Preuves par discours II - Fragment n° 3 / 7 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 34 p. 220 / C2 : p. 431 v°-433
Éditions de Port-Royal :
Chap. II - Marques de la véritable religion : 1669 et janvier 1670 p. 20-21 / 1678 n° 5 p. 19
Chap. III - Véritable Religion prouvée par les contrariétés... : 1669 et janvier 1670 p. 32 / 1678 n° 1 p. 35 et n° 15 p. 45
Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 239 / 1678 n° 1 p. 231
Éditions savantes : Faugère II, 141, III ; II, 369, XXX / Havet XI.4 bis et XII.12 / Michaut 901 et 902 / Brunschvicg 431 et 560 / Le Guern 401 et 402 / Lafuma 430 et 431 (série III) / Sellier 683
Nul autre n’a connu que l’homme est la plus excellente créature. Les uns, qui ont bien connu la réalité de son excellence, ont pris pour lâcheté et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d’eux‑mêmes ; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traité d’une superbe ridicule ces sentiments de grandeur qui sont aussi naturels à l’homme. Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns. Voyez celui auquel vous ressemblez et qui vous a fait pour l’adorer. Vous pouvez vous rendre semblable à lui, la sagesse vous y égalera si vous voulez le suivre.
Haussez la tête, hommes libres, dit Épictète.
Et les autres lui disent : Baissez les yeux vers la terre, chétif ver que vous êtes, et regardez les bêtes dont vous êtes le compagnon. Que deviendra donc l’homme ? Sera‑t‑il égal à Dieu ou aux bêtes ? Quelle effroyable distance ! Que serons‑nous donc ? Qui ne voit par tout cela que l’homme est égaré, qu’il est tombé de sa place, qu’il la cherche avec inquiétude, qu’il ne la peut plus retrouver ? Et qui l’y adressera donc ? Les plus grands hommes ne l’ont pu. Nous ne concevons ni l’état glorieux d’Adam, ni la nature de son péché, ni la transmission qui s’en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passées dans l’état d’une nature toute différente de la nôtre et qui passent l’état de notre capacité présente. Tout cela nous serait inutile à savoir pour en sortir et tout ce qu’il nous importe de connaître est que nous sommes misérables, corrompus, séparés de Dieu, mais rachetés par Jésus‑Christ ; et c’est de quoi nous avons des preuves admirables sur la terre. Ainsi, les deux preuves de la corruption et de la rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l’indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.
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Les originaux de cette liasse sont perdus. Ce fragment a sans doute servi à la rédaction de certains textes dont un état plus développé nous est parvenu. Les questions pressantes qui suivent l’affirmation de l’échec des philosophies humaines dans la connaissance de la nature de l’homme rappellent certains passages des fragments de la liasse A P. R. D’autre part, l’esquisse de la preuve de la religion chrétienne par ses ennemis, les impies et le peuple juif, paraît préparer le fragment Preuves par discours II, 1 (Laf. 427, Sel. 681). La comparaison de ce texte avec ceux qui le développent permet d’apprécier la liberté avec laquelle Pascal improvise à partir de pareils canevas. Par exemple, la manière expéditive dont il note ici que l’homme ignore tout de ce qu’a été le péché originel, et que cette connaissance est inutile pour en sortir, contraste assez fortement avec la méthode avec laquelle, dans A P. R. 1 et 2 (Laf. 149, Sel. 182), il s’applique à préciser avec exactitude ce qui, dans la doctrine du péché originel, demeure véritablement incompréhensible à l’homme. Outre son intérêt pour la compréhension de l’argumentation de Pascal en faveur de la religion chrétienne, ce texte offre aussi celui de le montrer au travail dans le développement de ses idées.
Fragments connexes
Contrariétés 3 (Laf. 121, Sel. 153). Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Et il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre, mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre.
Contrariétés 4 (Laf. 121, Sel. 154). Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre.
Contrariétés 10 (Laf. 127, Sel. 160). La nature de l’homme se considère en deux manières, l’une selon sa fin, et alors il est grand et incomparable ; l’autre selon la multitude, comme on juge de la nature du cheval et du chien par la multitude, d’y voir la course et animum arcendi, et alors l’homme est abject et vil. Et voilà les deux voies qui en font juger diversement et qui font tant disputer les philosophes.
Car l’un nie la supposition de l’autre. L’un dit : il n’est point né à cette fin, car toutes ses actions y répugnent, l’autre dit : il s’éloigne de la fin quand il fait ces basses actions.
Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers. [...] Il est sans doute qu’il n’y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui étant si éloignés de cette source semblent incapables d’y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible. Il nous semble même très injuste. Qu’y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté pour un péché où il paraît avoir si peu de part, qu’il est commis six mille ans avant qu’il fût en être. Certainement rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine. Et cependant sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes.
A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Sera-ce les philosophes qui nous proposent pour tout bien les biens qui sont en nous ? Ont-ils trouvé le remède à nos maux ? est-ce avoir guéri la présomption de l’homme que de l’avoir mis à l’égal de Dieu ? Ceux qui nous ont égalés aux bêtes et les mahométans qui nous ont donné les plaisirs de la terre pour tout bien, même dans l’éternité, ont-ils apporté le remède à nos concupiscences ?
Quelle religion nous enseignera donc à guérir l’orgueil, et la concupiscence ? quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir, et le moyen d’obtenir ces remèdes. Toutes les autres religions ne l’ont pu. Voyons ce que fera la sagesse de Dieu.
N’attendez point, dit-elle, ô hommes, ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formés et qui peux seule vous apprendre qui vous êtes.
Mais vous n’êtes plus maintenant en l’état où je vous ai formés. J’ai créé l’homme saint, innocent, parfait ; je l’ai rempli de lumière et d’intelligence, je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L’œil de l’homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n’était pas alors dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l’affligent. [...]
Voilà l’état où les hommes sont aujourd’hui. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue leur seconde nature.
De ce principe que je vous ouvre vous pouvez reconnaître la cause de tant de contrariétés qui ont étonné tous les hommes et qui les ont partagés en de si divers sentiments. Observez maintenant tous les mouvements de grandeur et de gloire que l’épreuve de tant de misères ne peut étouffer et voyez s’il ne faut pas que la cause en soit en une autre nature.
A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). A P.R. Pour demain.
Prosopopée.
C’est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans vous-mêmes le remède à vos misères. Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu’à connaître que ce n’est point dans vous-mêmes que vous trouverez ni la vérité ni le bien. Les philosophes vous l’ont promis et ils n’ont pu le faire. Ils ne savent ni quel est votre véritable bien, ni quel est [votre véritable état].
Comment auraient-ils donné des remèdes à vos maux qu’ils n’ont pas seulement connus. Vos maladies principales sont l’orgueil qui vous soustrait de Dieu, [et] la concupiscence qui vous attache à la terre, et ils n’ont fait autre chose qu’entretenir au moins l’une de ces maladies. S’ils vous ont donné Dieu pour objet ce n’a été que pour exercer votre superbe ; ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité de cette prétention vous ont jetés dans l’autre précipice en vous faisant entendre que votre nature était pareille à celle des bêtes et vous ont portés à chercher votre bien dans les concupiscences qui sont le partage des animaux.
Ce n’est pas là le moyen de vous guérir de vos injustices que ces sages n’ont point connues. Je puis seule vous faire entendre qui vous êtes.
Fondement 3 (Laf. 226, Sel. 258). Toute la foi consiste en Jésus-Christ et en Adam et toute la morale en la concupiscence et en la grâce.
Dossier de travail (Laf. 410, Sel. 29). Cette guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se sont partagés en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux, les autres ont voulu renoncer à la raison et devenir bêtes brutes. Des Barreaux. Mais ils ne l’ont pu ni les uns ni les autres, et la raison demeure toujours qui accuse la bassesse et l’injustice des passions et qui trouble le repos de ceux qui s’y abandonnent. Et les passions sont toujours vivantes dans ceux qui y veulent renoncer.
Preuves par discours II (Laf. 432, Sel. 684). Je leur demanderais s’il n’est pas vrai qu’ils vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption.
Pensées diverses (Laf. 432 série XXX, Sel. 662). Mais ceux-là mêmes qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion n’y seront pas inutiles pour les autres.
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