Pensées diverses III – Fragment n° 13 / 85 – Papier original : RO 437-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 119 p. 367 v° / C2 : p. 325

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janvier 1670 p. 282 / 1678 n° 24 p. 278

Éditions savantes : Faugère I, 207, XC / Havet VI.17 / Brunschvicg 377 / Tourneur p. 98-1 / Le Guern 554 / Lafuma 655 (série XXV) / Sellier 539

 

 

 

Les discours d’humilité sont matière d’orgueil aux gens glorieux et d’humilité aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme sont matière d’affirmation aux affirmatifs. Peu parlent de l’humilité humblement, peu de la chasteté chastement, peu du pyrrhonisme en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété et nous cachons et nous déguisons à nous‑mêmes.

 

 

Pascal décrit ici la différence qui existe souvent chez les hommes entre le discours qu’ils tiennent et la manière dont ils s’expriment, qui traduit des dispositions intérieures directement opposées à leurs paroles.

Il ne dénonce pas ici une hypocrisie ordinaire, qui ne vise qu’à tromper autrui : c’est d’abord soi-même que l’on trompe ; la tromperie va essentiellement de soi à soi-même, de sorte qu’il est possible que ce soit de bonne foi que l’on se mente à soi-même.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Vanité 21 (Laf. 34, Sel. 68). Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que par ses amis, car la faiblesse de l’homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu’en ceux qui la connaissent.

Misère 20 (Laf. 71, Sel. 105). Contradiction.

Orgueil contrepesant toutes les misères, ou il cache ses misères, ou s’il les découvre, il se glorifie de les connaître.

Pensées diverses (Laf. 520, Sel. 453). J’ai passé longtemps de ma vie en croyant qu’il y avait une justice et en cela je ne me trompais pas, car il y en a selon que Dieu nous l’a voulu révéler, mais je ne le prenais pas ainsi et c’est en quoi je me trompais, car je croyais que notre justice était essentiellement juste, et que j’avais de quoi la connaître et en juger, mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu’enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J’ai vu tous les pays et hommes changeants. Et ainsi après bien des changements de jugement touchant la véritable justice j’ai connu que notre nature n’était qu’un continuel changement et je n’ai plus changé depuis. Et si je changeais je confirmerais mon opinion. Le pyrrhonien Arcésilas qui redevient dogmatique. (Texte barré verticalement)

Pensées diverses (Laf. 640, Sel. 529 bis). Ceux qui dans de fâcheuses affaires ont toujours bonne espérance et se réjouissent des aventures heureuses, s’ils ne s’affligent également des mauvaises, sont suspects d’être bien aises de la perte de l’affaire et sont ravis de trouver ces prétextes d’espérance pour montrer qu’ils s’y intéressent et couvrir par la joie qu’ils feignent d’en concevoir celle qu’ils ont de voir l’affaire perdue.

Pensées diverses (Laf. 657, Sel. 541). Plaindre les malheureux n’est pas contre la concupiscence, au contraire, on est bien aise d’avoir à rendre ce témoignage d’amitié et à s’attirer la réputation de tendresse sans rien donner.

Miracles III (Laf. 886, Sel. 445). Pyrrhonien pour opiniâtre.

 

Amour propre (Laf. 978, Sel. 743). La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il ? Il ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et de misère ; il veut être grand, et il se voit petit ; il veut être heureux, et il se voit misérable ; il veut être parfait, et il se voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible de s’imaginer ; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même il la détruit, autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir ni qu’on les voie. [...] Voilà les sentiments qui naîtraient d’un cœur qui serait plein d’équité et de justice. Que devons-nous dire donc du nôtre, en y voyant une disposition toute contraire ? Car n’est-il pas vrai que nous haïssions la vérité et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu’ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d’eux autres que nous ne sommes en effet ?

 

Mots-clés : Affirmation – Chasteté – Contrariété – Déguiser – Discours – DouteHumilitéMensongeOrgueilPyrrhonisme.