Fragment Commencement n° 1 / 16 – Papier original : RO 25-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 216 p. 77 / C2 : p. 102-103
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 245-246 / 1678 n° 17 p. 237-238
Éditions savantes : Faugère II, 146, XV / Havet XXIV.16 / Brunschvicg 226 / Tourneur p. 224-1 / Le Guern 140 / Lafuma 150 / Sellier 183
Les impies qui font profession de suivre la raison doivent être étrangement forts en raison. Que disent‑ils donc ? Ne voyons‑nous pas, disent‑ils, mourir et vivre les bêtes comme les hommes, et les Turcs comme les chrétiens ; ils ont leurs cérémonies, leurs prophètes, leurs docteurs, leurs saints, leurs religieux comme nous-mêmes, etc. Cela est‑il contraire à l’Écriture ? Ne dit‑elle pas tout cela ?
Si vous ne vous souciez guère de savoir la vérité, en voilà assez pour vous laisser en repos. Mais si vous désirez de tout votre cœur de la connaître ce n’est pas assez regardé au détail. C’en serait assez pour une question de philosophie, mais ici où il va de tout... Et cependant après une réflexion légère de cette sorte on s’amusera, etc. Qu’on s’informe de cette religion, même si elle ne rend pas raison de cette obscurité. Peut‑être qu’elle nous l’apprendra.
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Pascal esquisse ici un dialogue avec son lecteur, sur les objections qu’une certaine catégorie d’incrédules, les rationalistes, opposent à la religion chrétienne. Son but n’est pas de discuter ces objections sur le fond, ni même de les réfuter, mais de faire comprendre à son lecteur qu’elles n’ont que peu de portée, n’étant au fond que des redites de ce que l’Écriture elle-même a dit avant eux.
Cet argument n’est du reste qu’une introduction à l’idée essentielle, qui vient dans un second temps : les esprits superficiels, qui n’ont pas compris que leurs objections ne touchent pas le fond des matières, se contentent de cette « réflexion légère » pour ne pas approfondir davantage, et se rabattent ensuite sur le divertissement.
Mais s’adressant au lecteur sérieux, Pascal cherche surtout à lui représenter à quel point ces objections des impies manquent de portée et témoignent du peu de sérieux qu’ils apportent à s’informer du problème.
Fragments connexes
Raisons 3v (Laf. 84, Sel. 118). Descartes. Il faut dire en gros : « Cela se fait par figure et mouvement », car cela est vrai. Mais de dire quelles et composer la machine, cela est ridicule, car cela est inutile et incertain et pénible. Et quand cela serait vrai, nous n’estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine (texte barré).
A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182) : Quelle religion nous enseignera donc à guérir l’orgueil, et la concupiscence ? quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir, et le moyen d’obtenir ces remèdes. Toutes les autres religions ne l’ont pu. Voyons ce que fera la sagesse de Dieu.
N’attendez point, dit-elle, ô hommes, ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis celle qui vous ai formés et qui puis seule vous apprendre qui vous êtes.
Mais, vous n’êtes plus maintenant en l’état où je vous ai formés. J’ai créé l’homme saint, innocent, parfait, je l’ai rempli de lumière et d’intelligence, je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L’œil de l’homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n’était pas alors dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l’affligent.
Mais il n’a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre centre de lui-même et indépendant de mon secours. Il s’est soustrait de ma domination et s’égalant à moi par le désir de trouver sa félicité en lui-même je l’ai abandonné à lui, et révoltant les créatures qui lui étaient soumises, je les lui ai rendues ennemies, en sorte qu’aujourd’hui l’homme est devenu semblable aux bêtes, et dans un tel éloignement de moi qu’à peine lui reste-t-il une lumière confuse de son auteur, tant toutes ses connaissances ont été éteintes ou troublées. Les sens indépendants de la raison et souvent maîtres de la raison l’ont emporté à la recherche des plaisirs. Toutes les créatures ou l’affligent ou le tentent, et dominent sur lui ou en le soumettant par leur force ou en le charmant par leur douceur, ce qui est une domination plus terrible et plus injurieuse.
Commencement 7 (Laf. 157, Sel. 189). Athéisme marque de force d'esprit, mais jusqu'à un certain degré seulement.
Commencement 11 (Laf. 161, Sel. 193). Les athées doivent dire des choses parfaitement claires. Or il n’est point parfaitement clair que l’âme soit matérielle.
Commencement 14 (Laf. 164, Sel. 196). Je trouve bon qu’on n’approfondisse pas l’opinion de Copernic. Mais ceci...
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Il importe à toute la vie de savoir si l’âme est mortelle ou immortelle.
Transition 1 (Laf. 193. Sel. 226) : C’est une chose pitoyable de voir tant de Turcs, d’hérétiques, d’infidèles, suivre le train de leurs pères, par cette seule raison qu’ils ont été prévenus chacun que c’est le meilleur et c’est ce qui détermine chacun à chaque condition de serrurier, soldat, etc.
Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Et de tout cela, je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m'arriver. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes ; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher ; et après, en traitant avec mépris ceux qui se travailleront de ce soin, je veux aller, sans prévoyance et sans crainte, tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort, dans l'incertitude de l'éternité de ma condition future.
Preuves par discours II (Laf. 428-429, Sel. 682). Avant que d'entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l'injustice des hommes qui vivent dans l'indifférence de chercher la vérité d'une chose qui leur est si importante, et qui les touche de si près.
De tous leurs égarements, c'est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d'aveuglement, et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant, que l'état de la mort est éternel, de quelque nature qu'il puisse être, et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l'état de cette éternité, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.
Il n'y a rien de plus visible que cela et qu'ainsi, selon les principes de la raison, la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable, s'ils ne prennent une autre voie. Que l'on juge donc là-dessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude, et, comme s'ils pouvaient anéantir l'éternité en en détournant leur pensée, ne pensent à se rendre heureux que dans cet instant seulement.
Cependant, cette éternité subsiste, et la mort, qui la doit ouvrir et qui les menace à toute heure, les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux, sans qu'ils sachent laquelle de ces éternités leur est à jamais préparée.
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