Pensées diverses IV – Fragment n° 9 / 23 – Papier original : RO 213-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 159 p. 393 / C2 : p. 361

Éditions savantes : Faugère II, 357, XVII / Havet XXIV.86 / Brunschvicg 589 / Tourneur p. 117-1 / Le Guern 630 / Lafuma 747 (série XXVI) / Sellier 620

 

 

 

Sur ce que la religion chrétienne n’est pas unique.

 

Tant s’en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu’elle n’est pas la véritable, qu’au contraire c’est ce qui fait voir qu’elle l’est.

 

 

Ce fragment prépare la réponse à une objection classique des esprits libres, sur ce que la religion chrétienne, qui devrait être unique comme la vérité, est en fait plongée dans une foule innombrable de religions toutes différentes, et de ce fait indiscernables les unes des autres. Comme c’est souvent le cas, Pascal commence par admettre l’objection, pour montrer ensuite qu’au fond elle joue en faveur de la religion chrétienne. Le contexte des Pensées permet de comprendre les arguments implicites dans le texte.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Commencement 1 (Laf. 150, Sel. 183). Les impies qui font profession de suivre la raison doivent être étrangement forts en raison.

Que disent-ils donc ?

Ne voyons-nous pas, disent-ils, mourir et vivre les bêtes comme les hommes, et les Turcs comme les chrétiens ; ils ont leurs cérémonies, leurs prophètes, leurs docteurs, leurs saints, leurs religieux comme nous, etc.

Cela est-il contraire à l’Écriture ? Ne dit-elle pas tout cela ?

Si vous ne vous souciez guère de savoir la vérité, en voilà assez pour vous laisser en repos. Mais si vous désirez de tout votre cœur de la connaître ce n’est pas assez regardé au détail. C’en serait assez pour une question de philosophie, mais ici où il va de tout...

Et cependant après une réflexion légère de cette sorte on s’amusera, etc.

Qu’on s’informe de cette religion, même si elle ne rend pas raison de cette obscurité peut-être qu’elle nous l’apprendra.

Transition 3 (Laf. 198, Sel. 229). Je vois plusieurs religions contraires et partant toutes fausses, excepté une. Chacune veut être crue par sa propre autorité et menace les incrédules. Je ne les crois donc pas là-dessus. Chacun peut dire cela. Chacun peut se dire prophète mais je vois la chrétienne où je trouve des prophéties, et c’est ce que chacun ne peut pas faire.

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.

[...]

Si Dieu n’eût permis qu’une seule religion elle eût été trop reconnaissable. Mais qu’on y regarde de près on discerne bien la vraie dans cette confusion.

Fondement 20 (Laf. 242, Sel. 275). Que Dieu s’est voulu cacher.

S’il n’y avait qu’une religion Dieu y serait bien manifeste. S’il n’y avait des martyrs qu’en notre religion de même.

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Dieu étant ainsi caché toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n’est pas véritable, et toute religion qui n’en rend pas la raison n’est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Vere tu es Deus absconditus.

Pensées diverses (Laf. 734, Sel. 615). D’où vient qu’on croit tant de menteurs qui disent qu’ils ont vu des miracles et qu’on ne croit aucun de ceux qui disent qu’ils ont des secrets pour rendre l’homme immortel ou pour rajeunir.

Ayant considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il y en a de vrais, car il ne serait pas possible qu’il y en eût tant de faux et qu’on y donnât tant de créance s’il n’y en avait de véritables. Si jamais il n’y eût remède à aucun mal et que tous les maux eussent été incurables il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu’ils en pourraient donner et encore plus que tant d’autres eussent donné créance à ceux qui se fussent vantés d’en avoir. De même si un homme se vantait d’empêcher de mourir, personne ne le croirait parce que il n’y a aucun exemple de cela. Mais comme il y a eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables par la connaissance même des plus grands hommes, la créance des hommes s’est pliée par là et cela s’étant connu possible on a conclu de là que cela était, car le peuple raisonne ordinairement ainsi, une chose est possible, donc elle est. Parce que la chose ne pouvant être niée en général puisqu’il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple qui ne peut pas discerner quels d’entre ces effets particuliers sont les véritables il les croit tous. De même ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune c’est qu’il y en a de vrais comme le flux de la mer.

Il en est de même des prophéties, des miracles, des divinations par les songes, des sortilèges, etc., car si de tout cela il n’y avait jamais rien eu de véritable on n’en aurait jamais rien cru et ainsi au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles parce qu’il y en a tant de faux il faut dire au contraire qu’il y a certainement de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux et qu’il n’y en a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais. Il faut raisonner de la même sorte pour la religion car il ne serait pas possible que les hommes se fussent imaginé tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. L’objection à cela c’est que les sauvages ont une religion, mais on répond à cela que c’est qu’ils ont ouï parler comme il paraît par le déluge, la circoncision, la croix de saint André, etc.

Pensées diverses (Laf. 746, Sel. 619). Sur ce que Josèphe ni Tacite et les autres historiens n’ont point parlé de Jésus‑Christ.

Tant s’en faut que cela fasse contre, qu’au contraire cela fait pour. Car il est certain que Jésus‑Christ a été et que sa religion a fait grand bruit et que ces gens-là ne l’ignoraient pas, et qu’ainsi il est visible qu’ils ne l’ont celé qu’à dessein, ou bien qu’ils en ont parlé et qu’on l’a ou supprimé ou changé.

 

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