Fragment Prophéties n° 2 / 27 – Papier original : RO 232-6
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 352 p. 165 / C2 : p. 197
Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 118-119 / 1678 n° 6 p. 118
Éditions savantes : Faugère II, 309, XXXV / Havet XVIII.9 / Michaut 504 / Brunschvicg 730 / Tourneur p. 283-1 / Le Guern 305 / Lafuma 324 / Sellier 355
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 465-467. FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995. MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 595. THIROUIN Laurent, “Pascal et la superstition” , in LOPEZ Denis, MAZOUER Charles et SUIRE Éric, La religion des élites au XVIIe siècle, Biblio 17, n° 175, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2008, p. 237-256. |
✧ Éclaircissements
Qu’alors l’idolâtrie serait renversée, que ce Messie abattrait toutes les idoles et ferait entrer les hommes dans le culte du vrai Dieu.
Bouyer L., Dictionnaire théologique, art. Idolâtrie, p. 311-313. Littéralement, le terme d’idolâtrie désigne un service cultuel et l’adoration rendues à des images : le terme est venu à désigner tout culte d’adoration rendu à la créature et non au créateur, auquel seul il est dû. Cela ne signifie pas que les idoles sont pour eux, comme pour les Juifs, des images vides de réalité ou de contenu : le culte idolâtrique renferme une réalité, mais une réalité démoniaque.
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Idolâtrie, p. 544-545. Le fait d’honorer des « images gravées » dans le bois, la pierre ou quelque autre matière est interdit constamment dans l’Ancien Testament. C’est notamment le deuxième commandement reçu par Moïse. L’idolâtrie est considérée par les Juifs, avec l’inceste et le meurtre, comme l’un des trois péchés cardinaux, c’est-à-dire une action interdite même si la vie en dépend. Les Juifs ont transgressé ce commandement en différentes circonstances, dont la plus connue est l’épisode du veau d’or.
Le combat contre les idoles est porté par les prophètes d’Israël.
Exode, XX, 3-5. « Vous n’aurez point de dieux étrangers devant moi. 4. Vous ne ferez point d’image taillée, ni aucune figure de tout ce qui est en-haut dans le ciel, et en-bas sur la terre, ni de tout ce qui est dans les eaux et sous la terre. 5. Vous ne les adorerez point, et vous ne leur rendrez point le souverain culte, car je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération, dans tous ceux qui me haïssent. »
Osée, IV, 12, compare l’idolâtrie à un adultère : « ils se sont prostitués aux idoles en quittant leur Dieu ».
Ézéchiel, XXX, 13. « Haec dicit Dominus Deus : Et disperdam simulacra, et cessare faciam idola de Memphis ; et dux de terra Aegypti non erit amplius ; et dabo terrorem in terra Aegypti » ; « Voici ce que dit le Seigneur notre Dieu : J’exterminerai les statues, et j’anéantirai les idoles de Memphis. Il n’y aura plus à l’avenir de prince du pays d’Égypte, et je répandrai la terreur dans toutes ses terres ».
Isaïe, II, 18. « Et idola penitus conterentur » ; « Et les idoles seront toutes réduites en poudre ».
Prophéties VI (Laf. 489, Sel. 735). Réprobation des Juifs et conversion des Gentils.
[...] Ceux-là m’ont cherché qui ne me consultaient point. Ceux-là m’ont trouvé qui ne me cherchaient point. J’ai dit : me voici, me voici au peuple qui n’invoquait point mon nom.
J’ai étendu mes mains tout le jour au peuple incrédule qui suit ses désirs et qui marche dans une voie mauvaise, à ce peuple qui me provoque sans cesse par les crimes qu’il commet en ma présence, qui s’est emporté à sacrifier aux idoles, etc.
Ceux-là seront dissipés en fumée au jour de ma fureur, etc.
L’idolâtrie s’est répandue dans le peuple juif à certaines époques, notamment lors du schisme qui a séparé le royaume de Juda du royaume d’Israël, où le roi Jéroboam avait placé dans le sanctuaire des idoles représentant des taureaux. La tragédie de Racine Athalie pose le problème de la fidélité des Juifs à leur Dieu dans une période où Jérusalem est dominée par une reine étrangère.
Il est prédit que le rejet des Juifs les réduira à ne même plus utiliser le secours des idoles.
Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Que les Juifs devaient être sans prophètes. Amos.Sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans idole.
Loi figurative 14 (Laf. 258, Sel. 290). Osée a prédit qu’il serait sans roi, sans prince, sans sacrifice etc., sans idoles, ce qui est accompli aujourd’hui, ne pouvant faire sacrifice légitime hors de Jérusalem.
Laf. 793, Sel. 646. [...] et cette synagogue qui l’a précédé, misérables et sans prophètes, qui le suivent et qui étant tous ennemis sont d’admirables témoins pour nous de la vérité de ces prophéties où leur misère et leur aveuglement est prédit. Enfin eux sans idoles ni roi.
Le Messie doit accomplir la destruction des idoles annoncée par les prophètes, pour amener les hommes au culte du vrai Dieu.
Voir Prophéties 1 (Laf. 323, Sel. 354). Ruine des Juifs et des païens par Jésus-Christ.
Preuves par discours II (Laf. 433, Sel. 685). Alors Jésus‑Christ vient dire aux hommes qu’ils n’ont point d’autres ennemis qu’eux‑mêmes, que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu, qu’il vient pour les détruire et pour leur donner sa grâce afin de faire d’eux tous une Église sainte.
Qu’il vient ramener dans cette Église les païens et les Juifs, qu’il vient détruire les idoles des uns et la superstition des autres. À cela s’opposent tous les hommes, non seulement par l’opposition naturelle de la concupiscence, mais par‑dessus tout les rois de la terre s’unissent pour abolir cette religion naissante comme cela avait été prédit. [...] Tout ce qu’il y a de grand sur la terre s’unit : les savants, les sages, les rois. Les uns écrivent, les autres condamnent, les autres tuent. Et nonobstant toutes ces oppositions, ces gens simples et sans force résistent à toutes ces puissances et se soumettent même ces rois, ces savants, ces sages, et ôtent l’idolâtrie de toute la terre. Et tout cela se fait par la force qui l’avait prédit.
Prophéties 4 (Laf. 324, Sel. 357). Qu’il serait roi des Juifs et des gentils, et voilà ce roi des Juifs et des gentils opprimé par les uns et les autres qui conspirent à sa mort dominant des uns et des autres, et détruisant et le culte de Moïse dans Jérusalem, qui en était le centre, dont il fait sa première église et le culte des idoles dans Rome qui en était le centre et dont il fait sa principale église.
L’idolâtrie a fleuri dans le monde païen, prenant des formes variées, parfois burlesques. Pascal l’a mentionné dans le fragment Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide et qu’il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes les secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même. Lui seul est son véritable bien. Et depuis qu’il l’a quitté c’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place, astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien tout également peut lui paraître tel jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble.
L’Église poursuit la destruction des idoles entamée par le Christ.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 595. Sur le renversement des idoles : références augustiniennes, dans le De consensu evangelistarum, I, 12, n. 18. L’idolâtrie est abattue, les temples païens ruinés, et l’Église couvre toute la surface de la terre.
Mais sous des formes différentes, l’idolâtrie persiste dans le monde, y compris dans la chrétienté.
Lettre de Blaise et Jacqueline à Gilberte du 1er avril 1648, OC II, éd. J. Mesnard, p. 582-583. Sur le caractère horrible de l’idolâtrie à l’égard de Dieu : « il n’y a point de crime qui lui [sc. Dieu] soit plus injurieux ni plus détestable que d’aimer souverainement les créatures, quoiqu’elles le représentent ».
Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 160 sq. Le thème de l’idolâtrie chez Pascal.
Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 181 sq. L’imagination et la construction des idoles. L’imagination se crée un Dieu en adorant les images qu’il a laissées de soi ou celles qu’elle tire de son propre fonds.
Dans ses recherches sur les miracles, Pascal s’est inquiété de savoir si les idoles païennes avaient une puissance réelle. Barcos lui répond par la négative :
Miracles I (Laf. 830, Sel. 419). 12. Si les oracles ont été miraculeux.
Les miracles des païens et des idoles n’ont été non plus miraculeux que les autres opérations des démons et des magiciens.
Pour Pascal, tout peut être transformé en idole. Dans la vie spirituelle de chaque homme, l’amour propre engendre une forme d’idolâtrie particulière, savoir l’idolâtrie de soi-même.
Laf. 755, Sel. 625. Unusquisque sibi deum fingit.
Pensée n° 8H-19T recto (Laf. 919, Sel. 751). Eritis sicut dii scientes bonum et malum ; tout le monde fait le dieu en jugeant : cela est bon ou mauvais et s’affligeant ou se réjouissant trop des événements.
La forme la plus pernicieuse de l’idolâtrie est celle qui se cache sous ce qui lui est le plus contraire, la recherche de la vérité.
Pensée n° 12M (Laf. 926, Sel. 755). On se fait une idole de la vérité même, car la vérité hors de la charité n’est pas Dieu, et est son image et une idole qu’il ne faut point aimer ni adorer, et encore moins faut-il aimer ou adorer son contraire, qui est le mensonge.
Mais inversement, on peut aussi se faire une idole de l’obscurité :
Pensée n° 12M (Laf. 926, Sel. 755). Je puis bien aimer l’obscurité totale, mais si Dieu m’engage dans un état à demi obscur, ce peu d’obscurité qui y est me déplaît, et parce que je n’y vois pas le mérite d’une entière obscurité il ne me plaît pas. C’est un défaut et une marque que je me fais une idole de l’obscurité séparée de l’ordre de Dieu. Or il ne faut adorer qu’en son ordre.
L’idolâtrie, sous des formes diverses, persiste parfois même au sein de la spiritualité chrétienne. L’Église résiste toujours contre le culte des saints et de la Vierge poussé jusqu’à l’idolâtrie. Elle réapparaît cependant dans certaines pratiques conseillées par les casuistes et dans la Compagnie de Jésus. Voir la Provinciale IX, dans laquelle Pascal rapporte quelques formes du culte marial compilées par le P. Paul de Barry dans Le paradis ouvert à Philagie, qui ont ceci de particulier que, si elles assurent de la faveur de la Vierge, elles lui dispensent de lui donner son cœur : « saluer la sainte Vierge au rencontre de ses images ; dire le petit chapelet des dix plaisirs de la Vierge ; prononcer souvent le nom de Marie ; donner commission aux Anges de lui faire la révérence de notre part ; souhaiter de lui bâtir plus d’Églises, que n’ont fait tous les Monarques ensemble ; lui donner tous les matins le bonjour, et sur le tard le bonsoir ; dire tous les jours l’Ave Maria, en l’honneur du cœur de Marie. » Sur les controverses qui ont opposé Port-Royal aux jésuites sur ce point, voir Baustert Raymond, La querelle janséniste extra muros, ou la polémique autour de la procession des jésuites du Luxembourg, 20 mai 1685, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2005.
Il faut ainsi rattacher l’idolâtrie à ce que Pascal écrit de la superstition dans la liasse Soumission et usage de la raison, notamment dans le fragment Soumission 22 (Laf. 187, Sel. 219). La soumission aux idoles est une forme d’asservissement de l’homme à ce qui lui est inférieur en nature.
Thirouin Laurent, “Pascal et la superstition” , in Lopez Denis, Mazouer Charles et Suire Éric, La religion des élites au XVIIe siècle, Biblio 17, 175, Tübingen, Gunter Narr verlag, 2008, p. 237-256.
Que les temples des idoles seraient abattus et que parmi toutes les nations et en tous les lieux du monde lui serait offerte une hostie pure,
Hostie : victime qu’on immole en sacrifice à la divinité. Le mot s’entend aussi de la personne du Verbe incarné, qui a été immolé comme une hostie en sacrifice à son Père sur la Croix pour les péchés des hommes (Furetière). Le sens qui prévaut aujourd’hui, de corps du Christ sous les espèces du pain, est second.
Malachie, I, 11. « Ab ortu enim solis usque ad occasum, magnum est nomen meum in Gentibus et in omni loco sacrificatur, et offertur nomini meo oblatio munda : quia magnum nomen meum in Gentibus, dicit Dominus exercituum » ; « Car depuis le lever du soleil jusqu’au couchant, mon nom est grand parmi les nations ; et l’on me sacrifie en tout lieu, et l’on offre à mon nom une oblation toute pure ; parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur des armées ».
Commentaire de Sacy dans la section sur le sens spirituel : « Je ne recevrai point de présent de votre main ; car depuis le lever du soleil jusqu’au couchant, on sacrifie en tout lieu à mon nom une oblation toute pure. Les Juifs ne doivent sacrifier que dans Jérusalem ; et ils n’offraient à Dieu que des hosties qui n’étaient point pures à l’égard de la sainteté de Dieu, ni dignes de lui, puisqu’ils ne lui offraient que le sang des bêtes, qui n’étaient que l’ombre du sacrifice de la loi nouvelle. Mais présentement l’Église répandue dans toute la terre, offre à Dieu dans tous les temps, et dans tous les lieux du monde, une hostie infiniment pure, puisque c’est Dieu qui s’offre à Dieu, afin que le même sang qu’il a répandu pour la rédemption des âmes, les nourrisse et les guérisse, et les fasse vivre de la vie de Dieu.
Il n’est point nécessaire de rien ajouter à l’explication de ces paroles. Car comme saint Jérôme a dit très judicieusement, lorsque l’on voit une prophétie très claire de Jésus-Christ, il ne faut qu’en établir la vérité et admirer la grandeur de Dieu, qui a prophétisé auparavant ce qu’il devait faire si longtemps après, sans se mettre en danger d’offusquer un si grand jour par l’ombre de quelques allégories obscures et incertaines. »
non point des animaux.
Pensées, éd. Havet, t. II, 1866, p. 24 et note p. 34. L’interprétation non point des animaux n’est pas dans le texte de Malachie ; le prophète parle de véritables victimes, puisqu’au verset 13, le Seigneur se plaint qu’on ne réserve pour les lui offrir que les bêtes estropiées ou malades.