Fragment Prophéties n° 18 / 27  – Papier original : RO 165-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 358 p. 169 v°-171 / C2 : p. 204

Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 115-116  / 1678 n° 4 p. 115-116

Éditions savantes : Michaut 403 / Brunschvicg 738 / Tourneur p. 287-1 / Le Guern 320 / Lafuma 339 / Sellier 371

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Bibliographie

 

 

Voir les bibliographies de Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370), Prophéties 20 (Laf. 341, Sel. 373), et Prophéties 12 (Laf. 333, Sel. 365).

 

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 275.

MESNARD Jean, “Pourquoi les Pensées de Pascal se présentent-elles sous forme de fragments ?”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 363-370.

MESNARD Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, in Studi francesi, n° 143, mai-août 2004, p. 300-320.

 

 

Éclaircissements

 

Sur la technique de travail qui consiste à partir de canevas argumentatifs que Pascal étoffe et amplifie progressivement en plusieurs mouvements de rédaction, on se reportera avec profit à plusieurs études de Jean Mesnard :

Mesnard Jean, “Pourquoi les Pensées de Pascal se présentent-elles sous forme de fragments ?”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, Paris, P. U. F., 1992, p. 363-370.

Voir dans OC III, éd. J. Mesnard, p. 523 sq., la méthode de classement interne des pièces des Écrits sur la grâce, selon leur degré d’élaboration.

Mesnard Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, in Studi francesi, n° 143, mai-août 2004, p. 300-320.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 275.

En revanche, l’association établie par Pol Ernst avec le fragment Miracles III (Laf. 892, Sel. 446) n’apporte pas d’indication très précise. Comme ces textes ne sont pas autographes, rien n’établit que leurs originaux étaient eux-mêmes associés. On ne peut donc guère conclure de leur rapprochement que le présent fragment a été composé à l’époque où Pascal travaillait sur les miracles.

 

Les prophètes ayant donné diverses marques qui devaient toutes arriver à l’avènement du Messie, il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps. Ainsi il fallait que la quatrième monarchie fût venue lorsque les septante semaines de Daniel seraient accomplies et que le sceptre fût alors ôté de Juda.

 

Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédictions. Qu’en la quatrième monarchie, avant la destruction du second temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée en la soixante-dixième semaine de Daniel, pendant la durée du second temple les païens seraient instruits et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs, que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, remplis de sa crainte et de son amour.

Sur les quatre monarchies, voir le commentaire du fragment Prophéties 17.

Sur la prophétie de Jacob et le sceptre ôté de Juda, voir Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290).

Les soixante-dix semaines symbolisent les soixante-dix années qu’a duré l’exil à Babylone, dans la prophétie de Daniel : voir le fragment Prophéties 20 (Laf. 341, Sel. 373).

Sur la coïncidence des marques du Messie annoncées par les prophètes, voir le commentaire des fragments

Prophéties 12 (Laf. 333, Sel. 365). Prophéties. Le temps prédit par l’état du peuple juif, par l’état du peuple païen, par l’état du temple, par le nombre des années.

Prophéties 14 (Laf. 336, Sel. 367). Il faut être hardi pour prédire une même chose en tant de manières. Il fallait que les quatre monarchies, idolâtres ou païennes, la fin du règne de Juda, et les soixante-dix semaines arrivassent en même temps, et le tout avant que le second temple fût détruit.

 

Et tout cela est arrivé sans aucune difficulté. Et qu’alors il arrivât le Messie, et Jésus-Christ est arrivé alors, qui s’est dit le Messie. Et tout cela est encore sans difficulté et cela marque bien la vérité des prophéties.

 

Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Et il est arrivé qu’en la quatrième monarchie avant la destruction du second temple, etc. les païens en foule adorent Dieu et mènent une vie angélique.

Les filles consacrent à Dieu leur virginité et leur vie, les hommes renoncent à tous plaisirs. Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles.

Les riches quittent leurs biens, les enfants quittent la maison délicate de leurs pères pour aller dans l’austérité d’un désert, etc. Voyez Philon juif.

Qu’est-ce que tout cela ? c’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant ; depuis deux mille années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs et dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu. Les temples sont détruits, les rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’est-ce que tout cela ? C’est l’esprit de Dieu qui est répandu sur la terre.

Le fait que ce fragment soit l’esquisse d’un autre plus développé ne lui enlève pas son intérêt, car c’est souvent dans ces premières versions que Pascal fait apparaître certains termes clés, qui se détachent de manière plus visible que dans les discours plus amples. C’est le cas ici du mot marque, dont les Pensées contiennent des occurrences en grand nombre.

Marque : signe naturel ou artificiel qui fait connaître la qualité d’une chose, qui en fait distinguer l’espèce (Furetière). La marque sert à discerner une chose ou un être dans la multitude. Les prophètes ont donné des marques qui ont permis de reconnaître en Jésus-Christ le vrai Messie, dans la foule de ceux qui prétendaient l’être.

La marque sert à discerner.

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). L’imagination ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux : en d’autres termes, elle ne permet pas de distinguer, par exemple, les vérités qui viennent du cœur des illusions qui naissent de la fantaisie.

Grandeur 2 (Laf. 106, Sel. 138). Les raisons des effets marquent la grandeur de l’homme, d’avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre : les raisons des effets témoignent de la grandeur de l’homme, c’est-à-dire fournissent autant de signes de cette grandeur.

A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Je n’entends pas que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends point vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends point aussi vous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés j’entends vous faire voir clairement par des preuves convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent de ce que je suis et m’attirer autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser, sinon que vous ne pouvez par vous-même connaître si elles sont ou non : la Sagesse de Dieu donne des signes qui permettent de discerner son origine divine, par opposition aux autres religions, qui ne peuvent apporter de tels signes.

Soumission 11 (Laf. 177, Sel. 208). Contradiction est une mauvaise marque de vérité.

Plusieurs choses certaines sont contredites.

Plusieurs fausses passent sans contradiction.

Ni la contradiction n’est marque de fausseté ni l’incontradiction n’est marque de vérité.

La contradiction ne permet pas de discerner si une opinion est vraie ou fausse, dans la mesure où c’est une marque équivoque.

Dans Transition 3 (Laf. 198, Sel. 229), l’incrédule inquiet se demande si Dieu n’aurait point laissé quelque marque de soi, qui permette de discerner s’il existe ou si au contraire l’absence complète de marque ne témoigne pas de son inexistence.

Selon Fausseté 12 (Laf. 214, Sel. 247), la vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant aucune ne l’a ordonné, la nôtre l’a fait.

Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance, la nôtre l’a fait.

Elle doit y avoir apporté les remèdes, l’un est la prière. Nulle religion n’a demandé à Dieu de l’aimer et de le suivre.

Au contraire, la religion musulmane, selon Fondement 20 (Laf. 243, Sel. 276), ne dispose d’aucune marque qui l’accrédite : La religion mahométane a pour fondement l’Alcoran,et Mahomet. Mais ce prophète qui devait être la dernière attente du monde a-t-il été prédit ? Et quelle marque a-t-il que n’ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète ? Quels miracles dit-il lui-même avoir faits ? Quel mystère a-t-il enseigné selon sa tradition même ? Quelle morale et quelle félicité !

La reconnaissance de ces marques est au cœur du problème du discernement du Messie : voir Preuves de Jésus-Christ 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté. Effundam spiritum meum. Tous les peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité : les princes quittent leurs grandeurs, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? C’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue.

La notion de marque comporte deux aspects.

Primo, elle suppose que la recherche porte sur une multitude déjà donnée, dans laquelle certains termes sont porteurs de caractères spécifiques dont les autres sont dépourvus.

Secundo, ces marques permettent de discerner des éléments qui répondent à la manière dont le problème à résoudre est posé. Ce sont des critères de sélection d’éléments pertinents prélevés sur un ensemble.

Il existe des précédents de cette technique dans l’œuvre mathématique de Pascal, particulièrement dans un opuscule assez mal connu, le Numericarum potestatum generalis resolutio (Résolution générale des puissances numériques), OC II, éd. J. Mesnard, Problème, p. 1229 sq., dans lequel Pascal demande, « étant donné un nombre quelconque, [de] trouver la racine de la plus grande puissance d’un degré proposé qui soit contenue dans le nombre donné », et résout la question en déterminant deux nombres, l’un maximal, l’autre minimal, entre lesquels il reste à discerner la racine cherchée.

Le problème des marques et du discernement chez Pascal n’a pas encore fait à ce jour l’objet d’une étude de fond.