Pensées diverses III – Fragment n° 10 / 85 – Papier original : RO 420-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 117 p. 367 v° / C2 : p. 323 v°-325

Éditions de Port-Royal : Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 340 / 1678 n° 39 p. 335

Éditions savantes : Faugère I, 223, CXLVII ; I, 251, XVII / Havet XXV.14, VII.26 / Brunschvicg 369 et 14 / Tourneur p. 97 / Le Guern 551 / Lafuma 651 et 652 (série XXV) / Sellier 536

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Bibliographie

 

 

MESNARD Jean, “La valeur de l’originalité”, Séance publique annuelle des cinq académies, n° 11, Institut de France, Paris, 1999, p. 9-18.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 117.

PAPASOGLI Benedetta, La mémoire du cœur au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2008.

RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, I, Paris, Presses Universitaires de France, 1949.

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris, Champion, 2007.

SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008.

 

 

Éclaircissements

 

La mémoire est nécessaire pour toutes les opérations de la raison.

 

Alors que Descartes tend à discréditer la mémoire, Pascal lui accorde une place importante dans la vie intellectuelle. L’addition du mot toutes au-dessus de la ligne accentue cette opposition.

Papasogli Benedetta, La mémoire du cœur au XVIIe siècle, p. 223 sq., « Pascal et les voies négatives de la mémoire ». Pascal s’oppose à Descartes, qui a nettement séparé la mémoire de la raison. Il récuse l’équivalence beaucoup de mémoire, peu de jugement : p. 224-225. La mémoire est un sentiment : p. 225. Chez Pascal, la mémoire existentielle occupe peu de place, parce qu’il n’y a pas de temps pour la mémoire, en raison de la brièveté de la vie sur la terre : p. 226-227. Il n’y a pas d’art de la mémoire : voir Laf. 542, Sel. 459, hasard donne les pensées, et hasard les ôte ; point d’art pour conserver ni pour acquérir (texte barré verticalement). Pourtant les lettres de Pascal à ses proches parlent sans cesse de souvenir : p. 231. Se souvenir n’est pas une opération intellectuelle ou un pur événement affectif ; cela touche à la volonté, c’est une action morale : p. 231. Mémoire de la lettre et mémoire de l’esprit : la première est judaïque et ne forme qu’un corps inanimé, la seconde est comme un esprit vivifiant : p. 232. La mémoire veille sur des vérités acquises, mais les vérités profondes sont gravées dans le cœur : dans la Lettre sur la mort de son père, Pascal appelle ses sœurs non à se remémorer la figure de leur père, mais à la faire revivre devant Dieu en elles, OC II, p. 851-863. C’est le sens du Mémorial : témoignage d’un événement et actualisation pérenne de la grâce liée à cet événement : p. 233

Pascal s’inscrit en l’occurrence dans une tradition qui passe par saint Thomas d’Aquin. Voir Gilson Étienne, Le thomisme, 6e éd., Paris, Vrin, 1997, p. 267. La mémoire est constitutive de l’opération intellectuelle même ; elle n’est pas à proprement parler une puissance distincte de l’intellect. Si la mémoire du passé relève de l’âme sensitive, il existe en outre une mémoire proprement intellectuelle, qui conserve les espèces intelligibles et dont l’objet propre est l’universel abstrait de toutes les conditions qui le déterminent à tel ou tel mode d’existence particulier. Voir Somme contre les gentils, II, 74 ; De veritate, q. X, art. 2.

La Préface au traité du vide définit des matières de mémoire, notamment l’histoire, la géographie et surtout la théologie, parce qu’elles se fondent sur la connaissance de documents. Ces matières sont soumises à l’autorité, parce qu’elles reposent sur le témoignage de ceux qui ont connu les faits par eux-mêmes, et qui en ont écrit ce qu’ils en savaient.

Préface au Traité du vide, OC II, éd. J. Mesnard, p. 778-779.

« Dans les matières où l’on recherche seulement de savoir ce que les auteurs ont écrit, comme dans l’histoire, dans la géographie, dans la jurisprudence, dans les langues [...] et surtout dans la théologie, et enfin dans toutes celles qui ont pour principe, ou le fait simple, ou l’institution divine ou humaine, il faut nécessairement recourir à leurs livres, puisque tout ce que l’on en peut savoir y est contenu : d’où il est évident que l’on peut en avoir la connaissance entière, et qu’il n’est pas possible d’y rien ajouter.

S’il s’agit de savoir qui fut premier roi des français, en quel lieu les géographes placent le premier méridien, quels mots sont usités dans une langue morte, et toutes les choses de cette nature, quels autres moyens que les livres pourraient nous y conduire ? Et qui pourra rien ajouter de nouveau à ce qu’ils nous en apprennent, puisqu’on ne veut savoir que ce qu’ils contiennent ?

C’est l’autorité seule qui nous en peut éclaircir. Mais où cette autorité a la principale force, c’est dans la théologie, parce qu’elle y est inséparable de la vérité, et que nous ne la connaissons que par elle : de sorte que pour donner la certitude entière des matières les plus incompréhensibles à la raison, il suffit de les faire voir dans les livres sacrés, comme, pour montrer l’incertitude des choses les plus vraisemblables, il faut seulement faire voir qu’elles n’y sont pas comprises ; parce que ses principes sont au-dessus de la nature et de la raison, et que, l’esprit de l’homme étant trop faible pour y arriver par ses propres efforts, il ne peut parvenir à ces hautes intelligences s’il n’y est porté par une force toute-puissante et surnaturelle. »

La mémoire est dans ces domaines nécessaire, parce que c’est elle qui fournit les principes à partir desquels il est possible de raisonner, et, pour ce qui est de l’histoire par exemple, de juger de la compatibilité des récits et des faits.

Pascal applique le principe à l’apologétique. On peut faire le rapprochement avec la méthode de Pascal pour fixer la mémoire d’après les Pensées. Voir Pascal, Pensées, opuscules et lettres, éd. Sellier et Plazenet, Garnier, 2011, p. 83 sq. Pascal métamorphose le champ de la memoria : comment écrire des textes qui s’impriment immédiatement et durablement dans la mémoire ? Ne donner que des textes excellents, dit Nicole dans De l’éducation d’un prince : p. 84. Conviction que les citations servent à infléchir les existences : p. 85. Choix d’Épictète et de Montaigne, comme préparatoires à Job et Salomon : p. 85-86.

Laf. 745, Sel. 618. La manière d’écrire d’Épictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie est la plus d’usage qui s’insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire et qui se fait le plus citer, parce qu’elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie, comme quand on parlera de la commune erreur qui est parmi le monde que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose il est bon qu’il y ait une erreur commune, etc.

Mais la mémoire est aussi utile dans les sciences qui ne relèvent pas directement de l’autorité, comme les mathématiques.

Dans la mathématique, ce sont des objets moins connus, les sommes triangulaires, les onglets et doubles onglets, et bien entendu le triangle arithmétique qui assument cette fonction. La représentation sur le tableau inscrit les propositions dans la mémoire, car on y voit qu’une cellule est égale à une autre lorsqu’elles sont réciproques, et cela se fixe dans la mémoire. Ce point n’est pas une conclusion sans fondement. Pascal indique expressément l’importance de la mémoire dans la lecture du Triangulus arithmeticus : à propos des ordres numériques, c’est dès la Propositio 1 qu’il écrit : « Sic itaque qui meminerit in primo consect. Triang. Arith. ostensum esse Omnem cellulam aequari proxime minori ejusdem seriei, plus proxime corradicali, jam facile deducet hanc propositionem : Omnis numerus figuratus aequatur proxime minori ejusdem ordinis, plus proxime minori corradicali » : OC II, p. 1198. La rédaction en français, OC II, p. 1324, ne mentionne toutefois pas la mémoire. C’est ainsi que, d’après le fragment Laf. 646, Sel. 531, même les propositions géométriques deviennent sentiments.

Dans les Lettres de A. Dettonville, la Lettre à Carcavy tient lieu de mémoire pour tous les traités qui suivent, qui sont tous techniques, mais qui n’ont de sens que par les équivalences établies par Pascal au début de son livre.

On montrerait aisément la même chose à l’aide des Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air, où la répétition des mêmes principes éduque l’esprit et persuade le lecteur des principes de la physique hydrostatique et de la réalité du vide.

Laf. 646, Sel. 531. Sentiment. La mémoire, la joie sont des sentiments et même les propositions géométriques deviennent sentiments, car la raison rend les sentiments naturels et les sentiments naturels s’effacent par la raison.

Lettre de Blaise Pascal à Gilberte du 5 novembre 1648, OC II, p. 696 sq. En matière religieuse, la mémoire est nécessaire à la raison, mais non à la foi du cœur, puisqu’il faut sans cesse un cœur nouveau. Elle est un « corps inanimé et judaïque » sans l’esprit qui la vivifie.

Cependant, il semble que, dans le domaine de la foi, Pascal se montre prudent à l’égard de la mémoire.

Voir sur ce point la lettre de Blaise et Jacqueline Pascal à Gilberte Périer du 5 novembre 1648, OC II, éd. J. Mesnard, p. 697. Après avoir rappelé que « la continuation de la justice des fidèles n’est autre chose que la continuation de l’infusion de la grâce, et non pas seulement une seule grâce qui subsiste toujours », les auteurs de la lettre poursuivent en ces termes : « C’est pourquoi tu ne dois pas craindre de nous remettre devant les yeux les choses que nous avons dans la mémoire, et qu’il faut faire rentrer dans le cœur, puisqu’il est sans doute que ton discours en peut mieux servir d’instrument à la grâce que non pas l’idée qui nous en reste en la mémoire, puisque la grâce est particulièrement accordée à la prière, et que cette charité que tu as eue pour nous est une prière du nombre de celles qu’on ne doit jamais interrompre. C’est ainsi qu’on ne doit jamais refuser de lire ni d’ouïr les choses saintes, si communes et si connues qu’elles soient ; car notre mémoire, aussi bien que les instructions qu’elle retient, n’est qu’un corps inanimé et judaïque sans l’esprit qui les doit vivifier. Et il arrive très souvent que Dieu se sert de ces moyens extérieurs, plutôt que des intérieurs, pour les faire comprendre et pour laisser d’autant moins de matière à la vanité des hommes lorsqu’ils reçoivent ainsi la grâce en eux-mêmes. C’est ainsi qu’un livre et qu’un sermon, si communs qu’ils soient, apportent bien plus de fruit à celui qui s’y applique avec plus de disposition, que non pas l’excellence des discours plus relevés qui apportent d’ordinaire plus de plaisir que d’instruction ; et l’on voit quelquefois que ceux qui les écoutent comme il faut, quoique ignorants et presque stupides, sont touchés au seul nom de Dieu et par les seules paroles qui les menacent de l’enfer, quoique ce soit tout ce qu’ils y comprennent et qu’ils le sussent aussi bien auparavant ».

Voir sur ce sujet Russier Jeanne, La foi selon Pascal, I, Paris, P. U. F., 1949, p. 211. Procédés par lesquels les propositions deviennent sentiment dans la confirmation dans la foi. La rumination des vérités découvertes : de même qu’à force de l’entendre dire, ou de se dire à soi-même qu’on est un sot, on finit par le croire, si difficile que ce soit (Laf. 768, Sel. 633), de même il faut se tenir en silence autant qu’on peut, et ne s’entretenir que de Dieu, qu’on sait être la vérité ; et ainsi on se le persuade à soi-même (Raisons des effets 17 - Laf. 99, Sel. 132). J. Russier associe cette idée au recours aux automatismes et aux humiliations extérieures : p. 212.

La mémoire et les habitudes disposent à la foi, mais elles ne sauraient l’accomplir :

Laf. 821, Sel. 661. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate, par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.

 

Quand un discours naturel peint une passion ou un effet on trouve dans soi‑même la vérité de ce qu’on entend, laquelle on ne savait pas qu’elle y fût,

 

L’idée est manifestement inspirée à Pascal par l’exemple de Montaigne.

Laf. 689, Sel. 568. Ce n’est pas dans Montaigne mais dans moi que je trouve tout ce que j’y vois.

Laf. 737, Sel. 617. On se persuade mieux pour l’ordinaire par les raisons qu’on a soi-même trouvées que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.

Un auteur qui veut convaincre doit donc écrire de façon que son lecteur forme par lui-même les idées dont on veut le convaincre, ou au moins de lui faire croire qu’il les a trouvées lui-même.

C’est ce que fait Montaigne, qui, lorsqu’il parle de lui-même, parle aussi des autres, qui se retrouvent dans ce qu’il dit.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 172 sq. Justesse de la manière dont Montaigne a parlé de soi.

Pascal pense qu’en lisant Montaigne ou des auteurs qui lui ressemblent, chacun peut découvrir des caractères de soi-même qu’il ne connaissait pas.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 677 sq., renvoie sur ce point au P. Lamy, qui prescrit non pas de persuader une vérité extérieure à l’esprit des auditeurs, mais de dévoiler à chacun ce qu’il porte en soi, sans le savoir.

De là vient la maxime de L’art de persuader sur les meilleurs livres. Voir L’Esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 29, OC III, p. 425-428. « Rien n’est plus commun que les bonnes choses : il n’est question que de les discerner ; et il est certain qu’elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde. Mais on ne sait pas les distinguer. Ceci est universel. Ce n’est pas dans les choses extraordinaires et bizarres que se trouve l’excellence de quelque genre que ce soit. On s’élève pour y arriver, et on s’en éloigne : il faut le plus souvent s’abaisser. Les meilleurs livres sont ceux que ceux qui les lisent croient qu’ils auraient pu faire. La nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune. »

Pascal en tire certaines conséquences relatives à la véritable rhétorique dans le fragment Laf. 745, Sel. 618. La manière d’écrire d’Epictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie est la plus d’usage qui s’insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire et qui se fait le plus citer, parce qu’elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie, comme quand on parlera de la commune erreur qui est parmi le monde que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose il est bon qu’il y ait une erreur commune, etc.

Au reproche que Pascal adresse à Montaigne de « se peindre » et de parler trop de soi, Voltaire répond dans les Lettres philosophiques, éd. O. Ferret et A. McKenna, Paris, Garnier, 2010, p. 183 : « Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre naïvement comme il a fait ! Car il a peint la nature humaine ; et le pauvre projet de Nicole, de Malebranche, de Pascal, de décrier Montaigne ! ».

S. Giocanti s’appuie sur ce passage pour tirer Pascal dans le sens de l’irrésolution sceptique. Voir Giocanti Sylvia, Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer : trois itinéraires sceptiques, p. 124 sq. Pascal reprend l’itinéraire anthropologique de Montaigne, et retrouve à partir de lui-même ce que Montaigne a remarqué dans les Essais. Le sceptique tient non un discours sur l’incertitude, mais sur l’incertitude que chacun sent en soi. L’introspection révèle l’irrésolution. Mais c’est sans doute solliciter excessivement le texte.

Il faut noter que la technique qui consiste à écrire de telle manière que le lecteur forme de lui-même les idées qu’on veut lui imposer a pu inspirer le procédé auquel Pierre Bayle fait allusion lorsqu’il écrit, comme le rappelle McKenna Antony, Pierre Bayle, témoin et conscience de son temps, p. 11, dans la Harangue de Mr le duc de Luxembourg à ses juges, suivie de la censure de cette harangue : « Il faut laisser deviner au lecteur la moitié de ce qu’on veut pour le moins, et il ne faut pas craindre qu’on ne nous comprenne pas ; la malignité du lecteur va souvent plus loin que nous, il faut s’en remettre à elle, c’est le plus sûr ».

 

de sorte qu’on est porté à aimer celui qui nous la fait sentir, car il ne nous a point fait montre de son bien mais du nôtre.

 

Mesnard Jean, “La valeur de l’originalité”, Séance publique annuelle des cinq académies, n° 11, p. 9-18. Voir p. 16. Toute œuvre dans laquelle le moi s’exprime authentique et profond déclenche chez celui qui la reçoit une réaction d’amour parce qu’il y trouve un écho de lui-même. L’originalité vraie rapproche les hommes au lieu de les éloigner.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 117-118. Équivalence établie par Méré entre plaire et se faire aimer, établie par le chevalier de Méré et maintenue par Pascal.

Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, p. 353 sq.

 

Et ainsi ce bien fait nous le rend aimable, outre que cette communauté d’intelligence que nous avons avec lui incline nécessairement le cœur à l’aimer.

 

Intelligence ne doit pas être entendu au sens actuel ; communauté d’intelligence signifie concorde dans la manière de comprendre ou de sentir.

Il faut lire bien fait et non bienfait (voir la transcription diplomatique). Le mot bien est annoncé dans la phrase précédente. Mais il y a peut-être là un jeu de mots. On en trouve un exemple analogue dans le fragment Vanité 16 (Laf. 28, Sel. 62). Faiblesse. Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien et ils ne sauraient avoir de titre pour montrer qu’ils le possèdent par justice, car ils n’ont que la fantaisie des hommes, ni force pour le posséder sûrement. Il en est de même de la science. Car la maladie l’ôte. Nous sommes incapables et de vrai et de bien.

L’amitié que l’on porte à un auteur qui plaît tient donc selon Pascal à deux éléments : 1. Le fait qu’il nous révèle la vérité qui est en nous et qu’il nous révèle, ce qui est nous faire un bien ; 2. La sympathie (ou communauté d’esprit que nous sentons à son égard).

Il faut sans doute rapprocher ce passage du fragment Laf. 539, Sel. 458. La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde. La volonté qui se plaît à l’une plus qu’à l’autre détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas à voir. Et ainsi l’esprit, marchant d’une pièce avec la volonté, s’arrête à regarder la face qu’elle aime, et ainsi il en juge par ce qu’il y voit.