Dossier de travail - Fragment n° 18 / 35 – Papier original : RO 465-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 16 p. 195 / C2 : p. 6
Éditions de Port-Royal : Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janvier 1670 p. 169 / 1678 n° 4 p. 166
Éditions savantes : Faugère II, 87, XIX / Havet VIII.12 / Brunschvicg 427 / Tourneur p. 303-2 / Le Guern 379 / Lafuma 400 / Sellier 19
L’homme ne sait à quel rang se mettre. Il est visiblement égaré et tombé de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver. Il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables.
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De la corruption consécutive au péché découle l’égarement dans lequel est plongé l’homme dans sa condition actuelle. Plusieurs fragments la décrivent en termes tragiques : aveuglement, égarement, obscurcissement du cœur et de l’esprit, ténèbres.
Fragments connexes
Misère 1 (Laf. 53, Sel. 86). Bassesse de l’homme jusqu’à se soumettre aux bêtes, jusques à les adorer.
Misère 17 (Laf. 68, Sel. 102). Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée dans l’éternité précédente et suivante [...] le petit espace que je remplis et même que je vois abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraye et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ?
Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141). Contre le pyrrhonisme.
Nous supposons que tous les conçoivent de même sorte. Mais nous le supposons bien gratuitement, car nous n’en avons aucune preuve. [...] Cela suffit pour embrouiller au moins la matière, non que cela éteigne absolument la clarté naturelle qui nous assure de ces choses. Les académiciens auraient gagé, mais cela la ternit et trouble les dogmatistes, à la gloire de la cabale pyrrhonienne qui consiste à cette ambiguïté ambiguë, et dans une certaine obscurité douteuse dont nos doutes ne peuvent ôter toute la clarté, ni nos lumières naturelles en chasser toutes les ténèbres.
A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Il faut que pour rendre l’homme heureux elle [sc : la vraie religion] lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice.
Transition 3 (Laf. 198, Sel. 229). En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, en regardant tout l’univers muet et l’homme sans lumière abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître et sans moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre point en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi d’une semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi. Ils me disent que non et sur cela ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux et ayant vu quelques objets plaisants s’y sont donnés et s’y sont attachés. Pour moi je n’ai pu y prendre d’attache et considérant combien il y a plus d’apparence qu’il y a autre chose que ce que je vois j’ai recherché si ce Dieu n’aurait point laissé quelque marque de soi.
Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). De là vient que presque tous les philosophes confondent les idées des choses et parlent des choses corporelles spirituellement et des spirituelles corporellement, car ils disent hardiment que les corps tendent en bas, qu’ils aspirent à leur centre, qu’ils fuient leur destruction, qu’ils craignent le vide, qu’ils (ont) des inclinations, des sympathies, des antipathies, toutes choses qui n’appartiennent qu’aux esprits. Et en parlant des esprits ils les considèrent comme en un lieu, et leur attribuent le mouvement d’une place à une autre, qui sont choses qui n’appartiennent qu’aux corps.
Dossier de travail (Laf. 401, Sel. 20). Nous souhaitons la vérité et ne trouvons en nous qu’incertitude.
Nous recherchons le bonheur et ne trouvons que misère et mort.
Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur et sommes incapables ni de certitude ni de bonheur.
Ce désir nous est laissé tant pour nous punir que pour nous faire sentir d’où nous sommes tombés.
Dossier de travail (Laf. 416, Sel. 35). Sans Jésus‑Christ, il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère. Avec Jésus‑Christ l’homme est exempt de vice et de misère.
En lui est toute notre vertu et toute notre félicité.
Hors de lui il n’y a que vice, misère, erreur, ténèbres, mort, désespoir.
Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). [La vraie religion] dit au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l’éloignement de Dieu, qu’il s’est caché à leur connaissance, que c’est même le nom qu’il se donne dans les Écritures, Deus absconditus ; et, enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses : que Dieu a établi des marques sensibles dans l’Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement ; et qu’il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence où ils font profession d’être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité où ils sont, et qu’ils objectent à l’Église, ne fait qu’établir une des choses qu’elle soutient, sans toucher à l’autre, et établit sa doctrine, bien loin de la ruiner ?
Preuves par discours II (Laf. 430, Sel. 683). Nul autre n’a connu que l’homme est la plus excellente créature. Les uns, qui ont bien connu la réalité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d’eux-mêmes ; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective ont traité d’une superbe ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels à l’homme.
Prophéties V (Laf. 487, Sel. 734). Pendant la durée du Messie.
[...] Il doit aveugler les sages et les savants. Is. 6. - Is. 8.Is. 29. - Is. 61. et annoncer l’Évangile aux pauvres et aux petits, ouvrir les yeux des aveugles et rendre la santé aux infirmes - et mener à la lumière ceux qui languissent dans les ténèbres. Is. 61.
Prophéties VI (Laf. 489, Sel. 735). Réprobation des Juifs et conversion des Gentils. [...] C’est pour nos crimes que la justice s’est éloignée de nous. Nous avons attendu la lumière et nous ne trouvons que les ténèbres. Nous avons espéré la clarté et nous marchons dans l’obscurité. Nous avons tâté contre la muraille comme des aveugles, nous avons heurté en plein midi comme au milieu d’une nuit, et comme des morts en des lieux ténébreux.
Miracles II (Laf. 849, Sel. 430). Si la lumière est ténèbres, que seront les ténèbres ?
Mots-clés : Chercher – Égarer – Homme – Inquiétude – Lieu – Rang – Ténèbres.