Dossier de travail - Fragment n° 10 / 35 – Papier original : RO 77-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 8 p. 193 / C2 : p. 3-4
Éditions de Port-Royal : Chap. II - Marques de la véritable Religion : 1669 et janvier 1670 p. 21-25 / 1678 n° 8 p. 20-23
Éditions savantes : Faugère II, 244, III / Havet XI.5 ter / Brunschvicg 644 / Tourneur p. 301-2 / Le Guern 371 / Lafuma 392 / Sellier 11
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Bibliographie ✍
DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, Nizet, Paris, 1957. DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993. FONTAINE Nicolas, Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, avec des explications édifiantes, tirées des saints Pères pour régler les mœurs dans toutes sortes de conditions, dédiée à Monseigneur le Dauphin, par le sieur de Royaumont, prieur de Sombreval, Paris, Le Petit, 1680. La Genèse traduite en français avec l’explication du sens littéral et du sens spirituel tirée des saint Pères et des auteurs ecclésiastiques, par le sieur Le Maistre de Sacy prêtre, Paris, Desprez et Desessartz, 1711. SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., Paris, Champion, 2012. |
✧ Éclaircissements
Figures.
Le titre du fragment demande explication, car à première vue, le texte n’enferme pas la notion de figure.
En fait, elle apparaît en cours de fragment, dans l’idée que Dieu a fait voir l’image de la venue du Messie.
Pascal aborde ici le problème de la conduite générale du monde voulue par Dieu. Voir le fragment Laf. 594, Sel. 491. Conduite générale du monde envers l’Église. Dieu voulant aveugler et éclairer. L’événement ayant prouvé la divinité de ces prophéties le reste doit en être cru et par là nous voyons l’ordre du monde en cette sorte. Les miracles de la création et du déluge s’oubliant Dieu envoya la loi et les miracles de Moïse, les prophètes qui prophétisent des choses particulières. Et pour préparer un miracle subsistant il prépare des prophéties et l’accomplissement. Mais les prophéties pouvant être suspectes il veut les rendre non suspectes, etc.
Dieu voulant se former un peuple saint, qu’il séparerait de toutes les autres nations,
Le peuple juif a été mis à part par Dieu pour recevoir, conserver et répandre la révélation de sa religion.
Lévitique, XX, 24. « Separavi vos a ceteris populis ». « Je suis le Seigneur votre Dieu, qui vous ai séparés de tout le reste des peuples » (tr. de la Bible de Port-Royal).
Preuves par discours II (Laf. 435, Sel. 687). La création et le déluge étant passés, et Dieu ne devant plus détruire le monde, non plus que le recréer, ni donner de ces grandes marques de lui, il commença d’établir un peuple sur la terre, formé exprès, qui devait durer jusqu’au peuple que le Messie formerait par son esprit.
qu’il délivrerait de ses ennemis,
Le terme d’ennemi est figuratif : les Juifs charnels entendent par là les oppresseurs de leur peuple (Égyptiens, mais aussi Babyloniens, Romains) ; les spirituels entendent qu’il s’agit des péchés. Sur le sens de ce mot dans le langage des prophètes, voir Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300), qui fournit les références nécessaires : David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis ; les charnels pensent que ce sont les Égyptiens, mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités.
Iniquité : au sens ordinaire, désigne ce qui est contraire et opposé à l’équité. Mais en termes de l’Écriture, le mot se dit de toutes sortes de crimes, de péchés, de méchancetés. Jésus-Christ a porté toutes nos iniquités. On parle du mystère d’iniquité (II Thessaloniciens, II, 8). On appelle figurément l’homme pécheur un vaisseau d’iniquité (Furetière).
Preuves par discours II (Laf. 433, Sel. 685). Alors Jésus-Christ vient dire aux hommes qu’ils n’ont point d’autres ennemis qu’eux-mêmes, que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu, qu’il vient pour les détruire, et pour leur donner sa grâce, afin de faire d’eux tous une Église sainte, qu’il vient ramener dans cette Église les païens et les Juifs, qu’il vient détruire les idoles des uns et la superstition des autres.
Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Voilà donc quelle a été la conduite de Dieu. Ce sens est couvert d’un autre en une infinité d’endroits et découvert en quelques-uns rarement, mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux, au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques et ne peuvent convenir qu’au sens spirituel.
[...] Car il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes : la cupidité et la charité. Ce n’est pas que la cupidité ne puisse être avec la foi en Dieu et que la charité ne soit avec les biens de la terre, mais la cupidité use de Dieu et jouit du monde, et la charité au contraire.
Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses ; tout ce qui nous empêche d’y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, seront ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l’ennemi de ceux dont il trouble la convoitise.
Ainsi le mot d’ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions et les charnels entendaient les Babyloniens, et ainsi ces termes n’étaient obscurs que pour les injustes.
Il ne semble pas y avoir dans les Psaumes de passage où il est dit que le Messie délivrera le peuple de ses ennemis. Mais la demande de délivrance de la part de l’homme, et les actions de grâce pour la protection passée y sont un leit-motiv récurrent.
Psaume VII, 1-6. « Seigneur mon Dieu, c’est en vous que j’ai mis mon espérance ; sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi. 2. De peur qu’enfin ils ne ravissent mon âme comme un lion, lorsqu’il n’y a personne qui me tire d’entre ses mains, et qui me sauve. 3. Seigneur mon Dieu, si j’ai fait ce que l’on m’impute, si mes mains se trouvent coupables d’iniquité, 4. Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en avaient fait, je consens à succomber sous mes ennemis, frustré de mes espérances. 5. Que l’ennemi poursuive mon âme, et s’en rende maître ; qu’il me foule aux pieds sur la terre en m’ôtant la vie, et qu’il réduise ma gloire en poussière. 6. Levez-vous, Seigneur, dans votre colère ; et faites éclater votre grandeur au milieu de mes ennemis ».
Psaume XVI, 10-15. « Protégez-moi, en me mettant à couvert sous l’ombre de vos ailes, contre les impies qui m’ont affligé. 11. Mes ennemis ont environné mon âme de toutes parts ; ils sont tout remplis de graisse ; leur bouche a parlé avec orgueil. 12. Après qu’ils m’ont rejeté, ils m’assiègent maintenant ; et ils ont résolu de tenir leurs yeux baissés vers la terre. 13. Ils ont aspiré à me perdre, comme un lion qui est préparé à ravir sa proie, et comme le petit d’un lion qui habite dans des lieux cachés. 14. Levez-vous, Seigneur, prévenez-le, et faites-le tomber lui-même ; délivrez mon âme de l’impie, et arrachez votre épée d’entre les mains des ennemis de votre droite. 15. Seigneur, séparez-les, en les ôtant de la terre au milieu de leur vie, d’avec ceux qui ne sont qu’en petit nombre ; leur ventre est rempli des biens qui sont renfermés dans vos trésors. »
Psaume XVII, 51-52. « 51. C’est vous, mon Dieu, qui prenez le soin de me venger, et qui me soumettez les peuples ; c’est vous qui me délivrez de la fureur de mes ennemis. 52. Et vous m’élèverez au-dessus de ceux qui s’élèvent contre moi ; vous m’arracherez des mains de l’homme injuste et méchant. »
Psaume XXXVI, 41-42. « C’est du Seigneur que vient le salut des justes ; et c’est lui qui est leur protecteur dans le temps de l’affliction. 42. Le Seigneur les assistera, et les délivrera ; il les arrachera d’entre les mains des pécheurs, et les sauvera parce qu’ils ont espéré en lui. »
Psaume LXIII, 1-2. « Exaucez, ô Dieu ! la prière que je vous offre avec ardeur ; délivrez mon âme de la crainte de l’ennemi. 2. Vous m’avez protégé contre l’assemblée des méchants, et contre la multitude de ceux qui commettent l’iniquité. »
Pascal applique la règle selon laquelle on n’a le droit d’interpréter un terme que s’il est dit dans l’Écriture que ce terme a un sens figuratif. C’est le cas ici.
L’expression délivrer des iniquités se trouve dans Psaume XXXVIII, 12. « Délivrez-moi de toutes mes iniquités. » Voir surtout le Psaume CXXIX, 1-8. « J’ai crié vers vous, Seigneur, du fond des abîmes ; Seigneur, exaucez ma voix. 2. Que vos oreilles se rendent attentives à la voix de mon ardente prière. 3. Si vous observez exactement, Seigneur, nos iniquités, Seigneur, qui subsistera devant vous ? 4. Mais vous êtes plein de miséricorde ; et j’ai espéré en vous, Seigneur, à cause de votre loi. 5. Mon âme s’est soutenue par la parole du Seigneur ; mon âme a espéré au Seigneur. 6. Que depuis le point du jour jusques à la nuit, Israël espère au Seigneur : 7. Parce que le Seigneur est plein de miséricorde, et qu’on trouve en lui une rédemption abondante. 8. et lui-même rachètera Israël de toutes ses iniquités. »
C’est le De profundis. Commentaire de la Bible de Port-Royal sur le dernier verset : « Qui serait capable [...] de subsister devant Dieu, si Dieu observait exactement toutes les iniquités de son peuple ? Mais Israël, c’est-à-dire son vrai peuple, a tout sujet d’espérer en lui, parce que non seulement il n’examinera pas avec rigueur toutes ses iniquités, pour les punir, mais que, comme dit saint Paul, il répandra une surabondance de grâce, où il y avait auparavant une surabondance de péché. Quelle confiance et quelle consolation ne devons-nous point en effet avoir, étant assurés que celui que nous craignons comme le juge et le vengeur de nos péchés, est en même temps notre rédempteur et notre sauveur. C’est ce qui a soutenu tous les justes de l’ancienne loi. C’est cette rédemption si abondante qu’ils attendaient avec une sainte impatience. Elle est vraiment abondante. Mais prenons garde de n’y mettre point d’obstacle par l’endurcissement de notre cœur ; et de ne pas abuser d’une grâce, dont l’abondance ne servirait qu’à nous attirer par notre faute une surabondance de condamnation et de jugement ».
Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 262. Le nom d’ennemi est l’un de ces termes comme roi, ami, médecin, malade, etc., dont parle la Logique de Port-Royal, qui passent pour des substantifs en grammaire et qui sont des adjectifs : ils marquent, dans un sujet, une manière d’être ou un mode : par exemple roi signifie homme qui règne, ennemi signifie homme hostile. Le substantif n’y est représenté que confusément, de sorte que l’on peut sans difficulté transférer son référent d’un objet à un autre, et remplacer homme par un autre substantif. En revanche, l’idée de la manière d’être est exprimée clairement, et elle subsiste dans la transformation par interprétation. C’est ce second élément qui subsiste dans l’interprétation, ne changeant que de support substantiel. Ainsi, ennemi, entendu au sens spirituel, ne signifie plus homme malfaisant, mais vice nuisible à l’âme. Sur ces noms, voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La Logique ou l’art de penser, II, I (1683), éd. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 658-659.
qu’il mettrait dans un lieu de repos,
Il s’agit, dans le sens littéral, de la Terre promise. Pascal emploie ailleurs l’expression de terre grasse. Voir Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300) : Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des [iniquités], ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. Mais cette terre est la figure du royaume de Dieu, qui est annoncé aux élus.
a promis de le faire et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue.
Sur la prédiction de la manière et du temps de la venue du Messie, voir le dossier thématique sur Jésus-Christ et le fragment Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Dieu pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité même pour les méchants. Si le temps eût été prédit obscurément, il y eût eu obscurité même pour les bons, car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre que par exemple ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures. Par ce moyen les méchants prenant les biens promis pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas. Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.
Et cependant, pour affermir l’espérance de ses élus dans tous les temps, il leur en a fait voir l’image,
De quelle image Pascal veut-il parler ? Le texte n’est pas très clair. L’expression il leur en a fait voir l’image est une addition. Voir la transcription diplomatique.
L’édition de Port-Royal tente de lever la difficulté en précisant que les prophéties annoncent la venue de Dieu au monde pour délivrer son peuple. Elle remplace aussi le singulier l’image par le pluriel des images, qu’elle précise en ajoutant les mots des figures. Il faut donc certainement entendre que, pour les éditeurs, il s’agit de l’image du Messie à venir, annoncé en figures par les prophètes. Pascal renvoie donc à la prophétie messianique.
sans les laisser jamais sans des assurances de sa puissance et de sa volonté pour leur salut.
Note de Brunschvicg : « l’histoire du peuple juif, telle qu’elle a été exposée dans les fragments de la section précédente, est ici interprétée par rapport au but de Dieu. Le peuple juif est le dépositaire des prophéties ; à chaque génération la foi en ces prophéties est renouvelée et fortifiée par quelque témoignage visible de la puissance et de la sollicitude de Dieu ».
Pascal a indiqué quelles étaient ces marques de la puissance de Dieu, destinées à ranimer l’espérance dans le cœur du peuple juif dans le fragment Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer Rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.
Voir aussi Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.
Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas leurs Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.
Car dans la création de l’homme Adam en était le témoin et le dépositaire de la promesse du sauveur qui devait naître de la femme,
Addition en marge de gauche, qui vise sans doute à assurer la continuité entre le début du texte et les dernières lignes, qui font appel à l’idée de la tradition héréditaire.
Adam en était le témoin et le dépositaire de la promesse du Sauveur : voir Genèse III, 15. « Je mettrai une inimitié entre toi (sc. le serpent) et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête, et tu tâcheras de la mordre par le talon » (tr. de la Bible de Port-Royal). Il paraît difficile d’entendre ce verset comme l’expression de la promesse du sauveur qui [doit] naître de la femme, mais c’est bien en ce sens que l’explique la Bible de Sacy : « v. 15. Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa postérité et la tienne. Le serpent n’est pas moins ennemi de l’homme que de la femme. Mais le Saint-Esprit parle ici principalement de la femme, pour marquer le mystère de l’Incarnation, comme il paraît par les paroles suivantes :
Elle te brisera la tête. En français le mot elle se peut rapporter ou à la postérité de la femme, ou à la femme. Dans l’hébreu il ne se rapporte qu’à la postérité de la femme Ipsum (semen) comme qui dirait, le Fils de la femme te brisera la tête. Dans la Vulgate le pronom elle ne s’entend que de la femme, comme qui dirait : La femme te brisera la tête.
Le sens est le même dans l’un et dans l’autre, quoique l’expression soit différente. Le sens de l’hébreu est : Le Fils de la femme, Jésus-Christ Fils de Dieu et Fils d’une Vierge, te brisera la tête, ô démon, et établissant le règne de Dieu sur la terre, y détruira le tien. Le sens de la Vulgate est : La femme, ô démon, par laquelle tu as vaincu l’homme te brisera la tête ; non par elle-même, mais par Jésus-Christ. Ce qui retombe dans le sens de la langue originale ».
lorsque les hommes étaient encore si proches de la Création qu’ils ne pouvaient avoir oublié leur création et leur chute. Lorsque ceux qui avaient vu Adam n’ont plus été au monde, Dieu a envoyé Noé et l’a sauvé et noyé toute la terre par un miracle qui marquait assez et le pouvoir qu’il avait de sauver le monde et la volonté qu’il avait de le faire et de faire naître de la semence de la femme celui qu’il avait promis.
Dieu a envoyé Noé : voir Genèse, VI-IX. Sur Noé, héros de l’histoire du déluge, dixième des patriarches antédiluviens, voir le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Noé, p. 816-817 ; il vécut 950 ans, et eut trois fils, Sem, Cham et Japhet. À une époque où le monde était corrompu, Noé était la seule personne « qui marchait avec Dieu ». Il lui fut commandé de construire une arche et d’y faire entre sept couples de chaque espèce de bêtes pures et un de toutes les autres espèces de créatures vivantes. Le déluge dura 40 jours et 40 nuits, entraînant la destruction de tout ce qui ne se trouvait pas dans l’arche. L’arche se trouva sur le mont Ararat à la fin du déluge. L’histoire de Cham, après que Noé se soit enivré, n’est pas bien claire : voir p. 816 B.
Sur le déluge, voir notre commentaire sur le fragment Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327).
Kircher Athanase, Arca Noë, in tres libros digesta, quorum I. De rebus quae ante Diluvium, II. De iis, quae ipso Diluvio ejusque duratione, III. De iis, quae post Diluvium à Noëmo gesta sunt, Quae omnia novo methodo, nec non summa argumentorum varietate, explicantur, et demonstrantur, Amstelodami, apud Joannem Janssonium à Waesberge, anno MDCLXXV.
Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 227 sq.
Preuves par discours II (Laf. 435, Sel. 687). La création et le déluge étant passés, et Dieu ne devant plus détruire le monde, non plus que le recréer, ni donner de ces grandes marques de lui, il commença d’établir un peuple sur la terre, formé exprès, qui devait durer jusqu’au peuple que le Messie formerait par son esprit.
Ce miracle suffisait pour affermir l’espérance des [hommes].
Brunschvicg note : « réflexion ajoutée et inachevée ». Il s’agit d’une addition placée dans l’interligne. Voir la transcription diplomatique.
La mémoire du déluge étant encore si fraîche parmi les hommes, lorsque Noé vivait encore, Dieu fit ses promesses à Abraham, et lorsque Sem vivait encore, Dieu envoya Moïse, etc.
En fait, dans la chronologie de la Bible de Port-Royal, Sem naît en l’an du monde 1 558 et meurt en 2 158 ; Moïse ne naît qu’en 2 433.
Genèse, XIII, 14-17. « 14. Dixitque Dominus ad Abram postquam divisus est Loth ab eo leva oculos tuos et vide a loco in quo nunc es ad aquilonem et ad meridiem ad orientem et ad occidentem 15. omnem terram quam conspicis tibi dabo et semini tuo usque in sempiternum 16.faciamque semen tuum sicut pulverem terrae si quis potest hominum numerare pulverem semen quoque tuum numerare poterit 17. surge et perambula terram in longitudine et in latitudine sua quia tibi daturus sum eam ». « Le Seigneur dit donc à Abram, après que Lot se fut séparé de lui : Levez vos yeux, et regardez du lieu où vous êtes, au septentrion et au midi, à l’orient, et à l’occident. Je vous donnerai et à votre postérité pour jamais tout ce pays que vous voyez. Je multiplierai votre race comme la poussière de la terre. Si quelqu’un d’entre les hommes peut compter la poussière de la terre, il pourra compter aussi la suite de vos descendants. Parcourez présentement toute l’étendue de cette terre dans sa longueur et dans sa largeur, parce que je vous la donnerai » (tr. de la Bible de Port-Royal).
Pascal fait ici allusion à l’idée de la tradition héréditaire, telle qu’elle est brièvement expliquée dans les fragments Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327), et le Fragment joint à la Copie C1 (Laf. 292 note, Sel. 741), qui fournissent les indications nécessaires.
Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327). Sem qui a vu Lamech qui a vu Adam a vu aussi Jacob qui a vu ceux qui ont vu Moïse : donc le déluge et la création sont vrais. Cela conclut entre de certaines gens qui l’entendent bien.
Fragment joint à C1 (Laf. 292 note, Sel. 741). Car quoiqu’il y eût environ deux mille ans qu’elles avaient été faites, le peu de générations qui s’étaient passées faisait qu’elles étaient aussi nouvelles aux hommes qui étaient en ce temps-là que nous le sont à présent celles qui sont arrivées il y a environ trois cents ans. Cela vient de la longueur de la vie des premiers hommes. En sorte que Sem, qui a vu Lamech, etc. Cette preuve suffit pour convaincre les personnes raisonnables de la vérité du Déluge et de la Création, et cela fait voir la Providence de Dieu, lequel, voyant que la Création commençait à s’éloigner, a pourvu d’un historien qu’on peut appeler contemporain, et a commis tout un peuple pour la garde de son livre. Et ce qui est encore admirable, c’est que ce livre a été embrassé unanimement et sans aucune contradiction, non seulement par tout le peuple juif, mais aussi par tous les rois et tous les peuples de la terre, qui l’ont reçu avec un respect et une vénération toute particulière.
La conclusion etc. témoigne du fait que Pascal entend relier ce qu’il a écrit dans le corps du fragment à la doctrine de la tradition héréditaire, dont il a placé l’esquisse dans la liasse Preuves de Moïse, mais que, connaissant bien la thèse à laquelle il renvoie, il ne ressent pas la nécessité de l’expliquer ici.