Fragment Perpétuité n° 9 / 11 – Papier original : RO 151-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Perpétuité n° 327 p. 147 v°-149 / C2 : p. 179
Éditions de Port-Royal : Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 88-89 / 1678 n° 16, 18 et 19 p. 88-89
Éditions savantes : Faugère II, 363, XX / Havet XV.10 / Brunschvicg 607 / Tourneur p. 273-5 / Le Guern 270 / Lafuma 287 / Sellier 319
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Bibliographie ✍
BOULLIER David-Renaud, Apologie de la métaphysique [...], avec les Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, Amsterdam, Catuffe, 1753. CAZELLES Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 1973. LODS Adolphe, Les prophètes d’Israël et les débuts du judaïsme, Paris, A. Michel, 1969. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. TAVARD Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Cerf, 1969. VOLTAIRE, Lettres philosophiques, XXV, § XIV, éd. Ferret et McKenna, Paris, Garnier, 2010. |
✧ Éclaircissements
Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre.
Grossier : se dit figurément en choses spirituelles et morales. Les sauvages sont grossiers et mal polis. Il y a des esprits si grossiers qu’on ne leur peut rien apprendre. Les artisans sont bien grossiers à comparaison des gens de cour (Furetière).
Grossiers : le fragment Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318) mentionne Parmi les chrétiens les grossiers ; comme il y a Deux sortes d’hommes en chaque religion, il existe aussi des Juifs grossiers, c’est-à-dire charnels. Ils sont mentionnés dans le fragment Prophéties 10 (Laf. 331, Sel. 363). Au temps du Messie ce peuple se partage. Les spirituels ont embrassé le Messie, les grossiers sont demeurés pour lui servir de témoins.
Sur les termes de grossier et de charnel, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 502, n. 18. Origine de ces notions de charnel, d’injuste, de grossier chez saint Augustin. Grossier traduit rudis, employé souvent dans la même acception chez saint Augustin et chez Pascal. Sur carnalis, voir la note p. 503. Le peuple des charnels et grossiers : p. 508. Liste des fragments où Pascal relève les biens charnels attendus par les Juifs : p. 508, n. 47.
Ce passage allie un éloge de la loi juive comme porteuse de figures spirituelles, et une condamnation lorsqu’elle n’est entendue qu’au sens littéral. Pascal reprend ici les catégories de la lettre et de l’esprit qu’il a utilisées dans la liasse Loi figurative, et explicite la portée, esquissée seulement dans cette liasse, que revêt pour les Juifs le fait que certains d’entre eux ne voient dans les prophéties qu’un sens littéral et charnel, alors que les autres savent en reconnaître le sens spirituel. Du fait du caractère figuratif des prophéties, l’Ancien Testament est susceptible de deux lectures. Mais ce n’est pas par hasard que l’on choisit l’une ou l’autre interprétation : comme Pascal l’explique dans le fragment Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738), dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures. De sorte que c’est son caractère propre qui détermine la lecture que chacun fait des textes prophétiques : cela ne pouvait induire en erreur et qu’il n’y avait qu’un peuple aussi charnel qui s’y pût méprendre. Car quand les biens sont promis en abondance qui les empêchait d’entendre les véritables biens, sinon leur cupidité qui déterminait ce sens aux biens de la terre. Mais ceux qui n’avaient de bien qu’en Dieu, les rapportaient uniquement à Dieu.
C’est en ce sens que la religion des Juifs a quelque chose de ridicule, car le sens littéral des prophéties est si farci de contradictions qu’il est impossible de s’y tenir, à moins d’avoir le cœur obscurci.
C’est en ce sens que Pascal peut écrire que cette religion est ridicule dans ceux qui la traitent mal. Il convient dans Fausseté 16 (Laf. 218, Sel. 251) qu’il y a dans l’Écriture des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet.
En revanche, le ridicule disparaît lorsque l’Écriture est interprétée de manière figurative et spirituelle, ca alors, il y a des clartés admirables et des prophéties manifestes et accomplies, et aucune contradiction ; la partie n’est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l’obscurité et non pas par la clarté qui mérite qu’on révère les obscurités. Pascal peut alors entrer dans un éloge de la loi juive, en tant qu’elle est l’annonce de la loi chrétienne.
Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n’aiment que la terre, les Juifs connaissent le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les Juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu.
Les Juifs étaient de deux sortes. Les uns n’avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes.
Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.
La même distinction vaut pour la religion chrétienne, qui a ses spirituels, mais aussi ses chrétiens grossiers. Voir sur ce point Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318) : Deux sortes d’hommes en chaque religion. [...] Parmi les chrétiens les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle.
L’expression ceux qui la traitent mal renvoie aux jésuites et aux casuistes, comme le confirme la suite, Jésus-Christ selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous. Voir le fragment Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318), qui explique comment, selon les Provinciales, les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu.
Tradition : voir sur ce terme Perpétuité 7 (Laf. 285, Sel. 317).
Bouyer L., Dictionnaire théologique, art. Tradition, p. 624-626. Tradition se dit, d’une façon générale, de toute transmission d’une connaissance ou d’une pratique. Les rabbins savent déjà que la parole de Dieu se transmet dans le peuple de Dieu et par le peuple de Dieu. La tradition prophétique que transmet tout le corps de l’Église se distingue de la tradition épiscopale.
Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, p. 44 sq. Le concile de Trente déclare que la Révélation est contenue non seulement dans l’Écriture, mais dans les Traditions non écrites (sine scripto traditionibus). La tradition divine, qui remonte à la « bouche du Christ » (traditio dominica), la tradition qui remonte aux communications du Saint-Esprit et la tradition dogmatique forment les vérités révélées que les apôtres ont reçues du Christ et que l’Église a transmises. On distingue traditio divina et traditio ecclesiastica. En dehors de l’Écriture, la Tradition doit être acceptée comme une source propre de la foi. Les critères de la tradition sont l’universalité, l’antiquité et la concordance : p. 49. L’Écriture et la Tradition sont deux sources propres, juxtaposées de la foi ; on doit les recevoir avec le même respect : p. 50. Mais l’Écriture conserve dans son contenu et dans sa forme un avantage sur la Tradition. Elles se prêtent un appui mutuel.
Sur la notion de tradition telle qu’elle est conçue au XVIIe siècle en France, il faut recourir au livre de Tavard Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, qui traite la question de façon approfondie.
Encyclopédie saint Augustin, p. 1417 sq. Tradition.
La formule l’Évangile, les apôtres et la tradition marque peut-être une intention de classer les protestants parmi ceux qui traitent mal la religion : ils n’admettent en effet pour source légitime d’inspiration que les Écritures, et rejettent la tradition.
Toute la suite du fragment est un développement qui semble avoir été ajouté après coup, pour expliciter les ressemblances entre les Juifs grossiers et les chrétiens charnels, qui rendent la religion ridicule, et les vrais Juifs et les vrais chrétiens qui en connaissent et en révèlent le caractère divin.
Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel.
Voir le dossier thématique sur Jésus-Christ.
Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 656 sq. Daniel et le messianisme. Selon le P. Lagrange, Daniel est le premier à envisager l’histoire du monde comme une préparation au règne de Dieu, à souder cette aurore aux espérances d’Israël, et à conduire le dessein de Dieu sur les hommes jusqu’au seuil de l’éternité.
Lods Adolphe, Les prophètes d’Israël et les débuts du judaïsme, Paris, A. Michel, 1969, p. 324. Les Juifs attendent de Dieu des biens terrestres que Dieu réserve en récompense aux justes. Ils attendent du messie de plus grands miracles que Moïse, et ils voient en lui un grand prince terrestre. Voir Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295).
Scholem Gershom, Le Talmud, Paris, Payot, 1967, p. 413 sq. L’attente du Messie chez les Juifs.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 476 sq. Sur l’annonce messianique.
Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.
Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas leurs Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.
Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Raison pourquoi figures.
Il fallait que pour donner foi au Messie il y eût eu des prophéties précédentes et qu’elles fussent portées par des gens non suspects et d’une diligence et fidélité et d’un zèle extraordinaire et connu de toute la terre.
Pour faire réussir tout cela Dieu a choisi ce peuple charnel auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait.
Et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes et a porté à la vue de tout le monde ces livres qui prédisent leur Messie assurant toutes les nations qu’il devait venir et en la manière prédite dans les livres qu’ils tenaient ouverts à tout le monde. Et ainsi ce peuple déçu par l’avènement ignominieux et pauvre du Messie ont été ses plus cruels ennemis, de sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser et le plus exact et zélé qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophètes qui les porte incorrompus.
De sorte que ceux qui ont rejeté et crucifié J.-C. qui leur a été en scandale sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui et qui disent qu’il sera rejeté et en scandale, de sorte qu’ils ont marqué que c’était lui en le refusant et qu’il a été également prouvé et par les justes juifs qui l’ont reçu et par les injustes qui l’ont rejeté, l’un et l’autre ayant été prédit.
Loi figurative 12 (Laf. 256, Sel. 288). Les Juifs charnels n’entendaient ni la grandeur, ni l’abaissement du Messie prédit dans leurs prophéties. Ils l’ont méconnu dans sa grandeur prédite, comme quand il dit que le Messie sera seigneur de David, quoique son fils et qu’il est devant qu’Abraham et qu’il l’a vu. Ils ne le croyaient pas si grand qu’il fût éternel, et ils l’ont méconnu de même dans son abaissement et dans sa mort. Le Messie, disaient-ils, demeure éternellement et celui-ci dit qu’il mourra. Ils ne le croyaient donc ni mortel, ni éternel ; ils ne cherchaient en lui qu’une grandeur charnelle.
Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § XIV, éd. Ferret et McKenna, p. 173-174. Pascal vise les Jésuites, alors qu’il n’ont jamais dit que Jésus est venu nous dispenser d’aimer Dieu. Autre défaut : l’attente d’un Messie n’était pas chez les Juifs un point de religion, mais une idée consolante répandue dans la nation.
Boullier David-Renaud, Apologie de la métaphysique [...], avec les Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § XIV, p. 52-53. Critique du second point de l’objection de Voltaire. L’idée que l’attente du Messie n’était pas un point fondamental est celle du rabbin Hillel, chef de l’école de Tibérias, au IVe siècle après Jésus-Christ. Opinion rapportée dans la Gemara, et condamnée par ceux qui la rapportent.
Jésus-Christ selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu,
Nous dispenser d’aimer Dieu : allusion à la Xe Provinciale. Il s’agit évidemment des casuistes qui dispensent les fidèles d’aimer Dieu, éd. Cognet, p. 187 sq. (impression originale, § 8-9) :
« Je vois bien, répondit le Père, par ce que vous me dites, que vous avez besoin de savoir la doctrine de nos Pères touchant l’Amour de Dieu. C’est le dernier trait de leur Morale, et le plus important de tous. Vous deviez l’avoir compris par les passages que je vous ai cités de la contrition. Mais en voici d’autres, et ne m’interrompez donc pas ; car la suite même en est considérable. Écoutez Escobar, qui rapporte les opinions différentes de nos auteurs sur ce sujet dans la pratique de l’amour de Dieu selon notre Société, au tr. I. ex. 2. n. 21. et tr. 5. ex. 4. n. 8. sur cette question. Quand est-on obligé d’avoir affection actuellement pour Dieu ? Suarez dit, que c’est assez si on l’aime avant l’article de la mort, sans déterminer aucun temps. Vasquez, qu’il suffit encore à l’article de la mort. D’autres, quand on reçoit le Baptême. D’autres, quand on est obligé d’être contrit. D’autres, les jours de fêtes. Mais notre Père Castro Palao combat toutes ces opinions-là, et avec raison : Merito. Hurtado de Mendoza prétend qu’on y est obligé tous les ans, et qu’on nous traite bien favorablement encore de ne nous y obliger pas plus souvent. Mais notre Père Coninch croit qu’on y est obligé en trois ou quatre ans : Henriquez tous les cinq ans. Mais Filiutius dit : Qu’il est probable qu’on n’y est pas obligé à la rigueur tous les cinq ans. Et quand donc ? Il le remet au jugement des sages. Je laissai passer tout ce badinage, où l’esprit de l’homme se joue si insolemment de l’amour de Dieu. Mais, poursuivit-il, notre P. Antoine Sirmond, qui triomphe sur cette matière dans son admirable livre de la Défense de la vertu, où il parle français en France, comme il dit au lecteur, discourt ainsi au 2 tr. sect. I, pag. 12, 13, 14, etc. S. Thomas dit, qu’on est obligé à aimer Dieu aussitôt après l’usage de raison. C’est un peu bien tôt. Scotus, chaque Dimanche. Sur quoi fondé ? D’autres, quand on est grièvement tenté. Oui en cas qu’il n’y eût que cette voie de fuir la tentation. Sotus, quand on reçoit un bienfait de Dieu. Bon pour l’en remercier. D’autres, à la mort. C’est bien tard. Je ne crois pas non plus que ce soit à chaque réception de quelque sacrement. L’attrition y suffit avec la confession, si on en a la commodité. Suarez dit, qu’on y est obligé en un temps. Mais en quel temps ? Il vous en fait juge et il n’en sait rien. Or ce que ce Docteur n’a pas su, je ne sais qui le sait. Et il conclut enfin, qu’on n’est obligé à autre chose à la rigueur qu’à observer les autres commandements sans aucune affection pour Dieu, et sans que notre cœur soit à lui, pourvu qu’on ne le haïsse pas. C’est ce qu’il prouve en tout son second traité. Vous le verrez à chaque page, et entre autres aux 16. 19. 24. 28. où il dit ces mots : Dieu en nous commandant de l’aimer se contente que nous lui obéissions en ses autres commandements. Si Dieu eût dit : Je vous perdrai, quelque obéissance que vous me rendiez, si de plus votre cœur n’est à moi. Ce motif à votre avis eût-il été bien proportionné à la fin que Dieu a dû et a pu avoir. Il est donc dit que nous aimerons Dieu en faisant sa volonté, comme si nous l’aimions d’affection. Comme si le motif de la charité nous y portait. Si cela arrive réellement ; encore mieux : sinon nous ne laisserons pas pourtant d’obéir en rigueur au commandement d’amour, en ayant les œuvres : de façon que (voyez la bonté de Dieu) il ne nous est pas tant commandé de l’aimer, que de ne le point haïr.
C’est ainsi que nos Pères ont déchargé les hommes de l’obligation pénible d’aimer Dieu actuellement. Et cette doctrine est si avantageuse, que nos Pères Annat, Pinthereau, Le Moine et A. Sirmond même l’ont défendue vigoureusement, quand on a voulu la combattre. Vous n’avez qu’à le voir dans leurs réponses à la Théologie Morale ; et celle du P. Pinthereau en la 2 p. de l’Abbé de Boisic, p. 53. vous fera juger de la valeur de cette dispense, par le prix qu’il dit qu’elle a coûté, qui est le sang de Jésus-Christ. C’est le couronnement de cette doctrine. Vous y verrez donc, que cette dispense de l’obligation fâcheuse d’aimer Dieu est le privilège de la loi Évangélique par-dessus la Judaïque. Il a été raisonnable, dit-il, que dans la loi de grâce du nouveau Testament Dieu levât l’obligation fâcheuse et difficile qui était en la loi de rigueur, d’exercer un acte de parfaite contrition pour être justifié ; et qu’il instituât des sacrements pour suppléer à son défaut à l’aide d’une disposition plus facile. Autrement certes les Chrétiens, qui sont les enfants, n’auraient pas maintenant plus de facilité à se remettre aux bonnes grâce de leur Père, que les Juifs, qui étaient les esclaves, pour obtenir miséricorde de leur Seigneur. »
et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous.
L’idée que certains chrétiens grossiers, qui sont paradoxalement des dévots, proposent des sacrement qui opèrent sans nous, c’est-à-dire sans que le pénitent ait besoin d’y apporter sa participation provient des controverses sur le sacrement de pénitence et de l’eucharistie, dont les Provinciales se font l’écho : certains casuistes soutiennent en effet que la confession n’exige pas que le pénitent ait un véritable regret de ses fautes, et que, pourvu qu’il prétende se repentir, le confesseur doit se contenter de cette déclaration sans chercher à savoir si elle est sincère.
Voir Provinciale X, éd. Cognet, p. 185 (impression originale, § 12).
« Aussi Diana notre ami intime a cru nous faire plaisir de marquer par quels degrés on y est arrivé. C’est ce qu’il fait p. 5. tr. 13. où il dit : Qu’autrefois les anciens scolastiques soutenaient que la contrition était nécessaire aussitôt qu’on avait fait un péché mortel. Mais que depuis on a cru qu’on n’y était obligé que les jours de fêtes. Et ensuite, que quand quelque grande calamité menaçait tout le peuple : que selon d’autres on était obligé à ne la pas différer longtemps quand on approche de la mort. Mais que nos Pères Hurtado et Vasquez ont réfuté excellemment toutes ces opinions-là, et établi qu’on n’y était obligé que quand on ne pouvait être absous par une autre voie, ou à l’article de la mort. Mais pour continuer le merveilleux progrès de cette doctrine, j’ajouterai que nos Pères Fagundez, præc. 2. tr. 2. cap. 4, n. 13. Granados, in 3 p. contr. 7. d. 3. sec. 4. n. 17. et Escobar, tr. 7, ex. 4, n. 88. dans la pratique selon notre Société, ont décidé, que la contrition n’est pas nécessaire même à la mort : parce, disent-ils, que si l’attrition avec le Sacrement ne suffisait pas à la mort, il s’ensuivrait que l’attrition ne serait pas suffisante avec le Sacrement. Et notre savant Hurtado, de sacr. d. 6. cité par Diana, part. 4. tr. 4. Miscell. R. 193, et par Escobar tr. 7. ex. 4. n. 91. va encore plus loin, car il dit : Le regret d’avoir péché, qu’on ne conçoit qu’à cause du seul mal temporel qui en arrive, comme d’avoir perdu la santé ou son argent, est-il suffisant ? Il faut distinguer. Si on ne pense pas que ce mal soit envoyé de la main de Dieu, ce regret ne suffit pas : mais si on croit que ce mal est envoyé de Dieu, comme en effet tout mal, dit Diana, excepté le péché, vient de lui, ce regret est suffisant. C’est ce que dit Escobar en la pratique de notre Société. Notre P. François l’Amy soutient aussi la même chose, T. 8. disp. 3. n. 13. Vous me surprenez, mon Père. Car je ne vois rien en toute cette attrition-là que de naturel ; et ainsi un pécheur se pourrait rendre digne de l’absolution sans aucune grâce surnaturelle : or il n’y a personne qui ne sache que c’est une hérésie condamnée par le Concile. Je l’aurais pensé comme vous, dit-il, et pourtant il faut bien que cela ne soit pas. Car nos Pères du Collège de Clermont ont soutenu dans leurs Thèses du 23 Mai, et du 6 juin 1644. col. 4, n. 1. qu’une attrition peut être sainte et suffisante pour le Sacrement, quoiqu’elle ne soit pas surnaturelle. Et dans celles du mois d’Août 1643, qu’une attrition qui n’est que naturelle suffit pour le Sacrement, pourvu qu’elle soit honnête. Ad sacramentum sufficit attritio naturalis, modo honesta. Voilà tout ce qui se peut dire, si ce n’est qu’on veuille ajouter une conséquence, qui se tire aisément de ces principes : qui est que la contrition est si peu nécessaire au Sacrement qu’elle y serait au contraire nuisible, en ce qu’effaçant les péchés par elle-même, elle ne laisserait rien à faire au Sacrement. C’est ce que dit notre Père Valentia, ce célèbre Jésuite, Tom. 4. Disput. 7. qu. 8. p. 4 : La contrition n’est point du tout nécessaire pour obtenir l’effet principal du Sacrement, et au contraire elle y est plutôt un obstacle : Imo obstat potius quominus effectus sequatur. On ne peut rien désirer de plus à l’avantage de l’attrition. »
Voir Provinciale X, § 6, éd. Cognet, p. 174 :
« Tout cela néanmoins, dit-il [le père jésuite], ne serait rien, si on n’avait de plus adouci la pénitence, qui est une des choses qui éloignait davantage de la Confession. Mais maintenant les plus délicats ne la sauraient plus appréhender, après ce que nous avons soutenu dans nos Thèses du Collège de Clermont : Que si le Confesseur impose une pénitence convenable, convenientem, et qu’on ne veuille pas néanmoins l’accepter, on peut se retirer en renonçant à l’absolution et à la pénitence imposée. Et Escobar dit encore dans la pratique de la pénitence selon notre Société, tr. 7. ex. 4. n. 188. Que si le pénitent déclare qu’il veut remettre à l’autre monde à faire pénitence, et souffrir en purgatoire toutes les peines qui lui sont dues, alors le Confesseur doit lui imposer une pénitence bien légère pour l’intégrité du Sacrement, et principalement s’il reconnaît qu’il n’en accepterait pas une plus grande. Je crois, lui dis-je, que si cela était on ne devrait plus appeler la confession le sacrement de pénitence. Vous avez tort, dit-il, car au moins on en donne toujours quelqu’une pour la forme. Mais, mon Père, jugez-vous qu’un homme soit digne de recevoir l’absolution quand il ne veut rien faire de pénible pour expier ses offenses ? Et quand des personnes sont en cet état, ne devriez-vous pas plutôt leur retenir leurs péchés, que de les leur remettre ? Avez-vous l’idée véritable de votre ministère, et ne savez-vous pas que vous y exercez le pouvoir de lier et de délier ? Croyez-vous qu’il soit permis de donner l’absolution indifféremment à tous ceux qui la demandent, sans reconnaître auparavant si Jésus-Christ délie dans le ciel ceux que vous déliez sur la terre ». Le jésuite répond que « le P. Bauny, qui a traité cette question à fond dans sa Somme des péchés, c. 46. p. 1090, 1091 et 1092, conclut, que toutes les fois que ceux qui récidivent souvent sans qu’on y voie aucun amendement, se présentent au Confesseur, et lui disent qu’ils ont regret du passé, et bon dessein pour l’avenir, il les en doit croire sur ce qu’ils le disent, quoiqu’il soit à présumer telles résolutions ne passer pas le bout des lèvres. Et quoiqu’ils se portent ensuite avec plus de liberté et d’excès que jamais dans les mêmes fautes, on peut néanmoins leur donner l’absolution selon mon opinion. Voilà je m’assure tous vos doutes bien résolus. » Le jésuite précise que « on veut dire par là qu’ils [sc. les confesseurs] sont obligés d’agir et d’absoudre, comme s’ils croyaient que cette résolution fût ferme et constante, encore qu’ils ne le croient pas en effet. » (§ 7).
Ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.
Les vrais Juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.
L’importance de l’amour de Dieu dans la vie chrétienne est défendu dans la Xe Provinciale. Voir Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.
Cette conclusion confirme la perpétuité de l’attente du Messie qui fait aimer Dieu.
Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n’aiment que la terre, les Juifs connaissent le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les Juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu.
Les Juifs étaient de deux sortes. Les uns n’avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes.