Fragment Morale chrétienne n° 22 / 25 – Papier original : RO 199-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Morale n° 367 p. 181 v° / C2 : p. 215
Éditions savantes : Faugère II, 380, XLV / Havet XXIV.60 bis / Brunschvicg 476 / Tourneur p. 294 / Le Guern 353 / Lafuma 373 / Sellier 405
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
CARRAUD Vincent, Pascal et la philosophie, Paris, P. U. F., 1992. CARRAUD Vincent, Pascal. Des connaissances naturelles à l’étude de l’homme, Paris, Vrin, 2007. ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 488 sq. FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, P. U. F., 1984. FRIGO Alberto, “Pascal et les membres pensants : penser l’Église, régler l’amour”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 32, 2010, p. 56-60. LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d'après Arnauld), Paris, Vrin, 1951-1952, 2 vol. LE GUERN Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, Paris, Klincksieck, 1983. MAGNARD Pierre, “Un corps plein de membres pesants”, Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, n° 2, avril-juin 2000, 1137, p. 193-200. MARION Jean-Luc, Sur le prisme métaphysique de Descartes, Paris, P. U. F., 1986. MESNARD Jean, “Pascal et le problème moral”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992, p. 355-362. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd. Paris, SEDES-CDU, 1993. McKENNA Antony, “Pascal et le corps humain”, XVIIe siècle, n° 177, octobre-décembre 1992, p. 481-494. MEURILLON Christian, “Clefs pour le lexique des Pensées. L’exemple de corps”, in GOYET Thérèse (dir.), L’accès aux Pensées de Pascal, Paris, Klincksieck, 1993, p. 125-143. ROMEO Maria Vita (dir.), Il moderno fra Prometeo e Narciso, Catane, C. U. E. C. M., 2007. ROMEO Maria Vita, Il soggetto all’alba della modernità, Catane, C. U. E. C. M., 2012, p. 135 sq. SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. THIROUIN Laurent, “Le moi haïssable, une formule équivoque”, in BEHRENS Rudolf, GIPPER Andreas, MELLINGHOFF-BOURGERIE Viviane (dir.), Croisements d’anthropologies. Pascals Pensées im Geflecht der Anthropologien, Universitätvelag, Heidelberg, 2005, p. 217-247. |
✧ Éclaircissements
Voir Pascal, Lettre sur la mort de son père, OC II, éd. J. Mesnard, p. 857. Dieu a créé l’homme avec deux amours, l’un pour Dieu, l’autre pour soi. Avec cette condition que l’amour pour Dieu sera infini, alors que l’amour de soi serait fini et rapportant transitivement à Dieu : p. 857. Dans la situation originelle, l’homme s’aimait sans péché, et ne pouvait pas ne pas s’aimer sans péché. Mais le péché provoque une perte de l’amour de Dieu ; seul demeure l’amour de soi : p. 857-858. Cet amour de soi comporte une infinité née de la place laissée par l’amour de Dieu : p. 858.
Preuves par discours I (Laf. 423, Sel. 680). Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. Je dis que le cœur aime l’être universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix.
L’alternative entre amour de Dieu et amour de soi fait écho à saint Augustin, La Cité de Dieu, XIV, 28, surtout à la formule demeurée célèbre : « Fecerunt itaque civitates duas amores duo, terrenam scilicet amor sui usque ad contemptum Dei, caelestem vero amor Dei usque ad contemptum sui. ». Ce point est très bien exposé dans le livre de Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 140 sq., sur « les deux amours », auquel il faut se reporter.
Il faut n’aimer que Dieu
Sur l’amour de Dieu, voir Provinciale X, § 8 sq., et Conclusion 1 (Laf. 377, Sel. 409).
Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 188 sq. L’amour, essence du christianisme, est le commandement principal du christianisme ; c’est par lui que l’homme est enfant de Dieu. Commandement de l’amour donné par le Christ : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » : p. 188.
Marc, XII, 30. « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, et tout votre esprit, et de toutes vos forces ».
Matthieu, XXII, 36-37. « Maître, quel est le grand commandement de la loi ? Jésus lui répondit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. »
Deutéronome VI, 4-5. « Écoutez, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul et unique Seigneur. Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces » (tr. de la Bible de Port-Royal).
La formule de l’Exode est plus proche de celle de Pascal dans ce fragment : voir Exode, XXXIV, 14. « N’adorez point de dieu étranger. Le Seigneur s’appelle le Dieu jaloux, Dieu veut être aimé uniquement » (tr. de la Bible de Port-Royal).
Fausseté 12 (Laf. 214, Sel. 247). La vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant aucune ne l’a ordonné, la nôtre l’a fait.
Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance, la nôtre l’a fait.
Elle doit y avoir apporté des remèdes, l’un est la prière. Nulle religion n’a demandé à Dieu de l’aimer et de le suivre.
Ce que signifie n’aimer que Dieu : c’est faire tout en prenant Dieu pour fin dernière. Voir Arnauld Antoine, Seconde apologie de Jansénius, III, XVII, Œuvres, XVII, p. 318. Critique de la distinction de M. Le Moyne entre amour explicite et implicite. « Que si nous sommes obligés de rapporter à Dieu toutes nos actions, il s’ensuit évidemment que nous ne devons rien faire que par le mouvement de son amour : car ce serait une étrange pensée, de s’imaginer que l’on pût rapporter une action à Dieu, sans le connaître et sans l’aimer. Il est impossible que notre volonté se porte à un objet qu’elle n’en ait quelque connaissance, et il est aussi peu possible qu’elle rapporte une action à une fin sans aimer cette fin ; puisque l’amour de la fin pour laquelle on agit précède nécessairement l’amour des moyens, et qu’à proprement parler, on n’aime pas les moyens, mais la fin pour laquelle on les embrasse. »
Commentaire de la Bible de Port-Royal sur le premier commandement, sur Matthieu, XXII, 36 : « Aimer Dieu en cette sorte, c’est rapporter toutes les pensées de son esprit, tous les mouvements de son cœur, et toutes les actions de sa vie à celui de qui ont tient et son esprit, et son cœur, et sa propre vie. » ; Sacy renvoie à saint Augustin, De doctrina christiana, I, 22 : « Ainsi, selon la pensée du même saint, tout homme, pour le dire ainsi, est obligé par ce précepte d’aimer Dieu ; c’est-à-dire qu’il ne doit point y avoir aucune partie, ni dans l’homme, ni dans toute l’étendue de la vie de l’homme, qui ne soit remplie de l’amour de Dieu. Au moment donc, ajoute ce Père, que quelque objet se présente à notre esprit pour lui demander notre amour, il doit être comme absorbé en cet amour dominant qui règne en nous, et rapporté uniquement à cet objet souverain, où se porte toute l’impétuosité de notre cœur [...]. C’est pour cela que le Fils de Dieu dit à ce docteur que le commandement d’aimer Dieu était le premier et le plus grand, parce que c’est à celui-là que tous les autres doivent être rapportés ».
Nicole-Wendrock commente cette question dans une note à la dixième Provinciale consacrée à la réfutation de la doctrine du P. Sirmond, dont la première partie est intitulée Vraie notion de l’amour de Dieu, tr. Joncoux, II, p. 80-84.
Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, I, p. 106. Pour Arnauld, l’amour de Dieu ne supporte ni exception, ni interruption : « il n’y a point de moment dans la vie où nous ne soyons obligés d’aimer Dieu », Discours sur l’amour de Dieu, Œuvres, XXVI, p. 7. L’amour de Dieu est commandé : p. 85 sq. Il y a deux manières d’éluder ce commandement, soit en niant que ce soit un précepte, soit en substituant au vrai amour un amour faux ou imaginaire (Dissertation théologique sur le commandement d’aimer Dieu, Œuvres, XXIX, p. 16-17). C’est un commandement dans toute la force du terme, et la distinction du P. Sirmond d’un commandement de douceur qui oblige sans obliger absolument, est contradictoire : p. 92. On peut opposer à Arnauld l’objection que l’amour ne se commande pas : p. 94. Mais c’est se faire une fausse idée de l’amour de le concevoir comme passif et purement extatique. L’amour réel est disposition ou inclination de la volonté libre : p. 95. Ce qui est commandé, c’est une intention, un amour de la justice, la disposition à obéir à la loi de Dieu sans autre intention que de faire sa volonté : p. 99. L’objection qu’on ne commande pas l’amour n’est donc pas recevable : l’amour d’une chose ou d’une personne quelconque n’est pas en notre pouvoir, on ne peut donc le commander ; mais à tout homme on peut commander d’aimer Dieu parce qu’il est naturellement aimable à tout homme : p. 101. Il ne faut aimer que Dieu, et cet amour suffit : p. 106. Cet amour doit être unique : p. 108. Dans le cas des parents et des amis, conformément à la distinction de l’uti et du frui, il faut les aimer d’une dilectio transitoria qui n’existe qu’en fonction d’un bien dernier que le bien considéré permet d’obtenir, la dilectio mansoria demeurant attachée au bien dernier ; la dilectio mansoria mérite seule le nom d’amour : p. 109-110. La charité est suffisante pour bien agir ; c’est selon saint Thomas, IIa IIae q. 2, art. 8, la « forme de toutes les vertus ». L’amour de Dieu, l’intention droite ou la bonne volonté n’étant qu’une même chose, quiconque aime Dieu agit bien : p. 119. Caractère essentiellement intérieur de la loi et de la vie chrétienne : p. 120.
Arnauld Antoine, De la fréquente communion, Partie II, ch. XII, éd. 1696, p. 456 sq. « Qu’est-ce donc qu’aimer Dieu, ou avoir une véritable contrition de son péché ? Que chacun consulte son cœur, et s’il y trouve quelque affection un peu violente, ou de mari envers sa femme, ou de père envers ses enfants, ou d’ami envers son ami, qu’il en examine les mouvements ; et il lui sera facile d’apprendre ce que c’est qu’aimer Dieu, et de reconnaître qu’il y a beaucoup de personnes qui se persuadent faire souvent des actes d’amour de Dieu, qui n’ont pas seulement les ombres de cet amour. [...] Voilà ce que les hommes appellent aimer, et non pas des paroles et des pensées, qui se sont que des productions de l’esprit, et non point des effusions du cœur. C’est par cette image imparfaite que nous devons juger si l’amour de Dieu règne dans nos âmes, si nous sentons dans le fond de notre cœur un détachement des choses du monde, un attachement à celles de Dieu, un mépris des vanités et des pompes de ce siècle, une joie dans l’attente des biens éternels, une crainte mortelle de tomber dans la disgrâce de Dieu, un désir pressant de lui plaire en toutes choses, un ferme dessein de fuir toutes les occasions qui nous pourraient engager dans le péché, et enfin une véritable disposition dans la volonté d’abandonner père, mère, frères, sœurs, parents, amis, biens, fortunes, grandeurs, honneur, estime, plutôt que d’abandonner le service de Jésus-Christ, et la voie étroite de l’Évangile. Si, dis-je, sans nous flatter et sans nous séduire nous-mêmes, nous trouvons toutes ces dispositions dans notre cœur, au moins en quelque degré (ce qui se connaît mieux par les actions et par le règlement de notre vie que par des sentiments purement intérieurs, qui nous peuvent tromper facilement), nous avons quelque sujet de croire que nous aimons Dieu, et de rendre grâces à sa miséricorde infinie d’avoir répandu dans nos âmes quelques flammes de ce feu céleste, que Jésus-Christ est venu apporter du ciel en terre » : p. 457-458.
Saint Bernard de Clairvaux, L’amour de Dieu, La grâce et le libre arbitre, Œuvres complètes, XXIX, Paris, Cerf, 1993. Voir sur les rapports de saint Bernard et de Port-Royal sur l’amour de Dieu le livre de Icard Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Paris, Champion, 2010, p. 447 sq.
et ne haïr que soi.
Voir le dossier thématique sur Le moi.
Laf. 617, Sel. 510. Qui ne hait en soi son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité. Car il est faux que nous méritions cela, et il est injuste et impossible d’y arriver, puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire.
Cependant aucune religion n’a remarqué que ce fût un péché, ni que nous y fussions nés, ni que nous fussions obligés d’y résister, ni n’a pensé à nous en donner les remèdes.
Laf. 597, Sel. 494. Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable.
Point, car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde on n’a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient.
Mais si je le hais parce qu’il est injuste qu’il se fasse centre de tout, je le haïrai toujours.
En un mot le moi a deux qualités. Il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice.
Et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice. Vous ne le rendez aimable qu’aux injustes qui n’y trouvent plus leur ennemi. Et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.
Ne haïr que soi : entendre qu’il ne faut pas haïr les autres. Voir Fausseté 8 (Laf. 210, Sel. 243) : Tous les hommes se haïssent naturellement l’un l’autre. On s’est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public. Mais ce n’est que feindre et une fausse image de la charité, car au fond ce n’est que haine. Cette formule fait allusion en quelques mots à toute la critique de l’idéal de l’honnêteté formée par Pascal.
Voir sur ce sujet Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd. Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 122 sq. Critique de l’idéal et de la réalité de l’honnête homme chez Pascal.
Mesnard Jean, “Pascal et le moi haïssable”, in La culture du XVIIe siècle, p. 405-413. En quel sens le moi est haïssable du point de vue anthropologique : il est injuste, incommode parce qu’il se fait centre de tout : p. 406. Les règles de l’honnêteté tendent à neutraliser ou au moins à modérer cette tyrannie du moi sur les autres : p. 407. Le moi se fait centre de tout en ce sens qu’il veut être aimé ; mais est-il vraiment aimable ?, p. 408. Le moi considéré par rapport à la charité : p. 411 sq. On est haïssable par sa concupiscence, qui est opposée à l’amour de Dieu : p. 411. Dans quelle mesure l’amour de soi est légitime : p. 412. Développement de l’apologue des membres et du corps, du corps plein de membres pensants et par suite de l’image paulinienne du corps mystique : p. 412-413.
Thirouin Laurent, “Le moi haïssable, une formule équivoque”, particulièrement p. 238 sq., sur le fait que Pascal ne condamne pas l’amour de soi, qui était légitime, dans la condition de l’homme avant la chute. Voir la Lettre sur la mort de son père, OC II, éd. J. Mesnard, p. 853 : « l’homme en cet état non seulement s’aimait sans péché, mais ne pouvait pas ne point s’aimer sans péché ». L. Thirouin distingue, plutôt que bon et mauvais amour propre, haine du moi et haine de soi. La haine du moi n’est pas incompatible avec un amour de soi ; elle est le seul fondement d’un véritable amour de soi.
Carraud Vincent, Pascal et la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 337 sq.
Carraud Vincent, Pascal. Des connaissances naturelles à l’étude de l’homme, p. 105 sq., sur l’invention du moi.
Marion Jean-Luc, Sur le prisme métaphysique de Descartes, p. 348. Décentrement et défaite de l’ego. Que signifie haïr le moi ?, p. 349. Dans la haine de soi se révèle par contraste l’amour de Dieu.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 144 sq. Faut-il s’aimer soi-même ?
Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, p. 51 sq. Thème classique des membres et du corps. Rapport avec le il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi : p. 52.
-------
Si le pied avait toujours ignoré qu’il appartînt au corps et qu’il y eût un corps dont il dépendît, s’il n’avait eu que la connaissance et l’amour de soi et qu’il vînt à connaître qu’il appartient à un corps duquel il dépend, quel regret, quelle confusion de sa vie passée, d’avoir été inutile au corps qui lui a influé la vie, qui l’eût anéanti s’il l’eût rejeté et séparé de soi, comme il se séparait de lui ! Quelles prières d’y être conservé ! et avec quelle soumission se laisserait‑il gouverner à la volonté qui régit le corps,
Sur les membres et le corps, voir Morale chrétienne 21 (Laf. 372, Sel. 404). Voir aussi dans Morale chrétienne 21 la référence à la fable de Menenius sur le mont Aventin.
La comparaison des membres et du corps est empruntée à saint Paul, I Corinthiens, XII, 12 sq. « Et comme notre corps, n’étant qu’un, est composé de plusieurs membres, et qu’encore qu’il y ait plusieurs membres, ils ne font tous néanmoins qu’un même corps, il en est de même du Christ. 13. Car nous avons tous été baptisés dans le même Esprit, pour n’être tous ensemble qu’un même corps, soit Juifs ou gentils, soit esclaves ou libres. Et nous avons tous reçu un divin breuvage, pour n’être tous aussi qu’un même esprit. 14. Aussi le corps n’est pas un seul membre, mais plusieurs. 15. Si le pied disait : Puisque je ne suis pas la main, je ne suis pas du corps, ne serait-il point pour cela du corps ? 16. Et si l’oreille disait : Puisque je ne suis pas l’œil, je ne suis pas du corps, ne serait-elle point pour cela du corps ? 17. Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe ? Et s’il était tout ouïe, où serait l’odorat ? 18. Mais Dieu a mis dans le corps plusieursmembres, et il les y a placés comme il lui a plu. 19. Si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le corps ? 20. Mais il y a plusieurs membres, et tous ne font qu’un seul corps. 21. Or l’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de votre secours ; non plus que la tête ne peut dire aux pieds : Vous ne m’êtes point nécessaires. 22. Mais au contraire les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont les plus nécessaires. 23. Nous honorons même davantage par nos vêtements les parties du corps qui paraissent les moins honorables ; et nous couvrons avec plus de soin et d’honnêteté celles qui sont moins honnêtes. 24. Car pour celles qui sont honnêtes, elles n’en ont pas besoin : mais Dieu a mis un tel ordre dans tout le corps, qu’on honore davantage ce qui est moins honorable de soi-même ; 25. Afin qu’il n’y ait point de schisme, ni de division dans le corps, mais que tous les membres conspirent mutuellement à s’entraider les uns les autres. 26. Et si l’un des membres souffre, tous les autres souffrent avec lui : ou si l’un des membres reçoit de l’honneur, tous les autres s’en réjouissent avec lui. 27. Or vous êtes le corps de Jésus-Christ, et membres les uns des autres » (traduction de la Bible de Port-Royal).
Pascal ne fait ici que prolonger l’esquisse de récit de saint Paul : celui-ci imagine la révolte des membres ; Pascal imagine le retour du membre prodigue, ce qui complète la parabole.
Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, Thème classique des membres et du corps, mais original dans son traitement par Pascal, principalement par la préparation souterraine de l’image et par l’intégration dans l’image de certaines anomalies qui en marquent le caractère figuratif : p. 51. Conformité de cette technique avec la pensée de Pascal sur les figuratifs.
Sur l’art de la parabole chez Pascal, voir Provinciale II, éd. Cognet, Garnier, 1965, p. 31, et l’étude de Deprun Jean, “La parabole de la seconde Provinciale”, in Mesnard Jean, Goyet Thérèse, Sellier Philippe et Descotes Dominique, Méthodes chez Pascal, Paris, P. U. F., 1979, p. 241-252.
jusqu’à consentir à être retranché s’il le faut ! ou il perdrait sa qualité de membre ; car il faut que tout membre veuille bien périr pour le corps qui est le seul pour qui tout est.
C’est le problème du martyre, auquel il a été fait allusion dans le fragment Morale chrétienne 9 (Laf. 359, Sel. 391). L’exemple de la mort des martyrs nous touche car ce sont nos membres. Nous avons un lien commun avec eux. Leur résolution peut former la nôtre, non seulement par l’exemple, mais parce qu’elle a peut-être mérité la nôtre.
Le Guern Michel, L’image dans l’œuvre de Pascal, p. 149, sur la perspective tragique de l’image du corps et des membres dans le présent fragment.