Preuves par discours III - Fragment n° 10 / 10  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 47 p. 229 v° à 231 v° / C2 : p. 443 à 445

Éditions de Port-Royal :

     Chap. XX - On ne connaît Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janvier 1670 p. 153-157  / 1678 n° 2 p. 151-155

     Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 138  / 1678 n° 3 p. 137

     Préface : 1669 et janvier 1670 p. [48-49]  / 1678 p. [31-32]

Éditions savantes : Faugère II, 115, III ; II, 116, VII à IX ; II, 142, IV  / Havet X.5 ; XXII.3, 6 et 10 ; XX.2 ; XXIV.9 et 9 bis / Michaut 919 et 920 / Brunschvicg 556  et 494 / Le Guern 419 et 420 / Lafuma 449 et 450 (série V) / Sellier 690

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Transcription savante (origine : Copies C1 et C2)

 

 

 

 

J. C. est l’objet de tout & le centre où tout tend

Qui le connoist connoist la raison de toutes choses.

 

Ceux qui s’egarent ne s’egarent que manque de voir une de ces deux choses ; On peut donc bien connoistre Dieu sans sa misere, & sa misere sans Dieu, mais on ne peut connoistre J. C. sans connoistre tout ensemble & Dieu & sa Misere

Et c’est pourquoy je n’entreprendray pas icy de prouver par des raisons naturelles ou l’existence de Dieu ou la Trinité ou l’immortalité de l’ame ny aucune des choses de cette nature non seulement parceque je ne me sentirois pas assez fort pour trouver dans la nature de quoy convaincre des Athées endurcis, mais encore parceque cette connoissance sans J. C. est inutile & sterile, quand un homme seroit persuadé que les proportions des Nombres sont des veritez immaterielles, Eternelles & dependantes d’une premiere verité en qui elles subsistent & qu’on appelle Dieu je ne le trouveray 1 pas beaucoup avancé pour son Salut.

 

Le Dieu des Chrestiens ne consiste pas en un Dieu simplement autheur des veritez geometriques & de l’Ordre des Elemens, c’est la part des Payens & des Epicuriens il ne consiste pas seulement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie & sur les biens des hommes pour donner une heureuse suite d’anneés à ceux qui l’adorent, c’est la portion des Juifs, Mais le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le dieu de Jacob, le Dieu des Chrestiens est un dieu d’Amour & de consolation, c’est un dieu qui remplit l’Ame & le cœur de ceux 2 qu’il possede, c’est un dieu qui leur fait sentir interieurement leur misere & sa misericorde infinie, qui s’unit au fonds de leur ame qui la remplit d’humilité, de Joye, de confiance d’amour qui les rend incapables d’autre fin que de luy mesme 3.

 

Tous ceux qui cherchent Dieu hors de J. C. & qui s’arrestent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumiere qui les satisfasse ou ils arrivent à se former un moyen de connoistre Dieu, & de le servir sans mediateur, & par là ils tombent ou dans l’Atheisme ou dans le Deisme qui sont deux choses que la Religion chrestienne abhore presqu’egalement.

 

Sans J. C. le Monde ne subsisteroit pas, car il faudroit ou qu’il fust 4 destruict ou qu’il fust comme un Enfer.

 

Si le monde subsistoit pour instruire l’homme de Dieu sa Divinité y 5 reluiroit de toutes parts d’une maniere incontestable mais comme il ne subsiste que par J. C. & pour J. C. & pour instruire les hommes & de leur corruption & de leur redemption tout y eclate des preuves de ces deux veritez.

 

Ce qui y paroist ne marque ny une exclusion totale ny une presence manifeste de Divinité, mais la presence d’un Dieu qui se cache tout porte ce caractere.

 

Le Seul qui connoist la Nature ne la connoistra t’il que pour estre miserable.

 

Le Seul qui la connoist sera t’il le seul Malheureux.

 

Il ne faut pas 6 qu’il ne voye rien du tout il ne faut pas aussy qu’il en voye assez pour croire qu’il le possede, mais qu’il en voye assez pour connoistre qu’il l’a perdu, car pour connoistre qu’on a perdu il faut voir & ne voir pas, & c’est precisement l’estat où est la nature.

 

Quelque party qu’il prenne je ne l’y laisseray point en repos.

 

Il faudroit que la veritable Religion enseignast la grandeur, la misere portast à l’estime, & au mespris de soy, à l’Amour & à la hayne.

 

 

Notes

 

1 La finale -eray correspond à un futur. Le conditionnel est marqué au XVIIe siècle par la finale -erois. Les éditeurs modernes interprètent le verbe comme un conditionnel.

2 P. Faugère puis E. Havet ont omis ces deux mots comme dans l’édition de Port-Royal de 1678. G. Michaut a corrigé.

3 de lui-même a été souligné dans C1 mais pas dans C2.

4 C2 : « fut ».

5 P. Faugère puis E. Havet ont omis ce mot. G. Michaut a corrigé.

6 L. Lafuma transcrit ce mot comme s’il avait été barré, ce qui n’est pas exact : le copiste l’a omis à la fois dans C1 et C2 (ce qui pourrait correspondre à un oubli dans C0) puis des réviseurs ont corrigé cet oubli dans les deux Copies.

 

Premières éditions et copies des XVIIe - XVIIIe siècles et du début du XIXe

 

Le fragment a été partiellement retenu dans l’édition de Port-Royal en 1670.

Voir cette étude...

 

La copie Périer reproduit, p. 167 [bis] la plupart des textes non retenus dans l’édition, ainsi que deux textes déjà édités : (en rouge : les différences par rapport à C1 et C2)

Et c’est pourquoi Je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles ou l’existence de Dieu ou la Trinité ou l’immortalité de l’ame, ni aucune des choses de cette nature, non seulement parceque je ne me sentirois pas assez fort pour trouver dans la Nature dequoi convaincre des athées ou endurcis ; mais encore parceque cette connoissance sans J.C. est inutile et stérile. Quand un homme seroit persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles éternelles et dépendantes d’une premiere vérité en qui elle subsistent et qu’on appelle Dieu, je ne les trouverai pas beaucoup avancé pour son salut.

Sans J.C. le monde ne subsisteroit pas ; car il faudroit ou qu’il fut détruit, ou qu’il fut comme un Enfer.

Le Seul qui connoit la Nature, ne la connoitra t’il que pour etre misérable

Le seul qui la connoit sera t il le seul malheureux ?

Il ne faut pas qu’il ne voie rien du tout ; Il ne faut pas aussi qu’il en voie assez pour croire qu’il le posséde ; mais qu’il en voie assez pour connoitre qu’il la perdu ; car pour connoitre ce qu’on a perdu ; il faut voir et ne voir pas, et c’est précisement l’etat ou est la nature.

Il faudroit que la véritable réligion enseignant la grandeur, la misere. portast à l’estime et au mépris de soi et à l’amour et à la haine.

Autres copies : copie de Marie-Scolastique Le Sesne de Ménilles de Théméricourt, p. 71 :

Et c’est pourquoy je n’entreprendray pas      de prouver par des raisons naturelles, ou l’existance de Dieu, ou la Trinité, ou l’Immortalité de l’ame, ny aucune des choses de cette nature, non seulement parce que je ne me sentirois pas assez fort pour trouver dans la nature de quoy convaincre des atheés endurcis ; mais encore parce que cette connoissance sans J.C. est inutile et sterile.

Quand un homme seroit persuadé que les proportions des nombres sont des veritez immaterielles eternelles et dependantes d’une premiere verité en qui elles subsistent et qu’on appelle Dieu, je ne le trouveray pas beaucoup avancé pour son salut.

L’état du texte suppose que Mlle de Théméricourt a utilisé une autre source (probablement, selon J. Mesnard, le Recueil Guerrier G1 ou G2).

La copie de l’Oratoire de Troyes (p. 51) reproduit une partie de la copie Théméricourt, en laissant de grands espaces blancs à la place du texte manquant :

et c’est pourquoy je n’entreprendray pas      de prouver par des raisons naturelles ou l’existence de Dieu, ou la trinité,                                                                         parce que je ne me sentirois pas assez fort pour trouver dans la nature dequoy convaincre des atheés                                                                           .

Quand un homme seroit persuadé que les propositions des nombres sont des véritez immatérielles, éternelles et dépendantes d’une premiére vérité, en qui elles subsistent, et qu’on apelle Dieu, je ne le trouveray pas beaucoup avancé pour son salut.

et reproduit (p. 59) une partie du texte publié par Desmolets :

Il ne faut pas que l’homme ne voye rien du tout ; il ne faut pas aussi qu’il en voye assez pour croire qu’il posséde Dieu, mais qu’il en voye assez pour connoitre qu’il l’a perdu. car pour connoitre qu’on a perdu il faut voir et ne pas voir. c’est précisément l’état où est la nature.

Le père Pierre Nicolas Desmolets (1728) édite une partie de ces textes p. 313-314 :

       je n’entreprendray pas de prouver icy par des raisons naturelles ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’ame, ni même des choses de cette nature ;       parce que je ne me sentirois pas assez fort pour trouver dans la nature de quoy convaincre des athées endurcis : mais encore, parce que cette connoissance sans Jesus-Christ est inutile & stérile. Quand un homme seroit persuadé que les proportions des nombres sont des veritez immatérielles, éternelles, & dépendantes d’une premiere verité en qui elles subsistent, & qu’on apelle Dieu ; je ne le trouverois pas beaucoup avancé pour son salut.

Sans Jesus-Christ le monde ne subsisteroit pas ; car il faudroit ou qu’il fût détruit, ou qu’il fût comme un enfer.

Le seul qui connoit la nature, ne la connoitra-t-il que pour être miserable ?

Le seul qui la connoit, sera-t-il le seul malheureux ?

Il ne faut pas que l’homme ne voye rien du tout. Il ne faut pas aussi qu’il en voye assez pour croire qu’il possede Dieu, mais qu’il en voye assez pour connoître qu’il l’a perdu. Car pour connoître qu’on a perdu, il faut voir. Et ne pas voir, c’est précisement l’état où est la nature.

Il falloit que la véritable Religion enseignât la grandeur & la misere, portât à l’estime & au mépris de soi, à l’amour & à la haine.

Aucun de ces copistes ou éditeurs n’avait dû s’apercevoir que le texte Et c’est pourquoi je n’entreprendrai pas... était déjà dans la Préface de l’édition.

Une partie des textes publiés par Desmolets a été reproduite par Ch. Bossut (1779) p. 333, t. II, partie II, article XVII, n° 9 puis par A. Renouard (1812) p. 172, partie II, article XVII, n° IX.

Sans Jésus‑Christ, le monde ne subsisterait pas, car il faudrait, ou qu’il fût détruit, ou qu’il fût comme un enfer.

Le seul qui connaît la nature ne la connaîtra‑t‑il que pour être misérable ?

Le seul qui la connaît sera‑t‑il le seul malheureux ?

Il ne faut pas que l’homme ne voie rien du tout ; il ne faut pas aussi qu’il en voie assez pour croire qu’il possède la vérité, mais qu’il en voie assez pour connaître qu’il l’a perdue. Car pour connaître ce qu’on a perdu, il faut voir et ne pas voir : et c’est précisément l’état où est la nature.

Il falloit que la véritable religion enseignât la grandeur et la misère, portât à l’estime et au mépris de soi, et à l’amour et à la haine.

Nota : Bossut a remplacé Dieu par la vérité.

 

Remarques

 

P. Faugère et E. Havet publient le texte en plusieurs articles :

Faugère III, p. 115, Havet X.5 : Jésus‑Christ est l’objet de tout [...] pour son salut ; Havet édite ce texte à la suite de deux autres textes issus de Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222) et Excellence 3 (Laf. 190, Sel. 223) ;

Faugère VII, p. 116, Havet XXII.3 : Le Dieu des chrétiens [...] d’autre fin que de lui‑même ;

Faugère VIII, p. 117 : Tous ceux qui cherchent Dieu [...] tout porte ce caractère ; Havet découpe ce texte en trois articles : XXII.6 : Tous ceux qui cherchent Dieu [...] abhorre presque également ; XXII.10 : Sans Jésus‑Christ, le monde ne subsisterait pas ; car il faudrait, ou qu’il fût détruit, ou qu’il fût comme un enfer ; XX.2 (regroupé avec Preuves par discours III - n° 8 (Laf. 448, Sel. 690) : Si le monde subsistait pour instruire l’homme de Dieu [...] tout porte ce caractère ;

Faugère IX, p. 117, Havet XXIV.9 : Le seul qui connaît la nature [...] l’état où est la nature ;

Faugère IV, p. 142, Havet XXIV.9 bis : Il faudrait que la véritable religion [...] à l’amour et à la haine.

P. Faugère puis E. Havet ont omis de publier la phrase Quelque parti qu’il prenne, je ne l’y laisserai point en repos...

G. Michaut, L. Brunschvicg, L. Lafuma et M. Le Guern regroupent ce fragment avec le précédent, sauf le dernier paragraphe qu’ils publient à part.

L. Brunschvicg transcrit le texte écrit dans un cartouche après le premier paragraphe.

Ph. Sellier regroupe toutes les notes de Preuves par discours III n° 3 à 10.

 

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