Pensées diverses VII – Fragment n° 9 / 10 – Papier original : RO 41-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 185 p. 421 v°-423 / C2 : p. 397

Éditions de Port-Royal : Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire : 1669 et janvier 1670 p. 61 / 1678 n° 2 p. 62

Éditions savantes : Faugère I, 228, CLXVII ; II, 181, V ; II, 357, XVIII / Havet XXV.20, X.3, XXIV.7 / Brunschvicg 259, 240, 615 / Tourneur p. 134-1 / Le Guern 668 et 669 / Lafuma 815 à 817 (série XXIX) / Sellier 659

 

 

 

Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu’il ne veut pas songer. Ne pensez point aux passages du Messie, disait le Juif à son fils. Ainsi font les nôtres souvent. Ainsi se conservent les fausses religions et la vraie même à l’égard de beaucoup de gens.

Mais il y en a qui n’ont pas le pouvoir de s’empêcher ainsi de songer et qui songent d’autant plus qu’on leur défend. Ceux‑là se défont des fausses religions et de la vraie même, s’ils ne trouvent des discours solides.

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J’aurais bientôt quitté les plaisirs, disent‑ils, si j’avais la foi. Et moi je vous dis : Vous auriez bientôt la foi si vous aviez quitté les plaisirs. Or c’est à vous à commencer. Si je pouvais, je vous donnerais la foi. Je ne puis le faire, ni partant éprouver la vérité de ce que vous dites, mais vous pouvez bien quitter les plaisirs et éprouver si ce que je dis est vrai.

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On a beau dire : Il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d’étonnant, c’est parce que vous y êtes né, dira‑t‑on. Tant s’en faut, je me roidis contre par cette raison‑là même, de peur que cette prévention ne me suborne, mais quoique j’y sois né, je ne laisse pas de le trouver ainsi.

 

 

Cette suite de notes séparées par des traits de plume ne semble pas avoir de dénominateur commun. Tout au plus peut-on remarquer qu’elles portent, d’une manière ou d’une autre, sur le rapport que les hommes ont avec leur propre pensée : dérèglement de la pensée, illusion sur la possibilité de se convertir, résistance à la prévention.

 

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Fragments connexes

 

Conclusion 2 (Laf. 378, Sel. 410). Si j’avais vu un miracle, disent-ils, je me convertirais. Comment assurent-ils qu’ils feraient ce qu’ils ignorent. Ils s’imaginent que cette conversion consiste en une adoration qui se fait de Dieu comme un commerce et une conversation telle qu’ils se la figurent. La conversion véritable consiste à s’anéantir devant cet être universel qu’on a irrité tant de fois et qui peut vous perdre légitimement à toute heure, à reconnaître qu’on ne peut rien sans lui et qu’on n’a rien mérité de lui que sa disgrâce. Elle consiste à connaître qu’il y a une opposition invincible entre Dieu et nous et que sans un médiateur il ne peut y avoir de commerce.

Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). Or quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sincère, véritable... À la vérité vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n’en aurez-vous point d’autres ?

Pensées diverses (Laf. 821, Sel. 661). Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaires. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate, par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.

 

Pensée n° 8H-19T recto (Laf. 919, Sel. 751). C’est mon affaire que ta conversion ; ne crains point et prie avec confiance comme pour moi.

Pensée n° 14O (Laf. 930, Sel. 757). Pourquoi Dieu a établi la prière ?

1. Pour communiquer à ses créatures la dignité de la causalité.

2. Pour nous apprendre de qui nous tenons la vertu.

3. Pour nous faire mériter les autres vertus par travail.

Mais pour se conserver la primauté il donne la prière à qui il lui plaît.

Amour propre (Laf. 978, Sel. 743).

 

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