Pensées diverses VII – Fragment n° 10 / 10 – Papier original : RO 19-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 186 p. 423 / C2 : p. 397 v°

Éditions de Port-Royal : Préface p. [44] et Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janv. 1670 p. 125 / 1678 n° 13 p. 125-126

Éditions savantes : Faugère II, 382, XLVII ; II, 310, XXXV ; II, 352, VIII / Havet XXV.196, XVIII.20, XXIV.8 / Brunschvicg 782, 712, 561 / Tourneur p. 134-2 / Le Guern 670 / Lafuma 818 à 820 (série XXIX) / Sellier 660

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Bibliographie

 

 

CATALANO Chiara, Philosophie et philosophes dans l’Augustinus de Jansénius, Paris, Champion, 2016.

COHN Lionel (Yehuda Arye), Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, volume in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969.

COUMET Ernest, “Cryptographie et numérations”, in Œuvres d’Ernest Coumet, I, Presses universitaires de Franche-Comté, 2016.

DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.

DUBARLE A., “Pascal et l’interprétation des Écritures”, Les Sciences philosophiques et Théologiques, vol. II, 1941-1942, p. 346-379.

ERNST Pol, Approches pascaliennes. L’unité et le mouvement, le sens et la fonction de chacune des 27 liasses titrées, Gembloux, Duculot, 1970.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., Paris, Vrin, 1971.

GOYET Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 63-74.

LESAULNIER Jean, Port-Royal insolite. Édition critique du Recueil de choses diverses, Klincksieck, Paris, 1992.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

PERATONER Alberto, Blaise Pascal. Ragione, rivelazione e fondazione dell’etica. Il percorso dell’Apologie, I, Venise, Cafoscarina, 2002.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012.

STERN Jacques, La science du secret, Paris, Odile Jacob, 1998.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008.

WRIXON Fred B., Langages secrets. Codes, chiffres et autres cryptosystèmes, Könemann, 2000.

 

 

Éclaircissements

 

La victoire sur la mort.

 

Saint Paul, Première épître aux Corinthiens, XV, 55. « Ubi est, mors, victoria tua ? ». Tr. : « Ô mort, où est ta victoire ? ».

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures. Jésus-Christ leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures. Deux grandes ouvertures sont celles-là : 1. Toutes choses leur arrivaient en figures. Vere Israelita, Vere liberi, Vrai pain du ciel. 2. Un Dieu humilié jusqu’à la croix. Il a fallu que le Christ ait souffert pour entrer en sa gloire. Qu’il vaincrait la mort par sa mort. Deux avènements.

 

Que sert à l’homme de gagner tout le monde s’il perd son âme ?

Qui veut garder son âme la perdra.

 

Luc, IX, 24-25. « Qui enim voluerit animam suam salvam facere, perdet illam ; nam qui perdiderit animam suam propter me, salvam faciet illam. 25. Quid enim proficit, si lucretur universum mundum, se autem ipsum perdat, et detrimentum sui faciat ».

Tr. de Port-Royal : « Car celui qui voudra sauver sa vie, la perdra : et celui qui aura perdu la vie pour l’amour de moi, la sauvera. 25. Et que servirait à un homme de gagner tout le monde aux dépens de lui-même, et en se perdant lui-même ». Référence en marge à Jean, XII, 25.

 

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Je ne suis pas venu détruire la Loi mais l’accomplir.

 

Le manuscrit ne porte pas Loi, mais mort. Voir l’édition diplomatique. Les Copies imposent de remplacer mort par Loi pour obtenir un sens satisfaisant.

Matthieu, V, 17. « Nolite putare quoniam veni solvere legem, aut prophetas : non veni solvere, sed adimplere ». Tr. de Port-Royal : « Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi ou les prophètes : je ne suis pas venu les détruire, mais les accomplir ».

Commentaire de Port-Royal : « Comment est-il véritable que Jésus-Christ n’a point détruit la loi de Moïse à l’égard du sabbat des Juifs, et de tant d’autres cérémonies judaïques qui ont disparu à la lumière de l’Évangile comme des choses inutiles ? Ceci s’entend aisément, si l’on envisage avec les saints Pères trois ou quatre manières différentes, selon lesquelles le Fils de Dieu a accompli véritablement la loi et les prophètes. Premièrement, il ne s’est pas contenté d’enseigner comme les pharisiens les deux grands préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, qui enferment toute l’essence de la loi et des livres des prophètes, comme l’assure Jésus-Christ lui-même ; mais il les a accomplis dans un souverain degré de perfection, en aimant son Père aussi parfaitement que son Père s’aime soi-même, et en nous aimant jusqu’à cet excès, que de donner sa propre vie pour notre salut. Secondement, il a fait connaître quel était le véritable esprit de la loi, et en ajoutant ce qui y manquait, il l’a perfectionnée et accomplie : comme lorsqu’il ne s’est pas contenté de défendre l’homicide et l’adultère, mais il a même retranché du cœur la colère, et tous les mauvais désirs. Troisièmement, il a mérité aux hommes la grâce d’accomplir la loi, en leur donnant la charité, sans laquelle on ne peut en aucune sorte l’accomplir, et qui est elle-même, selon saint Paul, l’accomplissement de la loi : Plenitudo legis est dilectio[Rom. 13, 10]. Enfin il a accompli la loi et les prophètes en substituant par son avènement dans le monde, la vérité aux figures : car la loi, comme le remarque saint Hilaire [Hilar. In Matth. c. 4], couvrait sous le voile de ses paroles énigmatiques tous les grands mystères de l’Incarnation, de la naissance, de la passion et de la résurrection de Jésus-Christ. Et ainsi la loi et les prophéties se sont accomplies parfaitement en sa personne, parce que toute la loi, quant à ces cérémonies, figurait les choses futures ; et lorsque la vérité figurée jusques alors a commencé à paraître, les figures n’ont pas tant été détruites, pour parler ainsi, qu’elles ont été accomplies »

 

Les agneaux n’ôtaient point les péchés du monde mais je suis l’agneau qui ôte les péchés.

 

Préface du temps pascal, d’après Jean, I, 29. « Altera die vidit Joannes Jesum venientem ad se, et ait : Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi ».

Tr. de Port-Royal : « Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait à lui, et il dit : Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde ». NB : Jean est ici Jean-Baptiste.

Commentaire de Port-Royal : « Jean-Baptiste voyant donc venir Jésus à lui, il dit devant tout le monde : Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. Saint Chrysostome et saint Cyrille témoignent qu’en l’appelant un agneau, il faisait visiblement allusion à l’agneau pascal que l’on devait immoler, selon la loi de Moïse, et à ce que le prophète Isaïe avait dit de lui : Qu’il serait mené comme une brebis pour être tué, et qu’il demeurait dans le silence, comme un agneau muet devant celui qui le tond. Voici donc l’agneau, mais un agneau bien différent de celui que les enfants d’Israël avaient immolé à leur sortie d’Égypte, puisqu’il était la vérité même, dont l’autre était seulement l’image, puisqu’il devait se charger véritablement des péchés du monde pour les détruire, au lieu que l’autre n’avait pu les décharger d’aucun péché, puisque son sang devait délivrer les hommes de la tyrannie du démon, et de la mort éternelle, au lieu que le sang de l’ancien agneau avait servi seulement à garantir les Israélites de l’épée de l’ange exterminateur ».

 

Moïse ne vous a point donné le pain du ciel.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 402. Pascal, comme saint Augustin, pense aux textes des Évangiles où le Christ parlait du vrai pain du ciel, des vrais adorateurs, des hommes vraiment libres, des vrais Israélites. Les figures étaient la manne, les adorateurs ceux qui se contentaient des sacrifices extérieurs, la liberté politique d’Israël, les Juifs charnels, etc. Saint Augustin, Contra Faustum, XVIII, 6, dit que, dans ces expressions, « illarum figurarum veritas, Christus est ».

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. [...] Je suis le vrai pain du ciel.

L’expression le pain du ciel fait allusion à l’épisode de la manne accordée par Dieu aux Juifs dans le désert, Exode, XVI, 4 : « Le Seigneur dit à Moïse : Je vais vous faire pleuvoir des pains du ciel : que le peuple aille en amasser ce qui lui suffira pour chaque jour, afin que j’éprouve s’il marche ou non dans ma loi » ; v. 8 : « Moïse ajouta : Le Seigneur [...] au matin [...] vous rassasiera de pains » ; et v. 14-15 : « La surface de la terre en étant couverte, on vit paraître dans le désert quelque chose de menu et comme pilé au mortier, qui ressemblait à ces petits grains de gelée blanche qui pendant l’hiver tombent sur la terre. Ce que les enfants d’Israël ayant vu, ils se dirent l’un à l’autre : Manhu ? c’est-à-dire : Qu’est-ce que cela ? Car ils ne savaient ce que c’était. Moïse leur dit : C’est là le pain que le Seigneur vous donne à manger ». Le commentaire de la Bible de Port-Royal sur le sens spirituel de cet épisode comporte une comparaison entre la manne et l’eucharistie.

L’expression vrai pain du ciel est tirée de Jean VI, 32-35 : « Jésus leur répondit : En vérité, en vérité je vous le dis : Moïse ne vous a point donné le pain du ciel ; mais c’est mon Père qui vous donne le véritable pain du ciel. 33. Car le pain de Dieu est celui qui est descendu du ciel, et qui donne la vie au monde. 34. Ils lui dirent donc : Seigneur, donnez-nous toujours ce pain. 35. Jésus leur répondit : Je suis le pain de vie celui qui vient à moi, n’aura point faim ; et celui qui croit en moi, n’aura jamais soif. » Voir aussi Jean VI, 51-56. « Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement et le pain que je donnerai, c’est ma chair que je dois donner pour la vie du monde. 52. Les Juifs disputaient donc entre eux, en disant : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? 53. Et Jésus leur dit : En vérité, en vérité je vous le dis : si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous. 54. Celui qui mange ma chair, et boit mon sang, a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour : 55. car ma chair est véritablement une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage. 56. Celui qui mange ma chair, et qui boit mon sang, demeure en moi, et je demeure en lui. »

 

Moïse ne vous a point tirés de captivité et ne vous a pas rendus véritablement libres.

 

Vous serez vraiment libres : Jean, VIII, 36. « Si ergo vos filius liberaverit, vere liberi eritis ». Tr. de Port-Royal : « Si donc le Fils vous met en liberté, vous serez véritablement libres » (tr. Sacy).

Laf. 807, Sel. 654. Joh. 8. [...] Dicebat ergo Jesus, si manseritis vere mei discipuli eritis et veritas liberabit vos. Responderunt semen Abrahae sumus et nemini servivimus unquam.

Les expressions semblables à Vrais adorateurs, dont Pascal a établi une liste, ont une structure complexe : l’adjectif vrai sert à mettre en cause le sens du mot qu’il accompagne, dans la mesure où il implique que le sens auquel on l’entend ordinairement n’est pas le bon, comme l’indique Loi figurative 23 : l’autre liberté, la liberté politique, n’est qu’une figure de liberté.

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. Voilà le chiffre que saint Paul nous donne. La lettre tue. Tout arrivait en figures. Il fallait que le Christ souffrît. Un Dieu humilié. Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple. Les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel. Non la viande qui périt, mais celle qui ne périt point. Vous seriez vraiment libres. Donc l’autre liberté n’est qu’une figure de liberté. Je suis le vrai pain du ciel.

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures. Jésus-Christ leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures. Deux grandes ouvertures sont celles-là : 1. Toutes choses leur arrivaient en figures. Vere Israelita, Vere liberi, Vrai pain du ciel. 2. Un Dieu humilié jusqu’à la croix. Il a fallu que le Christ ait souffert pour entrer en sa gloire. Qu’il vaincrait la mort par sa mort. Deux avènements.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 243. Sur les expressions composées de l’adjectif vrai.

 

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Les prophètes mêlés des choses particulières et de celles du Messie afin que les prophéties du Messie ne fussent pas sans preuve et que les prophéties particulières ne fussent pas sans fruit.

 

Voir la liasse Figures particulières.

Les prophètes mêlés des choses particulières : depuis Brunschvicg, les éditeurs modifient le texte en transcrivant "les prophéties mêlées". On peut cependant respecter la leçon du manuscrit et des Copies en comprenant par "les prophètes", "les écrits des prophètes", ou plus simplement "les prophéties", comme on dit « les poètes sont pleins d'invraisemblances ».

Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 29, donne les prophètes mêlés de choses particulières... Commentaire : pour Pascal, tout ce qui ne conduit pas au Christ et à la grâce est sans fruit. Mais ces prophéties particulières ne sont plus sans fruit du moment qu’elles donnent crédit à celles qui annoncent le Messie.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 276 sq. Les figures particulières sont des figures qui, contrairement aux grandes prophéties messianiques de l’Ancien Testament n’ont pas pour objet direct d’annoncer l’arrivée du Messie en Jésus-Christ. Mais elles ne sont pas sans fruit du fait qu’elles donnent crédit à celles qui annoncent le Messie. Le présent fragment développe et explique l’idée de prophéties particulières : elles sont internes à l’Ancien Testament, sans cesser pour autant de se trouver en correspondance avec le Nouveau.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., p. 216-217. L’accomplissement des prophéties particulières, comme celles que Jacob mourant multiplie sur l’avenir de ses enfants, sert par des vérifications visibles à l’œil nu de promesses très concrètes, de preuve à l’authenticité des prophéties à double sens dont elles sont voisines. Il s’agit d’isoler les prédictions dont la lettre s’est trouvée vérifiée et auxquelles on ne saurait vraiment attribuer une signification spirituelle. Mais toute prophétie est pour Pascal messianique.

Pascal, Pensées, opuscules et lettres, éd. Ph. Sellier, Garnier, 2011, p. 65 sq. Le miracle subsistant des prophéties. Il existe une sorte de relais des prophéties : inconnus, sans crédit, les prophètes ont imposé leur autorité divine grâce aux prophéties ou aux figures particulières : ils ont annoncé tel événement de détail qui s’est réalisé ; ainsi était accréditée leur révélation essentielle, l’annonce des temps messianiques. Les Juifs du temps du Christ auraient donc pu reconnaître en lui le Messie attendu, si leur cœur avait été pur et attentif.

Dubarle A., “Pascal et l’interprétation des Écritures”, Les Sciences philosophiques et Théologiques, vol. II, 1941-1942, p. 346-379.

Cette conception des figures particulières semble avoir été une idée de Pascal qui a frappé ses amis de Port-Royal. Voir OC I, éd. J. Mesnard, p. 895, § 28, extrait du Recueil de choses diverses, f° 344 v°, in Lesaulnier Jean, Port-Royal insolite. Édition critique du Recueil de choses diverses, p. 594. « M. Pascal remarque une chose : que les prophètes ont prédit de certaines choses qui sont arrivées afin d’autoriser celles qu’ils diraient du Messie. Ainsi il ne faut pas peut-être rapporter tout à Jésus-Christ, comme font quelques-uns ».

Cohn Lionel (Yehuda Arye), Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, volume in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969. Voir Perouchey Agadoth, p. 39. Les figures particulières sont, selon les chrétiens, figures d’un événement particulier à venir. Après l’événement, elles sont caduques. Critique : p. 40. Les règles ne peuvent tomber en désuétude.

Goyet Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, p. 63-74.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., p. 216-217. L’accomplissement des prophéties particulières, comme celles que Jacob mourant multiplie sur l’avenir de ses enfants, sert par des vérifications visibles à l’œil nu de promesses très concrètes, de preuve à l’authenticité des prophéties à double sens dont elles sont voisines. Il s’agit d’isoler les prédictions dont la lettre s’est trouvée vérifiée et auxquelles on ne saurait vraiment attribuer une signification spirituelle. Mais toute prophétie est pour Pascal messianique.

L’idée a été reprise par J.-J. Duguet au XVIIIe siècle. Voir Duguet Jacques-Joseph, Règles pour l’intelligence des saintes Écritures, Paris, Jacques Estienne, 1716, p. 26-28. « Il y a même des prophéties d’événements temporels, qui ne paraissent point susceptibles d’un sens spirituel, mais qui servent de preuve à l’accomplissement des prophéties qui regardent Jésus-Christ. [...] Il y en a qui prédisent Jésus-Christ, les unes plus clairement, et les autres avec plus d’obscurité. Il y en a d’autres qui ne servent que de soutien aux premières. Elles sont mêlées à dessein avec celles-ci, pour les autoriser et pour leur servir de preuves. Elles ne promettent pas Jésus-Christ : mais elles sont caution de la vérité de celles qui le promettent. Isaïe pour être cru dans tout ce qu’il dit du Sauveur, prédit beaucoup de choses qui doivent arriver dans peu d’années. Il prépare ainsi à la foi des mystères éloignés, par l’accomplissement des prédictions plus prochaines ; et il ne marque en détail ce que Dieu lui révèle sur les Moabites, les Iduméens, les Égyptiens et les autres peuples, que pour convaincre les incrédules, que ce que Dieu lui découvre dans un avenir plus reculé, n’est pas moins certain ; et pour affermir l’espérance de ceux qui attendent la rédemption d’Israël. Il n’est donc pas nécessaire de chercher Jésus-Christ dans toutes les prophéties où l’on ne peut le découvrir : mais il est très important de ne les pas séparer de celles où il est prédit, parce qu’elles ne sont employées que pour les soutenir ; et que sans Jésus-Christ, elles n’auraient eu aucune place dans l’Écriture, qui ne regarde que lui. » Duguet nuance cependant l’idée en notant que l’on peut trouver un rapport avec le Christ même dans les prophéties qui ne le regardent pas, parce dans les événements qu’elles prédisent, « il y a souvent quelques traits qui ont rapport à Jésus-Christ » : p. 26-28.

Peratoner Alberto, Blaise Pascal. Ragione, rivelazione e fondazione dell’etica. Il percorso dell’Apologie, I, p. 729 sq.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 480. Signification de la liasse : p. 482-483. La liasse prolonge et complète Prophéties. Elle est aussi entièrement tournée vers Jésus-Christ, ce qui crée une unité entre les trois liasses Prophéties, Figures particulières et Preuves de Jésus-Christ. En fait, le nom de Jésus n’apparaît nulle part dans la liasse.

 

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Il y a deux manières de persuader les vérités de notre religion : l’une par la force de la raison, l’autre par l’autorité de celui qui parle. On ne se sert point de la dernière mais de la première. On ne dit point : Il faut croire cela, car l’Écriture qui le dit est divine, mais on dit qu’il le faut croire par telle et telle raison, qui sont de faibles arguments, la raison étant flexible à tout.

 

Flexible : qui fléchit, qui plie, qui obéit. Il se dit au propre et au figuré : un esprit flexible, et soumis fait mieux ses affaires qu’un dur et arrogant (Furetière).

Voir De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, OC III, éd. J. Mesnard, p. 413 sq. Les vérités divines de la religion étant « infiniment au-dessus de la nature », ne peuvent être persuadées que par Dieu : « il a voulu qu’elles entrent du cœur dans l’esprit, et non pas de l’esprit dans le cœur », de sorte « qu’il faut les aimer pour les connaître » : p. 413-414. Dans le texte qui nous occupe, il ne s’agit pas encore de la croyance du cœur, mais de la manière dont on doit enseigner les vérités de la religion, ce qui, relevant encore de l’argumentation, précède la foi. Mais il s’agit bien, pour Pascal, de s’appuyer sur l’autorité de l’Écriture pour obtenir la soumission de l’esprit. Le principe il faut croire cela, car l’Écriture, qui le dit, est divine, correspond bien au titre de la liasse Soumission et usage de la raison.

Shiokawa Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes. Rapport de la pensée de Pascal sur l’autorité avec la controverse avec le P. Noël : p. 48 sq. Le domaine de l’autorité s’étend non seulement à la théologie et à la religion, mais aussi aux faits humains : p. 49. L’autorité n’est pas un pouvoir tyrannique : il y a un terrain où son emploi est non seulement légitime, mais indispensable. Les faits qui ne tombent pas sous les sens ni sous le raisonnement doivent être connus par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs témoins : « c’est l’autorité seule qui peut nous en éclaircir ». La notion de l’autorité joue aussi un rôle dans la querelle des Provinciales, lorsqu’il est question de savoir si la notion de pouvoir prochain, ou les différentes maximes des casuistes, se trouvent dans l’Écriture, les conciles ou les Pères : p. 51 sq. La XVIIIe Provinciale distingue les trois principes de la connaissance, les sens, la raison et la foi : voir Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 374. : « D’où apprendrons-nous donc la vérité des faits ? Ce sera des yeux, mon Père, qui en sont légitimes juges, comme la raison l’est des choses naturelles et intelligibles, et la foi des choses surnaturelles et révélées. Car, puisque vous m’y obligez, mon Père, je vous dirai que, selon les sentiments de deux des plus grands docteurs de l’Église, saint Augustin et saint Thomas, ces trois principes de nos connaissances, les sens, la raison et la foi, ont chacun leurs objets séparés, et leur certitude dans cette étendue ».

Jansénius Cornelius, Augustinus, t. II, De ratione et auctoritate in rebus theologicis, Liber prooemialis, ch. V, Discrimen inter philosophiam ac theologiam. Illi servit ratio, huic memoria. Voir la note de OC II, éd. J. Mesnard, p. 778, et GEF II, p. 130. Sur le discrimen entre philosophie et théologie, voir Catalano Chiara, Philosophie et philosophes dans l’Augustinus de Jansénius, p. 83-94.

Voir la Préface au traité du vide, qui expose la différence entre ces deux manières de convaincre. La théologie est matière d’autorité. Elle doit être fondée non sur l’emploi systématique de la raison, mais sur des témoignages qui seuls peuvent apporter des informations auxquelles l’esprit n’a pas naturellement par lui-même un accès direct.

« Dans les matières où l’on recherche seulement de savoir ce que les auteurs ont écrit, comme dans l’histoire, dans la géographie, dans la jurisprudence, dans les langues [lacune] et surtout dans la théologie, et enfin dans toutes celles qui ont pour principe, ou le fait simple, ou l’institution divine ou humaine, il faut nécessairement recourir à leurs livres, puisque tout ce que l’on en peut savoir y est contenu : d’où il est évident que l’on peut en avoir la connaissance entière, et qu’il n’est pas possible d’y rien ajouter.

S’il s’agit de savoir qui fut premier roi des français, en quel lieu les géographes placent le premier méridien, quels mots sont usités dans une langue morte, et toutes les choses de cette nature, quels autres moyens que les livres pourraient nous y conduire ? Et qui pourra rien ajouter de nouveau à ce qu’ils nous en apprennent, puisqu’on ne veut savoir que ce qu’ils contiennent ?

C’est l’autorité seule qui nous en peut éclaircir. Mais où cette autorité a la principale force, c’est dans la théologie, parce qu’elle y est inséparable de la vérité, et que nous ne la connaissons que par elle : de sorte que pour donner la certitude entière des matières les plus incompréhensibles à la raison, il suffit de les faire voir dans les livres sacrés, comme, pour montrer l’incertitude des choses les plus vraisemblables, il faut seulement faire voir qu’elles n’y sont pas comprises ; parce que ses principes sont au-dessus de la nature et de la raison, et que, l’esprit de l’homme étant trop faible pour y arriver par ses propres efforts, il ne peut parvenir à ces hautes intelligences s’il n’y est porté par une force toute-puissante et surnaturelle. »

Pascal marque fortement la différence des matières d’autorité, caractérisées par le fait que l’homme n’a pas de leur objet une connaissance directe, de celles dans lesquelles l’objet est connu directement, par les facultés naturelles de l’homme que sont les sens et la raison :

« Il n’en est pas de même des sujets qui tombent sous les sens ou sous le raisonnement : l’autorité y est inutile ; la raison seule a lieu d’en connaître. Elles ont leurs droits séparés : l’une avait tantôt tout l’avantage ; ici l’autre règne à son tour. Mais comme les sujets de cette sorte sont proportionnés à la portée de l’esprit, il trouve une liberté tout entière de s’y étendre : sa fécondité inépuisable produit continuellement, et ses inventions peuvent être tout ensemble sans fin et sans interruption [...]

C’est ainsi que la géométrie, l’arithmétique, la musique, la physique, la médecine, l’architecture, et toutes les sciences qui sont soumises à l’expérience et au raisonnement, doivent être augmentées pour devenir parfaites. Les anciens les ont trouvées seulement ébauchées par ceux qui les ont précédés ; et nous les laisserons à ceux qui viendront après nous en un état plus accompli que nous ne les avons reçues. Comme leur perfection dépend du temps et de la peine, il est évident qu’encore que notre peine et notre temps nous eussent moins acquis que leurs travaux, séparés des nôtres, tous deux néanmoins joints ensemble doivent avoir plus d’effet que chacun en particulier. »

Cette différence n’exclut pas que la raison soit entièrement inutile dans les matières d’autorité : elle peut intervenir, mais seulement après que les principes, ou en religion les dogmes, aient été admis, et dans une fonction critique : c’est l’objet de la théologie, qui tire des conséquences des principes révélés, comme c’est le cas dans les Écrits sur la grâce.

De la distinction des matières de raison et des matières d’autorité découlent cependant les conséquences suivantes :

« L’éclaircissement de cette différence nous doit faire plaindre l’aveuglement de ceux qui rapportent la seule autorité pour preuve dans les matières physiques, au lieu du raisonnement ou des expériences, et nous donner de l’horreur pour la malice des autres, qui emploient le raisonnement seul dans la théologie, au lieu de l’autorité de l’Écriture et des Pères. Il faut relever le courage de ces timides qui n’osent rien inventer en physique, et confondre l’insolence de ces téméraires qui produisent des nouveautés en théologie. Cependant le malheur du siècle est tel qu’on voit beaucoup d’opinions nouvelles en théologie, inconnues à toute l’Antiquité, soutenues avec obstination et reçues avec applaudissement ; au lieu que celles qu’on produit dans la physique, quoique en petit nombre, semblent devoir être convaincues de fausseté dès qu’elles choquent tant soit peu les opinions reçues : comme si le respect qu’on a pour les anciens philosophes était de devoir, et que celui que l’on porte aux plus anciens des Pères était seulement de bienséance ! Je laisse aux personnes judicieuses à remarquer l’importance de cet abus qui pervertit l’ordre des sciences avec tant d’injustice ; et je crois qu’il y en aura peu qui ne souhaitent que cette [lacune] s’applique à d’autres matières, puisque les inventions nouvelles sont infailliblement des erreurs dans les matières que l’on profane impunément ; et qu’elles sont absolument nécessaires pour la perfection de tant d’autres sujets incomparablement plus bas, que toutefois on n’oserait toucher. »

Dans le présent fragment, Pascal tire des conclusions à l’égard des manières dont on cherche ordinairement à persuader les vérités de notre religion : elles sont visiblement défectueuses à ses yeux.

C’est à tort qu’on ne se sert pas de l’autorité, en disant il faut croire cela, car l’Écriture, qui le dit, est divine : Pascal lui-même ne prétend pas démontrer la religion par raison ; il commence par montrer que la religion chrétienne est crédible parce qu’elle connaît bien l’homme, qu’elle explique par l’idée du péché originel le double aspect de sa nature, et qu’elle est appuyée sur des prophéties, qui sont « preuves de divinité ». Les fondements de la religion sont ainsi garantis par la divinité de Jésus-Christ qui les révèle.

En revanche, l’usage de la « force de la raison » ne peut conduire qu’à un Dieu abstrait, proche du déisme :

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Ils s’imaginent qu’elle consiste simplement en l’adoration d’un Dieu considéré comme grand et puissant et éternel ; ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme, qui y est tout à fait contraire.

Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221). Dieu par Jésus-Christ. Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ. Sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. Par Jésus-Christ nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n’avaient que des preuves impuissantes. Mais pour prouver Jésus-Christ nous avons les prophéties qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies et prouvées véritables par l’événement marquent la certitude de ces vérités et partant la preuve de la divinité de Jésus-Christ. En lui et par lui nous connaissons donc Dieu. Hors de là et sans l’Écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne morale. Mais par Jésus-Christ et en Jésus-Christ on prouve Dieu et on enseigne la morale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes.

Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222). Préface. Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées, qu’elles frappent peu et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés. Quod curiositate cognoverunt, superbia amiserunt.

Excellence 3 (Laf. 190, Sel. 223). C’est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans Jésus-Christ qui est de communiquer sans médiateur, avec le Dieu qu’on a connu sans médiateur. Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.

La position de Pascal est caractérisée par un paradoxe : alors que l’on pense généralement qu’il faut démontrer la vérité des dogmes pour conclure que la religion est divine, il estime que c’est l’inverse qu’il faut faire : on montre d’abord que la religion est divine, et c’est ensuite que l’on peut admettre ses dogmes.

Voir Shiokawa Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, p. 54 sq., sur la place de l’autorité dans l’apologie que préparait Pascal.

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, p. 119 sq. L’argument d’autorité en matière d’apologétique. Fondements de l’autorité : p. 125 sq. La hiérarchie des autorités : p. 135 sq.

 

Remarques sur le tableau cryptographique

 

Ce tableau de signes, situé au verso du papier (voir la description du papier), a été interprété comme une forme d’écriture sténographique ou cryptographique.

Voir les commentaires substantiels du fragment Laf. 557-558, Sel. 465, qui est consacré au chiffre et à la cryptographie : Les langues sont des chiffres où, non les lettres sont changées en lettres, mais les mots en mots. De sorte qu’une langue inconnue est déchiffrable.

Dans le tableau de signes, les caractères ressemblent à des notes de musique, qui représentent peut-être des lettres. Il est possible qu’ils représentent celles d’un alphabet réduit aux lettres principales de l’alphabet. Chaque lettre est représentée par un signe conventionnel, barre ou note de musique disposée dans une direction déterminée. Il y trop peu de notes pour un alphabet complet. Il n’est du reste pas certain que la table soit complète.

Voir “Cryptographie et numérations”, in Œuvres d’Ernest Coumet, I, p. 346 sq., sur les idées de Mersenne sur les cryptogrammes utilisant des notes de musique.

Le trait irrégulier situé en haut à droite serait dans cette hypothèse un mot formé par des lettres du code. Cependant ce code, si c’en est un, n’a jamais été déchiffré.

Il existe un alphabet, un système de codage des messages, d’un tout autre esprit, qui est attribué à Pascal : voir OC IV, éd. J. Mesnard, p. 1612 sq. Mais cette attribution est très incertaine.

Pascal a usé de la cryptographie. On sait que, dans son conflit avec le P. Lalouvère sur la roulette, il a proposé à son adversaire de déposer sa contribution au concours sous forme chiffrée, et indiqué que lui-même avait déjà chiffré son texte. Voir OC IV, éd. J. Mesnard, et p. 843-844. Lalouvère a reçu cette lettre de Pascal le 28 novembre suivant.

D’autres savants que Pascal se sont intéressés à la cryptographie. On peut nommer Viète, et surtout l’anglais John Wallis. Sur ces problèmes, voir Wrixon Fred B., Langages secrets. Codes, chiffres et autres cryptosystèmes, Könemann, 2000. Le livre de Stern Jacques, La science du secret, est plus abstrait et difficile.