Pensées diverses IV – Fragment n° 3 / 23 – Papier original : RO 275-1 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 153 p. 385 à 387 v° / C2 : p. 347 à 353

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 239-241 /

1678 n° 4 p. 231-233

Éditions savantes : Faugère I, 321-322, XI et XII / Havet XXIV.12 / Michaut 563 / Brunschvicg 862 / Tourneur p. 112-1 / Le Guern 624 / Lafuma 733 (série XXVI) / Sellier 614

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Bibliographie

 

 

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WANEGFFELEN Thierry, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile en France, XVIe-XVIIe siècles, Presses Universitaires de France, Paris, 1999.

Voir les Écrits sur la grâce, dans OC II, éd. J. MESNARD, p. 487 sq.

 

 

Éclaircissements

 

L’Église a toujours été combattue par des erreurs contraires.

 

Sur la doctrine des deux erreurs contraires, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 296 sq.

Le présent fragment constitue une réflexion fondamentale sur la nature de l’hérésie et son rapport avec la vérité. Des notions de base sur les termes de schisme et d’hérésie sont fournies dans le dossier thématique correspondant.

Pascal aborde les problèmes que pose l’existence et la nature des hérésies dans la XVIIIe Provinciale.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 157-158. La doctrine de saint Augustin, qui est celle à laquelle s’attache Pascal, se situe à égale distance des erreurs contraires des molinistes et des calvinistes.

Les calvinistes réduisent à l’extrême l’autonomie de l’homme, et accordent tout à la volonté de Dieu, antérieure même au péché originel, de sauver les uns et de damner les autres ; ainsi selon eux, Dieu a causé la faute d’Adam pour manifester sa justice dans la réprobation des uns, et voulu la rédemption par le Christ pour manifester sa miséricorde dans l’élection des autres. Ils tiennent aussi que la grâce une fois reçue est inamissible (elle ne peut être perdue). Enfin, la liberté de l’homme est quasi nulle, et comparable à celle d’une pierre qui tombe (voir sur ce point le Traité de la prédestination, 3, dans les Écrits sur la grâce, in OC III, éd. J. Mesnard, p. 798, § 29).

Les molinistes, que Pascal appelle les « restes des pélagiens », accordent à l’homme le rôle principal dans l’orientation vers le salut ou la damnation : le péché originel a bien marqué la nature de l’homme, mais sans la corrompre radicalement : la grâce méritée par le Christ s’étend à tous les hommes, et les remet dans un état comparable à celui d’Adam, avec le pouvoir prochain d’accomplir à volonté et librement les commandements de Dieu.

La position des augustiniens est celle du milieu entre ces deux erreurs contraires. Elle distingue deux états de la nature de l’homme : avant la faute, Adam avait besoin de la grâce de Dieu, grâce « suffisante » qui lui était assurée et lui permettait de choisir librement sa voie dans le mal ou dans le bien, sans avoir besoin d’un secours supplémentaire. En revanche, la faute d’Adam a infligé à la volonté de l’homme une blessure si profonde que l’homme, quoiqu’il reçoive toujours la grâce suffisante qu’il recevait dans l’état d’innocence, ne trouve en elle qu’un secours insuffisant (un peu comme si l’on utilisait un cachet d’aspirine pour soigner une blessure profonde). Il a désormais besoin d’une grâce infiniment plus puissante, la grâce dite « efficace », qui est un pur effet de la miséricorde de Dieu, et qu’il n’est jamais sûr de recevoir, ni de conserver s’il l’a reçue.

Du fait que la vérité affirme la double nature de l’homme, avant et après la faute d’Adam, les hérétiques protestants et molinistes commettent chacun une erreur du même genre, en ce qu’ils en admettent une partie seulement, chacun ignorant la partie que soutient l’autre.

Voir l’explication synthétique et claire de Frigo Alberto, L’évidence du Dieu caché. Introduction à la lecture des Pensées de Pascal, p. 65-72.

On peut aussi, pour une étude plus étendue, se reporter à la remarquable introduction de Jean Mesnard aux Écrits sur la grâce, OC III, éd. J. Mesnard, p. 592 sq.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 296 sq., remarque que le premier en date des Écrits sur la grâce, la Lettre sur la possibilité des commandements est l’écrit principal que Pascal oppose à Luther : p. 297 sq. (Voir ce texte dans OC III, éd. J. Mesnard, p. 642-716). Mais le même texte s’oppose aussi au molinisme, auquel Pascal reproche de flatter l’amour propre de l’homme en lui faisant croire qu’il est « maître de son salut et de sa perte » : p. 301-306. Sur l’opposition de Pascal et saint Augustin aux tendances pélagiennes et semi-pélagiennes, voir p. 307 sq.

Cette doctrine est expliquée en détail dans les Écrits sur la grâce, dont la lecture est indispensable sur ce sujet. Mais dans les trois Écrits qu’il consacre à cette question, Pascal procède de manière différente. Dans la Lettre sur la possibilité des commandements (OC III, éd. J. Mesnard, p. 642-716) et le Discours sur la possibilité des commandements (OC III, éd. J. Mesnard, p. 717-764), Pascal l’aborde à partir d’un problème particulier, celui de la possibilité réelle qu’ont les justes de faire le bien selon les commandements de Dieu. Ces deux écrits revêtent une forme polémique et nettement réfutative.

Dans le troisième en date des Écrits sur la grâce, le Traité de la Prédestination (III, OC III, éd. J. Mesnard, p. 766-799) en revanche, Pascal procède de manière synthétique, mettant en parallèles les trois doctrines de Calvin, de saint Augustin et des molinistes, pour mettre en évidence les correspondances et les oppositions entre ces trois doctrines rivales, et montrer par là comment les hérésies sont toujours constituées par une vue partielle de la vérité.

Mesnard Jean, “Structures binaires et structures ternaires dans les Pensées de Pascal”, in Pascal, Pensées, Littératures classiques, n° 20, supplément 1994, Paris, Klincksieck, 1994, p. 45-57.

Pour une compréhension profonde de la théologie de Port-Royal, dans ses oppositions aux deux autres, la lecture de Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal : les Vérités de la Grâce, demeure indispensable.

On peut lire d’abord Laporte Jean, “Pascal et la doctrine de Port-Royal”, in Études sur Pascal, Revue de Métaphysique et de Morale, 1923, p. 119-178.

Pour compléter, on peut recourir aux ouvrages suivants :

Bom Klaas, “Et les calvinistes diffèrent horriblement de nous, ou l’anti-calvinisme de Pascal”, Port-Royal et les protestants, Chroniques de Port-Royal, n° 47, p. 8-98.

Voir dans Relire les Écrits sur la grâce, Quaderni leif, 13, Catane, janvier-juin 2015, l’étude de Moriarty Michael, “Pascal, Molina et le molinisme”, Quaderni leif, 13, 2015, p. 77-90.

Pasqua Hervé, Blaise Pascal penseur de la grâce, Téqui, Paris, 2000.

 

Hérésie

 

Voir le dossier thématique Hérésie, schisme.

Le paradoxe de l’existence des hérésies, c’est que, suivant le principe tout sert, même le péché, etiam peccata, elles aussi ont leur utilité : voir saint Augustin, Cité de Dieu, XV, p. 181, qui cite I Cor. XI, 19, « il faut qu’il y ait des hérésies ». Voir livre XVIII, p. 667 : l’hérésie, cité du diable au sein de l’Église, est utile aux catholiques, en exerçant leur sagesse d’une part, en exerçant leur patience d’autre part, enfin en exerçant leur bienveillance : p. 667. La persécution chrétienne contre les hérétiques doit être selon le cœur et non selon le corps.

Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, I, éd. de 1700, p. 71, Note II préliminaire à la Ve Provinciale. On reproche aux Provinciales de faire aux jésuites les mêmes griefs que les hérétiques font à l’Église. Mais les hérétiques, s’ils ont tort d’attaquer l’Église, s’en prennent cependant à de véritables plaies en elle : p. 73. L’Église repousse les médisances des hérétiques non en soutenant, mais en condamnant les choses qu’ils blâment. L’hérésie est en quelque sorte le symptôme d’un malaise dans l’Église : il faut éliminer le symptôme, mais en soignant la maladie.

Ce n’est pas parce que les hérésies sont nécessaires en ce sens que l’on doit renoncer à lutter contre elles. Mais le présent fragment précise que cette lutte ne doit pas prendre des formes violentes ou tyranniques ; la méthode la plus efficace, et la seule conforme à la nature de la vérité, est l’exposé pur et simple de toute la vérité. Voir plus bas.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, Les vérités de la grâce, p. 6. Autre paradoxe : il n’y a rien de faux à proprement parler dans les hérésies : chaque secte a raison en ce qu’elle affirme, et tort en ce qu’elle rejette ; plus précisément, elle a tort en ce qu’elle rejette ce que soutient l’autre : p. 18. L’hérésie protestante supprime la liberté dans la doctrine de la grâce : p. 345. L’hérésie pélagienne supprime la corruption de la nature humaine après le péché originel et la prédestination divine.

C’est dans l’ensemble le thème du Traité de la prédestination, qui présente en parallèles les doctrines des pélagiens et des calvinistes, dans leur opposition mutuelle et avec la doctrine de saint Augustin.

 

Mais peut‑être jamais en même temps comme à présent.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 307 sq. Pascal et saint Augustin contre les tendances pélagiennes et semi-pélagiennes.

Pascal a conscience de vivre un temps durant lequel la vérité chrétienne est aussi violemment attaquée qu’à l’époque de ses conflits avec les pélagiens ou l’arianisme.

Dans le Cinquième écrit des curés de Paris, sur l’avantage que les hérétiques prennent contre l’Église, de la morale des casuistes et des jésuites, in Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 430-442, Pascal expose dans toute sa force le danger que fait courir à l’Église l’opposition des hérésies calvinienne et moliniste, qui sont paradoxalement complices l’une de l’autre, et se renforcent malgré leur opposition.

 

Et si elle en souffre plus à cause de la multiplicité d’erreurs, elle en reçoit cet avantage qu’ils se détruisent.

 

Ils : entendre les auteurs des hérésies.

GEF XIV, p. 303, rappelle que Pascal s’est servi d’une argumentation analogue à propos des ennemis du vide : voir la Lettre à Le Pailleur, OC II, éd. J. Mesnard, p. 575-576 : parmi les adversaires du vide, « chacun d’eux a tous les autres pour ennemis, [...], il n’est pas nécessaire de les combattre pour les ruiner : il suffit de les abandonner à eux-mêmes, parce qu’ils composent un corps divisé, dont les membres, contraires les uns aux autres, se déchirent intérieurement ; au lieu que ceux qui favorisent le vide demeurent dans une unité toujours égale à elle-même, qui, par ce moyen, a tant de rapport avec la vérité, qu’elle doit être suivie jusqu’à ce qu’elle nous paraisse à découvert ».

Comment faut-il entendre que les hérésies se détruisent ?

On peut le comparer avec la manière dont, selon L’entretien avec M. de Sacy, les philosophies de Montaigne et d’Épictète se détruisent l’une l’autre, parce chacune détruit les fondements de l’autre :

« Ainsi ces deux états, qu’il fallait connaître ensemble pour voir toute la vérité, étant connus séparément, conduisent nécessairement à l’un de ces deux vices, d’orgueil ou de paresse, où sont infailliblement tous les hommes avant la grâce, puisque, s’ils ne demeurent dans leurs désordres par lâcheté, ils en sortent par vanité, tant est vrai ce que vous venez de me dire de saint Augustin, et que je trouve d’une grande étendue. « Non enim uno modo sacrificatur transgressoribus angelis, etc. Car en effet on leur rend hommage en bien des manières. »

C’est donc de ces lumières imparfaites qu’il arrive que l’un, connaissant les devoirs de l’homme et ignorant son impuissance, se perd dans la présomption, et que l’autre, connaissant l’impuissance et non le devoir, il s’abat dans la lâcheté.

D’où il semble que, puisque l’un a la vérité dont l’autre a l’erreur, on formerait en les alliant une morale parfaite. Mais, au lieu de cette paix, il ne réussirait de leur assemblage qu’une guerre et qu’une destruction générale : car l’un établissant la certitude et l’autre le doute, l’un la grandeur de l’homme et l’autre sa faiblesse, ils ruinent les vérités aussi bien que les faussetés l’un de l’autre. De sorte qu’ils ne peuvent subsister seuls à cause de leurs défauts, ni s’unir à cause de leurs oppositions, et qu’ainsi ils se brisent et s’anéantissent pour faire place à la vérité de l’Évangile.

C’est elle qui accorde les contrariétés par un art tout divin : unissant tout ce qu’il y a de vrai et chassant tout ce qu’il y a de faux, elle en fait une sagesse véritablement céleste, où s’accordent ces opposés qui étaient incompatibles dans ces doctrines humaines. Et la raison en est que ces sages du monde plaçaient ces contraires dans un même sujet ; car l’un attribuait la grandeur à la nature et l’autre la faiblesse à la même nature, ce qui ne pouvait subsister ; au lieu que la foi nous apprend à les mettre en des sujets différents : tout ce qu’il y a d’infirme appartenant à la nature, tout ce qu’il y a de puissance appartenant à la grâce.

Voilà l’union étonnante et nouvelle qu’un Dieu seul pouvait enseigner, et que lui seul pouvait faire, et qui n’est qu’une image et un effet de l’union ineffable de deux natures dans la seule personne d’un Homme-Dieu. »

Voir plus bas, sur la manière dont l’opposition des hérésies entre elles peut être mutatis mutandis comparée à celle des philosophes, telle que la présentent les premières liasses des Pensées.

Preuves de Jésus-Christ 15 (Laf. 313, Sel. 344). Canonique. Les hérétiques au commencement de l’Église servent à prouver les canoniques.

 

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Elle se plaint des deux, mais bien plus des calvinistes à cause du schisme.

 

Voir le dossier thématique Schisme, hérésie.

Encyclopédie saint Augustin, art. Hérésie, Schisme, p. 688-691. Un croyant peut tomber dans l’erreur, mais cette erreur ne devient une hérésie formelle que lorsqu’elle est reconnue comme telle par l’Église et que le croyant y persiste alors qu’il sait qu’elle ne correspond pas à ce que soutient la communauté dans son ensemble. Le schisme implique la séparation d’avec la communauté ; il retranche totalement de l’Église ceux qui y tombent ; il se manifeste par la rupture de la communion. Ce qui rend un auteur hérétique, c’est la persistance, le fait qu’il formule une thèse dont il sait pertinemment qu’elle est contraire à la foi, et qui assume cette contravention. Les Messieurs de Port-Royal ont toujours soutenu que l’hérésie est consommée lorsque volontairement, un auteur fait acte de séparation de l’Église ; ils soutenaient aussi qu’eux-mêmes ayant toujours fermement maintenu leur volonté de demeurer dans le sein de l’Église, leurs adversaires n’avaient aucun droit de les traiter ni d’hérétiques, ni en hérétiques.

Quoique les molinistes « restes des pélagiens » soutiennent une doctrine largement erronée, ils ne sont pas hérétiques au sens strict du terme, dans la mesure où ils ne se sont pas séparés de l’Église. Les luthériens et les calvinistes en revanche, ont formé une église rivale qui s’est tournée contre la véritable.

Sellier Philippe, “Pascal et l’histoire de l’Église dans la campagne des Provinciales (1656-1658)”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 327. Renvoi au Cinquième écrit des curés de Paris, qui souligne la distance entre les jésuites et les calvinistes, « à cause du schisme ».

Wanegffelen Thierry, “Pascal, la frontière et le milieu : à propos du catholicisme moderne. Les Écrits sur la grâce et le concile de Trente”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal, auteur spirituel, p. 13-30, notamment p. 26 sq., cite le passage clé du Traité de la prédestination, 2, § 39-42, OC III, éd. J. Mesnard, p. 790-791, qui met bien les choses à leur place :

« L’Église a un déplaisir bien sensible de se voir déchirée par des erreurs contraires qui combattent ses plus saintes vérités ; mais quoi qu’elle ait sujet de se plaindre de vous, molinistes et de vous calvinistes, néanmoins elle reconnaît qu’elle reçoit moins d’injures de ceux qui, s’égarant par leurs erreurs, demeurent dans son sein que de ceux qui s’en sont séparés pour faire autel contre autel, sans avoir plus de tendresse ni pour sa voix maternelle qui les appelle, ni de déférence pour ses décisions qui les condamnent.

Si votre erreur, ô moliniste, l’afflige, votre soumission la console ; mais votre erreur, calviniste, jointe à votre rébellion, lui fait crier à Dieu : J’ai nourri des enfants et ils m’ont méprisée. Elle sait que pour vous, moliniste, il suffit qu’elle parle par la bouche de ses papes et de ses conciles, que la tradition de l’Église vous est en vénération, que vous n’entreprenez pas de donner aux textes sacrés des interprétations particulières et que vous suivez celles que la foule et que la suite successive de ses saints docteurs et de ses papes et de ses conciles ont déterminées.

Mais, pour vous calviniste, votre rébellion la rend inconsolable. Il faut qu’elle agisse avec vous comme d’égal à égal, et que, sans avoir de déférence pour son autorité, il faut disputer de raison. Elle vous appelle tous néanmoins à elle, et se prépare à vous convaincre chacun suivant vos propres principes.

Elle se console en ce que vos erreurs contraires établissent sa vérité ; qu’il suffit de vous abandonner à vos raisons pour vous détruire, et que les armes que vous employez contre elle ne lui peuvent nuire, et ne peuvent que vous ruiner. »

Elle se plaint des deux, mais bien plus des calvinistes à cause du schisme : voir le Cinquième écrit des curés de Paris, Les Provinciales, éd. L. Cognet et G. Ferreyrolles, Garnier, p. 439-442.

« Mais encore qu’ils sont tous égarés, il est vrai néanmoins que les uns le sont plus que les autres ; et c’est ce que nous voulons faire entendre exactement, afin de les représenter tous dans le juste degré de corruption qui leur est propre, et leur faire porter à chacun la mesure de la confusion qu’ils méritent. Or il est certain que les Jésuites auront de l’avantage dans son parallèle entier ; et nous ne feindrons point d’en parler ouvertement, parce que l’humiliation des uns n’ira pas à l’honneur des autres, mais que la honte de tous reviendra uniquement à la gloire de l’Église, qui est aussi notre unique objet.

Nous ne voulons donc pas que ceux que Dieu nous a commis s’emportent tellement dans la vue des excès des Jésuites, qu’ils oublient qu’ils sont leurs frères, qu’ils sont dans l’unité de l’Église, qu’ils sont membres de notre corps, et qu’ainsi nous avons intérêt à les conserver ; au lieu que les hérétiques sont des membres retranchés qui composent un corps ennemi du nôtre ; ce qui met une distance infinie entre eux, parce que le schisme est un si grand mal, que non seulement il est le plus grand des maux, mais qu’il ne peut y avoir aucun bien où il se trouve, selon tous les Pères de l’Église.

Car ils déclarent que ce crime surpasse tous les autres ; que c’est le plus abominable de tous, qu’il est pire que l’embrasement des Écritures saintes, que le martyre ne le peut effacer, et que qui meurt martyr pour la foi de Jésus-Christ hors de l’Église, tombe dans la damnation, comme dit saint Augustin. Que ce mal ne peut être balancé par aucun bien, selon saint Irénée. Que ceux qui ont percé le corps de Jésus-Christ n’ont pas mérité de plus énormes supplices que ceux qui divisent son Église, quelque bien qu’ils puissent faire d’ailleurs, comme dit saint Chrysostome. Et enfin tous les saints ont toujours été si unis en ce point, que les calvinistes sont absolument sans excuse, puisqu’on n’en doit recevoir aucune, et non pas même celle qu’ils allèguent si souvent, que ce ne sont pas eux qui se sont retranchés, mais l’Église qui les a retranchés elle-même injustement. Car outre que cette prétention est horriblement fausse en ses deux chefs, parce qu’ils ont commencé par la séparation, et qu’ils ont mérité d’être excommuniés pour leurs hérésies, on leur soutient de plus, pour les juger par leur propre bouche, que, quand cela serait véritable, ce ne serait point une raison, selon saint Augustin, d’élever autel contre autel comme ils ont fait ; et que, comme ce Père le dit généralement, il n’y a jamais de juste nécessité de se séparer de l’unité de l’Église.

Que si cette règle, qu’il n’est jamais permis de faire schisme, est si générale, qu’elle ne reçoit point d’exception, qui souffrira que les calvinistes prétendent aujourd’hui de justifier le leur par cette raison, que les Jésuites ont des sentiments corrompus ? Comme si on ne pouvait pas être dans l’Église sans être dans leurs sentiments ; comme si nous n’en donnions pas l’exemple nous-mêmes qui sommes, par la grâce de Dieu, et aussi éloignés de leurs méchantes opinions, et aussi attachés à l’Église qu’on le peut être ; ou comme si ce n’était pas une des principales règles de la conduite chrétienne, d’observer tout ensemble ces deux préceptes du même apôtre, et de ne point consentir aux maux des impies, et néanmoins de ne point faire de schisme, ut non sit schisma in corpore.

Car c’est l’accomplissement de ces deux points qui fait l’exercice des saints en cette vie, où les élus sont confondus avec les réprouvés, jusqu’à ce que Dieu en fasse lui-même la séparation éternelle. Et c’est l’infraction d’un de ces deux points qui fait, ou le relâchement des chrétiens qui ne séparent pas leur cœur des méchantes doctrines, ou le schisme des hérétiques qui se séparent de la communion de leurs frères, et, usurpant ainsi le jugement de Dieu, tombent dans le plus détestable de tous les crimes.

Il est donc indubitable que les calvinistes sont tout autrement coupables que les Jésuites ; qu’ils sont d’un ordre tout différent, et qu’on ne peut les comparer, sans y trouver une disproportion extrême. Car on ne saurait nier qu’il n’y ait au moins un bien dans les jésuites, puisqu’ils ont gardé l’unité ; au lieu qu’il est certain, selon tous les Pères, qu’il n’y a aucun bien dans les hérétiques, quelque vertu qui y paraisse, puisqu’ils ont rompu l’unité. Aussi il n’est pas impossible que parmi tant de jésuites, il ne s’en rencontre qui ne soient point dans leurs erreurs ; et nous croyons qu’il y en a, quoiqu’ils soient rares, et bien faciles à reconnaître. Car ce sont ceux qui gémissent des désordres de leur compagnie, et qui ne retiennent pas leur gémissement. C’est pourquoi on les persécute, on les éloigne, on les fait disparaître, comme on en a assez d’exemples ; et ainsi ce sont proprement ceux qu’on ne voit presque jamais. Mais parmi les hérétiques, nul n’est exempt d’erreur, et tous sont certainement hors de la charité, puisqu’ils sont hors de l’unité.

Les Jésuites ont encore cet avantage, qu’étant dans l’Église, ils ont part à tous ses sacrifices, de sorte qu’on en offre par tout le monde pour demander à Dieu qu’il les éclaire, comme le Clergé de France eut la charité de l’ordonner il y a quelques années, outre les prières publiques qui ont été faites quelquefois pour eux dans des diocèses particuliers. Mais les hérétiques, étant retranchés de son corps, sont aussi privés de ce bien ; de sorte qu’il n’y a point de proportion entre eux, et qu’on peut dire, avec vérité, que les hérétiques sont en un si malheureux état, que pour leur bien, il serait à souhaiter qu’ils fussent semblables aux jésuites.

On voit, par toutes ces raisons, combien on doit avoir d’éloignement pour les calvinistes, et nous sommes persuadés que nos peuples se garantiront facilement de ce danger ; car ils sont accoutumés à les fuir dès l’enfance, et élevés dans l’horreur de leur schisme. Mais il n’en est pas de même de ces opinions relâchées des casuistes ; et c’est pourquoi nous avons plus à craindre pour eux de ce côté-là. Car encore que ce soit un mal bien moindre que le schisme, il est néanmoins plus dangereux, en ce qu’il est plus conforme aux sentiments de la nature, et que les hommes y ont d’eux-mêmes une telle inclination, qu’il est besoin d’une vigilance continuelle pour les en garder ; et c’est ce qui nous a obligés d’avertir ceux qui sont sous notre conduite, de ne pas étendre les sentiments de charité qu’ils doivent avoir pour les Jésuites, jusques à les suivre dans leurs erreurs, puisqu’il faut se souvenir qu’encore que ce soient des membres de notre corps, c’en sont des membres malades, dont nous devons éviter la contagion ; et observer en même temps, et de ne les pas retrancher d’avec nous, puisque ce serait nous blesser nous-mêmes, et de ne point prendre de part à leur corruption, puisque ce serait nous rendre des membres corrompus et inutiles. »

Voir le commentaire de Thierry Wanegffelen dans l’article cité plus haut.

 

Il est certain que plusieurs des deux contraires sont trompés. Il faut les désabuser.

 

Plusieurs sont trompés : il faut entendre que si les hérésiarques (c’est-à-dire les initiateurs d’une hérésie) forgent et soutiennent des doctrines erronées, certains de leurs sectateurs sont de bonne volonté et les croient parce qu’ils pensent qu’on leur prêche la vérité. Il ne s’agit donc pas pour l’Église de les combattre, comme elle doit le faire avec les hérésiarques, mais de les désabuser en leur montrant que la vérité n’est pas là où ils le croient.

On reconnaît là un écho de l’idée de Pascal selon laquelle les personnes de bonne foi, mais généralement naïves, placent « la vérité où elle n’est pas » : de même que, selon le fragment Raisons des effets 11 (Laf. 92, Sel. 126), le peuple a raison sur un certain point (il faut honorer les gentilshommes), et tort sur un autre point (la noblesse n’est pas une qualité de l’âme), un hérétique n’a jamais tout à fait tort : il ne se trompe qu’en ce qu’il rejette une partie des vérités qu’enseigne l’Église catholique.

Noter que, pas plus qu’il n’exclut la bonne foi des incrédules qui cherchent, Pascal n’exclut pas a priori celle des hérétiques.

 

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La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire,

 

Sellier Philippe, “Pascal et l’histoire de l’Église dans la campagne des Provinciales (1656-1658)”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 327. La nature oxymorique de la vérité a toujours suscité des erreurs par unilatéralisme, par appauvrissement ; la foi catholique a imposé sa lumière en restaurant la complexité déroutante du réel et le mystère de Dieu.

Sur les contradictions apparentes dans l’Écriture, l’édition Lafuma Luxembourg, Notes, p. 136, renvoie aux fragments suivants :

Laf. 730, Sel. 612. CC. Homo existens te Deum facis.

CC. Scriptum est : Dii estis... et non potest solvi Scriptura.

CC. Haec infirmitas non est ad mortem. Et est ad mortem.

Lazarus dormit. Et deinde manifeste dixit : Lazarus mortuus est.

Laf. 785, Sel. 645. Ne timeas, pusillus grex ; Timore et tremore.

Quid ergo, ne timeas, modo timeas.

Ne craignez point, pourvu que vous craignez, mais si vous ne craignez pas, craignez.

Qui me recipit, non me recipit sed eum qui me misit.

Nemo scit neque filius.

La résolution de ces contradictions apparentes est à la base de la méthode d’interprétation de Pascal. Voir Loi figurative.

M. Le Guern, éd. Pensées, II, p. 323, n. 624, renvoie à Saint-Ange pour la doctrine des vérités contraires, OC II, p. 383-384. Il soutient l’hypothèse que Pascal, à la fin de sa vie, s’est rallié aux idées de Saint-Ange, et ne fera que les développer dans les Pensées : voir Le Guern, Michel, Pascal et Arnauld, p. 26, mais elle est difficilement recevable.

Voir contra Gouhier Henri, Pascal et les humanistes chrétiens. L’affaire Saint-Ange, p. 67 sq. On ne peut rapprocher le discours de Saint-Ange et les Pensées de Pascal, p. 70 sq. : Saint-Ange parle de vérités partielles et non contraires. La notion de contradiction est apportée par le narrateur pour montrer que dès qu’on introduit le principe de contradiction, l’argumentation de Saint-Ange s’écroule. Le style de l’addition suggère qu’elle est de Pascal. L’apologétique de Pascal repose sur un principe différent. Saint-Ange n’a même pas soupçonné la question des contraires telle que Pascal la pose dans le présent fragment.

 

temps de rire, de pleurer, etc.

 

Temps de rire, de pleurer : Ecclésiaste, III, 4. « Tempus flendi et tempus ridendi, tempus plangendi et tempus saltandi » ; « Il y a temps de pleurer et temps de rire, temps de s’affliger et temps de sauter de joie ».

Sellier Philippe, “Pascal et l’histoire de l’Église dans la campagne des Provinciales (1656-1658)”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., 2010, p. 328. Référence fréquente chez Pascal, début d’Ecclésiaste III.

Commentaire de Sacy dans sa traduction de l’Ecclésiaste :

« C’est maintenant le temps de pleurer et de s’affliger, et ce sera dans l’autre vie le temps de rire et de tressaillir de joie. Le Sauveur a joint ces deux choses dans l’Évangile lorsqu’il a dit : Nous avons joué de la flûte pour vous réjouir, et vous n’avez point dansé ; nous avons chanté des airs lugubres pour vous exciter à pleurer, et vous n’avez point témoigné de deuil.

Jésus-Christ a pris cette vie pour le temps de pleurs et de deuil : et il promet ensuite une éternité de joie. Le démon au contraire porte présentement les hommes à rire et à se divertir, en se réservant par une cruelle usure à leur faire acheter ces plaisirs si courts d’une éternité de maux. Et cependant presque personne ne veut distinguer ces temps que la Sagesse nous marque. Personne ne veut pleurer si utilement et si heureusement sur l’autorité de la parole de Jésus-Christ. Et lorsque nous entendons cet oracle de sa bouche : Heureux ceux qui pleurent, presque tout le monde dit dans son cœur : Heureux ceux qui rient. »

Voir la note de GEF XIV, p. 304, qui renvoie au goût qu’affectait Saint-Cyran pour les formules de ce genre.

Pascal se sert de cette maxime dans la conclusion de sa onzième Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 213-214 : « Mais, mes pères, la corruption des mœurs que vos maximes apportent, est digne d’une autre considération, et nous pouvons bien faire cette demande avec le même Tertullien : Faut-il rire de leur folie, ou déplorer leur aveuglement ? Rideam vanitatem, an exprobrem, cæcitatem ? Je crois, mes pères, qu’on peut en rire et en pleurer à son choix : Haec tolerabilius vel ridentur, vel flentur, dit s. Augustin. Reconnaissez donc qu’il y a un temps de rire et un temps de pleurer, selon l’Écriture. Et je souhaite, mes Pères, que je n’éprouve pas en vous la vérité de ces paroles des Proverbes : Qu’il y a des personnes si peu raisonnables qu’on n’en peut avoir de satisfaction de quelque manière qu’on agisse avec eux, soit qu’on rie, soit qu’on se mette en colère. »

 

 responde, ne respondeas, etc.

 

Responde, ne respondeas : Proverbes, XXVI, 4-5. « Ne respondeas stulto juxta stultitiam suam ; ne efficiaris ei similis. 5 Responde stulto juxta stultitiam suam ne sibi sapiens esse videatur ». « 4. Ne répondez point au fou selon sa folie, de peur que vous ne lui deveniez semblable. 5. Répondez au fou selon sa folie, de peur qu’il ne s’imagine qu’il est sage. »

Commentaire de Port-Royal : « Ces deux sentences paraissent contraires. Elle ne le sont pas néanmoins, si on en considère bien l’esprit et le sens. Il ne faut pas répondre au fou selon sa folie, c’est-à-dire en nous emportant aussi bien que lui en des paroles précipitées, et en lui rendant injure pour injure par une conduite semblable à la sienne. Mais lorsqu’on se sera fortifié par la patience contre les reproches, et que s’étant détaché de ses propres intérêts, on n’aura plus en vue que ceux de Dieu : il sera quelquefois nécessaire de lui répondre, en détruisant ses accusations scandaleuses par une réponse sage et forte, pour le convaincre lui-même, ou au moins ceux à qui il pourrait nuire, de l’injustice de ses impostures, et de la fausseté de ses sentiments ». La suite donne des exemples des deux conduites dans l’histoire de l’Église.

 

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La source en est l’union des deux natures en Jésus-Christ.

 

Sur l’union hypostatique, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 372 sq. Le Christ est une seule personne et une seule personne divine en deux natures. Explication théologique de l’union hypostatique : p. 377 sq.

Voir plus haut le passage du Traité de la prédestination qui renvoie aussi aux deux natures du Christ : « Ce n’est pas en cette seule rencontre qu’elle [l’Église] éprouve des ennemis contraires. Elle n’a quasi jamais été sans ce double combat. Et, comme elle a éprouvé cette contrariété en la personne de Jésus-Christ, son chef, que les uns ont fait homme seulement, et les autres Dieu seulement, elle en a senti presque en tous les autres points de sa créance. »

On trouve une indication sur ce sujet dans la Lettre sur la possibilité des commandements, Mouvement central, 4, OC III, éd. J. Mesnard, p. 679. « Voilà l'origine de toutes ces contrariétés apparentes, que l'Incarnation du Verbe qui a joint Dieu à l'homme et la puissance à l'infirmité, a mises dans les ouvrages de la grâce. » En effet, selon ce même écrit, OC III, éd. J. Mesnard, p. 678-679, les différentes expressions contraires qui donnent lieu à l’opposition des hérésies viennent du fait que « toutes nos bonnes actions ont deux sources, l’une notre volonté », qui est purement humaine, « l’autre la volonté de Dieu ».

Comme Pascal l’écrit dans le Traité de la prédestination, 2, Début de la rédaction élaborée, § 11, OC III, éd. J. Mesnard, p. 783 : « C'est ainsi que Jésus-Christ dit lui-même : Ce n'est pas moi qui fais les œuvres, mais le Père qui est en moi, et néanmoins il dit aussi : Les œuvres que j'ai faites. Jésus-Christ n'est point menteur, et son humilité n'a point fait tort à sa vérité ».

De même, selon Traité de la prédestination, 2, Début de la rédaction élaborée, § 13, OC III, éd. J. Mesnard, p. 784, Pascal note : « Ainsi saint Paul dit : J'ai travaillé, non pas moi, mais la grâce de Jésus-Christ qui est avec moi. Ses paroles ne sont pas fausses. Comment est-ce qu'il a travaillé, et qu'il n'a pas travaillé, mais que c'est la grâce qui était avec lui qui a travaillé, sinon parce que son travail peut être dit sien, puisque sa volonté y a concouru ; et peut n'être pas dit sien, puisque sa volonté n'a pas été la source de ses propres désirs ? Mais la grâce de Dieu a été celle dont on peut dire qu'elle a travaillé, car elle a préparé sa volonté, car elle a opéré en lui le vouloir et l'action, et l'on ne peut pas dire d'elle qu'elle n'a pas travaillé, puisqu'elle a été l'origine et la source de son travail ».

De cette double affirmation, les calvinistes ne retiennent que celle qui soumet la volonté de l’homme à celle de Dieu, et les molinistes celle qui attribue les actions humaines à la volonté propre.

C’est en ce sens que la double nature du Christ incarné, homme et Dieu, peut être considérée comme le fondement des contrariétés des Écritures, et par là, comme effet secondaire, la cause des hérésies.

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., 2010, p. 485-510.

 

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Et aussi les deux mondes.

 

Monde naturel et monde surnaturel. Voir le sens de cette distinction plus bas, sur les justes.

 

La création d’un nouveau ciel et nouvelle terre.

 

Isaïe, LXV, 17. « Ecce enim ego creo caelos novos, et terram novam : et non erunt in memoria priora, et non ascendent super cor ». Tr. de Port-Royal : « Car je m’en vas créer de nouveaux cieux, et une terre nouvelle : et tout ce qui a été auparavant s’effacera de la mémoire sans qu’il revienne dans l’esprit ».

Apocalypse, XXI, 1. « Et vidi caelum novum, et terram novam. Primum enim caelum, et prima terra abiit, et mare jam non est ». Tr. : « Après cela je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus ». La traduction de Port-Royal est accompagnée d’un long commentaire, auquel il faut se reporter. Il s’agit de la description de « la gloire de l’Église triomphante et du bonheur des saints dans le ciel » : « toutes les créatures visibles seraient renouvelées et rétablies dans un état plus beau et plus parfait qu’elles ne sont maintenant : car comme elles sont maintenant assujetties au péché et à la vanité malgré elles, elles soupirent dans l’attente de leur délivrance ; mais elles seront alors délivrées de cet asservissement à la corruption, pour participer à la gloire et à la liberté des enfants de Dieu, que saint Jean nous représente dans ces deux derniers chapitres. »

Seconde Épître de saint Pierre, III, 13 : « Novos vero caelos et novam terram secundum promissa ipsius expectamus, in quibus justitia habitat » ; tr. de Port-Royal : « Car nous attendons, selon la promesse, de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera ».

 

Nouvelle vie, nouvelle mort.

 

Apocalypse, XX, 14. « Et infernus et mors missi sunt in stagnum ignis. Haec est mors secunda ». Tr. : « Et l’enfer et le mort furent jetés dans l’étang de feu. C’est là la seconde mort ». Voir le commentaire de ce verset, qui interprète ce passage par la prophétie de saint Pierre, 2e épître, III, 10 : « Le jour du Seigneur viendra tout d’un coup, et alors dans le bruit d’une effroyable tempête les cieux passeront, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre avec ce qu’elle contient sera consumée par le feu ».

Fin du commentaire d’Apocalypse, XXI, 1. L’étang « brûlant de feu et de soufre » réservé aux damnés dont parle le ch. XX, 14, « est appelé la seconde mort ; car comme on l’a déjà dit, la première mort est celle par laquelle l’âme qui était déjà morte par le péché dans cette vie, est ensevelie dans l’enfer après sa séparation d’avec son corps ; la seconde mort est celle par laquelle l’homme entier en corps et en âme est précipité dans l’étang de feu et de soufre après la résurrection dernière ».

 

Toutes choses doublées et les mêmes noms demeurant.

 

Ces lignes répondent à la doctrine des figuratifs : les mêmes mots demeurent, mais désignent des choses différentes selon qu’on les entend au sens littéral et charnel, ou au sens figuré et spirituel. Voir la liasse Loi figurative.

 

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Et enfin les deux hommes qui sont dans les justes. Car ils sont les deux mondes, et un membre et image de Jésus-Christ.

 

Un membre du Christ : c’est l’idée de la liasse Morale chrétienne. Voir le fragment Morale chrétienne 21 (Laf. 372, Sel. 404). Être membre est n’avoir de vie, d’être et de mouvement que par l’esprit du corps et pour le corps. Le membre séparé ne voyant plus le corps auquel il appartient n’a plus qu’un être périssant et mourant. Cependant il croit être un tout et ne se voyant point de corps dont il dépende, il croit ne dépendre que de soi et veut se faire centre et corps lui-même. Mais n’ayant point en soi de principe de vie il ne fait que s’égarer et s’étonne dans l’incertitude de son être, sentant bien qu’il n’est pas corps, et cependant ne voyant point qu’il soit membre d’un corps. Enfin quand il vient à se connaître il est comme revenu chez soi et ne s’aime plus que pour le corps. Il plaint ses égarements passés.

Il ne pourrait pas par sa nature aimer une autre chose sinon pour soi-même et pour se l’asservir parce que chaque chose s’aime plus que tout.

Mais en aimant le corps il s’aime soi-même parce qu’il n’a d’être qu’en lui, par lui et pour lui. Qui adhaeret Deo unus spiritus est.

Le corps aime la main, et la main si elle avait une volonté devrait s’aimer de la même sorte que l’âme l’aime ; tout amour qui va au-delà est injuste.

Adhaerens Deo unus spiritus est ; on s’aime parce qu’on est membre de Jésus-Christ ; on aime Jésus-Christ parce qu’il est le corps dont on est membre. Tout est un. L’un est en l’autre comme les trois personnes.

 

Et ainsi tous les noms leur conviennent de justes pécheurs, mort vivant, vivant mort, élu réprouvé, etc.

 

Mort vivant, vivant mort : voir la note de Havet, éd. des Pensées, 1866, t. 2, p. 91. « Il ne faut pas croire que ce soit deux fois la même chose. D’une part le juste est mort au monde, détaché des choses de la vie, mais vivant de la grâce. De l’autre, il est vivant de la vie extérieure, mais il est mort spirituellement par le péché originel qu’il porte en lui ». La note est reprise par Brunschvicg, GEF XIV, p. 305.

Ces expressions sont à rapprocher de Traité de la prédestination, 2, Début du Traité : rédaction élaborée, OC III, p. 782-791, § 7-10.

« 7. Il est question de savoir si la volonté de l’homme est la cause de la volonté de Dieu, ou la volonté de Dieu la cause de la volonté de l’homme.

8. Et celle qui sera dominante et maîtresse de l’autre sera considérée comme unique en quelque sorte : non pas qu’elle le soit, mais parce qu’elle enferme le concours de la volonté suivante. Et l’action sera rapportée à cette volonté première et non à l’autre. Ce n’est pas qu’elle ne puisse être aussi en un sens rapportée à la volonté suivante : mais elle l’est proprement à la volonté maîtresse, comme à son principe. Car la volonté suivante est telle qu’on peut dire en un sens que l’action provient d’elle, puisqu’elle y concourt, et en un sens qu’elle n’en provient pas, parce qu’elle n’en est pas l’origine ; mais la volonté primitive est telle qu’on peut bien dire d’elle que l’action en provient, mais on ne peut en aucune sorte dire d’elle que l’action n’en provient pas.

9. C’est ainsi que saint Paul dit : Je vis, non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi. Certainement le premier mot qu’il a dit : Je vis, n’est pas faux, car il était vivant, et non seulement de la vie corporelle (dont il ne s’agit pas en cet endroit) mais de la vie spirituelle, car il était en grâce, et il dit ailleurs lui-même en plusieurs endroits : Nous étions morts, et nous sommes vivifiés, etc. Mais encore qu’il soit très vrai qu’il fût vivant, il le désavoue incontinent, en disant : Je ne suis pas vivant, « Non ego vivo ». L’apôtre n’est point menteur ; il est donc vrai qu’il est vivant, puisqu’il dit : Je suis vivant. Il est donc aussi véritable qu’il n’est pas vivant, puisqu’il dit : « Jam non ego », je ne suis point vivant. Et ces deux vérités subsistent ensemble, parce que sa vie, quoiqu’elle lui soit propre, ne vient pas originellement de lui. Il n’est vivant que par Jésus-Christ, la vie de Jésus-Christ est la source de sa vie.

10. Ainsi il est vrai en un sens qu’il est vivant, puisqu’il a la vie ; il est vrai aussi en un sens qu’il n’est pas vivant, puisqu’il ne l’est que de la vie d’un autre. Mais il est vrai que Jésus-Christ est vivant et on ne peut pas dire qu’il ne l’est pas. »

Les textes cités par Pascal sont Galates, II, 20, et Ephésiens, II, 5.

Il faut remarquer que ce passage du fragment, comme en écho au premier mouvement des Pensées où l’homme est un être auquel conviennent également les qualificatifs de grand et de misérable, montre que considéré comme chrétien, il est aussi un être paradoxal et contradictoire.

 

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Il y a donc un grand nombre de vérités, et de foi et de morale, qui semblent répugnantes et qui subsistent toutes dans un ordre admirable.

 

Répugnantes : au sens logique du mot, contradictoires, incompatibles. La racine du mot est pugna, combat, bataille, qui répond à l’idée que des idées contraires se combattent.

 

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La source de toutes les hérésies est l’exclusion de quelques‑unes de ces vérités.

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Et la source de toutes les objections que nous font les hérétiques est l’ignorance de quelques‑unes de nos vérités.

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Et d’ordinaire il arrive que, ne pouvant concevoir le rapport de deux vérités opposées et croyant que l’aveu de l’une enferme l’exclusion de l’autre, ils s’attachent à l’une, ils excluent l’autre, et pensent que nous au contraire. Or l’exclusion est la cause de leur hérésie, et l’ignorance que nous tenons l’autre cause leurs objections.

 

Voir le manuscrit et la transcription diplomatique, qui porte les marques des hésitations de Pascal.

Les hérésies proviennent toujours d’une compréhension partielle d’une vérité complexe, qui enferme des éléments apparemment contraires. C’est la thèse du Traité de la prédestination sur le sujet de la grâce, qui montre quelles sont les vérités qu’ignorent les molinistes d’une part, et les calvinistes de l’autre.

Sellier Philippe, “Pascal et l’histoire de l’Église dans la campagne des Provinciales (1656-1658)”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., p. 327. Renvoi au Cinquième écrit des curés de Paris, qui souligne la distance entre les jésuites et les calvinistes, « à cause du schisme ».

Pascal fait la même distinction dans la dernière rédaction du Traité de la prédestination, cette fois non du point de vue du schisme, mais du point de vue des doctrines. Il remarque que « les restes des pélagiens », c’est-à-dire les molinistes, « s’accordaient facilement avec saint Augustin touchant l’état d’innocence », mais qu’ils « en diffèrent touchant la conduite de Dieu envers les hommes après le péché », il soutient que « Calvin n’a aucune conformité avec saint Augustin, et en diffère en toutes choses depuis le commencement jusqu’à la fin ». Il semble qu’il a approfondi sa pensée sur ce point, mais que dès la première rédaction, il ait su marquer précisément en quoi les calvinistes étaient plus gravement enfoncés dans l’erreur que les molinistes. Voir le premier état du traité, § 9-10, OC III, éd. J. Mesnard, p. 768, qui contient en germe l’analyse de l’erreur des protestants dans le dernier état du texte : « ainsi les molinistes et nous sommes conformes en la créance de la volonté de Dieu pour le salut des hommes en leur création, sans aucune différence, mais nous différons en la volonté de Dieu après la chute d’Adam. Et les calvinistes diffèrent horriblement de nous en la volonté de Dieu en la création de l’homme, et nous sommes conformes de paroles en la volonté absolue de Dieu en la rédemption, mais différents en sens, en ce que nous entendons que le décret de Dieu est postérieur à la prévision du péché d’Adam et donné que les hommes criminels, et eux prétendent que ce décret est non seulement prieur, mais cause du péché d’Adam et donné sur les hommes encore innocents ».

Mais l’hérésie enferme aussi un deuxième caractère : l’ignorance de la véritable doctrine de l’Église catholique. C’est principalement à elle que Pascal estime qu’il faut remédier.

Il semble que cette conception de la contrariété des hérésies qui combattent la vérité chrétienne, parce qu’elles n’en ont qu’une connaissance partielle, puisse être comparée avec l’opposition des philosophes partisans de la grandeur de l’homme et de ceux qui soutiennent sa misère, telle que Pascal l’a exposée dans les liasses Grandeur, Vanité et Misère.  Dans les deux cas l’erreur naît, chez les philosophes et chez les hérétiques, de l’incompréhension du caractère double de la vérité, et du choix d’un des deux aspects qui composent le vrai, avec exclusion de l’autre. On trouvera une analyse philosophique de ce problème dans l’étude de Lazzeri Christian, “Pascal et l’impératif de complémentarité”, in Pécharman Martine (dir.), Pascal. Qu’est-ce que la vérité ?, p. 89-113.

Croyant que l’aveu de l’une enferme l’exclusion de l’autre, ils s’attachent à l’une, ils excluent l’autre et pensent que nous, au contraire : l’erreur des hérétiques n’est pas seulement d’ordre religieux, elle est aussi de nature logique. Elle consiste à imaginer que la doctrine augustinienne est faite sur le même modèle que la leur, c’est-à-dire qu’elle consiste en une affirmation simple et univoque (et non pas comme le maintien du « rapport de deux vérités opposées »). C’est pourquoi chaque hérétique identifie et confond la vérité chrétienne avec l’hérésie contraire : les molinistes reprochent aux augustiniens d’être des « calvinistes dissimulés ». Et les calvinistes reprochent aux augustiniens de ressembler à des molinistes parce qu’ils méconnaissent l’action déterminante de la grâce souveraine de Dieu.

On peut aussi présenter cette erreur comme un exemple d’une remarque souvent faite par les moralistes et certains dramaturges, que l’on juge toujours les autres sur soi-même (Corneille en a tiré de beaux effets dramatiques dans Nicomède et Suréna, par exemple).

 

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Premier exemple : Jésus-Christ est Dieu et homme. Les Ariens, ne pouvant allier ces choses qu’ils croient incompatibles, disent qu’il est homme ; en cela ils sont catholiques. Mais ils nient qu’il soit Dieu ; en cela ils sont hérétiques. Ils prétendent que nous nions son humanité ; en cela ils sont ignorants.

 

Pascal fait allusion aux controverses de l’époque byzantine, qui ont porté sur la nature du Christ, qui est à la fois homme et Dieu.

Voir dans le dossier thématique Jésus-Christ les principaux aspects de la personne de Jésus-Christ, avec les références correspondantes. Ne sont envisagés ici que les problèmes posés par sa double nature, humaine et divine.

Pour trouver un exposé complet et accessible à la fois sur la doctrine de l’Incarnation et la double nature de Jésus-Christ, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 350 sq.

L’union hypostatique suppose que deux natures, l’une divine et naturelle, l’autre humaine et naturelle, s’unissent dans la personne du Christ, tout en restant intactes en elles-mêmes, sans se mêler et sans perdre aucune de leurs propriétés ni de leurs opérations. Il ne s’agit pas d’une union physique, ni d’une simple union morale. Le concile de Chalcédoine a défini que Jésus-Christ est vraiment Dieu et vraiment homme. L’Incarnation est l’union de la nature divine et de la nature humaine dans la seule personne du Verbe : il y a donc en Jésus une personne et deux natures. L’union ne s’est pas faite dans les natures, qui demeurent séparées, mais dans la personne du Verbe (le Christ).

Pascal aborde le problème de l’arianisme dans la Provinciale XVII, mais sous un tout autre angle.

Pascal résume le problème dans le fragment Preuves de Jésus-Christ 10 (Laf. 307, Sel. 338). L’Église a eu autant de peine à montrer que Jésus-Christ était homme, contre ceux qui le niaient qu’à montrer qu’il était Dieu, et les apparences étaient aussi grandes.

Quand l’Église a-t-elle eu à démontrer que Jésus-Christ était Dieu ? Une note de Brunschvicg suggère que c’est contre les Juifs que l’Église a dû lutter sur ce point. Il a fallu aux apôtres faire comprendre que Jésus crucifié était fils de Dieu et Dieu même. Voir Preuves de Jésus-Christ 9 (Laf. 306, Sel. 337) : Les Juifs en éprouvant s’il était Dieu ont montré qu’il était homme.

Mais Pascal mentionne ici les Ariens.

Voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 74. L’arianisme est la doctrine d’Arius, condamnée au concile de Nicée, et de nouveau à celui de Constantinople en 380-381, d’après laquelle le Christ ne serait pas pleinement Dieu.

Boulenger A., La doctrine catholique, I, p. 56. Les Ariens soutiennent la distinction des personnes, prétendant que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont des êtres distincts et non consubstantiels. Le Fils n’est pas l’égal du Père, il n’est pas le vrai Dieu, mais une créature plus parfaite que les autres, née la première et dont Dieu se serait servi pour créer les autres êtres, qu’il répugnait à sa grandeur de créer lui-même directement.

Bartmann Bernard, Précis de Théologie dogmatique, I, p. 201. Les Ariens séparent du Père le Fils et l’Esprit du Père, qui en sont les créatures. Arius met à part le Dieu unique et très haut, que sa perfection absolue rend inaccessible ; il le sépare du Fils, être divin du second ordre, que Dieu produit librement, avant tous les temps, comme sa créature : p. 201. Condamnations ecclésiastiques de l’arianisme : p. 201. Voir aussi p. 364 sq., sur la manière dont Arius et Apollinaire nient l’âme véritable du Christ en lui attribuant une âme inférieure (anima sensitiva), en prétendant que l’âme supérieure (anima intellectiva) était remplacée par le Logos.

Sur l’Arianisme et son histoire, voir Simon Marcel et Benoit André, Le judaïsme et le christianisme antique, Nouvelle Clio, Paris, P. U. F., 1968, p. 170 sq. Le conflit naît à Alexandrie, vers 318-320, entre l’évêque Alexandre et l’un de ses prêtres, Arius, à propos de la nature du Fils. Chassé d’Alexandrie, Arius entreprend de répandre ses idées auprès des évêques des grandes villes comme Césarée et Nicomédie. Constantin décide de réunir un grand concile pour régler définitivement le conflit. La doctrine d’Arius affirme que Dieu étant unique, le Logos ne peut qu’être une créature, alors que l’orthodoxie distingue création et engendrement, différence qu’Arius récuse. La Trinité prend chez lui une allure particulière : la monade divine reste seule et repliée sur elle-même ; elle crée une créature parfaite, le Logos, qui crée à son tour une autre créature parfaite, le Saint-Esprit. Le Fils n’est donc pas Dieu ; ce n’est plus qu’un être parfait qui propose son exemple. Le concile de Nicée a condamné l’arianisme : p. 171 sq.

Sur les condamnations ecclésiastiques de l’arianisme, voir Bartmann Bernard, Précis de Théologie dogmatique, I, p. 201. Pour approfondir la connaissance de l’arianisme, on peut se reporter, pour un approfondissement progressif, aux ouvrages suivants :

Encyclopédie saint Augustin, p. 78 sq., et p. 108 sq., pour classer les idées.

Rubenstein Richard E., Le jour où Jésus devint Dieu. L’ « affaire Arius » ou la grande querelle sur la divinité du Christ au dernier siècle de l’empire romain, 2004.

Hanson R. P. C., The search of the christian doctrine of God. The arian controversy, 318-381, 2007.

GEF XIV, p. 306, remarque que l’édition des Pensées de Port-Royal a remplacé les ariens par les eutychiens, pour les opposer aux nestoriens : « les nestoriens voulaient qu’il y eût deux personnes en Jésus-Christ, parce qu’il y a deux natures ; et les eutychiens au contraire, qu’il n’y eût qu’une nature, parce qu’il n’y a qu’une personne. Les catholiques sont orthodoxes, parce qu’ils joignent ensemble les deux vérités de deux natures, et d’une seule personne ».

L’hérésie de Nestorius consiste à soutenir que Dieu a formé Jésus par le Saint-Esprit, de la Vierge Marie ; mais que Jésus n’est pas le fils de Dieu : le Fils de Dieu et Jésus sont deux personnes différentes, dont l’union est intime, car le Fils de Dieu est descendu dans Jésus pour racheter le genre humain, mais n’est pas substantielle : le Fils habite Jésus comme dans un temple, dont il s’est servi comme d’un instrument. Aussi faut-il distinguer nettement dans le Christ ce qui relève de l’humanité et ce qui a été fait par la divinité. En conséquence, Marie n’est pas Mère de Dieu, elle n’est que mère de Jésus. Et Dieu n’a pas souffert ; seul l’homme Jésus a souffert et est mort pour les hommes.

Les eutychiens ont nié que Jésus fût homme ; ils professaient une forme de monophysisme (doctrine qui n’accorde au Christ qu’une seule nature, du grec physis, nature, et monos, unique). L’archimandrite de Constantinople Eutychès, qui combattait le nestorianisme, tomba dans l’erreur opposée, qui consiste à dire qu’il n’y a qu’une seule personne, et que cette unité de personne entraîne aussi l’unité de nature (d’où vient le terme de monophysisme) : dès lors, dans le Christ, il y aurait eu deux natures distinctes avant l’Incarnation du Verbe, mais aussitôt après cette Incarnation, les deux natures se sont fondues en une seule ; il fallait donc dire que le Christ n’avait pas souffert, ou que la nature divine avait été crucifiée. D’après cette doctrine, à partir de l’Incarnation, il n’y aurait plus qu’une nature dans le Christ, la nature divine absorbant en elle la nature humaine au point de devenir unique.

Le patriarche de Constantinople Flavien condamna Eutychès en 448 au cours d’un synode local. Mais Eutychès en appela de cette décision. L’empereur Théodose II convoqua le synode général d’Éphèse en 449, qui réhabilita Eutychès, dans une ambiance de violence scandaleuse. Après le concile général à Chalcédoine (451), le pape Léon Ier fixa la doctrine catholique dans son Epistola dogmatica ad Flavianum : le Christ était déclaré, conformément au concile de Nicée, consubstantiel au Père, mais aussi consubstantiel à nous, parce que parfait à la fois dans la divinité et dans l’humanité.

Voir les textes du concile de Chalcédoine (451) dans Conciliorum œcumenicorum decreta, Bologne, Edizioni Dehoniane Bologna, 1996, p. 75 sq. Voir la note sur le déroulement des événements : p. 75-76. Definitio fidei : p. 83 sq. Canons : p. 87.

Le fragment est intéressant en ce qu’il montre que Pascal connaissait bien l’histoire de l’Église et de sa lutte contre les hérésies dans ses premiers temps.

 

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Second exemple : sur le sujet du Saint Sacrement. Nous croyons que la substance du pain étant changée et transsubstantiée en celle du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ y est présent réellement : voilà une des vérités.

 

Pascal fait ici allusion à la transsubstantiation qui a lieu dans le sacrement de l’Eucharistie.

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 628-629. La transsubstantiation est la transformation mystérieuse des éléments de l’Eucharistie qui en fait, en vertu de la parole du Christ qui les propose, son propre corps et son propre sang. C’est la réalité du corps du Christ qui est sur l’autel après la consécration, mais d’une manière inaccessible aux sens et de telle sorte qu’il n’est ni multiplié par la multiplicité des espèces (le pain et le vin), ni divisé par leur division, ni passible de quelque manière que ce soit. La substance seule du pain et du vin est changée, mais les accidents (c’est-à-dire les apparences perçues par les sens, notamment la vue) demeurent inchangés.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 335 sq.

Hurter H., Theologiae dogmaticae compendium, t. III, tract. IX, ch. I, art. II, p. 323 sq. Dogme de la transsubstantiation.

Sur la transsubstantiation, voir Provinciale XVI, éd. Cognet, Garnier, p. 304 : « Tout le monde sait, mes Pères, que l’hérésie de Genève consiste essentiellement, comme vous le rapportez vous-mêmes, à croire que Jésus-Christ n’est point enfermé dans ce Sacrement ; qu’il est impossible qu’il soit en plusieurs lieux ; qu’il n’est vraiment que dans le Ciel, et que ce n’est que là où on le doit adorer, et non pas sur l’autel ; que la substance du pain demeure ; que le corps de Jésus-Christ n’entre point dans la bouche ni dans la poitrine ; qu’il n’est mangé que par la foi, et qu’ainsi les méchants ne le mangent point ; et que la Messe n’est point un sacrifice, mais une abomination ».

Delumeau et Cottret, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, p. 80. Le concile de Trente réaffirme la doctrine catholique de la transsubstantiation : voir XIIIe session, canon 2, « si quelqu’un dit que, dans le très saint sacrement de l’eucharistie, il reste la substance du pain et du vin avec le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ, et nie cette merveilleuse et unique conversion de toute la substance du pain au corps et de toute la substance du vin au sang, qui ne laisse subsister que les apparences du pain et du vin – conversion que l’Église catholique appelle du nom très approprié de transsubstantiation – qu’il soit anathème ».

Conciliorum oecumenicorum decreta, Sessio XIII, Decretum de sanctissimo eucharistiae sacramento, p. 693 sq. Voir cap. I, p. 693, De reali praesentia domini nostri Jesu Christi in sanctissimo eucharistiae Sacramento, p. 697 ; cap. IV, p. 695, De transsubstantiatione. Canons : p. 697 sq. Canon 1 : « Si quis negaverit, in sanctissimo eucharistiae sacramento contineri vere, realiter et substantialiter corpus et sanguinem una cum anima et divinitate domini nostri Jesus Christi, ac proinde totum Christum, sed dixerit tantummodo esse in eo ut in signo vel figura aut virtute, anathema sit ». Canon 2 : « Si quis dixerit, in sacrosancto eucharistiae sacramento remanere substantiam panis et vini una cum corpore et sanguine domini nostri Jesu Christi, negaveritque mirabilem illam et singularem conversionem totius substantiae panis in corpus et totius substantiae vini in sanguinem, manentibus dumtaxat speciebus panis et vini, quam quidem conversionem catholica ecclesia aptissime transsubstantiationem appellat, anathema sit ». Canon 3 : « Si quis negavetit, in venerabili sacramento eucharistiae sub unaquaque specie et sub singulis cujusque speciei partibus separatione facta totum Christum contineri, anathema sit ».

Pascal souligne dans une lettre à Melle de Roannez que c’est le propre des catholiques de voir dans l’Eucharistie la présence réelle de Dieu sous les espèces du pain et du vin : voir la lettre de Pascal à Melle de Roannez n° 4, du 29 octobre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1035 sq.

« Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s’est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusque l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s’est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu’à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lors qu’il dit en esprit de prophétie : « Véritablement tu es un Dieu caché ». C’est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité, et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques : il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. »

Delumeau et Cottret, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, p. 79 sq. Dans les discussions consacrées au XVIe siècle à la présence réelle, l’Église fait face à plusieurs doctrines protestantes : Luther refuse la transsubstantiation, mais admet la consubstantiation (le Christ est dans le pain et le vin comme le feu est dans le fer rougi). Les sacramentaires comme Karlstadt, Zwingli et Œcolampade, voient dans la Cène une cérémonie du souvenir, la présence réelle n’étant alors supposée que dans l’assemblée des fidèles : p. 80. Calvin maintient une présence réelle dans les éléments de la cène et emploie même l’expression de présence substantielle, mais il estime cette présence ineffable et trop secrète pour être comprise par l’esprit et exprimée par les paroles : p. 80.

Voir la doctrine de Calvin dans Calvin, Institution de la religion chrétienne, XII, éd. J. Pannier, t. 4, Paris, Les Belles Lettres, p. 7 sq. De la Cène.

 

Une autre est que ce sacrement est aussi une figure de celui de la croix, et de la gloire, et une commémoration des deux. Voilà la foi catholique qui comprend ces deux vérités qui semblent opposées.

L’hérésie d’aujourd’hui, ne concevant pas que ce sacrement contient tout ensemble, et la présence de Jésus-Christ, et sa figure, et qu’il soit sacrifice, et commémoration de sacrifice, croit qu’on ne peut admettre l’une de ces vérités sans exclure l’autre pour cette raison.

Ils s’attachent à ce point seul que ce sacrement est figuratif, et en cela ils ne sont pas hérétiques. Ils pensent que nous excluons cette vérité, et de là vient qu’ils nous font tant d’objections sur les passages des Pères qui le disent. Enfin ils nient la présence, et en cela ils sont hérétiques.

 

Commémoration de sacrifice : le Christ dit de l’Eucharistie, Faites ceci en mémoire de moi. Voir Luc, XXII, 19.

Le sacrement de l’Eucharistie est donc à la fois réalité et figure.

Qu’il soit sacrifice, et commémoration de sacrifice : sur l’affirmation de plus en plus marquée du caractère sacrificiel de la messe par le concile de Trente, voir Wanegffelen Thierry, Une difficile fidélité. Catholiques malgré le concile en France, XVIe-XVIIe siècles, p. 98 sq. Les protestants ne croient pas que l’eucharistie soit un sacrifice véritable ; ils estiment qu’elle n’est qu’une commémoration, car le Christ a dit vous ferez cela en mémoire de moi.

La Logique d’Arnauld et Nicole, dans son édition de 1683, contient un chapitre IV, Des idées des choses et des idées des signes, éd. D. Descotes, 2014, p. 676-681, contient un passage qui répond à ce problème.

Louis Marin a consacré une analyse à cet aspect de la « parole consécratoire », entendue comme « matrice d’échange de la représentation et de l’être » ; voir La critique du discours, p. 290 sq.

L’hérésie d’aujourd’hui ne concevant pas que ce sacrement contienne tout ensemble et la présence de Jésus-Christ et sa figure... : voir la 4e lettre à Melle de Roannez, du 29 octobre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1036 : « les hérétiques, voyant les apparences parfaites dans l’Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. » Il s’agit de l’erreur luthérienne et calvinienne. Dans les Écrits sur la grâce, Pascal parle de Calvin.

 

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Troisième exemple : les indulgences.

 

L’exemple de l’affaire des indulgences n’est pas pris au hasard. C’est l’une des sources de la Réforme.

Que faut-il entendre par indulgences ? En termes techniques, une indulgence est la remise extra-sacramentelle des peines temporelles dont on reste encore passible après la rémission du péché. Voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 449 sq.

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, Tournai, Desclée, 1963, p. 334-335. Une indulgence est la remise de la peine temporelle due pour un péché préalablement pardonné, remise faite par l’autorité ecclésiastique en vertu du pouvoir des clés, et qui peut être soit plénière, soit partielle. Par pouvoir des clés, il faut entendre le pouvoir du pardon des fautes accordé par le Christ à son Église selon Matthieu XVI, 18 et XVIII, 18 ; voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 451.

Jombart Emile, Manuel de droit canon, Paris, Beauchesne, 1949, p. 273 sq. Une indulgence est la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés déjà effacés quant à la coulpe. La peine est remise en considération du trésor des mérites dont disposel’Église, dans lequel elle peut puiser. En d’autres termes, la pratique de l’indulgence suppose la foi dans la communion des saints, en vertu de laquelle tout ce que nous faisons pour nous rapprocher de Dieu se trouve bénéficier mystérieusement du concours que nous apportent les mérites et les prières de toute l’Église. Pour les vivants, l’indulgence solvit et absolvit, elle paie leur dette et les absout, délie le lien moral qui les condamnait à la peine. Pour les morts, elle procède par manière de suffrage : elle supplie Dieu de les soulager mis cette prière n’est exaucée que dans la mesure où Dieu le juge bon. Voir l’historique de la notion d’indulgence : p. 273 sq.

L’Église primitive imposait pour les péchés de très sévères pénitences publiques. Au IVe siècle existent des rémissions de peines, sans que l’on puisse savoir si l’Église pensait aussi effacer la peine du purgatoire. Au VIIe siècle apparaissent des rachats (redemptiones) : les pénitences imposées étaient commuées en d’autres bonnes œuvres. Au XIe siècle on trouve des indulgences proprement dites, non de simples commutations de peines, mais la remise de la peine à cause d’une bonne action. Au XIIIe siècle, saint Thomas explique que l’Église paie la dette du pécheur au moyen de son trésor. La première indulgence pour les vivants semble dater de 1063, quand Alexandre II remit les peines de ceux qui iraient chasser les Maures d’Espagne. En 1095, au concile de Clermont, Urbain II accorde une indulgence plénière aux croisés. Ce n’est qu’au XVe siècle que le pape Calixte III accorde des indulgences pour les défunts. Le concile de Trente défendit les indulgences contre les attaques des protestants et réprima certains abus. La pratique des indulgences suscita des contestations à partir du moment où l’impécuniosité de la papauté fit admettre le rachat de certaines pénitences par espèces sonnantes et trébuchantes. En 1511, venu à Rome, Luther a été profondément choqué par la procédure initiée par le pape Léon X permettant à des pénitents de racheter une part de la punition temporelle que leur valaient leurs péchés. En 1517, il s’en prit non seulement à la pratique des indulgences, mais à des dogmes plus fondamentaux. Sa condamnation suscita le mouvement de la Réforme.

Sur la querelle des indulgences au moment de la Réforme, voir Tüchle H., Bouman C. A., et Le Brun Jacques, Nouvelle Histoire de l’Église, 2, Réforme et contre-réforme, Paris, Seuil, 1968, p. 59-66.

Du côté de Port-Royal, les esprits étaient hostiles aux abus de la pratique des indulgences. Les querelles dans lesquelles les jansénistes ont été entrainés comportent des épisodes relatifs aux indulgences.

Arnauld Antoine, L’innocence et la vérité défendues, Sixième partie, art. VI et suivants, Des indulgences. Œuvres, XXX, p. 296 sq., s’élève contre le P. Brisacier, dont les thèses sur les indulgences exposaient la religion au mépris des infidèles. Voir Brisacier Jean, Le jansénisme confondu dans l’avocat du sieur Callaghan, Paris, Florentin Lambert, 1651, Que la doctrine du sieur Callaghan touchant est pure hérésie, p. 7 sq.

Voir Arnauld Antoine, Œuvres, XXX, p. I sq. et Delassault Geneviève, Lemaistre de Saci et son temps, p. 54. L’Innocence et la vérité défendues contre les calomnies et les faussetés que les jésuites ont employées en divers libelles pour déchirer les vivants et les morts..., paraît en juillet 1652. L’attribution à Arnauld est généralement admise : voir Œuvres, XXX, p. VII. Arnauld aborde plusieurs points de théologie, sur la pénitence et les indulgences : voir la VIe partie, article VI, p. 349 sq. Le concile de Trente a approuvé les indulgences, à la condition « qu’on y apporte de la modération selon l’ancienne et louable coutume de l’Église, de peur que la discipline ecclésiastique ne se relâche et ne s’affaiblisse par une trop grande facilité » : p. 350.

Le propos du présent passage de Pascal aurait appelé une explication. Il n’en apporte aucune, pas plus dans le reste de son œuvre que dans les Pensées. Havet, dans son édition des Pensées, XXIV, 12, propose cette explication : Pascal entend que « les protestants ont raison de croire que les indulgences ne peuvent racheter le péché et remettre l’homme dans l’état de grâce d’où il est sorti ; mais ils ont tort de nier que les indulgences remettent à celui qui est sorti du péché les peines qu’il a encore à subir après le péché remis ».

Voir ce qu’en dit Pontas, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, article Indulgence, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 1077. « Il est de foi que Jésus-Christ a donné à l’Église, c’est-à-dire à ceux qui en sont les premiers pasteurs, le pouvoir d’accorder des indulgences, et que leur usage est très salutaire aux fidèles. Mais on en a quelquefois abusé, comme s’en plaignit le concile de Latran de 1215. Ce serait encore en abuser et se faire illusion, que de s’imaginer qu’en vertu de quelques courtes prières et de quelques modiques aumônes, on puisse si facilement devenir quitte de toutes les peines dues à la justice de Dieu, pour tous les crimes dont on s’est rendu coupable. C’est pourquoi le moyen le plus sûr et le plus utile aux pécheurs pénitents pour se mettre en état de bien gagner des indulgences, est de travailler par les œuvres laborieuses de la pénitence à mériter que l’Église compatissant à leur faiblesse, et ayant égard à leur bonne volonté, supplée au défaut de leur pénitence par le secours de l’indulgence qu’elle leur offre [...]. Que ne doit donc pas faire un chrétien pour mériter que l’Église lui applique avec abondance et gratuitement les richesses et les trésors spirituels dont elle est la dispensatrice ? »

Il est clair que cette conception des indulgences diffère profondément de la procédure simoniaque qui a été évoquée plus haut.

 

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C’est pourquoi le plus court moyen pour empêcher les hérésies est d’instruire de toutes les vérités, et le plus sûr moyen de les réfuter est de les déclarer toutes.

 

Le plus court : il s’agit d’éviter les controverses qui n’en finissent pas, et qui engendrent de nouveaux différends à l’infini. Sur la manière dont Pascal lui-même applique cette règle, voir Duchêne Roger, “D’Arnauld à Pascal ou l’art de faire plus court : l’exemple de la XVIIe Provinciale”, Méthodes chez Pascal, Paris, P. U. F., 1979, p. 253-263.

Le plus sûr : il y a des méthodes de controverse qui manquent de sûreté, c’est-à-dire incertaines dans leur effet. La méthode du Traité de la prédestination procède par exposition pure de la vérité. On peut l’opposer, dans une certaine mesure, à un autre des Écrits sur la grâce, la Lettre sur la possibilité des commandements, dans laquelle l’argumentation tient une très grande place. Après avoir quasi achevé cette Lettre, Pascal a changé de méthode, et s’est orienté vers une présentation de la doctrine de saint Augustin sur la grâce, placée entre les deux erreurs contraires des restes des pélagiens, c’est-à-dire des molinistes, et des calvinistes. La seule exposition comparée des trois doctrines met en lumière la cohérence et l’accord de saint Augustin avec les principes de la théologie chrétienne, et les incohérences des doctrines de Calvin et des pélagiens.

 

Car que diront les hérétiques ?

 

Le principe de la méthode de Pascal consiste non pas à porter la critique sur des thèses particulières de ses adversaires, mais à leur montrer qu’ils ne répondent pas adéquatement aux conditions du problème du discernement de la véritable des trois doctrines en présence. Dans la première rédaction du Traité de la prédestination, Pascal a posé les principes fondamentaux sur lesquels tous les chrétiens tombent d’accord. La doctrine pose que dans toute bonne action, deux volontés concourent, qui ont chacune leur efficacité propre, sans qu’aucune puisse être annulée. La volonté de Dieu est la principale et la source, celle de l’homme est seconde et suivante. La doctrine de saint Augustin répond à ces conditions, alors que les deux hérésies contraires contredisent chacune l’une d’entre elles : les calvinistes considèrent que la volonté de l’homme est comme détruite et que Dieu seul agit dans ses actions ; les molinistes au contraire considèrent que l’homme a assez de force pour faire le bien sans avoir besoin du secours de Dieu. Les hérétiques sont donc réduits à l’aveu que leur doctrine respective ne répond pas aux données du problème.

Noter que cette technique répond à la règle de Pascal qui prescrit de ne pas heurter l’interlocuteur de front, mais de lui faire quel côté de la question il manque de voir.

Laf. 701, Sel. 579. Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe il faut observer par quel côté il envisage la chose car elle est vraie ordinairement de ce côté-là et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé, et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

 

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Pour savoir si un sentiment est d’un Père...

 

Pascal envisage d’aborder ensuite les véritables moyens d’éviter les erreurs des hérétiques en se donnant des règles pour la juste interprétation des Pères de l’Église. Il n’a écrit que ce qu’E. Martineau appelle une ligature, qui appelle un développement que Pascal a écrit ailleurs, ou qu’il se réserve de composer plus tard.

Voir Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Contradiction. On ne peut faire une bonne physionomie qu’en accordant toutes nos contrariétés et il ne suffit pas de suivre une suite de qualités accordantes sans accorder les contraires ; pour entendre le sens d’un auteur il faut accorder tous les passages contraires.

Ainsi pour entendre l’Écriture il faut avoir un sens dans lequel tous les passages contraires s’accordent ; il ne suffit pas d’en avoir un qui convienne à plusieurs passages accordants, mais d’en avoir un qui accorde les passages même contraires.

Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l’Ecriture et des prophètes : ils avaient assurément trop de bon sens. Il faut donc en chercher un qui accorde toutes les contrariétés.

Le véritable sens n’est donc pas celui des Juifs, mais en Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées.

Les juifs ne sauraient accorder la cessation de la royauté et principauté prédite par Osée, avec la prophétie de Jacob.

Si on prend la loi, les sacrifices et le royaume pour réalités on ne peut accorder tous les passages ; il faut donc par nécessité qu’ils ne soient que figures. On ne saurait pas même accorder les passages d’un même auteur, ni d’un même livre, ni quelquefois d’un même chapitre, ce qui marque trop quel était le sens de l’auteur ; comme quand Ezéchiel, ch. 20 dit qu’on vivra dans les commandements de Dieu et qu’on n’y vivra pas.

Cette conclusion interrompue présente l’intérêt de montrer que, dans l’esprit de Pascal, la théorie de l’opposition de la vérité aux erreurs contraires est liée à la méthode de l’interprétation. Il est regrettable qu’il n’ait pas développé ce point.