Pensées diverses IV – Fragment n° 6 / 23 – Papier original : RO 201-1 r° / v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 155 p. 389 v°-391 / C2 : p. 357 à 359
Éditions de Port-Royal :
Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 263 / 1678 n° 52 p. 256
Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janvier 1670 p. 286 / 1678 n° 36 et 37 p. 283-284
Éditions savantes : Faugère I, 203, LXXIV ; I, 173 ; I, 286, LXII ; I, 223, CXLIV et CXLIX ; I, 196, LVI ; I, 324, XIII / Havet XXV.121 ; VII.10 ; XXV.11 bis ; Prov. n° 201 p. 294 ; XXV.123 ; XXIV.67 ; VI.29 ; XXIV.31 / Brunschvicg 96, 10, 341, 864, 583, 340, 108, 859 / Tourneur p. 115-2 / Le Guern 627 / Lafuma 736 à 743 (série XXVI) / Sellier 617
Lorsqu’on est accoutumé à se servir de mauvaises raisons pour prouver des effets de la nature on ne veut plus recevoir les bonnes lorsqu’elles sont découvertes. L’exemple qu’on en donna fut sur la circulation du sang pour rendre raison pourquoi la veine enfle au-dessous de la ligature.
On se persuade mieux pour l’ordinaire par les raisons qu’on a soi‑même trouvées que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.
L’histoire du brochet et de la grenouille de Liancourt : ils le font toujours et jamais autrement, ni autre chose d’esprit.
La vérité est si obscurcie en ce temps et le mensonge si établi, qu’à moins que d’aimer la vérité on ne saurait la connaître.
Les malingres sont gens qui connaissent la vérité, mais qui ne la soutiennent qu’autant que leur intérêt s’y rencontre. Mais hors de là ils l’abandonnent.
La machine d’arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux. Mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu’elle a de la volonté comme les animaux.
Quoique les personnes n’aient point d’intérêts à ce qu’elles disent, il ne faut pas conclure de là absolument qu’ils ne mentent point, car il y a des gens qui mentent simplement pour mentir.
Il y a plaisir d’être dans un vaisseau battu de l’orage lorsqu’on est assuré qu’il ne périra point. Les persécutions qui travaillent l’Église sont de cette nature.
|
Cette suite d’observations et de maximes diverses et sans cohérence en apparence, recueillies par Gilberte Périer, est de celles qui font de Pascal un des grands moralistes du XVIIe siècle. Elles ne sont pas apparemment destinées à entrer dans l’apologie de la religion chrétienne, et ressemblent plutôt à des notes prises par Pascal sur son expérience passée et présente. Le lien avec sa pensée religieuse, et même avec les polémiques contemporaines, est pourtant sensible dans la remarque sur l’amour de la vérité et les malingres.
Tout au plus peut-on dire que ces notes portent sur les rapports de la pensée et de la vérité.
Fragments connexes
Grandeur 1 (Laf. 105, Sel. 137). Si un animal faisait par esprit ce qu’il fait par instinct, et s’il parlait par esprit ce qu’il parle par instinct pour la chasse et pour avertir ses camarades que la proie est trouvée ou perdue, il parlerait bien aussi pour des choses où il a plus d’affection, comme pour dire : rongez cette corde qui me blesse et où je ne puis atteindre.
Pensées diverses (Laf. 685, Sel. 564). Gloire.
Les bêtes ne s’admirent point. Un cheval n’admire point son compagnon. Ce n’est pas qu’il n’y ait entre eux de l’émulation à la course, mais c’est sans conséquence, car étant à l’étable, le plus pesant et plus mal taillé n’en cède pas son avoine à l’autre, comme les hommes veulent qu’on leur fasse. Leur vertu se satisfait d’elle-même.
Pensée n° 3C (Laf. 916, Sel. 746). Le silence est la plus grande persécution. Jamais les saints ne se sont tus. Il est vrai qu’il faut vocation, mais ce n’est pas des arrêts du Conseil qu’il faut apprendre si on est appelé, c’est de la nécessité de parler. Or après que Rome a parlé et qu’on pense qu’il a condamné la vérité, et qu’ils l’ont écrit, et que les livres qui ont dit le contraire sont censurés, il faut crier d’autant plus haut qu’on est censuré plus injustement et qu’on veut étouffer la parole plus violemment, jusqu’à ce qu’il vienne un pape qui écoute les deux parties et qui consulte l’antiquité pour faire justice.
-----
Aussi les bons papes trouveront encore l’Église en clameurs.
-----
[...]
L’Inquisition et la Société les deux fléaux de la vérité.
-----
[...]
Si mes lettressont condamnées à Rome ce que j’y condamne est condamné dans le ciel.
-----
Ad tuum domine Jesu tribunal appello.
Laf. 972, Sel. 803. Pauvres de la grâce.
2e ms Guerrier (Laf. 983, Sel. 804). M. de Roannez disait : « Les raisons me viennent après, mais d’abord la chose m’agrée ou me choque, sans en savoir la raison, et cependant cela me choque par cette raison que je ne découvre qu’ensuite. »
Mais je crois, non pas que cela choquait par ces raisons qu’on trouve après, mais qu’on ne trouve ces raisons que parce que cela choque.
Mots-clés : Animal – Brochet – Circulation – Coutume – Effet – Église – Exemple – Grenouille – Machine – Malingre – Mensonge – Nature – Pensées – Persécution – Persuader – Sang – Vaisseau – Vérité – Volonté (voir Vouloir).