Preuves par discours III - Fragment n° 4 / 10 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 41 p. 225 v° / C2 : p. 437 v° à 439
Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 140 / 1678 n° 9 p. 139
Éditions savantes : Faugère II, 156, XXIV à XXVI / Havet XXV.89 ; XX.5 bis / Brunschvicg 559 bis, 201, 560 bis / Le Guern 410 à 412 / Lafuma 440 à 442 (série V) / Sellier 690
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Bibliographie ✍
DESCOTES Dominique, “Piège et paradoxe chez Pascal”, Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 509-524. FERREYROLLES Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 31. SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008. THIROUIN Laurent, “Éclats de rire pascaliens”, in J. Dagen et A. S. Barrovecchio, Le rire ou le modèle ? Le dilemme du moraliste, Paris, Champion, 2010, p. 363-390. THIROUIN Laurent, “Le dispositif ironique dans les Provinciales”, in Treize études sur Blaise Pascal, p. 172. |
✧ Éclaircissements
L’être éternel est toujours s’il est une fois.
Pris en lui-même, ce fragment n’est pas très clair. En fait, c’est un élément d’un raisonnement plus complexe, énoncé dans le fragment Preuves par discours III (Laf. 448, Sel. 690). S’il n’avait jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle serait équivoque, et pourrait aussi bien se rapporter à l’absence de toute divinité, ou à l’indignité où seraient les hommes de le connaître ; mais de ce qu’il paraît quelquefois, et non pas toujours, cela ôte l’équivoque. S’il paraît une fois, il est toujours ; et ainsi on n’en peut conclure, sinon qu’il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes.
Et ce second fragment n’est lui-même qu’une partie d’un discours plus étendu compris dans l’ensemble de Preuves par discours II (Laf. 429, Sel. 682). Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. Si je n’y voyais rien qui marquât une Divinité, je me déterminerais à la négative ; si je voyais partout les marques d’un Créateur, je reposerais en paix dans la foi. Mais, voyant trop pour nier et trop peu pour m’assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j’ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquât sans équivoque ; et que, si les marques qu’elle en donne sont trompeuses, qu’elle les supprimât tout à fait ; qu’elle dît tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu’en l’état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien, pour le suivre ; rien ne me serait trop cher pour l’éternité.
Il faut donc prêter attention aux différences de formulation, notamment entre celle qui distingue Dieu et l’être éternel, et celle qui distingue être et paraître.
Le problème de l’expression L’être éternel est toujours s’il est une fois, a été discuté entre Descartes et Arnauld dans les Secondes objections, AT IX, p. 164, éd. Alquié, II, Garnier, p. 649. Arnauld écrit : « dans l’idée d’un être infini, l’infinité de sa durée y est aussi contenue, c’est-à-dire qu’elle n’est point renfermée dans aucunes limites, et partant, qu’elle est indivisible, permanente et subsistante tout à la fois, et dans laquelle on ne peut sans erreur et qu’improprement, à cause de l’imperfection de notre esprit, concevoir de passé ni d’avenir. D’où il est manifeste qu’on ne peut concevoir qu’un être infini existe, quand ce ne serait qu’un moment, qu’on ne conçoive en même temps qu’il a toujours été et qu’il sera éternellement (ce que notre auteur même dit en quelque endroit), et partant que c’est une chose superflue de demander pourquoi il persévère dans l’être. Voire même, comme l’enseigne saint Augustin (lequel, après les auteurs sacrés, a parlé de Dieu plus hautement et plus dignement qu’aucun autre), en Dieu il n’y a point de passé ni de futur, mais un continuel présent ; ce qui fait voir clairement qu’on ne peut sans absurdité demander pourquoi Dieu persévère dans l’être, vu que cette question enveloppe manifestement le devant et l’après, le passé et le futur, qui doivent être bannis de l’idée d’un être infini. »
C’est que, comme dit Fénelon, Traité de l’existence de Dieu, II, V, § 96, l’existence en Dieu est indivisible et permanente : § 96. Il n’y a en Dieu aucune succession : § 93. Par conséquent, l’éternité de Dieu peut être considérée comme un continu.
La perspective dans laquelle se situe ce fragment est apparemment identique à celle que nous avons rencontrée chez Descartes et chez Fénelon : elle relève à proprement parler de la métaphysique. Mais le raisonnement de Pascal est plus complexe. Il ne parle pas du « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » que Pascal évoque dans le Mémorial ; la réflexion porte sur l’infini de temps comme attribut de l’Être éternel, on pourrait dire du « Dieu des philosophes ».
Or dans ce cadre, la formule s’il est une fois paraît assez mal adaptée. Car si l’on envisage la nature éternelle de Dieu, comme selon Hurter, Theologiae dogmaticae compendium, t. II, p. 49, Aeternitas caret omni successione, être une fois n’a pas de sens. Si l’éternité est indivisible, il n’y a pas d’étapes disjointes qui puisse donner lieu à une récurrence d’instant en instant : elle constitue une pièce d’un seul tenant. Pour Dieu, dans l’éternité, une fois et toujours sont une même chose.
Mais l’expression devient beaucoup plus claire si ce passage est associé au fragment Preuves par discours III (Laf. 448, Sel. 690) : S’il n’avait jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle serait équivoque, et pourrait aussi bien se rapporter à l’absence de toute divinité, ou à l’indignité où seraient les hommes de le connaître ; mais de ce qu’il paraît quelquefois, et non pas toujours, cela ôte l’équivoque. S’il paraît une fois, il est toujours ; et ainsi on n’en peut conclure, sinon qu’il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes. Dans ce passage, Pascal ne dit pas « il est une fois », mais « il paraît une fois ». Il se place donc non pas du point de vue de la métaphysique abstraite, mais de la manière dont Dieu concrètement peut apparaître à l’homme pris dans le temps. Dieu ne se révèle qu’à peu de personnes, par moments brefs et disjoints les uns des autres, comme Pascal pouvait le savoir par l’expérience de la nuit du Mémorial. Or dans cette perspective, on peut imaginer plusieurs situations :
Une première hypothèse serait que Dieu se cache toujours et ne se montre jamais : « cette privation éternelle serait équivoque, et pourrait aussi bien se rapporter à l’absence de toute divinité, ou à l’indignité où seraient les hommes de le connaître ».
Une deuxième hypothèse serait celle où Dieu ne se montre pas à l’homme qui cherche : si cet homme ne voit jamais rien paraître de Dieu, il demeure dans le même doute que dans le cas précédent.
Troisième hypothèse : Dieu paraît une fois à cet homme, dans une nuit de feu au cours de laquelle son cœur est touché : même s’il ne se montre qu’une fois (ce qui semble avoir été le cas de Pascal), l’instant de l’apparition garantit la présence éternelle ; ce moment de révélation permet de s’assurer que ce Dieu qui a paru un instant existe au moment suivant, et ainsi éternellement. La présence continuelle de Dieu demeure donc certaine.
Entendons bien que cela ne signifie pas que la grâce de Dieu demeure éternellement présente à l’homme, car les Écrits sur la grâce montrent que Dieu est toujours susceptible de la retirer ; voir sur ce point OC III, éd. J. Mesnard, p. 609 sq. Si dans le cas de Dieu, l’apparition d’un moment suffit, par une sorte d’induction parfaite, de conclure à la présence éternelle, en revanche dans la doctrine de la grâce, le même raisonnement est irrecevable : le fait qu’à l’instant t la grâce me soit donnée ne signifie pas qu’à l’instant t + 1, il en aille de même.
Mais l’argument va plus loin et rejoint la doctrine du Dieu qui se cache. Voir Preuves par discours III (Laf. 448, Sel. 690) : si Dieu paraît une fois, il est toujours ; et ainsi on n’en peut conclure, sinon qu’il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes. Le moment important du raisonnement est l’idée que Dieu paraît quelquefois et non pas toujours.
Si le fait que Dieu se découvre ôte l’équivoque, le fait qu’il se découvre parfois et non pas toujours ne s’explique que par l’indignité où sont les hommes de connaître son existence. Comme le dit le fragment Preuves par discours III (Laf. 444, Sel. 690), il n’est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n’est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu’il se cache à ceux qui le tentent, et qu’il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu et capables de Dieu : indignes par leur corruption, capables par leur première nature.
Ce texte se situe au sein d’une réflexion plus ample que Pascal a menée dans les Écrits sur la grâce, sur la nature du temps dans le régime de la révélation et de la grâce. Voir sur ce sujet les explications de OC III, éd. J. Mesnard, p. 600 sq.
Toutes les objections des uns et des autres ne vont que contre eux‑mêmes, et point contre la religion. Tout ce que disent les impies.
C’est un procédé familier à Pascal de retourner contre l’adversaire ses propres arguments, en montrant qu’il se disqualifie lui-même. Voir sur le procédé rhétorique de la rétorsion, qui consiste à reprendre l’argument de l’adversaire en montrant qu’il s’applique en réalité contre lui, Reboul Olivier, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses Universitaires de France, 1991, p. 171 ; et Perelman Chaïm et Olbrechts-Tyteca L., Traité de l’argumentation, p. 274. La rétorsion, (redarguitio elenchica) est une forme de l’autophagie.
Sur la manière dont Pascal use de ce procédé, voir Descotes Dominique, “Piège et paradoxe chez Pascal”, Méthodes chez Pascal, p. 509-524 ; et Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, p. 496 sq. Voir aussi, pour approfondir, Thirouin Laurent, “Éclats de rire pascaliens”, in J. Dagen et A. S. Barrovecchio, Le rire ou le modèle ? Le dilemme du moraliste, p. 363-390, surtout p. 374 sq. ; et Thirouin Laurent, “Le dispositif ironique dans les Provinciales”, in Treize études sur Blaise Pascal, p. 172. Dans le dialogue avec le jésuite des Provinciales, les explications enthousiastes sur les opinions probables se retournent contre la casuistique corrompue que pratique sa Compagnie.
Mais on retrouve ce procédé dans d’autres domaines, par exemple pour répondre à l’objection que les historiens de l’Antiquité n’ont rien dit de la vie du Christ :
Laf. 746, Sel. 619. Sur ce que Josèphe ni Tacite, et les autres historiens, n’ont point parlé de Jésus-Christ. Tant s’en faut que cela fasse contre, qu’au contraire cela fait pour. Car il est certain que Jésus-Christ a été et que sa religion a fait grand bruit et que ces gens-là ne l’ignoraient pas et qu’ainsi il est visible qu’ils ne l’ont celé qu’à dessein ou bien qu’ils en ont parlé et qu’on l’a supprimé, ou changé.
De même, l’argument fréquemment invoqué par les libertins de la multitude des religions est censé pouvoir se retourner contre eux.
Laf. 747, Sel. 620. Sur ce que la religion chrétienne n’est pas unique. Tant s’en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu’elle n’est pas la véritable, qu’au contraire c’est ce qui fait voir qu’elle l’est.
Mais dans le cas présent, Pascal pense sans doute à l’argument qu’il a développé dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), qui consiste à dire que les incrédules sont eux-mêmes une preuve de la corruption de l’homme, que la religion affirme : En vérité, il est glorieux à la religion d’avoir pour ennemis des hommes si déraisonnables ; et leur opposition lui est si peu dangereuse, qu’elle sert au contraire à l’établissement de ses vérités. Car la foi chrétienne ne va presque qu’à établir ces deux choses : la corruption de la nature, et la rédemption de Jésus-Christ. Or, je soutiens que s’ils ne servent pas à montrer la vérité de la rédemption par la sainteté de leurs mœurs, ils servent au moins admirablement à montrer la corruption de la nature, par des sentiments si dénaturés.
Pascal a du reste annoncé la couleur dès l’ouverture de ce grand fragment : Qu’ils apprennent au moins quelle est la religion qu’ils combattent avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d’avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu’on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu’elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l’éloignement de Dieu, qu’il s’est caché à leur connaissance, que c’est même le nom qu’il se donne dans les Écritures, Deus absconditus et, enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses : que Dieu a établi des marques sensibles dans l’Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement ; et qu’il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence où ils font profession d’être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité où ils sont, et qu’ils objectent à l’Église, ne fait qu’établir une des choses qu’elle soutient, sans toucher à l’autre, et établit sa doctrine, bien loin de la ruiner ?
Voir aussi les fragments suivants :
Preuves par discours II (Laf. 432, Sel. 684). Je leur demanderais s’il n’est pas vrai qu’ils vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption.
Laf. 432 série XXX, Sel. 662. Mais ceux-là mêmes qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion n’y seront pas inutiles pour les autres. Nous en ferons le premier argument qu’il y a quelque chose de surnaturel car un aveuglement de cette sorte n’est pas une chose naturelle. Et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l’horreur d’un exemple si déplorable, et d’une folie si digne de compassion. (texte de la Copie C1).
Voir aussi le fragment Preuves par discours II (Laf. 431, Sel. 683) : Ainsi, les deux preuves de la corruption et de la Rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l’indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.
Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 128. Les impies servent de preuve à la religion.
Ainsi tout l’univers apprend à l’homme, ou qu’il est corrompu, ou qu’il est racheté. Tout lui apprend sa grandeur ou sa misère. L’abandon de Dieu paraît dans les païens ; la protection de Dieu paraît dans les Juifs.
Fragment surprenant, dans la mesure où il semble contredire l’un des textes de la liasse Ordre les plus décisifs en apparence sur le fait que Pascal a exclu la preuve de la religion par le spectacle de la Nature :
Ordre 2 (Laf. 3, Sel. 38). Et quoi ne dites-vous pas vous-même que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu ? Non. Et votre religion ne le dit-elle pas ? Non. Car encore que cela est vrai en un sens pour quelques âmes à qui Dieu donna cette lumière, néanmoins cela est faux à l’égard de la plupart.
Mais ici ce n’est pas la nature, comme réalité physique, mais l’Histoire des hommes considérée dans son ensemble qu’il invoque comme preuve de la religion.
Sa grandeur ou sa misère : c’est par l’examen des philosophies humaines que l’on peut apprendre « sa grandeur ou sa misère ». Voir les liasses qui portent ces titres, Grandeur et Misère.
L’abandon de Dieu paraît dans les païens : voir Ferreyrolles Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, p. 31. Les païens forment une masse de réprouvés.
La protection de Dieu : affirmation qui peut paraître paradoxale, puisque selon Pascal, les Juifs ont été « ennemis des chrétiens » et qu’ils n’ont pas reconnu dans Jésus-Christ le Messie annoncé par les prophètes. Cependant, Pascal a consacré plusieurs fragments au fait que, dans le cours de son histoire, Israël a été plusieurs fois au bord de la destruction et du génocide, et que Dieu l’a toujours sauvé par des miracles ou de grandes manifestations de sa puissance.
Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer Rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.
Sur ce point, l’histoire des Juifs ne se distingue pas de celle de l’Église.
Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait. Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités, les poètes ont fait cent diverses théologies. Les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes. Et cependant il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux. Il est venu enfin en la consommation des temps et depuis on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’états, tant de changements en toutes choses, et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Car ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un état subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité ; mais que [...].
Perpétuité 2 (Laf. 280, Sel. 312). Les États périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité, mais jamais la religion n’a souffert cela et n’en a usé. Aussi il faut ces accommodements ou des miracles. Il n’est pas étrange qu’on se conserve en ployant, et ce n’est pas proprement se maintenir, et encore périssent-ils enfin entièrement. Il n’y en a point qui ait duré mille ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin.
Cette protection du peuple juif par Dieu est illustrée par les deux tragédies sacrées de Racine, Esther et Athalie.