Fragment Loi figurative n° 22 / 31  – Papier original : RO 37-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 308 p. 131 v° / C2 : p. 159

Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la Loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 106 / 1678

n° 19 p. 106

Éditions savantes : Faugère II, 247, IX / Havet XVI.16 bis et ter / Brunschvicg 680 / Tourneur p. 262-1 / Le Guern 250 / Lafuma 267 / Sellier 298

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Bibliographie

 

 

CAZELLES Henri, Introduction critique à la Bible, I, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, p. 365-368.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453.

SELLIER Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 413.

 

 

Éclaircissements

 

Figures.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 413. Tout ce qui ne va pas à la charité est figure.

 

Dès qu’une fois on a ouvert ce secret il est impossible de ne le pas voir.

 

Lorsque l’on a compris qu’une expression est figurative, parce qu’elle est contradictoire, on est contraint d’aller au sens figuré.

Ce secret : entendre le fait que l’Ancien Testament est figuratif du Nouveau.

Le verbe ouvrir renvoie au fragment Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures. J.-C. leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures. Deux grandes ouvertures sont celles-là : 1. Toutes choses leur arrivaient en figures [...].

Dans le fragment Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291), Pascal recourt aussi à la double métaphore du voile et de la vue, pour désigner la manière dont l’esprit, une fois compris que le sens littéral des Écritures n’est pas le vrai, se porte au sens spirituel auquel se portait déjà l’esprit des prophètes : Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. Car dans un portrait on voit la chose figurée ; Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens. Jésus-Christ et les apôtres ont rompu le voile et [...] découvert l’esprit.

Le même fragment explique pourquoi, une fois averti que le sens littéral n’est pas le vrai, le lecteur est dans l’impossibilité de ne pas voir le vrai sens, qui est le spirituel : c’est que les principes qu’en prennent ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à connaître le sens caché sont tout à fait naturels et clairs.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses [...].

 

Qu’on lise le Vieil Testament en cette vue et qu’on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d’Abraham était la vraie cause de l’amitié de Dieu,

 

Cazelles Henri, Introduction critique à la Bible, I, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973, p. 185 sq. Abraham, patriarche type avec ses vertus, sa fermeté et sa réussite. Il vit en étranger au milieu de princes puissants, capables même de lui prendre sa femme, mais il prospère avec l’appui de son Dieu. Les promesses divines sur sa postérité : p. 186. Le sacrifice d’Isaac : p. 186.

Sur Abraham, les notes de la Genèse traduite par Sacy contiennent de nombreuses indications. Voir Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Abraham, p. 4-5.

Sellier Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., p. 471-483. Abraham prophète : p. 473. L’Abraham de Pascal n’est pas celui de la justification par la foi, cher à saint Paul. Pascal est muet sur l’épisode de Sodome, sur la bigamie d’Abraham, sur les mensonges du patriarche à Pharaon et à Abimélech, et surtout sur le sacrifice d’Isaac. Comment Abraham illustre la définition pascalienne du prophétisme, de parler de Dieu par sentiment intérieur et immédiat : p. 476.

Les promesses de Dieu à Abraham : voir Genèse, XII, 1-3 : « 1. Le Seigneur dit ensuite à Abram : Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père, et venez en la terre que je vous montrerai. 2. Je ferai sortir de vous un grand peuple ; je vous bénirai ; je rendrai votre nom célèbre, et vous serez béni. 3. Je bénirai ceux qui vous béniront, et je maudirai ceux qui vous maudiront ; et tous les peuples de la terre seront bénis en vous. »

Sur ces promesses, voir Saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, Bibliothèque augustinienne, p. 245. Double promesse temporelle et spirituelle ; que Dieu donnera une terre en Canaan, qu’il sera le père de toutes les nations qui imitent sa foi. Développement des promesses divines : p. 249. La promesse spirituelle : p. 254. L’alliance, sa portée spirituelle : p. 259. Confirmation de la promesse faite à Isaac, p. 305.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). Dieu voulant faire paraître qu’il pouvait former un peuple saint d’une sainteté invisible et le remplir d’une gloire éternelle a fait des choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce il a fait dans les biens de la nature ce qu’il devait faire dans ceux de la grâce, afin qu’on jugeât qu’il pouvait faire l’invisible puisqu’il faisait bien le visible.

Il a donc sauvé le peuple du déluge ; il l’a fait naître d’Abraham, il l’a racheté d’entre ses ennemis et l’a mis dans le repos.

L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour nous introduire que dans une terre grasse.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas leurs Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

Que Dieu n’acceptait point la postérité d’Abraham

Que les Juifs seront punis de Dieu comme les étrangers s’ils l’offensent.

[...] Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu et non d’Abraham.

Is. 63. 16. Vous êtes véritablement notre père, et Abraham ne nous a pas connus et Israël n’a point eu de connaissance de nous, mais c’est vous qui êtes notre père et notre rédempteur.

Moïse même leur a dit que Dieu n’acceptera point les personnes.

Deut. 10. 17. Dieu dit : je n’accepte point les personnes ni les sacrifices.

[...] La circoncision n’était qu’un signe. Gen. 17. 11.

Et de là vient qu’étant dans le désert ils ne furent point circoncis parce qu’ils ne pouvaient se confondre avec les autres peuples. Et qu’après que J.-C. est venu elle n’est plus nécessaire.

Que la circoncision du cœur est ordonnée.

Deut. 10. 17. Jer. 4. 4. - Soyez circoncis de cœur, retranchez les superfluités de votre cœur, et ne vous endurcissez plus car votre Dieu est un Dieu grand puissant et terrible, qui n’accepte point les personnes.

Que Dieu dit qu’il le ferait un jour.

Deut. 30. 6. Dieu te circoncira le cœur et à tes enfants afin que tu le l’aimes de tout ton cœur.

Que les incirconcis de cœur seront jugés.

Jér. 9. 26. CarDieu jugera les peuples incirconcis et tout le peuple d’Israël parce qu’il est incirconcis de cœur.

Que l’extérieur ne sert à rien sans l’intérieur.

Joël.2. 13. scindite corda vestra etc.

[...] L’amour de Dieu est recommandé en tout le Deutéronome.

Deut. 30. 19. Je prends à témoins le ciel et la terre que j’ai mis devant vous la mort et la vie afin que vous choisissiez la vie et que vous aimiez Dieu et que vous lui obéissiez. Car c’est Dieu qui est votre vie.

Que les Juifs, manque de cet amour, seraient réprouvés pour leurs crimes et les païens élus en leur place : [...] Que les biens temporels sont faux et que le vrai bien est d’être uni à Dieu.

[...] Que leurs fêtes déplaisaient à Dieu. Amos. 5. 21.

Que les sacrifices des Juifs déplaisent à Dieu.

[...] Que les sacrifices des païens seront reçus de Dieu. Et que Dieu retirera sa volonté des sacrifices des Juifs.

[...] Que Dieu fera une nouvelle alliance par le Messie et que l’ancienne sera rejetée.

[...] Mandata non bona. Ezechiel.

[...] Qu’on ne se souviendra plus de l’arche.

[...] Que le temple serait rejeté.

[...] Que les sacrifices seraient rejetés et d’autres sacrifices purs établis.

[...] Que l’ordre de la sacrificature d’Aaron serait réprouvé et celle de Melchisedech introduite par le Messie.

[...] Que cette sacrificature serait éternelle.

[...] Que Jérusalem serait réprouvée et Rome admise [...].

 

si la terre promise était le véritable lieu de repos ?

 

Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.

Pascal ne parle de la terre promise dans aucun autre lieu des Pensées.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour nous introduire que dans une terre grasse.

Que le don aux Juifs de la terre promise n’était pas le véritable but de Dieu, mais que celui-ci avait fait cette promesse en un sens figuratif et spirituel, Pascal l’explique dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures. Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.

Ainsi quand il dit : Dieu a reçu l’odeur de vos parfums et vous donnera en récompense une terre grasse, c’est-à-dire la même intention qu’aurait un homme qui, agréant vos parfums, vous donnerait en récompense une terre grasse, Dieu aura la même intention pour vous parce que vous avez eu pour lui même intention qu’un homme a pour celui à qui il donne des parfums.

La terre promise n’était donc que la figure du repos tout spirituel auquel les élus sont appelés en paradis.

Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des ennemis, ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse.

Voir sur la terre promise, ou terre de Canaan (ou Chanaan), l’article Terre de Canaan du Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, qui donne les indications essentielles : appellation usuelle depuis le temps des patriarches pour désigner la terre d’Israël. La promesse de Dieu de donner à la descendance d’Abraham « tout le pays de Canaan » est répétée dans Genèse, XVII, 8 (« 8. Je vous donnerai, à vous et à votre race, la terre où vous demeurez maintenant comme étranger, tout le pays de Chanaan, afin que vos descendants le possèdent pour jamais ; et je serai leur Dieu »), Nombres, XXXIV, 2 sq., et Psaumes CV, 11. L’étendue du territoire est déterminée dans Nombres, XXXIV, 2 sq. : « 1. Le Seigneur parla encore à Moïse, et lui dit : 2. Ordonnez ceci aux enfants d’Israël, et dites-leur : Lorsque vous serez entrés dans le pays de Chanaan, et que vous y posséderez chacun ce qui vous sera échu par le sort, voici quelles seront ses limites : 3. Le côté du midi commencera au désert de Sin, qui est près d’Édom, et il aura pour limites vers l’orient la mer Salée. 4. Ces limites du midi seront le long du circuit que fait la montée du Scorpion, passeront par Sonna, et s’étendront depuis le midi jusqu’à Cadès-Barné ; de là elles iront jusqu’au village nommé Adar, et s’étendront jusqu’à Asémona. 5. D’Asémona, elles iront en tournant jusqu’au torrent de l’Égypte, et elles finiront au bord de la grande mer. 6. Le côté de l’occident commencera à la grande mer, et s’y terminera pareillement. 7. Les limites du côté du septentrion commenceront à la grande mer, et s’étendront jusqu’à la haute montagne ; 8. De là elles iront vers Émath, jusqu’aux confins de Sédada ; 9. Et elles s’étendront jusqu’à Zéphrona, et au village d’Énan. Ce seront là les limites du côté du septentrion. 10. Les limites du côté de l’orient se mesureront depuis ce même village d’Énan jusqu’à Séphama ; 11. De Séphama elles descendront à Rébla, vis-à-vis de la fontaine de Daphnis ; de là elles s’étendront le long de l’orient jusqu’à la mer de Cénéreth, 12. Et passeront jusqu’au Jourdain, et elles se termineront enfin à la mer Salée. Voilà quelle sera l’étendue et quelles seront les limites du pays que vous devez posséder. »

Les populations en étaient principalement des tribus d’Amorites, de Cananéens et de Jébuséens. Josué conquit la région sur de nombreuses tribus locales, qui furent intégrées à celles des vainqueurs.

Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour nous introduire que dans une terre grasse.

Que le don aux Juifs de la terre promise n’était pas le véritable but de Dieu, mais que celui-ci avait fait cette promesse en un sens figuratif et spirituel, Pascal l’explique dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures. Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter. Ainsi quand il dit : Dieu a reçu l’odeur de vos parfums et vous donnera en récompense une terre grasse, c’est-à-dire la même intention qu’aurait un homme qui, agréant vos parfums, vous donnerait en récompense une terre grasse, Dieu aura la même intention pour vous parce que vous avez eu pour lui même intention qu’un homme a pour celui à qui il donne des parfums.

La terre promise n’était donc que la figure du repos tout spirituel auquel les élus sont appelés en paradis.

Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des ennemis, ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse.

 

Abraham Hortelius, Le miroir du monde,1598

L’expression terre grasse, que Pascal emploie ailleurs (Loi figurative 27 - Laf. 272, Sel. 303) renvoie aux paroles de bénédiction prononcées par Isaac à l’adresse de Jacob : Genèse, XVII, 28, « Det tibi Deus de rore caeli, et de pinguedine terrae, abundantiam frumenti et vini », « Que Dieu vous donne une abondance de blé et de vin, de la rosée du ciel, et de la graisse de la terre ». Le commentaire de Sacy suit saint Augustin, Cité de Dieu, XXVI, c. 37, qui propose l’interprétation spirituelle : « Il lui souhaite la rosée du ciel, pour marquer cette pluie spirituelle de la parole divine qui ne tombe que sur l’Église. Il lui désire la graisse de la terre, pour montrer que l’Église est cette mère féconde dont les enfants se sont multipliés jusques aux extrémités du monde. Il y joint l’abondance du blé et du vin, parce que le lien de tous ces peuples est le corps même de Jésus-Christ qu’il donne à tous ses membres dans son sacrement sous les espèces du pain et du vin ».

 

 Non, donc c’étaient des figures.

 

Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290). Figure. Si la loi et les sacrifices sont la vérité il faut qu’elle plaise à Dieu et qu’elle ne lui déplaise point. S’ils sont figures il faut qu’ils plaisent et déplaisent.

Or dans toute l’Écriture ils plaisent et déplaisent. Il est dit que la loi sera changée, que le sacrifice sera changé, qu’ils seront sans roi, sans princes et sans sacrifices, qu’il sera fait une nouvelle alliance, que la loi sera renouvelée, que les préceptes qu’ils ont reçus ne sont pas bons, que leurs sacrifices sont abominables, que Dieu n’en a point demandé.

Il est dit au contraire que la loi durera éternellement, que cette alliance sera éternelle, que le sacrifice sera éternel, que le sceptre ne sortira jamais d’avec eux, puisqu’il n’en doit point sortir que le roi éternel n’arrive.

Tous ces passages marquent-ils que ce soit réalité ? non. Marquent-ils aussi que ce soit figure ? non, mais que c’est réalité ou figure ; mais les premiers excluant la réalité marquent que ce n’est que figure.

Tous ces passages ensemble ne peuvent être dits de la réalité ; tous peuvent être dits de la figure. Ils ne sont pas dits de la réalité mais de la figure.

 

Qu’on voie de même toutes les cérémonies ordonnées et tous les commandements qui ne sont point pour la charité, on verra que c’en sont les figures.

 

Les commandements qui ne sont point pour la charité : il y a dans l’Ancien Testament des commandements qui ordonnent la charité, notamment celui qui commande l’amour du prochain : voir notamment Lévitique, XX, 18 : « Ne cherchez point à vous venger, et ne conservez point le souvenir de l’injure de vos concitoyens. Vous aimerez votre ami comme vous-même » ; Ecclésiastique, XIII, 18-19 : « Aimez Dieu toute votre vie, et invoquez-le pour être votre salut. Tout animal aime son semblable : ainsi tout homme aime celui qui lui est proche » (tr. Sacy) ; et XXVII, 18 : « Aimez votre prochain et soyez-lui fidèle dans l’union que vous avez avec lui ». Ce commandement se trouve dans le Nouveau Testament, Matth., V, 43, XIX, 19 et XXII, 39 ; Marc, XII, 33, ainsi que dans saint Paul, Gal., V, 14. Il est essentiel à l’argumentation de Pascal que, contrairement aux commandements de la loi mosaïque qui ne touchent pas la charité, ceux-ci ne soient pas pris pour des figures, puisqu’ils expriment la réalité. Ils doivent donc être mis à part et échapper à l’interprétation. Car si tel était le cas, et si l’on prenait pour figure le précepte de charité, cela signifierait que la loi du Christ doit, comme celle de Moïse, être dépassée. Pascal a si bien vu la difficulté qu’il a insisté très fortement sur cette nécessité dans un fragment au style énergique : Miracles II (Laf. 849, Sel. 430) : La charité n’est pas un précepte figuratif. Dire que Jésus-Christ qui est venu ôter les figures pour mettre la vérité ne soit venu que mettre la figure de la charité pour ôter la réalité qui était auparavant, cela est horrible. Si la lumière est ténèbres que seront les ténèbres ?

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

[...] Le sabbat n’était qu’un signe. Ex. 31. 13. et en mémoire de la sortie d’Égypte. Deut. 15. 15. donc il n’est plus nécessaire puisqu’il faut oublier l’Égypte.

La circoncision n’était qu’un signe. Gen. 17. 11.

Et de là vient qu’étant dans le désert ils ne furent point circoncis parce qu’ils ne pouvaient se confondre avec les autres peuples. Et qu’après que J.-C. est venu elle n’est plus nécessaire.

Que la circoncision du cœur est ordonnée.

[...] Que Dieu dit qu’il le ferait un jour.

Deut. 30. 6. Dieu te circoncira le cœur et à tes enfants afin que tu l’aimes de tout ton cœur.

Que les incirconcis de cœur seront jugés.

Jér. 9. 26. CarDieu jugera les peuples incirconcis et tout le peuple d’Israël parce qu’il est incirconcis de cœur.

Que l’extérieur ne sert à rien sans l’intérieur.

[...] Que leurs fêtes déplaisaient à Dieu. Amos. 5. 21.

Que les sacrifices des Juifs déplaisent à Dieu.

[...] même de la part des bons.

[...] Que les sacrifices des païens seront reçus de Dieu. Et que Dieu retirera sa volonté des sacrifices des Juifs.

[...] Que les sacrifices seraient rejetés et d’autres sacrifices purs établis.

[...] Que l’ordre de la sacrificature d’Aaron serait réprouvé et celle de Melchisédech introduite par le Messie.

[...] Que cette sacrificature serait éternelle.

 

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Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises,

 

Figures ou sottises : ou bien on admet les contradictions dans le discours des prophètes, et ils n’ont pas de sens, car tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout ; ou bien on doit concilier ces contradictions en recourant au sens figuré. Il n’y a pas de milieu entre pas de sens et un sens.

Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Contradiction. On ne peut faire une bonne physionomie qu’en accordant toutes nos contrariétés et il ne suffit pas de suivre une suite de qualités accordantes sans accorder les contraires ; pour entendre le sens d’un auteur il faut accorder tous les passages contraires.

Ainsi pour entendre l’écriture il faut avoir un sens dans lequel tous les passages contraires s’accordent ; il ne suffit pas d’en avoir un qui convienne à plusieurs passages accordants, mais d’en avoir un qui accorde les passages même contraires.

Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l’Écriture et des prophètes : ils avaient assurément trop de bon sens. Il faut donc en chercher un qui accorde toutes les contrariétés.

Le véritable sens n’est donc pas celui des juifs, mais en J.-C. toutes les contradictions sont accordées.

Les juifs ne sauraient accorder la cessation de la royauté et principauté prédite par Osée, avec la prophétie de Jacob.

Si on prend la loi, les sacrifices et le royaume pour réalités on ne peut accorder tous les passages ; il faut donc par nécessité qu’ils ne soient que figures. On ne saurait pas même accorder les passages d’un même auteur, ni d’un même livre, ni quelquefois d’un même chapitre, ce qui marque trop quel était le sens de l’auteur ; comme quand Ézéchiel, ch. 20 dit qu’on vivra dans les commandements de Dieu et qu’on n’y vivra pas.

Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290). Figure. Si la loi et les sacrifices sont la vérité il faut qu’elle plaise à Dieu et qu’elle ne lui déplaise point. S’ils sont figures il faut qu’ils plaisent et déplaisent.

Or dans toute l’Écriture ils plaisent et déplaisent. Il est dit que la loi sera changée, que le sacrifice sera changé, qu’ils seront sans roi, sans princes et sans sacrifices, qu’il sera fait une nouvelle alliance, que la loi sera renouvelée, que les préceptes qu’ils ont reçus ne sont pas bons, que leurs sacrifices sont abominables, que Dieu n’en a point demandé.

Il est dit au contraire que la loi durera éternellement, que cette alliance sera éternelle, que le sacrifice sera éternel, que le sceptre ne sortira jamais d’avec eux, puisqu’il n’en doit point sortir que le roi éternel n’arrive.

Tous ces passages marquent-ils que ce soit réalité ? non. Marquent-ils aussi que ce soit figure ? non, mais que c’est réalité ou figure ; mais les premiers excluant la réalité marquent que ce n’est que figure.

Tous ces passages ensemble ne peuvent être dits de la réalité ; tous peuvent être dits de la figure. Ils ne sont pas dits de la réalité mais de la figure.

 

or il y a des choses claires trop hautes pour les estimer des sottises.

 

Ceci est dit par opposition à Mahomet, qui n’a pas de parties claires qui montrent que les obscurités sont sérieuses.

Fausseté 16 (Laf. 218, Sel. 251). Ce n’est pas par ce qu’il y a d’obscur dans Mahomet et qu’on peut faire passer pour un sens mystérieux que je veux qu’on en juge, mais par ce qu’il y a de clair, par son paradis et par le reste. C’est en cela qu’il est ridicule. Et c’est pourquoi il n’est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n’en est pas de même de l’Écriture. Je veux bien qu’il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés admirables et des prophéties manifestes et accomplies. La partie n’est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l’obscurité et non pas par la clarté qui mérite qu’on révère les obscurités.

Cette idée est illustrée par les fragments dans lesquels Pascal imagine que l’on entende deux personnes parler un langage chiffré, et dont l’une dit des paroles sublimes, alors que l’autre ne profère que des sottises. Les parties claires et élevées servent de garantie à celles qui paraissent bizarres, et montrent qu’elles enferment quelque mystère.

 

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Savoir si les prophètes arrêtaient leur vue dans l’Ancien Testament ou s’ils y voyaient d’autres choses.

 

Cette phrase est écrite en marge, mise à part du reste par des traits verticaux et horizontaux. La question est de savoir si Pascal l’a conçu à part, ou si c’est une glose sur ce qui est écrit à droite, savoir : Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises, or il y a des choses claires trop hautes pour les estimer des sottises. En tout cas, Pascal a associé les deux passages par le découpage.

Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Figures.

Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. Car dans un portrait on voit la chose figurée. Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent.

Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices, etc.