Fragment Soumission et usage de la raison n° 10 / 23  – Papier original : RO 270-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Soumission n° 231 [bis] p. 81 v° / C2 : p. 108

Éditions savantes : Faugère II, 351, VI / Havet XXV.48 / Michaut 557 / Brunschvicg 261 / Tourneur p. 229-6 / Le Guern 165 / Lafuma 176 / Sellier 207

 

 

 

Ceux qui n’aiment pas la vérité prennent le prétexte de la contestation et de la multitude de ceux qui la nient, et ainsi leur erreur ne vient que de ce qu’ils n’aiment pas la vérité ou la charité. Et ainsi ils ne s’en sont pas excusés.

 

 

Ce fragment prolonge Soumission 11 (Laf. 177, Sel. 208), sur le fait que la contradiction (c’est-à-dire le fait que les opinions ne s’accordent pas) n’est pas plus marque d’erreur que le consentement universel n’est marque de vérité. C’est l’un des arguments ordinaires des sceptiques, que la divergence des opinions et les contestations auxquelles elles donnent lieu témoignent qu’elles sont toutes douteuses. Descartes, qui n’est pourtant pas suspect de scepticisme, soutient même que lorsque deux interlocuteurs sont en désaccord, il est très probable qu’ils sont tous deux en tort, car si l’un détenait la vérité, il pourrait en convaincre l’autre.

Pascal s’est lui-même fait l’écho de ce lieu commun sceptique dans les liasses Vanité et Misère, où il a abondamment montré à quel point l’homme peut être victime des « puissances trompeuses ».

Mais il refuse tout aussi bien de conclure directement de l’accord des esprits à la vérité d’une opinion, que du désaccord à sa fausseté. Une idée n’est pas nécessairement vraie parce qu’elle recueille le consentement général, et elle n’est pas nécessairement fausse du seul fait qu’elle est discutée.

Dès lors que l’on admet, comme l’écrit Pascal dans Soumission 11 (Laf. 177, Sel. 208), que contradiction est une mauvaise marque de vérité, le fait d’alléguer la contestation pour ne pas admettre une vérité ne doit pas être rapporté à un doute réel, mais au refus, conscient ou non, de la vérité. Lorsqu’un homme récuse une vérité sous le prétexte qu’elle ne recueille pas l’accord général, il use d’un argument manifestement insuffisant. Il en résulte que cette raison n’est en réalité qu’un prétexte vain, et que la véritable raison de ce refus ne doit pas être cherchée dans une obscurité intrinsèque de la vérité, mais ailleurs, dans une raison inavouée, savoir que cette vérité déplaît. C’est particulièrement le cas en matière religieuse, car comme l’indique le fragment Ordre 10 (Laf. 12, Sel. 46), les hommes ont mépris pour la religion, ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Mais de ce fait, la responsabilité de l’erreur incombe à ceux qui s’abritent derrière ce prétexte pour récuser la vérité.

 

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Fragments connexes

 

Ordre 10 (Laf. 12, Sel. 46). Les hommes ont mépris pour la religion, ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie.

Miracles II (Laf. 840, Sel. 428). Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur.

Miracles II (Laf. 841, Sel. 426). Jeh. 7. 40. Contestation entre les Juifs comme entre les chrétiens aujourd’hui.

Les uns croient en J. C. et les autres ne le croient pas à cause des prophéties qui disaient qu’il devait naître de Bethléem.

Ils devaient mieux prendre garde s’il n’en était pas ; car, ses miracles étant convaincants, ils devaient bien s’assurer de ces prétendues contradictions de sa doctrine à l’Écriture, et cette obscurité ne les excusait pas, mais les aveuglait.

Ainsi ceux qui refusent de croire les miracles d’aujourd’hui pour une prétendue contradiction chimérique, ne sont pas excusés.

Le peuple qui croyait en lui sur ses miracles, les pharisiens leur disent : ce peuple est maudit qui ne sait pas la loi. Mais y a‑t‑il un prince ou un pharisien qui ait cru en lui, car nous savons que nul prophète ne sort de Galilée ? Nicodème répondit : notre Loi juge‑t‑elle un homme devant que de l’avoir ouï.

 

Laf. 964, Sel. 798. Il faut bien, dit le Feuillant, que cela ne soit pas si certain, car la contestation marque l'incertitude.

Saint Athanase, saint Chrysostome.

La morale. Les infidèles.

Les jésuites n'ont pas rendu la vérité incertaine, mais ils ont rendu leur impiété certaine.

La contradiction a toujours été laissée pour aveugler les méchants, car tout ce qui choque la vérité ou la charité est mauvais. Voilà le vrai principe.

 

Texte connexe

 

De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, qu’une idée qui contredit nos principes de plaisir, même si elle est vraie, risque fort d’être rejetée. Voir De l'Esprit géométrique, II, De l'art de persuader, § 7-8, p. 415-416.

 

Mots-clés : Charité – Contestation – Erreur – Excuse – MultitudeVérité.