Pensées diverses III – Fragment n° 25 / 85 – Papier original : RO 420-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 123 p. 371 / C2 : p. 327 v°

Éditions savantes : Faugère I, 190, XXXVII / Havet XXV.4 / Brunschvicg 124 / Tourneur p. 100-3 / Le Guern 566 / Lafuma 672 (série XXV) / Sellier 551

 

 

 

Non seulement nous regardons les choses par d’autres côtés, mais avec d’autres yeux, nous n’avons garde de les trouver pareilles.

 

 

Observation de moraliste sur l’inconstance de l’homme : elle tient à la fois au changement de point de vue sur la chose qu’il observe, mais aussi son propre regard, de sorte que cette double inconstance engendre une instabilité permanente et définitive, même lorsque l’on ne suppose pas de changement du côté de l’objet.

 

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Fragments connexes

 

Misère 2 (Laf. 54, Sel. 87). Inconstance.

Les choses ont diverses qualités et l’âme diverses inclinations, car rien n’est simple de ce qui s’offre à l’âme, et l’âme ne s’offre jamais simple à aucun sujet. De là vient qu’on pleure et qu’on rit d’une même chose.

Pensées diverses (Laf. 529, Sel. 454). Qu’il est difficile de proposer une chose au jugement d’un autre sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer. Si on dit : je le trouve beau, je le trouve obscur ou autre chose semblable, on entraîne l’imagination à ce jugement ou on l’irrite au contraire. Il vaut mieux ne rien dire et alors il juge selon ce qu’il est, c’est-à-dire selon ce qu’il est alors, et selon que les autres circonstances dont on n’est pas auteur y auront mis. Mais au moins on n’y aura rien mis, si ce n’est que ce silence n’y fasse aussi son effet, selon le tour et l’interprétation qu’il sera en humeur de lui donner, ou selon qu’il le conjecturera des mouvements et air du visage, ou du ton de voix selon qu’il sera physionomiste, tant il est difficile de ne point démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il en a peu de ferme et stable.

Pensées diverses (Laf. 539, Sel. 458). La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde. La volonté qui se plaît à l’une plus qu’à l’autre détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas à voir, et ainsi l’esprit marchant d’une pièce avec la volonté s’arrête à regarder la face qu’elle aime et ainsi il en juge par ce qu’il y voit.

Pensées diverses (Laf. 673, Sel. 552). Il n’aime plus cette personne qu’il aimait il y a dix ans. Je crois bien : elle n’est plus la même ni lui non plus. Il était jeune et elle aussi ; elle est tout autre. Il l’aimerait peut-être encore telle qu’elle était alors.

Pensées diverses (Laf. 701, Sel. 579). Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe il faut observer par quel côté il envisage la chose car elle est vraie ordinairement de ce côté-là et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé, et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

Pensées diverses (Laf. 802, Sel. 653). Le temps guérit les douleurs et les querelles parce qu’on change. On n’est plus la même personne ; ni l’offensant, ni l’offensé ne sont plus eux-mêmes. C’est comme un peuple qu’on a irrité et qu’on reverrait après deux générations. Ce sont encore les français mais non les mêmes.

 

Mots-clés : Chose – Regard – Yeux.