Pensées diverses IV – Fragment n° 21 / 23 – Papier original : RO 167-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 167 p. 397 / C2 : p. 371

Éditions savantes : Faugère II, 135, XX / Havet VI.62 bis / Brunschvicg 306 / Tourneur p. 119-4 / Le Guern 642 / Lafuma 767 (série XXVI) / Sellier 632

 

 

 

Comme les duchés et royautés et magistratures sont réelles 1 et nécessaires (à cause de ce que la force règle tout), il y en a partout et toujours. Mais parce que ce n’est que fantaisie qui fait qu’un tel ou telle le soit, cela n’est pas constant, cela est sujet à varier, etc.

 

 

Pascal réfléchit ici sur un paradoxe apparent : comment peut-on comprendre que le pouvoir de la force, qui est constant et durable, peut revêtir des formes toujours diverses ?

 

1 Nota : duché pouvait être du genre féminin ou du genre masculin (Furetière).

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire. Et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés. La majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle‑même. Mais n’ayant que des sciences imaginaires il faut qu’ils prennent ces vains instruments, qui frappent l’imagination, à laquelle ils ont affaire. Et par là en effet ils s’attirent le respect.

Vanité 36 (Laf. 50, Sel. 83). Les Suisses s’offensent d’être dits gentilshommes et prouvent leur roture de race pour être jugés dignes des grands emplois.

Misère 7 (Laf. 58, Sel. 92). La tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre.

Diverses chambres de forts, de beaux, de bons esprits, de pieux dont chacun règne chez soi, non ailleurs. Et quelquefois ils se rencontrent et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l’un de l’autre, car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas. Et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien au royaume des savants, elle n’est maîtresse que des actions extérieures.

Raisons des effets 2 (Laf. 81, Sel. 116). Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D’où vient cela ? De la force qui y est.

Raisons des effets 4 (Laf. 85, Sel. 119). La pluralité est la meilleure voie parce qu’elle est visible et qu’elle a la force pour se faire obéir. Cependant c’est l’avis des moins habiles.

Si l’on avait pu l’on aurait mis la force entre les mains de la justice, mais comme la force ne se laisse pas manier comme on veut parce que c’est une qualité palpable, au lieu que la justice est une qualité spirituelle dont on dispose comme on veut. On l’a mise entre les mains de la force et ainsi on appelle juste ce qu’il est force d’observer.

Raisons des effets 20 (Laf 103, Sel. 135). Justice force.

Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.

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La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.

La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste.

Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Pensées diverses (Laf. 665, Sel. 546). L’empire fondé sur l’opinion et l’imagination règne quelque temps et cet empire est doux et volontaire. Celui de la force règne toujours. Ainsi l’opinion est comme la reine du monde mais la force en est le tyran.

Pensées diverses (Laf. 797, Sel. 650). Quand la force attaque la grimace, quand un simple soldat prend le bonnet carré d’un premier président et le fait voler par la fenêtre.

Pensées diverses (Laf. 828, Sel. 668). Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres en général sont cordes de nécessité ; car il faut qu’il y ait différents degrés, tous les hommes voulant dominer et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant.

Figurons-nous donc que nous les voyons commencer à se former. Il est sans doute qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu’enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois déterminé alors les maîtres qui ne veulent pas que la guerre continue ordonnent que la force qui est entre leurs mains succédera comme il leur plaît : les uns le remettent à l’élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc.

Et c’est là où l’imagination commence à jouer son rôle. Jusque-là la pure force l’a fait. Ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc. Or ces cordes qui attachent donc le respect à tel et à tel en particulier sont des cordes d’imagination.

 

Mots-clés : Duché – FantaisieForceMagistratureRoyauté (voir Roi)Variété.