Miracles III – Fragment n° 11 / 11 – Papier original : RO 343 r° / v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 197 p. 467 v° à 471 v° / C2 : p. 267 à 273
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 271-272 /
1678 n° 73 p. 264
Éditions savantes : Faugère I, 289, LXX ; II, 97, XVIII ; I, 272, XXIII ; I, 259, XXXVII ; I, 230, CLXXIII ; I, 268, VIII ; II, 326, XXIX ; I, 269, X ; I, 268, IX ; II, 260, XXVIII / Havet Prov. 343 p. 295 ; VI.60 ; XXIII.42, 33 ; XXIV.83 bis ; XXV.204 ; VII.39 ; Prov. 344 p. 289 ; XXV.130 bis ; XXIV.47 ; XXIV.11 ; XXIII.43 ; XXV. 41 / Brunschvicg 927, 385, 851, 916, 55, 262, 924, 781 / Tourneur p. 160-2 / Le Guern 707 / Lafuma 903 à 912 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 450 et 451
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✧ Éclaircissements
Sommaire
Analyse des notes liés aux Provinciales : La folle idée que vous avez de l’importance de votre Compagnie... Analyse des autres notes : L’histoire de l’aveugle-né...
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L’histoire de l’aveugle-né.
Jean IX, 13-34. « Alors ils amenèrent aux pharisiens cet homme qui avait été aveugle.14. Or c’était le jour du sabbat que Jésus avait fait cette boue, et lui avait ouvert les yeux. 15. Les pharisiens l’interrogèrent donc aussi eux-mêmes, comment il avait recouvré la vue. Et il leur dit : Il m’a mis de la boue sur les yeux ; je me suis lavé, et je vois. 16. Sur quoi quelques-uns des pharisiens dirent : Cet homme n’est point envoyé de Dieu, puisqu’il ne garde pas le sabbat. Mais d’autres disaient : Comment un méchant homme pourrait-il faire de tels prodiges ? Et il y avait sur cela de la division entre eux. 17. Ils dirent donc de nouveau à l’aveugle : Et toi, que dis-tu de cet homme qui t’a ouvert les yeux ? Il répondit : C’est un prophète. 18. Mais les Juifs ne crurent point que cet homme eût été aveugle, et eût recouvré la vue, jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir son père et sa mère, 19. Qu’ils interrogèrent, en leur disant : Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? Comment est-ce donc qu’il voit maintenant ? 20. Le père et la mère leur répondirent : Nous savons que c’est là notre fils, et qu’il est né aveugle ; 21. Mais nous ne savons comment il voit maintenant, et nous ne savons pas non plus qui lui a ouvert les yeux. Interrogez-le, il a de l’âge ; qu’il réponde pour lui-même. 22. La crainte que son père et sa mère avaient des Juifs les fit parler de la sorte : car les Juifs avaient conspiré, et résolu ensemble, que quiconque reconnaîtrait Jésus pour être le Christ serait chassé de la synagogue. 23. Ce fut ce qui obligea le père et la mère de répondre : Il a de l’âge, interrogez-le lui-même. 24. Ils appelèrent donc une seconde fois cet homme qui avait été aveugle, et lui dirent : Rends gloire à Dieu ; nous savons que cet homme est un pécheur. 25. Il leur répondit : Si c’est un pécheur, je n’en sais rien : tout ce que je sais, c’est que j’étais aveugle, et que je vois maintenant. 26. Ils lui dirent encore : Que t’a-t-il fait ? Et comment t’a-t-il ouvert les yeux ? 27. Il leur répondit : Je vous l’ai déjà dit, et vous l’avez entendu. Pourquoi voulez-vous l’entendre encore une seconde fois ? Est-ce que vous voulez devenir aussi ses disciples ? 28. Sur quoi ils le chargèrent d’injures, et lui dirent : Sois toi-même son disciple ; mais pour nous, nous sommes disciples de Moïse. 29. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais pour celui-ci, nous ne savons d’où il est. 30. Cet homme leur répondit : C’est ce qui est étonnant, que vous ne sachiez d’où il est, et qu’il m’ait ouvert les yeux. 31. Or nous savons que Dieu n’exauce point les pécheurs ; mais si quelqu’un l’honore, et qu’il fasse sa volonté c’est celui-là qu’il exauce. 32. Depuis que le monde est, on n’a jamais ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né. 33. Si cet homme n’était point envoyé de Dieu, il ne pourrait rien faire de tout ce qu’il fait. 34. Ils lui répondirent : Tu n’es que péché dès le ventre de ta mère, et tu veux nous enseigner ? Et ils le chassèrent. »
Jean, X, 20-21. « Plusieurs d’entre eux disaient : Il est possédé du démon, il a perdu le sens ; pourquoi l’écoutez-vous ? 21. Mais les autres disaient : Ce ne sont pas là les paroles d’un homme possédé du démon. Le démon peut-il ouvrir les yeux des aveugles ? »
Miracles II (Laf. 840, Sel. 425). Jésus-Christ guérit l’aveugle-né et fit quantité de miracles au jour du sabbat par où il aveuglait les pharisiens qui disaient qu’il fallait juger des miracles par la doctrine. Nous avons Moïse, mais celui-là nous ne savons d’où il est. C’est ce qui est admirable que vous ne savez d’où il est et cependant il fait de tels miracles.
Voir Miracles II (Laf. 855, Sel. 435). Jeh. 6. 26. Non quia vidistis signum sed quia saturati estis. Ceux qui suivent Jésus-Christ à cause de ses miracles honorent sa puissance dans tous les miracles qu’elle produit, mais ceux qui en faisant profession de le suivre pour ses miracles ne le suivent en effet que parce qu’il les console et les rassasie des biens du monde, ils déshonorent ses miracles quand ils sont contraires à leurs commodités. Jeh. 9. Non est hic homo a Deo quia sabbatum non custodit. Alii : Quomodo potest homo peccator haec signa facere ? Lequel est le plus clair ? Cette maison est de Dieu, car il y fait d’étranges miracles. Les autres : cette maison n’est point de Dieu, car on n’y croit pas que les 5 propositions soient dans Jansénius. Lequel est le plus clair ? Tu quid dicis, dico, quia propheta est, nisi esset hic a Deo non poterat facere quidquam.
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 130, renvoie à Jean, IX, passage où les pharisiens contestent, au nom de la loi judaïque, un miracle opéré par le Christ un jour de sabbat.
Arnauld Antoine, De l’autorité des miracles, en réponse au libelle intitulé Défense de la vérité catholique touchant les miracles, contre les déguisements et artifices de la réponse faite par MM. de Port-Royal à un écrit intitulé [Rabat-joie, ou] Observations nécessaires sur ce qu’on dit être arrivé à Port-Royal, au sujet de la Sainte Épine, par le sieur de Sainte-Foi, docteur en théologie. À Paris, chez Florentin Lambert, avec privilège du roi, 1657, Chapitre I, in Arnauld Antoine, Œuvres, XXIII, p. 42. « L’histoire de l’aveugle-né nous fournit encore une preuve convaincante de la vérité que nous soutenons contre les hérétiques. Jésus-Christ lui ayant rendu la vue le jour du sabbat, on l’amena aux pharisiens, c’est-à-dire aux ennemis déclarés de la doctrine de Jésus-Christ qui s’étaient persuadés que c’était un faux prophète, qui séduisait le peuple. Ils lui demandent comment il avait été guéri. Il en fait le récit, qui en aigrit quelques-uns, et qui en persuade d’autres. Ceux qui demeurent dans leur endurcissement opposent à ce miracle la doctrine de Jésus-Christ qu’ils prétendent être contraire à Moïse. Cet homme, disent-ils, n’est point de Dieu, parce qu’il ne garde point le sabbat ; et il paraît par le chapitre suivant, qu’ils attribuent au démon cette guérison miraculeuse. Mais d’autres, que ce miracle avait touché, disent au contraire, comment un homme pécheur pourrait-il faite ces miracles ? Nous voyons déjà le procédé des catholiques et des hérétiques parfaitement représenté dans ces deux sortes de personnes. Les pharisiens ennemis de Jésus-Christ, voulaient qu’on jugeât de ses miracles par sa doctrine, et qu’on attribuât ces miracles au démon ; parce qu’ils étaient prévenus que sa doctrine était contraire à celle de Moïse. » : p. 42. « Comment est-ce que cet aveugle peut dire, que ce n’est pas à lui à juger si Jésus-Christ est pécheur, en même temps qu’il assure que la grâce qu’il en a reçue, l’oblige à croire qu’il n’est pas pécheur. Il ne peut y avoir d’autre sens dans les paroles que ces hérétiques avouent avoir été dites par l’inspiration du Saint Esprit, sinon qu’il ne pouvait pas juger si Jésus-Christ était bon ou méchant, par aucun examen qu’il eût fait de sa doctrine ou de ses mœurs ; mais que, quoique les pharisiens en pussent dire, ce miracle seul, dont il était le premier témoin, le contraignait de reconnaître Jésus pour prophète. Car c’est la force de ces mots : si peccator est nescio ; unum scio, quia caecus cum essem modo video ; et de là seul il conclut qu’il n’est pas pécheur » : p. 44.
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Que dit saint Paul ? Dit‑il le rapport des prophéties à toute heure ? Non, mais son miracle.
Saint Paul, Deuxième épître aux Corinthiens, XII, 12. « Aussi les marques de mon apostolat ont paru parmi vous dans toute sorte de tolérance et de patience, dans les miracles, dans les prodiges, et dans les effets extraordinaires de la puissance divine. »
Son miracle : la conversion de Paul sur le chemin de Damas est miraculeuse.
Pascal souligne ici la conformité de l’attitude de saint Paul, qui pour accréditer la religion qu’il prêche, n’invoque pas la conformité de la doctrine du Christ, mais seulement le miracle dont il a bénéficié. C’est exactement ce que faisait Jésus-Christ.
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Que dit Jésus-Christ ? Dit‑il le rapport des prophéties ? Non. Sa mort ne les avait pas accomplies, mais il dit : Si non fecissem. Croyez aux œuvres.
Jean, 15, 24. « Si je n’avais pas fait ce que nul autre n’a fait... ».
Miracles II (Laf. 846, Sel. 429). Jésus-Christ a vérifié qu’il était le Messie, jamais en vérifiant sa doctrine sur l’Écriture ou les prophéties, et toujours par ses miracles.
Le rapport des prophéties, c’est-à-dire l’examen de la conformité de la vie et de la prédication aux Écritures, était plutôt le fait des docteurs de la Loi, qui étaient ennemis de Jésus.
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 131 sq. Le pouvoir que les miracles ont de prouver quelque chose est garanti par le Christ même.
Voir Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 205. Vatable donne le texte suivant : « Si opera non fecissem inter eos, quae nemo alius fecit, peccatum non haberent : nunc autem et viderunt, et oderunt non solum me, verum etiam Patrem meum. »
Vulgate : « Si opera non fecissem in eis, quae nemo alius fecit, peccatum non haberent : nunc autrem et viderunt, et oderunt et me, et Patrem meum. »
La Bible de Louvain est très proche de la précédente : « Si opera non fecissem in eis, quae nemo alius fecit, peccatum non haberent : nunc autem et viderunt, et oderunt et me, et Patrem meum. »
L’original grec donne : Εἰ τὰ ἒργα μὴ ἐποίησα ἐν αὐτοῖς.
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Deux fondements surnaturels de notre religion toute surnaturelle, l’un visible, l’autre invisible.
Miracles avec la grâce, miracles sans grâce.
Voir la liasse Fondement.
Fondement se dit d’une assurance qu’on a sur quelque chose. Il ne faut pas faire grand fondement sur ses paroles (Furetière).
Le fondement, c’est ce sur quoi repose un édifice, ce qui assure sa solidité. Pascal emploie le terme dans l’opuscule De l’esprit géométrique, I, § 13, à propos de « cet art, que j’appelle l’art de persuader, et qui n’est proprement que la conduite des preuves méthodiques parfaites » : il consiste « en trois parties essentielles : à définir les termes dont on doit se servir par des définitions claires : à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la chose dont il s’agit ; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis. La raison de cette méthode est évidente, puisqu’il serait inutile de proposer ce qu’on veut prouver et d’en entreprendre la démonstration, si on n’avait défini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles ; et qu’il faut de même que la démonstration soit précédée de la demande des principes évidents qui y sont nécessaires, car si l’on n’assure le fondement on ne peut assurer l’édifice. » La force d’un fondement s’évalue en termes de vérité, mais surtout en termes de sûreté : un fondement doit être vrai, mais il doit aussi être solide, faute de quoi sa chute entraîne avec elle celle de tout l’édifice.
Sellier Philippe, “La chute et l’ascension”, in Essais sur l’imaginaire classique. Pascal, Racine, Précieuses et moralistes, Fénelon, p. 129-140. Voir p. 131. Rêverie de la tour et fondements. Pascal « est hanté par cette image des « fondements », des fondations, du solide, du résistant », qui a donné son titre à un de ses chapitres.
Du point de vue de l’art de convaincre, le fondement désigne un principe de base et incontesté : Preuves par discours II (Laf. 432, Sel. 684) : Je leur demanderais s’il n’est pas vrai qu’ils vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption.
Fondement s’oppose d’abord à vanité. Le premier mouvement de l’Apologie vise à montrer la vanité des opinions humaines, en ce sens que Pascal en démontre le manque de fondement en vérité. Pascal voulait mettre en regard la fragilité des fondements des philosophies humaines à la solidité de celui de la religion chrétienne. Voir sur ce point la liasse Vanité.
Lorsque le fondement vient à manquer, c’est tout l’édifice qui s’écroule ; Pascal évoque sous forme figurative ce qu’est le besoin enraciné chez l’homme de trouver un fondement ferme, et l’échec de sa recherche, dans le fragment Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). Nous brûlons du désir de trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier une tour qui s’élève à l’infini, mais tout notre fondement craque et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 132. Les deux fondements sont la grâce et les miracles : p. 132.
Miracles III (Laf. 861, Sel. 439). Les deux fondements : l’un intérieur, l’autre extérieur, la grâce, les miracles, tous deux surnaturels.
Sellier Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 441.
Fondement 20 (Laf. 243, Sel. 276). Fondement de notre foi. La religion païenne est sans fondement aujourd’hui on dit qu’autrefois elle en a eu par les oracles qui ont parlé. Mais quels sont les livres qui nous en assurent ? Sont-ils si dignes de foi par la vertu de leurs auteurs ? Sont-ils conservés avec tant de soin qu’on puisse s’assurer qu’ils ne sont point corrompus ? La religion mahométane a pour fondement l’Alcoran et Mahomet. Mais ce prophète qui devait être la dernière attente du monde a-t-il été prédit ? Et quelle marque a-t-il que n’ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète ? Quels miracles dit-il lui-même avoir faits ? Quel mystère a-t-il enseigné selon sa tradition même ? Quelle morale et quelle félicité ? La religion juive doit être regardée différemment. Dans la tradition des livres saints et dans la tradition du peuple. La morale et la félicité en est ridicule dans la tradition du peuple mais elle est admirable dans celle de leurs saints. Le fondement en est admirable. C’est le plus ancien livre du monde et le plus authentique et au lieu que Mahomet pour faire subsister le sien a défendu de le lire, Moïse pour faire subsister le sien a ordonné à tout le monde de le lire. Et toute religion est de même. Car la chrétienne est bien différente dans les livres saints et dans les casuistes. Notre religion est si divine qu’une autre religion divine n’en a que le fondement.
La synagogue, qui a été traitée avec amour comme figure de l’Église et avec haine parce qu’elle n’en était que la figure, a été relevée étant prête à succomber, quand elle était bien avec Dieu, et ainsi figure.
La Synagogue : voir l’article Synagogue dans le Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, p. 1080-1084. Voir notamment ce qui touche la « période ancienne ». Pascal entend le mot, mis au singulier, en un sens symbolique, représentant l’ensemble de la communauté juive fidèle à sa religion.
Robert A. et Feuillet A. (dir.), Introduction à la Bible, II, Nouveau Testament, Tournai, Desclée, 1959, p. 60 sq.
Les Juifs ont été à plusieurs reprises proches de leur perte, mais comme ils étaient la figure de l’Église, Dieu les a sortis du danger par des miracles comme le passage de la mer Rouge, ou dans l’histoire d’Athalie.
Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer Rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.
Et ainsi figure : voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 253-254.
Le contexte dans lequel cette pensée est prise est exposé dans Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, dans le chapitre VI, « Le mystère d’Israël ».
Laf. 573, Sel. 476. La Synagogue ne périssait point parce qu’elle était la figure. Mais parce qu’elle n’était que la figure elle est tombée dans la servitude. La figure a subsisté jusqu’à la vérité afin que l’Église fût toujours visible ou dans la peinture qui la promettait ou dans l’effet.
Miracles III (Laf. 859, Sel. 438). La Synagogue était la figure et ainsi ne périssait point ; et n’était que la figure, et ainsi est périe. C’était une figure qui contenait la vérité et ainsi elle a subsisté jusqu’à ce qu’elle n’a plus eu la vérité.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 249. Les deux parties du titre répondent en fait à un seul sujet : les objections des athées peuvent se ramener à une seule, exprimée dans le premier fragment de la liasse, Nous n’avons nulle lumière. « Quant au fondement de la religion, c’est ce qui l’autorise, lui assure crédit : miracles, prophéties, voire doctrine, le tout enregistré dans le livre de la Bible, qui peut être tenu lui-même pour fondement » : p. 249.
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 133 sq. Application de l’idée figurative au judaïsme, et non plus aux choses naturelles, par rapport aux institutions de l’Église. C’est ce qui mène à l’Apologie. Voir p. 194 : cela fait, par rapport aux données de la polémique, une nette extension. Continuité du dessein divin à travers les deux Testaments.
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Les miracles prouvent le pouvoir que Dieu a sur les cœurs par celui qu’il exerce sur les corps.
Les miracles opérés dans les corps sont la figure de ceux que Dieu opère dans l’âme.
Jamais l’Église n’a approuvé un miracle parmi les hérétiques.
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 185 sq. Réflexion pour le sens que peut avoir un miracle dans la polémique religieuse : ils sont dotés du pouvoir d’arbitrer un différend religieux. Port-Royal n’est pas schismatique, puisqu’il condamne hautement les cinq propositions. Mais le miracle ne juge pas le contenu de la doctrine, il indique seulement globalement où est le bon parti. Voir p. 128, sur le fait que Pascal dépasse la dispute contre le Rabat-joie du P. Annat pour entamer une réflexion sur le sens et le rôle que peut avoir le miracle survenu dans la polémique religieuse.
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Les miracles, appui de [la] religion. Ils ont discerné les Juifs. Ils ont discerné les chrétiens, les saints, les innocents, les vrais croyants.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 512.
Le miracle a toujours, selon Pascal, une vertu discernante.
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Un miracle parmi les schismatiques n’est pas tant à craindre, car le schisme, qui est plus visible que le miracle, marque visiblement leur erreur, mais quand il n’y a point de schisme et que l’erreur est en dispute, le miracle discerne.
Voir le dossier thématique Schisme et hérésie. Le schisme suppose une séparation volontaire et déclarée d’avec l’Église. Du fait que le schismatique déclare lui-même sa séparation, les miracles qu’il pourrait éventuellement accomplir ne seraient pas la preuve de la vérité de sa doctrine.
Il en va autrement d’un hérétique non déclaré : il faut que Dieu lui-même marque qu’il réprouve son erreur. Un miracle, dans ces conditions, permet de savoir où est la vérité, et son opposition à l’erreur.
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Si non fecissem quæ alius non fecit.
Jean, 15, 24. « Si je n’avais pas fait ce que nul autre n’a fait... ».
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Ces malheureux qui nous ont obligé[s] de parler des miracles.
Miracles III (Laf. 877, Sel. 441). Saint Hilaire, misérables qui nous obligez à parler des miracles. (texte barré verticalement)
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Abraham, Gédéon.
Confirmer la foi par miracles.
Sur Abraham et Gédéon, Voir le commentaire du fragment Miracles III (Laf. 892, Sel. 446). Abraham, Gédéon : signes au dessus de la révélation. Les Juifs s’aveuglaient en jugeant des miracles par l’Écriture. Dieu n’a jamais laissé ses vrais adorateurs. J’aime mieux suivre Jésus-Christ qu’aucun autre parce qu’il a le miracle, prophétie, doctrine, perpétuité, etc.
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Judith : enfin Dieu parle dans les dernières oppressions.
Voir le Livre de Judith. Holopherne assiégeant Béthulie, ses habitants implorent Dieu de les sauver. Judith parvient à les sauver en décapitant Holopherne.
Dans les dernières oppressions : le chapitre VII du livre insiste sur l’effroi du peuple à l’approche de Holopherne. Dieu a attendu le moment où le désespoir le plus profond a saisi le peuple pour susciter Judith, qui le sauvera en assassinant Holopherne.
Voir la notice du livre de Judith dans la Bible de Port-Royal éditée par Philippe Sellier, coll. Bouquins, p. 582.
Voir la Préface du livre de Judith dans Chédozeau Bernard, L’Univers biblique catholique au siècle de Louis XIV, La Bible de Port-Royal, I, p. 476 sq.
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Si le refroidissement de la charité laisse l’Église presque sans vrais adorateurs, les miracles en exciteront.
Le Recueil d’Utrecht rapporte une anecdote qui peut suggérer que, dans son esprit, Dieu ayant laissé Port-Royal dans le péril, Pascal n’en pensait pas moins qu’il montrerait sa puissance en intervenant en sa faveur : quelques jours avant le miracle de la sainte Épine, « il eut un entretien avec un homme qui n’avait point de religion, et qui concluait de ce qui se passait dans l’Église qu’il n’y avait point de providence. « Car, disait-il, il est évident qu’il n’y a rien de plus injuste que de persécuter comme hérétiques des personnes qui doutent d’un fait non révélé et indifférent à la religion, tel qu’est celui de Jansénius. Comment donc, ajoutait-il, si Dieu se mêle de nos affaires, si la religion est son œuvre par excellence, si l’Église est le royaume de la vérité, comment peut-il arriver que les seuls théologiens qui défendent toute vérité soient opprimés, excommuniés, et sans ressource soit du côté des hommes, soit du côté de Dieu, qui garde un profond silence ? » À ce discours du libertin, M. Pascal répondit sans hésiter qu’il croyait les miracles nécessaires et qu’il ne doutait point que Dieu n’en fît incessamment » : voir ce texte dans OC I, éd. J. Mesnard, p. 970-971.
Cet acte d’espérance ne doit pas dissimuler que Pascal estime que l’état de l’Église dans les derniers temps sera sans doute très malheureux. On peut s’en faire une idée par le Projet de mandement qu’il a composé pour un évêque non identifié (peut-être Henri Arnauld). Voir Pascal, Provinciales, Pensées..., Pochothèque, p. 682 sq. ; Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 461 sq.
« 3. Si Jésus-Christ, en promettant à l’Église que sa vérité et son esprit reposeraient sur elle éternellement, l’avait en même temps assurée d’une suite calme et tranquille de vérité et de paix, on aurait sujet d’être surpris de voir le mensonge et l’erreur paraître avec tant d’insolence. Mais quelle raison y a-t-il de l’être, après qu’il a déclaré que plusieurs y jetteraient le trouble, sous l’apparence néanmoins de la piété, et qu’ils viendraient en son nom pour détourner les hommes de la véritable voie : de sorte que ces désordres, qui croîtraient toujours, seraient enfin si grands dans la fin des siècles, que les élus mêmes en seraient séduits s’il était possible de les séduire ?
4. Il est donc indubitable que ces scandales devaient arriver, quoiqu’à la ruine de ceux qui les causent et de ceux qui s’y perdent. Car Dieu les souffre, non pas afin qu’on suive ces désordres, mais afin qu’on les combatte, et qu’il paraisse en cette épreuve ceux qui lui sont véritablement fidèles.
5. Et c’est pourquoi, comme il est si important de les éviter, saint Paul, qui fait la même prédiction, nous donne en même temps la description de ces séducteurs, afin qu’on les puisse mieux reconnaître, quand il dit à Timothée qu’il viendrait dans les derniers temps des hommes ayant l’apparence de la piété, mais qui en rejetteraient l’essence ; qui seraient pleins d’ambition et d’amour-propre, superbes, calomniateurs, sans amour de Dieu ; qui s’introduiraient dans les maisons des particuliers, et s’assujettiraient les femmes simples, en les flattant dans leurs péchés et dans les désirs de leur cœur ; qui travailleraient sans cesse à devenir savants, et n’arriveraient jamais à la connaissance de la vérité. Et il finit cette peinture en disant qu’ils ne réussiront pas dans leurs desseins, et qu’enfin leur faiblesse et leur impertinence sera connue de tout le monde. »
Ce sont les derniers efforts de la grâce.
S’il se faisait un miracle aux jésuites.
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 184, pense que c’est une réponse à l’argument du Rabat-joie du P. Annat que « les signes et les miracles sont ordinairement employés pour la conversion de ceux qui n’ont pas la vraie foi », en alléguant les miracles arrivés chez les infidèles, et ceux du Christ en faveur des Juifs. Critique de l’argument : p. 185.
Les jésuites ont fait grand bruit autour des miracles d’Ignace de Loyola et de Saint François Xavier.
Voir dans l’Imago primi saeculi Societatis Jesu, 1640, les endroits suivants : Miraculum primum ac maximum in Societate, est ipsa Societas, p. 621 sq., Miracula S. Ignatii et Sociorum circa ignem, p. 623 sq., item circa aerem et aereas daemonorum potestates, p. 627 sq., et Miracula aliquot illustriora S. Ignatii in daemonem, p. 629.
Quand le miracle trompe l’attente de ceux en présence desquels il arrive et qu’il y a disproportion entre l’état de leur foi et l’instrument du miracle, alors il doit les porter à changer, mais, etc. Autrement il y aurait autant de raison à dire que si l’Eucharistie ressuscitait un mort il faudrait se rendre calviniste que demeurer catholique, mais quand il couronne l’attente, et que ceux qui ont espéré que Dieu bénirait les remèdes se voient guéris sans remèdes...
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 127. Réfutation de l’argument du Rabat-joie des jansénistes du P. Annat, qui prétend que « les signes et les miracles sont ordinairement employés pour la conversion de ceux qui n’ont pas la vraie foi ». Le P. Annat invoque les miracles arrivés chez les infidèles et ceux opérés par la vertu de l’image du Christ en faveur des Juifs qui l’avaient outragé. Dans le cas des Juifs qui ont blasphémé contre Jésus, il y a bien « disproportion entre l’état de leur foi et l’instrument du miracle », mais les religieuses de Port-Royal croient au Christ.
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Impies.
Jamais signe n’est arrivé de la part du diable sans un signe plus fort de la part de Dieu, au moins sans qu’il eût été prédit que cela arriverait.
Signe s’entend au sens de miracle. Voir Miracles I (Laf. 830, Sel. 419).
Les figures de la totalité de la rédemption, comme que le soleil éclaire à tous, ne marquent qu’une totalité, mais les figurantes des exclusions, comme des Juifs élus à l’exclusion des gentils, marquent l’exclusion.
Usage de termes de logique, totalité et exclusion, rares chez Pascal, mais envisagés dans le cadre de la rhétorique des figuratifs. Le terme tous peut être équivoque, car il désigne bien une totalité, mais sans préciser laquelle, parmi la multitude des totalités concevables. On peut hésiter, lorsqu’on entend la proposition le soleil éclaire à tous, à l’entendre de tous les hommes absolument ou seulement de tous les hommes qui voient ; et de même, quand on dit que Dieu veut sauver tous les hommes, on ne sait pas à coup sûr s’il s’agit de la totalité de l’humanité, ou des hommes qui font sa volonté.
En revanche, l’exclusion est beaucoup moins sujette au doute. Lorsque l’on dit que les assassins n’iront pas en paradis, le sens n’est pas douteux. Lorsque l’on dit que les Juifs sont le peuple élu par Dieu, à l’exclusion des gentils, le sens de cette exception est univoque.
La distinction du sens composé et du sens divisé permet de tourner cette distinction : voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La Logique, III, XVIII, 6, éd. Descotes, Paris, Champion, 2014, p. 444 sq. La proposition Les aveugles voient, ou les boiteux marchent droit, peut être entendue au sens universel, mais elle n’est véritable « qu’en prenant les choses séparément, et non conjointement, c’est-à-dire dans le sens divisé, et non dans le sens composé » : car « les aveugles ne voyaient pas demeurant aveugles, et les sourds n’entendaient pas demeurant sourds : mais ceux qui avaient été aveugles auparavant et ne l’étaient plus, voyaient ; et de même des sourds » : p. 445. Une proposition d’aspect universel s’avère dans ce cas exprimer une exclusion.
Jésus-Christ rédempteur de tous. Oui, car il a offert comme un homme qui a racheté tous ceux qui voudront venir à lui. Ceux qui mourront en chemin, c’est leur malheur, mais quant à lui il leur offrait rédemption. Cela est bon en cet exemple où celui qui rachète et celui qui empêche de mourir sont deux, mais non pas en Jésus-Christ qui fait l’un et l’autre. Non, car Jésus-Christ, en qualité de rédempteur, n’est pas peut‑être maître de tous, et ainsi, en tant qu’il est en lui il est rédempteur de tous.
Jésus-Christ rédempteur de tous : l’éd. Sellier signale que cette expression traduit l’hymne des vêpres de Noël, Jesu, redemptor omnium.
Voir plus haut la position de Pascal sur l’université de la rédemption. Il procède dans ce passage à un échange de thèses, d’objections et de réponses qui sert de canevas pour un dialogue comparable à certaines Provinciales.
Le raisonnement est difficile à suivre. La thèse est que Jésus-Christ est rédempteur de tous, dans la mesure où on peut le comparer à un homme qui rachète des esclaves qui acceptent de se soumettre à lui. L’objection est que la thèse se défend et que le libérateur appelle tout le monde, mais que ce n’est pas lui qui permet aux esclaves de ne pas mourir, ou qui les laisse tomber dans la mort. Mais si, comme c’est le cas du Christ, le libérateur ne fait qu’un avec celui qui permet que les uns soient sauvés et les autres perdus, on ne peut pas dire qu’il est rédempteur de tous, mais seulement de ceux qu’il sauve. La réponse à cette objection est que Jésus-Christ est rédempteur « en tant qu’il est en lui », c’est-à-dire qu’il sauve tous ceux qui se soumettent à lui, sans être pour autant maître de ceux qui lui résisteront.