Pensées diverses III – Fragment n° 38 / 85 – Papier original : RO 429-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 127 p. 373 v° / C2 : p. 331
Le texte a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXXI - Pensées diverses : 1678 n° 25 p. 326
Éditions savantes : Faugère I, 204, LXXVI / Havet VII.15 / Brunschvicg 401 / Tourneur p. 102-4 / Le Guern 579 / Lafuma 685 (série XXV) / Sellier 564
Gloire.
Les bêtes ne s’admirent point. Un cheval n’admire point son compagnon. Ce n’est pas qu’il n’y ait entre eux de l’émulation à la course, mais c’est sans conséquence car, étant à l’étable, le plus pesant et plus mal taillé n’en cède pas son avoine à l’autre, comme les hommes veulent qu’on leur fasse. Leur vertu se satisfait d’elle‑même.
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Note qui s’inscrit dans la même ligne que Contrariétés 10 (Laf. 127, Sel. 160) et Raisons des effets 8 (Laf. 89, Sel. 123). Les bêtes n’ont pas en elles la recherche de la gloire, qui, toute blâmable qu’elle soit chez l’homme, n’en est pas moins une marque d’excellence.
Fragments connexes
Raisons des effets 8 (Laf. 89, Sel. 123). Raison des effets.
Cela est admirable : on ne veut pas que j’honore un homme vêtu de brocatelle et suivi de sept ou huit laquais. Et quoi ! il me fera donner les étrivières si je ne le salue. Cet habit c’est une force. C’est bien de même qu’un cheval bien enharnaché à l’égard d’un autre. Montaigne est plaisant de ne pas voir quelle différence il y a et d’admirer qu’on y en trouve et d’en demander la raison. De vrai, dit-il, d’où vient, etc.
Contrariétés 10 (Laf. 127, Sel. 160). La nature de l’homme se considère en deux manières, l’une selon sa fin, et alors il est grand et incomparable ; l’autre selon la multitude, comme on juge de la nature du cheval et du chien par la multitude, d’y voir la course et animum arcendi, et alors l’homme est abject et vil. Et voilà les deux voies qui en font juger diversement et qui font tant disputer les philosophes.
Preuves par les Juifs VI (Laf. 470, Sel. 707). La plus grande bassesse de l’homme est la recherche de la gloire, mais c’est cela même qui est la plus grande marque de son excellence ; car, quelque possession qu’il ait sur la terre, quelque santé et commodité essentielle qu’il ait, il n’est pas satisfait, s’il n’est dans l’estime des hommes. Il estime si grande la raison de l’homme, que, quelque avantage qu’il ait sur la terre, s’il n’est placé avantageusement aussi dans la raison de l’homme, il n’est pas content. C’est la plus belle place du monde, rien ne le peut détourner de ce désir, et c’est la qualité la plus ineffaçable du cœur de l’homme.
Et ceux qui méprisent le plus les hommes, et les égalent aux bêtes, encore veulent-ils en être admirés et crus, et se contredisent à eux-mêmes par leur propre sentiment ; leur nature, qui est plus forte que tout, les convainquant de la grandeur de l’homme plus fortement que la raison ne les convainc de leur bassesse.
Mots-clés : Admiration – Bêtes – Gloire – Vertu.