Prophéties VI – Papier original : cinq feuilles (découpées en dix feuillets post mortem)
RO 171, 173, 175, 177, 179, 181, 183, 185, 187, 189
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 72 p. 289 à 297 / C2 : p. 511 à 519 v°
Éditions savantes : Faugère II, 298, XXIX à XXXIV / Havet XXV.170 / Brunschvicg 713 / Tourneur p. 341 / Le Guern 453 / Lafuma 489 (série XVII) / Sellier 735
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✧ Éclaircissements
Captivité des Juifs sans retour Réprobation des Juifs et conversion des gentils Réprobation du temple
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Réprob[ation] du temple.
La réprobation du temple, c’est-à-dire de la religion juive, est pour Pascal corrélative de l’avènement de la religion chrétienne. La lecture reproche n’est pas recevable.
Jér., 7.
Allez en Silo, où j’avais établi mon nom au commencement, et voyez ce que j’y ai fait à cause [des] péchés de mon peuple — Car je l’ai rejeté et je me suis fait un temple ailleurs.
Et maintenant, dit le Seigneur, parce que vous avez fait les mêmes crimes, je ferai de ce temple où mon nom est invoqué, sur lequel vous vous confiez et que j’ai moi‑même donné à vos ancêtres, la même chose que j’ai faite de Silo.
Et je vous rejetterai loin de moi, de la même manière que j’ai rejeté vos frères, les enfants d’Ephraïm — rejetés sans retour.
Ne priez donc point pour ce peuple.
Jérémie, VII, 12-16. « Ite ad locum meum in Silo, ubi habitavit nomen meum à principio : et videte quae fecerim ei propter malitiam populi mei Israël :13. et nunc, quia fecistis omnia opera haec, dicit Dominus : et locutus sum ad vos mane consurgens, et loquens, et non audistis : et vocavi vos, et non respondistis : 14. Faciam domui huic, in qua invocatum est nomen meum, et in qua vos habetis fiduciam ; et loco quem dedi vobis et patribus Vestris, sicut feci Silo.15. Et projiciam vos a facie mea, sicut projeci omnes fratres vestros, universum nomen Ephraïm. 16. Tu ergo noli orare pro populo hoc, nec assumas pro eis laudem et orationem, et non obsistas mihi : quia non exaudiam te ».
Traduction de Port-Royal : « Allez à Silo au lieu qui m’était consacré, où j’avais établi ma gloire dès le commencement, et considérez comment je l’ai traité à cause de la méchanceté de mon peuple d’Israël. 13. Et maintenant parce que vous avez fait toutes ces choses, dit le Seigneur, que je vous ai parlé avec toute sorte d’application, sans que vous m’ayez entendu ; que je vous ai appelés sans que vous m’ayez répondu ; 14. je traiterai cette maison où mon nom a été invoqué, en laquelle vous mettez toute votre confiance, et ce lieu que je vous ai donné après l’avoir donné à vos pères, comme j’ai traité Silo. 15. Et je vous chasserai bien loin de ma face, comme j’ai chassé tous vos frères, toute la race d’Ephraïm. 16. Vous donc Jérémie n’entreprenez point d’intercéder pour ce peuple, ni de me conjurer et de me prier pour eux, et ne vous opposez point à moi, parce que je ne vous exaucerai point. »
Le commentaire explique que « Dieu est disposé à faire miséricorde aux vrais pénitents. Mais sondant le cœur de son peuple, il le trouvait endurci dans ses désordres, et il savait que ce cœur rebelle à ses lois demeurerait inflexible. Ainsi voulant épargner à son prophète la douleur de n’être point exaucé dans ses prières, il lui défend de le prier ».
Jérémie, VII, voir Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, Pléiade, p. 810 sq.
Car je l’ai rejeté et je me suis fait un temple ailleurs : le temple de Siloh, où a un temps été placée l’arche d’Alliance, a été détruit avec la ville lors d’une guerre contre les Philistins. La note en marge sur la mauvaise coutume tournée en bien n’est pas dans Bible ; Pensées, éd. Sellier, p. 421, la donne en italique.
Rejetés sans retour : l’indication porte sur le rejet des enfants d’Ephraïm.
Le problème du rejet des Juifs a suscité de longues réflexions dans le milieu janséniste. Voir dans Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 480 sq., la section consacrée au « problème du salut d’Israël ». Il est bien clair que l’idée que le rejet des Juifs est « sans retour », ne doit pas être interprétée, chez les jansénistes du XVIIe siècle, comme une forme de pharisaïsme, voire d’antisémitisme ; au contraire, l’histoire du peuple juif est interprétée par eux comme une tragédie historique qui suscite plus que de la compassion et de l’angoisse. C’est du reste avec crainte que les auteurs de Port-Royal en parlent : les notes de la Bible de Port-Royal insistent bien sur le fait que, s’il est vrai que les Juifs ont été « ennemis » de Jésus-Christ, les chrétiens qui connaissent Dieu sans l’aimer véritablement n’en doivent pas moins voir en eux la figure de ce qu’ils sont, et du rejet qui les attend.
Au XVIIIe siècle, les jansénistes se sont beaucoup interrogés sur le problème du « retour » des Juifs : voir Maire Catherine, “La date du retour d’Israël : un enjeu polémique pour les figuristes du XVIIIe siècle”, in Port-Royal et le peuple d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, 2004, p. 215-238.
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Jér., 7, 22. À quoi vous sert‑il d’ajouter sacrifice sur sacrifice ? Quand je retirai vos pères hors d’Égypte, je ne leur parlai point des sacrifices et des holocaustes, je ne leur en donnai aucun ordre, et le précepte que je leur ai donné a été en cette sorte : Soyez obéissants et fidèles à mon commandement et je serai votre Dieu et vous serez mon peuple.
Cette citation de Jérémie est placée dans la continuité des textes d’Isaïe ; il ne s’agit pas d’une addition en marge.
Jérémie, VII, 22-23. « Quia non sum locutus cum patribus vestris, et non praecepi eis, in die qua eduxi eos de terra Aegypti, de verbo holocaustomatum, et victimarum. 23. Sed hoc verbum praecepi eis, dicens : Audite vocem meam, et ero vobis Deus, et vos eritis mihi populus : et ambulate in omni via, quam mandavi vobis, ut bene sit vobis ». Traduction de Port-Royal : « Car je n’ai point ordonné à vos pères, au jour où je les ai tirés de l’Égypte, de m’offrir des holocaustes et des victimes ; 23. mais voici le commandement que je leur ai fait : écoutez ma parole, et je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple ; et marchez dans toutes les voies que je vous prescrirai, afin que vous soyez comblés de biens ».
Commentaire de Port-Royal : « Il est visible, selon saint Jérôme, que Dieu parle ici du premier Décalogue écrit de sa main sur les deux tables de pierre. Car il ne commanda point alors à son peuple de lui offrir des victimes, voulant sans doute que le cœur même embrasé de son amour fût la victime qu’ils lui offrissent, comme la preuve la plus solide de la vérité du culte qu’ils lui rendraient. Mais quand ils se furent abandonnés à l’idolâtrie, et qu’ils eurent adoré le veau d’or, ce fut alors qu’il leur a ordonné, pour condescendre à leur faiblesse, de lui offrir des victimes, plutôt qu’aux démons, substituant, comme dit le même saint, ou ajoutant au culte tout pur des commandements, le sang des victimes, qui était la marque de leur prévarication ». Voir la note marginale de Pascal sur la l’institution des sacrifices pour tourner en bien une mauvaise coutume.
Ce ne fut qu’après qu’ils eurent sacrifié au veau d’or que je m’ordonnai des sacrifices, pour tourner en bien une mauvaise coutume.
Ceci n’est pas une citation, mais une addition en marge de gauche ; Pascal semble reprendre le style prophétique pour proposer un commentaire.
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Jér., 7. N’ayez point confiance aux paroles de mensonge de ceux qui vous disent : Le temple du Seigneur, le temple du Seigneur, le temple du Seigneur sont.
Jérémie VII, 4. « Nolite confidere in verbis mendacii, dicentes : Templum Domini, templum Domini, templum Domini est ». Traduction de Port-Royal : « Ne mettez point votre confiance en des paroles de mensonge, en disant : Ce temple est au Seigneur, ce temple est au Seigneur, ce temple est au Seigneur. »
Commentaire de Port-Royal : « Ceux qui trompaient Israël, lui disaient : Comment l’ennemis pourrait-il se rendre maître d’un temple qui appartient au Seigneur ? Mais Jérémie leur déclare qu’ils ne devaient point s’appuyer sur de tems discours qui n’étaient que des mensonges, parce que ce temps, tout saint qu’il était, ne pourrait les garantir de sa colère ; qu’il le regardait seulement par rapport à ceux qui l’y honoraient ; qu’il le détruirait avec eux tous, s’ils continuaient à la profaner par l’impiété de leur conduite ; et que le moyen d’éloigner d’eux et du temple les rigueurs de sa justice, était de changer de vie. » Le commentaire se poursuit pas une application aux catholiques, dont les Juifs sont la figure : c’est « en vain que nous nous glorifions aussi nous autres de ce que l’Église catholique renferme de plus auguste et de plus saint, si notre vie ne répond pas à la sainteté de ses sacrements ».
Sur ces thèmes de la prédication de Jérémie, voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, II, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973, p. 404-40.