Pensées diverses III – Fragment n° 36 / 85 – Papier original : RO 433-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 126 p. 373 / C2 : p. 329 v°-331
Le texte a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXIX - Pensées morales : 1678 n° 32 p. 282-283
Éditions savantes : Faugère II, 388 / Havet VI.25 / Brunschvicg 20 / Tourneur p. 102-2 / Le Guern 577 / Lafuma 683 (série XXV) / Sellier 562
Ordre.
Pourquoi prendrai‑je plutôt à diviser ma morale en quatre qu’en six ? Pourquoi établirai‑je plutôt la vertu en quatre, en deux, en un ? Pourquoi en abstine et sustine plutôt qu’en suivre nature ou faire ses affaires particulières sans injustice comme Platon, ou autre chose ? Mais voilà, direz‑vous, tout renfermé en un mot. Oui, mais cela est inutile si on ne l’explique. Et quand on vient à l’expliquer, dès qu’on ouvre ce précepte qui contient tous les autres, ils en sortent en la première confusion que vous vouliez éviter. Ainsi quand ils sont tous renfermés en un, ils y sont cachés et inutiles comme en un coffre, et ne paraissent jamais qu’en leur confusion naturelle. La nature les a tous établis sans renfermer l’un en l’autre.
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Ce fragment fait partie d’un ensemble qui touche la difficulté de trouver le véritable ordre dans la recherche de la vérité. Pascal veut éviter deux inconvénients, la confusion et l’excès des distinctions et des divisions.
Abstine et sustine : abstiens-toi et supporte.
Gravures de l’édition des Propos d’Épictète par J. Goulu.
Fragments connexes
Ordre 10 (Laf. 12, Sel. 46). Ordre.
Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect. La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie et puis montrer qu’elle est vraie.
Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme.
Aimable parce qu’elle promet le vrai bien.
Misère 14 (Laf. 65, Sel. 99). Diversité.
La théologie est une science, mais en même temps combien est‑ce de sciences ? Un homme est un suppôt, mais si on l’anatomise, que sera‑ce ? la tête, le cœur, l’estomac, les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang, chaque humeur du sang ?
Une ville, une campagne, de loin c’est une ville et une campagne, mais à mesure qu’on s’approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmis, à l’infini. Tout cela s’enveloppe sous le nom de campagne.
Preuves de Jésus-Christ 1 (Laf. 298, Sel. 329). L’ordre. Contre l’objection que l’Écriture n’a pas d’ordre.
Le cœur a son ordre, l’esprit a le sien qui est par principe et démonstration. Le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour ; cela serait ridicule.
Jésus-Christ, Saint Paul ont l’ordre de la charité, non de l’esprit, car ils voulaient échauffer, non instruire.
Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin, pour la montrer toujours.
Pensées diverses (Laf. 532, Sel. 457). Pyrr[honisme].
J’écrirai ici mes pensées sans ordre et non pas peut-être dans une confusion sans dessein. C’est le véritable ordre et qui marquera toujours mon objet par le désordre même.
Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable.
Pensées diverses (Laf. 558, Sel. 465). La diversité est si ample que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éternuements [sont différents]. On distingue des fruits les raisins, et entre ceux‑là les muscats, et puis Condrieu, et puis Desargues, et puis cette ente. Est‑ce tout ? En a‑t‑elle jamais produit deux grappes pareilles ? Et une grappe a‑t‑elle deux grains pareils ? etc.
Je n’ai jamais jugé d’une même chose exactement de même. Je ne puis juger d’un ouvrage en le faisant. Il faut que je fasse comme les peintres et que je m’en éloigne, mais non pas trop. De combien donc ? Devinez.
Pensées diverses (Laf. 684, Sel. 563). Ordre.
La nature a mis toutes ses vérités en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n’est pas naturel. Chacune tient sa place.
Pensées diverses (Laf. 694, Sel. 573). Ordre.
J’aurais bien pris ce discours d’ordre comme celui-ci : pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques, pyrrhoniennes, stoïques ; mais l’ordre n’y serait pas gardé. Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. Nulle science humaine ne le peut garder. Saint Thomas ne l’a pas gardé. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur.
Mots-clés : Confusion – Morale – Mot – Nature – Ordre – Platon – Vertu.