinciale : p. 457. Problème : si la contrition intérieure suffit, à quoi sert le rite de l’absolution ?, p. 458. L’absolution ne remet pas les péchés, c’est la contrition ; mais la contrition n’est pas véritable si elle ne recherche le sacrement : p. 458. Le sacré est de nature corporelle et la vérité qui est spirituelle sont également nécessaires en raison de la double nature de l’homme : p. 458-459. Voir Miracles III (Laf. 861, Sel. 439), qui affirme que la foi a deux fondements, l’un intérieur, l’autre extérieur ; au surnaturel visible revient la dénomination de sacré. L’insertion de Dieu dans l’âme doit toujours s’accompagner de sa manifestation dans le corporel.
Cette combinaison de l’intérieur et de l’extérieur est pour Pascal le propre de la religion chrétienne :
Fausseté 17 (Laf. 219, Sel. 252). Les autres religions, comme les païennes, sont plus populaires, car elles sont en extérieur, mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles, mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d’extérieur et d’intérieur. Elle élève le peuple à l’intérieur, et abaisse les superbes à l’extérieur, et n’est pas parfaite sans les deux, car il faut que le peuple entende l’esprit de la lettre et que les habiles soumettent leur esprit à la lettre.
Il faut mettre en relation ces idées avec le conseil que dans Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), l’apologiste donne à son interlocuteur : prendre « de l’eau bénite », faire « dire des messes », pour soumettre l’esprit par la « machine ».