Pensées diverses IV – Fragment n° 17 / 23 – Papier original : RO 169-6
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 164 p. 395 / C2 : p. 367
Éditions savantes : Faugère II, 83, XI / Brunschvicg 346 / Tourneur p. 119-1 / Le Guern 638 / Lafuma 759 (série XXVI) / Sellier 628
Pensée fait la grandeur de l’homme.
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Pensée devenue célèbre et classique, malgré son caractère elliptique. Elle énonce une étape du renversement du pour au contre.
Fragments connexes
Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent.
Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies.
Grandeur 7 (Laf. 111, Sel. 143). Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête, car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée. Ce serait une pierre ou une brute.
Grandeur 9 (Laf. 113, Sel. 145). Roseau pensant.
Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai point d’avantage en possédant des terres. Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point : par la pensée je le comprends.
Grandeur 10 (Laf. 114, Sel. 146). La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable.
Un arbre ne se connaît pas misérable.
C’est donc être misérable que de [se] connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable.
Contrariétés 13 (Laf. 130, Sel. 163). S’il se vante je l’abaisse
S’il s’abaisse je le vante
Et le contredis toujours
Jusqu’à ce qu’il comprenne
Qu’il est un monstre incompréhensible.
Transition 5 (Laf. 200, Sel. 231). L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien.
Pensées diverses (Laf. 620, Sel. 513). L’homme est visiblement fait pour penser. C’est toute sa dignité et tout son mérite ; et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l’ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin. Or à quoi pense le monde ? jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c’est qu’être roi et qu’être homme.
Pensées diverses (Laf. 756, Sel. 626). Pensée.
Toute la dignité de l’homme est en la pensée, mais qu’est-ce que cette pensée ? qu’elle est sotte. La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu’elle eût d’étranges défauts pour être méprisable, mais elle en a de tels que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature, qu’elle est basse par ses défauts.