Pensées diverses III – Fragment n° 40 / 85 – Papier original : RO 429-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 128 p. 373 v°-375 / C2 : p. 331 v°-333

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janvier 1670 p. 284-285 / 1678 n° 30 p. 281

Éditions savantes : Faugère I, 199, LXI / Havet VI.23 / Michaut 708 / Brunschvicg 144 / Tourneur p. 103-1 / Le Guern 581 / Lafuma 687 (série XXV) / Sellier 566

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

GIOCANTI Sylvia, Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer : trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001.

MESNARD Jean, Pascal, coll. Connaissance des Lettres, 5e édition, Paris, Hatier, 1967.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, Pascal et les Roannez, I, Paris, Desclée de Brouwer, 1965.

MESNARD Jean, “Science et religion chez Pascal”, Sengari, 1988, p. 47-53 ; repris in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992.

 

 

Éclaircissements

 

Le début du fragment n’est pas une fiction : il y a vraiment chez Pascal l’idée d’une recherche de la communication humaine par les sciences ; voir la correspondance avec Fermat, où Pascal associe amitié à l’égard d’un honnête homme et plaisir de la collaboration dans la découverte mathématique, et la Lettre à M. ADDS. La lettre à Fermat montre qu’il n’y trouve qu’une communication de métier, mais qui ne suffit pas pour faire l’objet de notre fin. Mais cette volonté de trouver une communication entre hommes par le biais de ce qui touche l’homme est aussi déçue : « Il y en a encore moins qui l’étudient que la géométrie. Ce n’est que manque de savoir étudier cela qu’on cherche le reste. »

Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, I, p. 260. Rapport avec la lettre de Méré sur le voyage en Poitou.

Giocanti Sylvia, Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer : trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001, p. 177.

Voir le commentaire de ce fragment dans Mesnard Jean, “Science et religion chez Pascal”.

 

J’avais passé longtemps dans l’étude des sciences abstraites et le peu de communication qu’on en peut avoir m’en avait dégoûté.

 

Mesnard Jean, Pascal, coll. Connaissance des Lettres, 5e édition, p. 123 sq. La géométrie apprend à raisonner correctement, mais son objet en lui-même est vain et n’apprend pas à connaître l’homme.

Les matières de science abstraite, et l’esprit de la géométrie sont éloignés de l’usage commun ; voir Géométrie-Finesse II (Laf. 512, Sel. 670), et la remarque de J. Mesnard, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 107-108.

Mesnard Jean, “Science et religion chez Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, p. 346-354. Pascal est sensible à ce qui, dans la science réalise la communauté des hommes, auxquels s’impose un langage unique. Mais cette communication demeure très pauvre ; le langage des sciences ne parle pas de l’homme, mais seulement des choses. Or c’est par l’humanité que s’établit une véritable communauté entre les hommes. La science n’a aucun pouvoir pour ce qui touche le domaine du souverain bien, la fin à laquelle tendent les désirs des hommes et leur volonté : p. 351.

Brunschvicg minor interprète cette phrase comme suit : le peu de communication signifie le trop petit nombre de personnes avec lesquelles les savants peuvent communiquer. Cette réaction de dégoût est attribuée à la rencontre des mondains comme Méré, qui ont révélé à Pascal « cette humanité vivante et profonde à laquelle les sciences exactes ne touchaient point ».

GEF XIII, p. 71, renvoie à la lettre de Pascal à Gilberte du 26 janvier 1648, OC II, éd. J. Mesnard, p. 554, où, dans les réflexions qu’il fait sur sa foi, Pascal écrit qu’il aurait « besoin de la communication de personnes savantes » dans les choses de Dieu et de personnes désintéressées. Il rapporte ensuite ses rencontres avec M. de Rebours, dont on sait qu’elles n’aboutirent pas.

Les contacts de Pascal avec Fermat donnent une idée du style de communication que la recherche scientifique a pu instaurer entre eux.

Lettre de Pascal à Fermat du 29 juillet 1654, OC II, p. 1137 sq.

« Monsieur,

L’impatience me prend aussi bien qu’à vous, et quoique je sois encore au lit, je ne puis m’empêcher de vous dire que je reçus hier de la part de M. de Carcavy votre lettre sur les partis, que j’admire si fort que je ne puis vous le dire. Je n’ai pas le loisir de m’étendre, mais en un mot vous avez trouvé les deux partis des dés et des parties dans la parfaite justesse, j’en suis tout satisfait, car je ne doute plus maintenant que je ne sois dans la vérité, après la rencontre admirable où je me trouve avec vous ; j’admire bien davantage la méthode des parties que celle des dés. J’avais vu plusieurs personnes trouver celle des dés, comme M. le chevalier de Méré, qui est celui qui m’a proposé ces questions, et aussi Monsieur de Roberval, mais M. de Méré n’avait jamais pu trouver la juste valeur des parties ni de biais pour y arriver, de sorte que je me trouvais seul qui eusse connu cette proportion. Votre méthode est très sûre, et est celle qui m’est la première venue à la pensée dans cette recherche. Mais parce que la peine des combinaisons est excessive, j’en ai trouvé un abrégé, et proprement une autre méthode bien plus courte et plus nette que je voudrais vous pouvoir dire ici en peu de mots. Car je voudrais désormais vous ouvrir mon cœur s’il se pouvait, tant j’ai de joie de voir notre rencontre. Je vois bien que la vérité est la même à Toulouse et à Paris. »

Lettre de Pascal à Fermat du 10 août 1660, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 922-923.

« Monsieur,

Vous êtes le plus galant homme du monde, et je suis assurément un de ceux qui sait le mieux reconnaître ces qualités-là et les admirer infiniment, surtout quand elles sont jointes aux talents qui se trouvent singulièrement en vous : tout cela m’oblige à vous témoigner de ma main ma reconnaissance pour l’offre que vous me faites, quelque peine que j’aie encore d’écrire et de lire moi-même : mais l’honneur que vous me faites m’est si cher, que je ne puis trop me hâter d’y répondre. Je vous dirai donc, monsieur, que, si j’étais en santé, je serais volé à Toulouse, et que je n’aurais pas souffert qu’un homme comme vous eût fait un pas pour un homme comme moi. Je vous dirai aussi que, quoique vous soyez celui de toute l’Europe que je tiens pour le plus grand géomètre, ce ne serait pas cette qualité-là qui m’aurait attiré ; mais que je me figure tant d’esprit et d’honnêteté en votre conversation, que c’est pour cela que je vous rechercherais. Car pour vous parler franchement de la géométrie, je la trouve le plus haut exercice de l’esprit ; mais en même temps je la connais pour si inutile, que je fais peu de différence entre un homme qui n’est que géomètre et un habile artisan. Aussi je l’appelle le plus beau métier du monde ; mais enfin ce n’est qu’un métier ; et j’ai dit souvent qu’elle est bonne pour faire l’essai, mais non pas l’emploi de notre force : de sorte que je ne ferais pas deux pas pour la géométrie, et je m’assure fort que vous êtes fort de mon humeur. Mais il y a maintenant ceci de plus en moi, que je suis dans des études si éloignées de cet esprit-là, qu’à peine me souviens-je qu’il y en ait. Je m’y étais mis, il y a un an ou deux, par une raison tout à fait singulière, à laquelle ayant satisfait, je suis au hasard de ne jamais plus y penser, outre que ma santé n’est pas encore assez forte ; car je suis si faible que je ne puis marcher sans bâton, ni me tenir à cheval. Je ne puis même faire que trois ou quatre lieues au plus en carrosse ; c’est ainsi que je suis venu de Paris ici en vingt-deux jours. Les médecins m’ordonnent les eaux de Bourbon pour le mois de septembre, et je suis engagé autant que je puis l’être, depuis deux mois, d’aller de là en Poitou par eau jusqu’à Saumur, pour demeurer jusqu’à Noël avec M. le duc de Roannez, gouverneur de Poitou, qui a pour moi des sentiments que je ne vaux pas. Mais comme je passerai par Orléans en allant à Saumur par la rivière, si ma santé ne me permet pas de passer outre, j’irai de là à Paris. Voilà, monsieur, tout l’état de ma vie présente, dont je suis obligé de vous rendre compte, pour vous assurer de l’impossibilité où je suis de recevoir l’honneur que vous daignez m’offrir, et que je souhaite de tout mon cœur de pouvoir un jour reconnaître, ou en vous, ou en messieurs vos enfants, auxquels je suis tout dévoué ayant une vénération particulière pour ceux qui portent le nom du premier homme du monde. Je suis, etc. Pascal.

De Bienassis, le 10 août 1660. »

Apparemment, la correspondance sur la géométrie du hasard n’a pas suffi à satisfaire le besoin de communication de Pascal. Mais il faut ajouter que Pascal avait aussi quelques réserves à l’égard de l’attitude de Fermat lors du concours de la roulette (Fermat a sans doute aidé le jésuite Lalouvère dans la résolution des problèmes proposés au concours par Pascal).

En revanche, on juge Roberval beaucoup moins capable de sortir de sa spécialité pour entretenir avec ses collègues des relations humaines. Voir ce qu’en écrit Baillet Adrien, Vie de M. Descartes, Seconde partie, Paris, Hortemels, Livre VII, ch. XVII, éd. 1691, p. 381 ; cité in OC I, éd. J. Mesnard, p. 808. « C’est ce qui acheva de le [sc. Pascal] détacher de M. de Roberval, qui dès l’an 1649 lui avait fait connaître et à M. son Père, combien il était médiocre métaphysicien sur la nature des choses spirituelles, et combien il était important qu’il se tût toute sa vie sur les opinions des libertins et des déistes ». Pascal pouvait du reste avoir aussi des réserves sur la conduite de Roberval lors du concours de la roulette ; voir OC IV, éd. J. Mesnard, p. 173 sq.

Voir des compléments nécessaires dans le dossier thématique sur l’honnête homme.

Plusieurs fragments insistent sur le fait que l’engagement dans les sciences n’est pas toujours compatible avec une conduite humaine.

Laf. 605, Sel. 502. L’homme est plein de besoins. Il n’aime que ceux qui peuvent les remplir tous. C’est un bon mathématicien dira-t-on, mais je n’ai que faire de mathématique ; il me prendrait pour une proposition. C’est un bon guerrier : il me prendrait pour une place assiégée. Il faut donc un honnête homme qui puisse s’accommoder à tous mes besoins généralement.

Laf. 587, Sel. 486. On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers si l’on n’a mis l’enseigne de poète, de mathématicien etc. Mais les gens universels ne veulent point d’enseigne et ne mettent guère de différence entre le métier de poète et celui de brodeur. Les gens universels ne sont appelés ni poètes, ni géomètres, etc. Mais ils sont tout cela et jugent de tous ceux-là. On ne les devine point, ils parleront de ce qu’on parlait quand ils sont entrés. On ne s’aperçoit point en eux d’une qualité plutôt que d’une autre, hors de la nécessité de la mettre en usage, mais alors on s’en souvient. Car il est également de ce caractère qu’on ne dise point d’eux qu’ils parlent bien quand il n’est point question du langage et qu’on dise d’eux qu’ils parlent bien quand il en est question. C’est donc une fausse louange qu’on donne à un homme quand on dit de lui lorsqu’il entre qu’il est fort habile en poésie et c’est une mauvaise marque quand on n’a pas recours à un homme quand il s’agit de juger de quelques vers.

Laf. 647, Sel. 532. Honnête homme. Il faut qu’on n’en puisse [dire] ni il est mathématicien, ni prédicateur, ni éloquent mais il est honnête homme. Cette qualité universelle me plaît seule. Quand en voyant un homme on se souvient de son livre c’est mauvais signe. Je voudrais qu’on ne s’aperçût d’aucune qualité que par la rencontre et l’occasion d’en user, ne quid nimis, de peur qu’une qualité ne l’emporte et ne fasse baptiser ; qu’on ne songe point qu’il parle bien, sinon quand il s’agit de bien parler, mais qu’on y songe alors.

 

Quand j’ai commencé l’étude de l’homme, j’ai vu que ces sciences abstraites ne sont pas propres à l’homme, et que je m’égarais plus de ma condition en y pénétrant que les autres en l’ignorant.

 

OC III, éd. J. Mesnard, p. 687. L’admiration de Pascal pour Méré, à l’exception de son inaptitude à la géométrie, est liée au fait que Pascal est profondément convaincu que les sciences abstraites ne sont pas propres à l’homme, et que l’étude de l’homme se place au-dessus de celle de la géométrie.

Laf. 605, Sel. 502. L’homme est plein de besoins. Il n’aime que ceux qui peuvent les remplir tous. C’est un bon mathématicien dira-t-on, mais je n’ai que faire de mathématique ; il me prendrait pour une proposition. C’est un bon guerrier : il me prendrait pour une place assiégée. Il faut donc un honnête homme qui puisse s’accommoder à tous mes besoins généralement.

Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, I, p. 260. Rapport avec la lettre de Méré sur le voyage en Poitou.

L’idée d’égarement est ici utilisée dans un contexte inhabituel :

Dossier de travail (Laf. 400, Sel. 19). L’homme ne sait à quel rang se mettre, il est visiblement égaré et tombé de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver. Il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables.

Se perdre dans la recherche abstraite peut, mutatis mutandis, être une forme de divertissement qui égare l’homme et lui fait perdre de vue la recherche de la vérité.

Preuves par discours (Laf. 428, Sel. 682). Avant que d’entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l’injustice des hommes qui vivent dans l’indifférence de chercher la vérité d’une chose qui leur est si importante, et qui les touche de si près. De tous leurs égarements, c’est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d’aveuglement, et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n’est qu’un instant, que l’état de la mort est éternel, de quelque nature qu’il puisse être, et qu’ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l’état de cette éternité, qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet. Il n’y a rien de plus visible que cela et qu’ainsi, selon les principes de la raison, la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable, s’ils ne prennent une autre voie. Que l’on juge donc là-dessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui, se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude, et comme s’ils pouvaient anéantir l’éternité en en détournant leur pensée, ne pensent à se rendre heureux que dans cet instant seulement. Cependant, cette éternité subsiste, et la mort, qui la doit ouvrir et qui les menace à toute heure, les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis ou malheureux, sans qu’ils sachent laquelle de ces éternités leur est à jamais préparée.

 

J’ai pardonné aux autres d’y peu savoir. Mais j’ai cru trouver au moins bien des compagnons en l’étude de l’homme

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, p. 100-101. Voir Géométrie-finesse II (Laf. 512, Sel. 670) : la véritable communication entre les hommes ne peut se réaliser que sur le plan qui leur est commun à tous, l’homme même ; c’est la leçon de Montaigne ; et Vanité 11 (Laf. 23, Sel. 57) : les idées scientifiques n’ont rien à voir avec les besoins vitaux de l’homme.

 

et que c’est le vrai étude qui lui est propre.

 

Charron Pierre, De la sagesse, I, Préface du premier livre, p. 1, Qui est la connaissance de soi et de l’humaine condition. Exhortation à s’étudier et connaître. « Le plus excellent et divin conseil, le meilleur et plus utile avertissement de tous, mais le plus mal pratiqué, est de s’étudier et apprendre à se connaître : c’est le fondement de sagesse et acheminement à tout bien : c’est folie non pareille que d’être attentif et diligent à connaître toutes autres choses plutôt que soi-même : la vraie science et le vrai étude de l’homme, c’est l’homme ». Dans les éditions originales, Charron écrit le vray estude… L’édition GEF XIII indique par erreur que ce passage, qui provient de la Préface de la première partie de La Sagesse, est tiré de la Préface du livre.

Étude au masculin est vieilli à l’époque de Pascal. À l’époque de Charron, le neutre studium n’est pas oublié.

Sur le manuscrit, Pascal a écrit vray, et le mot précédent ne peut être que l’article le. L’expression le vrai étude doit être comprise comme une citation discrète de Charron, ou une allusion à La Sagesse. Voir la transcription diplomatique.

Port-Royal ajoute au texte de Pascal « puisque c’est celle qui lui est propre ».

Havet, éd. des Pensées, 1866, I, p. 91, note que Pascal ne dit pas positivement que c’est l’étude de l’homme qui lui est propre : « il dit qu’il l’a cru, et il ne le croit plus. Il n’y a plus pour lui d’autre science que celle de la croix ».

 

J’ai été trompé,

 

On pourrait rapprocher ce début de celui de la première Provinciale : « Nous étions bien abusés. Je ne suis détrompé que d’hier ».

 

il y en a encore moins qui l’étudient que la géométrie.

 

Le petit nombre des personnes qui s’intéressent à la connaissance de la nature de l’homme correspond à la rareté des esprits qui, comme le chevalier de Méré, connaissent l’art de persuader, c’est-à-dire l’art de communiquer entre les esprits.

Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, I, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 377 sq., sur l’influence de l’idéal de l’honnête homme sur Pascal.

 

Ce n’est que manque de savoir étudier cela qu’on cherche le reste.

 

L’idée est plus précise que ci-dessus. Les connaissances abstraites ne sont au fond qu’un divertissement qui remplit le vide laissé par l’incapacité où nous sommes d’étudier la nature de l’homme.

Comment Pascal prouve-t-il ce point ? C’est une interprétation qui porte sur des motifs qui ne sont pas visibles. Pascal esquisse dans cette phrase un argument qui reste à développer.

 

Mais n’est‑ce pas que ce n’est pas encore là la science que l’homme doit avoir, et qu’il lui est meilleur de s’ignorer pour être heureux ?

 

C’est un de ces paradoxes par lesquels Pascal se plaît à renverser la perspective. Il esquisse ici un argument par raison des effets, qui revient à dénier au dernier moment aux personnes qui sont dans l’étude de l’homme toute supériorité à l’égard du vulgaire. On peut dire en effet qu’il est meilleur à l’homme d’ignorer sa nature, si la connaissance de sa propre misère, n’étant pas éclairée par la Révélation, ne le conduit qu’à l’ennui et au désespoir.

Ce paradoxe interrompt un développement qui pourrait soutenir que l’étude de la religion chrétienne permet de sortir des impasses auxquelles conduisent les sciences abstraites et le peu de connaissance de la nature humaine. Pascal laisse à son lecteur poursuivre sa propre réflexion. Voir le fragment Laf. 737, Sel. 617 : On se persuade mieux pour l’ordinaire par les raisons qu’on a soi-même trouvées que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.

Havet, éd. des Pensées, I, 1866, p. 91 : Les éditeurs de Port-Royal suppriment cette conclusion, « ne voulant pas prendre sur eux ce désaveu de la philosophie morale ».