Pensées diverses II – Fragment n° 14 / 37 – Papier original : RO 37-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 106 p. 355-355 v° / C2 : p. 309 v° à 311 v°
Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 123-125 / 1678 n° 10 et 11 p. 123-124
Éditions savantes : Faugère II, 249, XIV / Havet XVIII.15 à 17 / Brunschvicg 766 et 736 / Tourneur p. 88 / Le Guern 518 / Lafuma 607 à 609 (série XXIV) / Sellier 504
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Bibliographie ✍
CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, Paris, Champion, 2013. DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Saci et son temps, Paris, Nizet, 1957. HAVET Ernest, éd. des Pensées, II, Paris, Delagrave, 1866. LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 556 sq. SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, 2e éd., Paris, Champion, 2010. |
✧ Éclaircissements
Fig.
Sauveur, père, sacrificateur, hostie, nourriture, roi, sage, législateur, affligé, pauvre, devant produire un peuple, qu’il devait conduire et nourrir, et introduire dans sa terre.
Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 27. Le titre Fig. (probablement Figures) doit signifier que tous ces attributs de Jésus-Christ existent en figures dans l'Ancien Testament ; ainsi il est figuré comme sauveur par Noé, ou Joseph, ou Moïse, comme père par Abraham, comme affligé et pauvre par Job.
Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 548 sq. Voir p. 556 sq., les prophéties concernant le royaume.
Hostie : victime qu’on immole en sacrifice à la divinité (Furetière).
Qu’il devait nourrir : allusion probable à la manne dont le peuple juif, dirigé par Moïse dans le désert, a pu se nourrir.
Roi : le mot pourrait faire allusion à David et d’autres prophètes dans Preuves de Moïse 2 (Laf. 291, Sel. 323) : Cette religion si grande en miracles – saints purs, irréprochables, savants et grands témoins, martyrs, rois – David – établis, Isaïe prince du sang –, si grande en science, après avoir étalé tous ses miracles et toute sa sagesse, elle réprouve tout cela et dit qu’elle n’a ni sagesse ni signe, mais la Croix et la folie.
Sage : c’est ce que Pascal dit des prophètes en général ; voir Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l’Ecriture et des prophètes : ils avaient assurément trop de bon sens. Voir aussi ce qu’il dit de David.
Législateur : le Pentateuque, dans lequel on trouve la Loi du peuple juif, est censé avoir été écrit par Moïse.
Devant produire un peuple, qu'il devait conduire et nourrir, et introduire dans sa terre : allusion qui convient à Moïse. L’idée que le peuple doit être produit renvoie peut-être au fragment Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Qu’il y a de différence d’un livre à un autre ! [...] Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. Moïse est sur ce point précurseur du Christ, qui a produit le peuple chrétien et doit l’introduire dans sa vraie terre.
Jésus-Christ. Offices.
Offices : c'est-à-dire les fonctions de Jésus-Christ, selon Havet.
Il devait lui seul produire un grand peuple élu, saint et choisi, le conduire, le nourrir, l’introduire dans le lieu de repos et de sainteté, le rendre saint à Dieu, en former le temple de Dieu, le réconcilier à Dieu, le sauver de la colère de Dieu, le délivrer de la servitude du péché qui règne visiblement dans l’homme, donner des lois à ce peuple, graver ces lois dans leur cœur, s’offrir à Dieu pour eux, se sacrifier pour eux, être une hostie sans tache, et lui‑même sacrificateur, devant offrir lui-même son corps et son sang, et néanmoins offrir pain et vin à Dieu.
Offrir pain et vin à Dieu : voir Melchisédech, Genèse, XIV, 18-19. « Mais Melchisédech, roi de Salem offrant du pain et du vin, parce qu’il était prêtre du Très-haut, 19. Bénit Abram, en disant ; Béni soit Abram du Dieu Très-haut, qui a créé le ciel et la terre ». Le commentaire de Port-Royal rapporte à ce passage l’annonce du « mystère de nos autels, où Jésus-Christ nous donne son corps et son sang adorable sous les espèces du pain et du vin ». Il renvoie aussi à saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, ch. 22. La suite du commentaire du sens spirituel montre que Melchisédech est la figure de Jésus-Christ.
Ingrediens mundum.
Épître aux Hébreux, X, 5-6. « C’est pourquoi le Fils de Dieu, entrant dans le monde, dit : Vous n’avez point voulu d’hostie, ni d’oblation ; mais vous m’avez formé un corps. 6. Vous n’avez point agréé les holocaustes, ni les sacrifices pour le péché. »
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Pierre sur pierre.
Marc, XIII, 2. Jésus annonce la destruction du Temple de Jérusalem. « Mais Jésus lui répondit : Voyez-vous tous ces grands bâtiments. Ils seront tellement détruits, qu’il n’y demeurera pas pierre sur pierre ».
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Ce qui a précédé, ce qui a suivi, tous les Juifs subsistants et vagabonds.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 493. Pascal emprunte à saint Augustin cette idée. Il néglige la réalité concrète, qui a bien changé depuis saint Augustin, à une époque où en effet, il y avait des communautés juives dans tout le monde connu. Voir La Cité de Dieu, XVIII, 46 et surtout Confessions, IX, 4, n. 8.
L’idée de la subsistance des Juifs malgré leur dispersion est indiquée dans les fragments suivants :
Preuves de Jésus-Christ 14 (Laf. 311, Sel. 342). C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable, étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable, puis qu’ils l’ont crucifié. Et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère.
Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : Pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarant que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’(ils)elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis 4 000 ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.
Que durant 1 600 ans ils ont eu des gens qu’ils ont crus prophètes qui ont prédit le temps et la manière.
Que 400 ans après ils ont été épars partout, parce que Jésus-Christ devait être annoncé partout.
Que Jésus-Christ est venu en la manière et au temps prédit.
Que depuis les juifs sont épars partout en malédiction, et subsistant néanmoins.
Prophéties V (Laf. 488, Sel. 734). [...] Que les Juifs subsisteront en nation. Jer. Qu’ils seront errants sans rois, etc. Os. 3.
Sur ce sujet, voir le chapitre de Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, consacré au « mystère d’Israël », p. 465 sq.
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Prophéties. Transfixerunt. Zach., 12, 10.
Transfixerunt : « qu'ils ont percé », Zach. 12. 10. Vatable et la Septante donnent confixerunt.
Zacharie, XII, 10. « Et effundam super domum David, et super habitatores Jerusalem spiritum gratiae et precum. Et aspicient ad me, quem confixerunt ; et plangent eum planctu quasi super unigenitum, et dolebunt super eum, ut doleri solet in morte primogeniti ». Tr. de Port-Royal : « Et je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, un esprit de grâce et de prières. Ils jetteront les yeux sur moi qu’ils auront percé de plaies ; ils pleureront avec des larmes et des soupirs celui qu’ils auront blessé, comme on pleure un fils unique ; et ils seront pénétrés de douleur, comme l’est une mère à la mort d’un fils aîné ».
GEF XIV, p. 193, indique que le texte de Zacharie porte confixerunt, mais que Pascal se réfère à la citation que saint Jean fait dans son Évangile, XIX, 37, où la Vulgate emploie le mot transfixerunt. Pascal est donc parti de saint Jean, et a noté la référence à Zacharie.
Commentaire de Port-Royal sur le passage de Zacharie : Je répandrai... :
« Quelques-uns expliquent ainsi ces paroles ; je répandrai sur les Juifs mon Esprit qui les remettra en grâce avec moi ; qui leur inspirera des sentiments de componction pour implorer ma miséricorde, et qui leur fera lever les yeux vers moi qu’ils ont percé, c’est-à-dire qu’ils ont offensé par tant de crimes, afin d’obtenir par une sincère pénitence le pardon de tant d’outrages qu’ils m’ont faits. Mais quelque vraisemblable que paraisse cette explication, saint Jean nous apprend dans son Évangile et dans son Apocalypse [Apoc. I. v. 7], que le sens principal de ces paroles, Ils verront celui qu’ils ont percé, regarde Jésus-Christ percé d’une lance sur la Croix.
Cette prophétie a été donc entièrement accomplie le jour de la Pentecôte, lorsque Dieu répandit sur la véritable maison de David, c’est-à-dire sur son Église qui était assemblée à Jérusalem, le Saint-Esprit qu’il avait promis aux apôtres, qui était vraiment un Esprit de grâce et de prière, puisque remplissant les cœurs de sa grâce pour leur faire faire le bien avec une charité ardente, il les pénétra en même temps du sentiment et de la connaissance de leur faiblesse, et du besoin qu’ils avaient de la prière, pour invoquer sans cesse le secours de celui sans la grâce duquel ils ne pouvaient rien.
Dieu répandit encore le même jour de la Pentecôte sur les Juifs qui entendirent la prédication de saint Pierre, cet esprit de grâce et de prière, qui toucha leur cœur, qui leur fait avoir recours à lui, et qui leur fit reconnaître pour leur sauveur et leur Dieu, celui qu’ils avaient percé et attaché à une croix ».
Jean, XIX, 37. « Et iterum alia Scriptura dicit : Videbunt in quem transfixerunt ». Tr. de Port-Royal : « Il est dit encore dans un autre endroit de l’Écriture : Ils verront celui qu’ils ont percé ». Le commentaire de Port-Royal insiste sur le « mystère » (autrement dit le symbole ou la figure) qu’enferme le passage où le légionnaire romain transperce le cœur du Christ. Il fait directement allusion au passage de Zacharie.
Apocalypse, 1, 7. Allusion au même événement, mais avec un autre mot (pupugerunt, du verbe pungo). « Ecce venit cum nubibus, et videbit eum omnis oculus, et qui eum pupugerunt ».
À relier à Prophéties V (Laf. 487-488, Sel. 734) qui réunit un ample recueil de caractères qui devaient appartenir au Messie.
Voir aussi Matthieu, XXVII, 54.
Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 561 ; p. 564, sur la passion et la mort du Christ.
Qu’il devait venir un libérateur qui écraserait la tête au démon, qui devait délivrer son peuple de ses péchés, ex omnibus iniquitatibus. Qu’il devait y avoir un nouveau Testament qui serait éternel, qu’il devait y avoir une autre prêtrise selon l’ordre de Melchisédech, que celle‑là serait éternelle, que le Christ devait être glorieux, puissant, fort, et néanmoins si misérable qu’il ne serait point reconnu, qu’on ne le prendrait point pour ce qu’il est, qu’on le rebuterait, qu’on le tuerait, que son peuple qui l’aurait renié ne serait plus son peuple, que les idolâtres le recevraient et auraient recours à lui, qu’il quitterait Sion pour régner au centre de l’idolâtrie, que néanmoins les Juifs subsisteraient toujours, qu’il devait être de Juda, et quand il n’y aurait plus de roi.
Qu'il devait venir un Libérateur qui écraserait la tête au démon : voir Genèse, III, 15. « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête, et tu tâcheras de la mordre par le talon ».
Qui devait délivrer son peuple de ses péchés, ex omnibus iniquitatibus : Psaume CXXX (CXXIX), 8 : « Et lui-même rachètera Israël de toutes ses iniquités ».
Qu'il devait y avoir un nouveau Testament qui serait éternel : voir Ézéchiel, XXXVII, 26 : « Je ferai avec eux une alliance de paix ; mon alliance avec eux sera éternelle. Je les établirai sur un ferme fondement. Je les multiplierai, et j’établirai pour jamais mon sanctuaire au milieu d’eux ».
Qu'il devait y avoir une autre prêtrise selon l'ordre de Melchisédech : voir Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Que l’ordre de la sacrificature d’Aaron serait réprouvé et celle de Melchisédech introduite par le Messie. Voir Psaume CIX, 5 : « Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable, que vous êtes le prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech ». Melchisédech est un personnage très brièvement présenté dans la Genèse XIV, 18-20, lors de sa rencontre avec Abraham. « Mais Melchisédech, roi de Salem, offrant du pain et du vin, parce qu’il était prêtre du Dieu Très-haut, 19. Bénit Abram, en disant : Qu’Abram soit béni du Dieu Très haut, qui a créé le ciel et la terre : 20. Et que le Dieu très haut soit béni, lui qui par sa protection vous a mis vos ennemis entre les mains. Alors Abram lui donna la dîme de tout ce qu’il avait pris. » Voir sur sa personne et sa signification symbolique le commentaire du fragment Preuves par les Juifs III.
Que celle-là serait éternelle : voir Psaume CX (CIX), 4 : « Le Seigneur, qui est miséricordieux et plein de clémence, a éternisé la mémoire de ces merveilles ».
Isaïe, LIII, 3 : « Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, un homme de douleurs, qui sait ce que c'est que souffrir. Son visage était comme caché. Il paraissait méprisable, et nous ne l'avons point reconnu ».
Qu'on le tuerait, que son peuple qui l'aurait renié ne serait plus son peuple : Osée, I, 9 : « Le Seigneur dit à Osée : Appelez cet enfant Loammi, c'est-à-dire Non mon peuple, parce que vous n'êtes plus mon peuple, et que je ne serai plus votre Dieu. »
Que néanmoins les Juifs subsisteront toujours, qu'il devait être de Juda : Genèse, XLIX, 10 : « Le sceptre ne sera point ôté de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu'à ce que celui qui doit être envoyé soit venu ; et c'est lui qui sera l'attente des nations ». Passage consacré à la bénédiction et la prophétie de Jacob.
Sur le sceptre qui ne sera pas ôté de Juda, voir Prophéties V (Laf. 487-488, Sel. 734), qui renvoie aux fragments suivants : Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290), Loi figurative 18 (Laf. 263, Sel. 294), Loi figurative 21 (Laf. 266, Sel. 297), Preuves de Jésus-Christ 16 (Laf. 314, Sel. 345), Prophéties 16 (Laf. 337, Sel. 369), Prophéties 18 (Laf. 339, Sel. 371), et Prophéties I (Laf. 483, Sel. 718).
Et quand il n'y aurait plus de roi : Osée, III, 4 : « C'est l'état où les enfants d'Israël seront pendant un long temps ; sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans autel, sans éphod, et sans théraphins ». Voir plus haut, Loi figurative 14 (Laf. 258, Sel. 290) : Osée a prédit qu’il serait sans roi, sans prince, sans sacrifice, etc., sans idole. Ce qui est accompli aujourd’hui, ne pouvant faire sacrifice légitime hors de Jérusalem.