Fragment Commencement n° 12 / 16 – Papier original : RO 25-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 222 p. 79 / C2 : p. 104
Éditions savantes : Faugère II, 387 / Havet XXIV.3 bis / Brunschvicg 189 / Tourneur p. 226-4 / Le Guern 151 / Lafuma 162 / Sellier 194
Commencer par plaindre les incrédules, ils sont assez malheureux par leur condition. Il ne les faudrait injurier qu’au cas que cela servît, mais cela leur nuit.
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Accoutumé à la controverse et à la polémique, Pascal a réfléchi durant plusieurs années sur la question rhétorique de la raillerie et de l’invective. Ce fragment s’inscrit dans une vaste réflexion de Pascal sur l’art de persuader et ses différentes techniques. Il fait écho, sous des aspects différents à l’opuscule De l’esprit géométrique, mais aussi à la XIe Provinciale, qui traitent de la manière dont les vérités doivent être présentées pour être reçues et acceptées par les auditeurs ou les lecteurs.
Pascal considère en effet, suivant De l’Esprit géométrique, 2, De l’art de persuader, §1-2, OC III, p. 413, que « l’art de persuader a un rapport nécessaire à la manière dont les hommes consentent à ce qu’on leur propose, et aux conditions des choses qu’on veut faire croire. Personne n’ignore qu’il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances, l’entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées ; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté ; car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve, mais par l’agrément. » Il en résulte, toujours selon le même opuscule, « que, quoi que ce soit qu’on veuille persuader, il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connaître l’esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime ; et ensuite remarquer, dans la chose dont il s’agit, quel rapport elle a avec les principes avouez, ou avec les objets délicieux par les charmes qu’on lui donne. De sorte que l’art de persuader consiste autant en celui d’agréer qu’en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison ».
Le problème se pose de manière particulièrement complexe lorsqu’il s’agit de présenter aux incrédules les vérités de la religion chrétienne. Pascal a entamé une réflexion approfondie sur les règles de la rhétorique chrétienne : il en a posé les bases dans L’esprit géométrique ; la polémique des Provinciales l’a conduit à réfléchir sur la question de savoir si une rhétorique vraiment chrétienne permettait d’user de la raillerie, voire de l’invective. Dans les Pensées, il abord un autre problème, celui de savoir si un chrétien peut, voire doit user de l’invective dans un ouvrage destiné à persuader des incroyants des vérités de la religion.
Ce fragment résume de manière lapidaire la solution qu’il a choisie pour la composition de son apologie de la religion chrétienne. Mais le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) permet de saisir avec précision la manière dont il comptait la mettre en œuvre.
Fragments connexes
Commencement 6 (Laf. 156, Sel. 188). Plaindre les athées qui cherchent, car ne sont-ils pas assez malheureux. Invectiver contre ceux qui en font vanité. »
Dossier de travail (Laf. 405, Sel. 24). Je blâme également et ceux qui prennent parti de louer l’homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de se divertir et je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant.
Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui, n’épargnant rien pour en sortir, font de cette recherche leurs principales et leurs plus sérieuses occupations.
Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu’ils ne trouvent pas en eux-mêmes les lumières qui les en persuadent, négligent de les chercher ailleurs, et d’examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d’elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très solide et inébranlable, je les considère d’une manière toute différente.
Cette négligence en une affaire où il s’agit d’eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m’irrite plus qu’elle ne m’attendrit ; elle m’étonne et m’épouvante : c’est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d’une dévotion spirituelle. J’entends au contraire qu’on doit avoir ce sentiment par un principe d’intérêt humain et par un intérêt d’amour-propre : il ne faut pour cela que voir ce que voient les personnes les moins éclairées.
Textes connexes
De l’Esprit géométrique, 2, De l’art de persuader, OC III, éd. J. Mesnard, p. 413 sq.
Les Provinciales, XI.
Mots-clés : Athée – Chercher – Condition – Incrédule – Injure – Malheureux – Nuire – Servir – Vanité.